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L’innovation relative aux produits modulaires :

par les utilisateurs

S OMMAIRE DU C HAPITRE 2 :

4. La modularisation d’une architecture produit peut avoir pour conséquence la transformation

1.6. Les conséquences de la modularité sur les organisations et la structure d’une industrie :

1.7.2 L’innovation relative aux produits modulaires :

Un système modulaire est ouvert à l’innovation d’un certain type. Ainsi, un réseau décentralisé peut permettre l’essai de nombreuses approches alternatives simultanées, conduisant à un apprentissage essai-erreur rapide. Ce genre d’innovation est très important dans le cas où la technologie évolue rapidement et où il y a un degré élevé d’incertitude concernant le marché et/ou la technologie (Nelson et Winter, 1977). Dans un réseau décentralisé, il y a beaucoup plus de points d’entrée pour de nouvelles firmes, donc pour de nouvelles idées, que dans une industrie intégrée verticalement produisant des appareils fonctionnellement similaires. De la sorte, un système modulaire peut progresser plus vite technologiquement, spécialement pendant les périodes d’incertitude. Une autre raison, pour laquelle l’innovation peut être favorisée par la modularité réside dans la division du travail. Un réseau avec un standard de compatibilité promeut l’innovation autonome, i.e. l’innovation demandant peu de coordination à chaque étape. En permettant, aux producteurs spécialistes (et parfois aux utilisateurs spécialistes) de concentrer leur attention sur des composants particuliers, un système modulaire met ainsi la division du travail au service de l’innovation. On s’attend à ce que l’innovation procède de la manière suggérée par Hughes (1983) : avec des composants « goulets d’étranglement », ceux qui conduisent à une satisfaction client accrue, comme points focaux de changement. De même, pour Baldwin et Clark (2000) dans un système modulaire, constitué d’acteurs indépendants, les options de conception ne sont plus contrôlées par un ou quelques acteurs, mais sont largement dispersées au travers du cluster modulaire de firmes indépendantes, ce qui aboutit à la création de nombreux domaines, où des individus ou des firmes peuvent répondre à des incitations locales de capture ou de création de valeur. Le développement de concept centralisé laisse alors la place à ce que les auteurs appellent la « design evolution ». La trajectoire du système dans son ensemble devient alors une agrégation des trajectoires individuelles de chaque module.

A partir de l’étude des cas de la stéréophonie et de la microinformatique, Baldwin et Clark (2000) constatent qu’à chaque fois, l’industrie a adopté une structure modulaire avec un standard commun de compatibilité plutôt qu’une structure de produits « packagés » concurrents. Dans les deux cas, les grandes entreprises ont essayé de s’approprier les rentes liées à l’innovation par une approche propriétaire. Mais elles ont échoué et les entreprises s’appuyant sur un réseau externe de concurrents et de fournisseurs ont rencontré beaucoup plus de succès. Ainsi, Columbia a encouragé la production de disques 33 tours et de lecteurs de disques, et IBM permis à Microsoft d’accorder des licences de MS-DOS, sur une grande échelle. Ces firmes devinrent des acteurs

Chapitre 2 : Apports de la littérature : de la modularisation à l’innovation par les utilisateurs __________________________________________________________________________________________

significatifs dans des réseaux qu’elles ne contrôlaient pas, et en ont retiré un profit supérieur à ce qu’il aurait été si elles avaient essayé de vendre un produit propriétaire. Teece (1986) a suggéré des pistes selon lesquelles la volonté de s’approprier ces rentes peut conduire à l’intégration verticale. Les cas de la stéréophonie et de la microinformatique suggèrent la possibilité inverse : la même volonté peut conduire à la désintégration verticale (et horizontale). Dans les deux cas, les fans et les passionnés, ayant des goûts plus sophistiqués et un plus grand désir de payer, ont joué un rôle important. Ces passionnés ont testé les limites des systèmes, et aidé à identifier les goulets d’étranglement qui sont devenus les points focaux de l’innovation. Dans de nombreux cas, ces individus se sont lancés sur le marché, pour fournir (et améliorer) ces composants. Dans les deux cas, la compatibilité des matériels et des logiciels constituait un des problèmes majeurs. En dehors de toute externalité de réseau, la modularité des systèmes microinformatique et stéréo, a permis aux producteurs de participer à un système qui était capable de couvrir l’espace produit – et ainsi, de générer une plus grande demande des consommateurs – qu’un système d’entités « prépackagées » concurrentes. Dans les premières étapes de développement d’un produit, l’expérimentation est un problème beaucoup plus important que la coordination. Et l’apprentissage rapide par essai-erreur est une force d’un réseau décentralisé (Baldwin et Clark, 2000), ce qui constitue donc une supériorité des architectures produit modulaires sur les architectures produit intégrées.

Ainsi, un processus de conception de produit modulaire peut, nous l’avons évoqué, permettre d’améliorer sa connaissance du marché en permettant de proposer des variations d’un produit plus vite et à un coût plus faible. Cela peut en effet faciliter un processus évolutionnaire de market

research en temps réel (Sanchez et Sudharshan ; 1993) qui aide à la création accélérée de

connaissances relatives au marché dans l’entreprise (Baldwin et Clark, 1994). Le découplage des processus d’apprentissage architecture/composant, peut aussi créer un environnement efficace permettant d’impliquer fournisseurs et clients dans l’ « apprentissage localisé », pour le développement de composants spécifiques. L’utilisation, déjà évoquée plus haut, par Boeing d’un processus de conception modulaire dans le développement de son modèle 777 (Woolsey, 1994), a ainsi créé un environnement qui facilita l’implication de « lead customers » pour le développement de concepts améliorés de composants clefs de l’avion, affectant directement leur usage par les clients. L’utilisation d’architecture produit modulaires peut ainsi fournir un cadre favorable à l’implication de lead users (von Hippel, 1988) dans le développement de produit.

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En ce qui concerne, l’apprentissage au niveau de l’architecture du produit, les avis divergent, et l’opinion de Sanchez et Mahoney (1996) semble minoritaire parmi les chercheurs qui ont travaillé sur la modularité. Sanchez et Mahoney (1996) estiment en effet que le découplage de l’apprentissage architectural de l’apprentissage au niveau des composants peut permettre aux organisations concernées, de se dégager des demandes court-terme et de l’apprentissage « myope » (« myopic learning ») que décrivent Levinthal et March (1993). A l’inverse, de nombreux auteurs adoptent le point de vue développé par Henderson et Clark (1990) selon lequel la focalisation au niveau de chaque composant peut freiner l’innovation architecturale. On retrouve ce point de vue sous une forme un peu différente chez Langlois et Roberston (1992), qui expliquent que l’innovation systémique est plus difficile dans un système modulaire, et même parfois, non désirable en ce qu’elle détruirait la compatibilité entre composants.

En conclusion sur ce point, nous constatons que le choix de la modularité conduit les entreprises à mettre l’accent sur l’apprentissage architectural, et les conduit généralement à se focaliser sur un ou quelques composants clefs critiques quant à la performance du système, et à laisser la conception et le développement des autres composants, à des entreprises tierces. L’innovation au niveau des composants (modules) est facilitée par une architecture produit modulaire, qui facilite l’apprentissage localisé et l’implication des clients et des fournisseurs, tandis que les chercheurs ne sont pas d’accord sur le point de savoir si l’innovation au niveau architectural est, quant à elle, favorisée ou handicapée par ce type d’architecture.