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L’influence « négative » de la Volonté dans la connaissance abstraite

NATURE ET CONSÉQUENCES DE LA DÉFORMATION DE LA CONNAISSANCE PAR LA VOLONTÉ

B. L’influence négative de la Volonté sur l’intellect

3. L’influence « négative » de la Volonté dans la connaissance abstraite

L’influence « négative » de la Volonté peut se manifester encore de deux manières différentes. Premièrement, et ceci est manifeste dans le cas de l’espoir, la Volonté, empêche l’intellect de détruire l’illusion, en formulant un jugement ou en laissant apparaître un élément qui pourrait être défavorable. La Volonté, nous dit Schopenhauer, domine « l’intellect au point de le rendre incapable d’apercevoir un cas éminemment défavorable » (Schopenhauer, 1844, p. 916). Deuxièmement, l’influence de la Volonté peut aller encore plus loin, jusqu’à suspendre l’activité de la connaissance abstraite. Une telle influence se manifeste dans le cas de l’angoisse : la Volonté ayant intérêt à perpétuer l’angoisse1, elle refuse que l’intellect raisonne et lui fournisse un jugement2

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Nous reconnaissons, une nouvelle fois, le même principe s’appliquant à un autre niveau. Dans le cas de l’espoir, la Volonté refuse que certains éléments de la réalité conduisant à la formation d’un jugement, défavorable à l’illusion, soient pris en compte. Ici, comme dans le cas de l’angoisse, la Volonté empêche qu’un jugement, qu’elle juge défavorable en tant qu'intellect, soit formé. L’influence négative de la Volonté est ainsi totale : elle agit sur le contenu de la conscience intuitive, sur celui de la conscience de soi, et même sur la connaissance abstraite. C’est le sens, à notre avis, du long développement

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L’expérience nous apprend combien l’angoisse est un puissant mécanisme de défense : elle constitue un rempart face à la souffrance que peut procurer certains aspects de la réalité.

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« Si l’intellect fait mine d’étudier et d’examiner les circonstances, on l’écarte aussitôt, en lui signifiant qu’il est incompétent, voire qu’il est un sophiste perfide : on n’ajoute foi qu’au cœur, et on en fait valoir les angoisses comme un argument en faveur de la réalité et de la grandeur du danger. Et de la sorte l’intellect ne peut même pas rechercher les raisons qui militent contre la crainte, raisons qu’il aurait bientôt trouvées, s’il était abandonné à lui-même ; mais il est forcé de représenter aussitôt à ces tempéraments [mélancoliques] l’issue la plus malheureuse, quoique lui-même la conçoive à peine comme possible » (Schopenhauer, 1844, p. 917).

137 de Schopenhauer sur cette question dans le chapitre XIX des Suppléments. Il s’agit, pour lui, de montrer le primat de la Volonté sur l’intellect, et ce à tous les degrés de la connaissance, des impressions (avant même toute représentation) jusqu'à la formation des jugements, c’est-à-dire jusqu'à sa dimension abstraite et réflexive. Les jugements n’échappent pas à cette influence totale de la Volonté sur l’intellect, et leur formation peut être contrecarrée par la première, si celle-ci juge qu’elle n’est pas souhaitable.

Par ailleurs, c’est sur mécanisme que repose le repentir moral : avant « une action, le penchant qui y portait n’a pas laissé libre jeu à l’intellect, en ne lui permettant pas d’embrasser clairement du regard tous les motifs contraires à cet acte, en le ramenant sans cesse, au contraire sur ceux qui l’y poussaient » (Schopenhauer, 1844, p. 1359). La Volonté a caché certains motifs contraires à l’action, qu’un examen plus objectif, après coup, permet de faire émerger : de la situation émerge, comme conséquences, ce qui aurait pu l’empêcher. « L’intellect reconnaît désormais qu’un examen, qu’une méditation convenable aurait pu leur donner plus de force. L’homme s’aperçoit alors que sa conduite n’a pas été vraiment conforme à sa Volonté [seinem Willen] » (Ibid. ; SW, Band II., p. 760), au sens où cette dernière n’a pas pu être déterminé par l’ensemble des motifs qui aurait dû se présenter. C’est précisément cette connaissance même qui est le repentir1. Le repentir, et les remords qui l’accompagne, résulte donc d’une domination de l’intellect par la Volonté : nous pensons alors que notre intellect a manqué à son devoir et n’a pas fournit à la Volonté l’ensemble des motifs qui aurait dû lui permettre de s’orienter. Cependant, c’est la Volonté elle-même qui entrave l’intellect et ne lui permet pas de se représenter l’ensemble des situations : le remord est une souffrance causée par la véhémence de notre Volonté, qui entrave l’activité de l’intellect et l’empêche de percevoir certains éléments ou de former certains jugements qui pourraient nous orienter au mieux.

Nous avons ici énoncé les différentes formes que peut prendre l’influence « négative » de la Volonté sur l’intellect. Ceci dans le but de suivre et de mettre en lumière la cohérence interne du propos de Schopenhauer, ainsi que la spécificité de ses expressions. Partout nous voyons une domination totale de la Volonté prendre le pas sur l’activité intuitive ou abstraite de l’intellect. Nous pouvons reconnaître aisément l’existence d’un principe commun à ces quatre formes de l’influence « négative » de la Volonté sur l’intellect. Et ce principe nous prenons le parti de le désigner par l’expression : « veto de la Volonté »2. C’est l’objet de la dernière partie de ce chapitre de faire le jour sur ce

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« Toutes les actions de ce genre résultent donc au fond d’une faiblesse relative de l’intellect, qui se laisse dominer par la Volonté, là où, sans se laisser troubler par elle, il aurait dû remplir sans merci la fonction qu’il a de présenter les motifs. La véhémence de la Volonté n’est là qu’une cause médiate dans la mesure où elle entrave l’intellect et se prépare ainsi à des remords » (Schopenhauer, 1844, p. 1360).

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Nous employons ici le terme de veto de la Volonté, au profit du terme psychanalytique de refoulement, par souci de cohérence avec la pensée de Schopenhauer (nous nous expliquons plus loin sur ce point). Nous avons choisi cette expression particulière, d’une part, parce qu’il signifie clairement que, pour

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principe, et de poser ainsi les bases d’une comparaison féconde avec la théorie freudienne du refoulement.