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Construction de la place du chercheur sur le terrain :

par les utilisateurs

S OMMAIRE DU C HAPITRE 2 :

2. L E QUESTIONNEMENT DE L ’ ENTREPRISE :

2.3. Construction de la place du chercheur sur le terrain :

Nous revenons maintenant sur la façon avec laquelle notre position a été négociée. A ce propos, Girin (1990) rappelle trois raisons, spécifiques à la recherche en sciences de gestion, pour lesquelles « un degré élevé d’opportunisme » s’impose :

1. « D’abord, il faut entrer sur le terrain, et cette entrée se négocie. Cela peut se faire sur la base d’un projet de recherche élaboré au laboratoire, ou sur la base d’une demande d’intervention de la part d’un partenaire dans l’organisation, ou les deux, mais il y a toujours des compromis à faire.

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2. Ensuite, il faut rester un minimum de temps. Pendant ce temps, il se passe des choses, ce qui est heureux pour notre instruction, mais souvent malheureux pour notre programme. Les interlocuteurs changent de place, de fonctions, de préoccupations, posent au chercheur de nouvelles questions, remettent en cause la possibilité de recherche. […]

3. Enfin, la matière ne se contente pas de se mouvoir. Contrairement aux étoiles, elle pense. C’est très embêtant et très intéressant. Très embêtant, car la matière pense notamment à nous. Elle nous attribue des intentions qui ne sont peut-être pas les nôtres, mais qui va conditionner la manière dont elle va nous parler, ce qu’elle va choisir de nous montrer ou de nous cacher. Bref, la matière nous manipule, et risque de nous rouler dans la farine. Mais c’est très intéressant, car d’abord elle pense à notre profit, « pour nous ». On peut (on doit) être plus rigoureux, plus exigeant sur la forme et sur la cohérence de ce que l’on avance, que ne le sont les gens du terrain, mais on invente rarement un principe d’explication, une interprétation de leur situation et de leurs comportements, qui ne leur serait absolument pas venu à l’esprit. Bien au contraire, c’est un sentiment que j’ai souvent éprouvé, les gens de terrain sont des producteurs de théorie, des « savants ordinaires » auxquels il serait tout aussi stupide de ne pas prêter l’oreille, qu’il serait imprudent de prendre leurs raisonnements pour argent comptant. ».

Nous avons tenté de construire notre place de chercheur en faisant preuve d’opportunisme, tout en étant confronté aux difficultés et spécificités évoquées par Girin (1990). C’est ce que nous illustrons ci-après. Cette construction s’est réalisée au travers de quatre phases successives.

En effet, initialement en 2001, nous avons été contacté par Cyril Chantrier, en charge du marketing pour l’équipe-projet XTS/Xelda, afin d’analyser le marché potentiel des logiciels développés par cette équipe. Ce fut l’occasion de rentrer en contact et de travailler avec les marketers, commerciaux, chefs de projet, mais aussi pratiquement tous les membres de cette équipe-projet. Notre position était alors celle de consultant. Cette phase s’est déroulée entre mai 2001, et septembre 2002. Ensuite, nous avons négocié avec la direction du XRCE la possibilité d’effectuer un travail de recherche dans le cadre de notre thèse, en étudiant le processus d’innovation au travers de projets de mise en œuvre de logiciels innovants. En contrepartie implicite, nous devions apporter une expertise marketing et une vision extérieure favorisant le lancement commercial de ces produits. Dans cette deuxième phase, nous avons été amené à observer deux équipe-projet du XRCE : XTS/Xelda que nous avons déjà mentionné, et AskOnce. Nous avons ainsi pu participer à des réunions diverses (commerciales, marketing,

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projet avec ou sans les clients concernés) organisées par ces business units. Mais mi-2003, les deux

business units ont essaimé (rachat par mes éditeurs de logiciel Temis pour XTS/Xelda d’une part,

Documentum pour AskOnce d’autre part). La direction du XRCE a changé, suite à la réorganisation de la recherche de Xerox en Europe, et la nouvelle direction n’a pas été intéressée par la poursuite de notre travail. Ce fut la même chose pour Documentum, éditeur de logiciel américain de grande taille (1000 employés). Nous avons ensuite pris contact avec la direction de Temis, qui a accepté après quelques mois, que nous reprenions notre travail de recherche en utilisant ses projets comme terrain : ce fut l’avant-derrière phase de construction de notre place de chercheur sur le terrain, elle a débuté en avril 2004. C’est lors de cette phase, que nous avons réellement commencé à collecter les données nécessaires à notre recherche. Lors de la dernière phase qui a débuté en octobre 2007, nous avons pu interroger différentes personnes de Mondeca : le président, la personne en charge du couplage entre les logiciels de Temis et de Mondeca, ainsi que le chef de projet, en charge du projet PressPro (achevé à ce moment-là) et Exinis (en cours, à cette époque). Nous avons par ailleurs pu continuer à interviewer le responsable du secteur « publishing » de Temis, ainsi que le responsable des partenariats OEM pendant cette phase.

En synthèse, notre position sur le terrain s’est construite au travers de quatre phases successives :

Phase 1 : mai 2001 - septembre 2002 : travail sur la segmentation des marchés

potentiels des logiciels utilisant les technologies de text mining au centre de recherche européen de Xerox (XRCE), en tant que consultant. Nous avons observé le fonctionnement des business units au travers d’interviews des responsables marketing et des managers, mais aussi travaillé directement avec les marketing managers des équipes- projet XTS/ Xelda et AskOnce, et organisé différentes réunions de travail portant sur la segmentation du marché, réunions en tant que consultant.

Phase 2 : octobre 2002 - juin 2003 : participation à la vie de deux business units,

AskOnce et XTS/Xelda, que Xerox désirait essaimer, en tant que chercheur en sciences de gestion. Dans cette phase, nous avons joué un rôle d’observateur, nous intégrant par moment complètement à la vie des équipes-projet, comme lorsque nous avons assisté aux réunions commerciales et marketing mensuelles du lundi matin, de la business unit AskOnce. Dans cette phase, Xerox attendait de nous, des avis et observations portant sur la façon de faire évoluer l’offre en tenant compte des marchés, en échange de cette

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position proche de celle d’« étranger intégré » décrite par Girin (1990). Ces deux premières phases nous ont permis de nous familiariser avec le secteur du logiciel, les acteurs, les technologies et les marchés du text mining. Les informations recueillies en phases 1 et 2, nous ont donc permis d’acquérir une connaissance du contexte du secteur de la GEIDE et de ses acteurs, de nous familiariser avec la technologie du text mining, ainsi qu’avec différents responsables de Xerox.

Ces deux phases nous ont ainsi permis de créer des liens avec différentes personnes chez Xerox, qui ont facilité le passage à la troisième phase.

Phase 3 : avril 2004 - septembre 2007 : étude en tant que chercheur en sciences de

gestion travaillant sur l’innovation auprès de Temis, après l’acquisition par cette start-up française, des droits d’exploitation des brevets de Xerox concernant les logiciels XTS (extraction terminologique) et Xelda (moteur d’analyse linguistique) et après le transfert l’équipe-projet en charge de son développement et de sa commercialisation de Xerox à Temis. Nous nous sommes alors focalisé sur la solution de « création automatisée de base de connaissance » et avons cherché à analyser le processus d’innovation, le projet, l’ensemble des différentes interactions avec le client de la manière la plus fine possible. Pour cela, nous avons interrogé régulièrement chez Temis les acteurs clefs en relation avec le client en question, dans le cadre d’entretiens semi-directifs. Il s’agissait en premier lieu du responsable des marchés « publishing » de Temis : c’est auprès de lui principalement, que nous avons pu, sur une base bimensuelle, collecter la plus grande partie de l’information nécessaire à notre recherche. Il s’agissait aussi du directeur technique « core product », et du « OEM partnership manager » responsable des partenariats OEM de Temis avec d’autres éditeurs de logiciel. Enfin, chez les clients, nous avons réalisé ponctuellement des entretiens semi-directifs en face à face, en posant des questions ouvertes aux personnes qui jouent ou ont joué un rôle quant à l’achat, la mise en œuvre (incluant une phase de développement personnalisé de la part du fournisseur), et l’utilisation des logiciels innovants dans leur entreprise. Il s’agissait généralement de représentants de la direction des systèmes d’information ou de la direction fonctionnelle concernée par l’innovation et d’utilisateurs de l’innovation.

Phase 4 : octobre 2007 - juin 2008. Une situation identique à celle de la phase 3, avec

de plus l’accès à différentes personnes chez Mondeca (président, responsable de couplage, chef de projet) que nous avons donc interviewées en tant que chercheur en

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sciences de gestion, comme cela a continué d’être le cas chez Temis, auprès des mêmes acteurs qu’en phase 3. Il en a été de même, avec l’architecte innovation d’Exinis avec lequel nous avons pu nous entretenir pendant cette phase.

A l’origine, nous étions à la fois étranger à l’entreprise Xerox, mais aussi aux technologies du

document processing en général, et du text mining, en particulier. Nous ne pouvions nous prévaloir que

d’une courte expérience de chef de produit dans l’édition logicielle datant du début des années 1990. Nous notons toutefois que celle-ci nous a été utile dans la mesure où nous avons retrouvé chez Xerox, d’anciens collègues de cette époque. Toujours, est-il qu’il fallait avant d’entamer véritablement la collecte d’information relative à notre recherche, nous familiariser avec le secteur du text mining, ses acteurs, ses technologies, son vocabulaire. Cela n’a été possible que parce qu’au départ l’entreprise Xerox avait formulé une demande explicite de conseil de notre part. Le travail effectué dans la phase 1, puis dans la phase 2, a donc été précieux voire indispensable, pour préparer, notre travail de recherche, même si nous n’avions pas planifié les choses de cette manière.

Dans la même perspective, il faut parler des questionnements de Xerox, puis de Temis que nous avons déjà évoqués, l’interaction avec les acteurs clefs des projets étudiés a été facilitée par un intérêt autre que celui d’apporter des éléments de réponse à ces questionnements. Nos interlocuteurs ont en effet perçu, très concrètement, un intérêt double à notre étude : l’un était de pouvoir faire un point sur l’avancement des projets avec un interlocuteur neutre, ce qui dans un environnement particulièrement turbulent, est rarement possible ; l’autre, plus diffus, était de contribuer à la communication autour d’une innovation complexe, mais techniquement et commercialement prometteuse pour Temis et Mondeca. Ces deux derniers points ont grandement facilité notre accès au terrain.