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UNE ACTIVITÉ INCONSCIENTE DE L’INTELLECT ?

B. D’autres opérations intellectuelles inconscientes ?

Dans l’œuvre de Schopenhauer, la notion d’inconscient (unbewußt) n’apparaît que rarement pour qualifier d’autres opérations de l’intellect que le processus d’inférence dans la perception visuelle. Les deux passages très importants pour cette question sont, là encore, le chapitre XIV des Suppléments au Monde, qui traite de la question de l’association des idées1

, mais également le paragraphe 40 des Paralipomena2. Dans le premier passage, il affirme que « nous n’avons pas plus conscience de la formation de nos pensées que de la transformation des aliments en sucs et en substances vivifiantes », utilisant le modèle de la sécrétion qui lui est cher3. Ainsi, « des pensées, des jugements, des résolutions émergent inopinément des profondeurs intimes de notre être » et peuvent être pour nous, du fait de leur naissance non accompagnée de conscience, « un objet d’étonnement ». Schopenhauer, dans ce passage nous donne à penser de manière imagée ce qu’il affirmera dans les Paralipomena, c’est-à-dire qu’ « on aurait tendance à croire que la moitié de notre penser s’effectue sans conscience »4 (Schopenhauer, 1851, p. 455, trad. mod.). Cette déclaration, point de départ de notre réflexion sur la nature de la conscience et la formation de son contenu, va nous conduire à recroiser le chemin de la physiologie et à nous confronter à l’originalité de la définition schopenhauerienne de la connaissance.

1

Cf. Schopenhauer, 1844, p. 819-823 ; SW, Band II., p. 171-176. 2

Cf. Schopenhauer, 1851, p. 455-456 ; SW, Band V., p. 69-70. 3

Voir à ce sujet l'article de Bernard Andrieu « La corporéisation du rêve par le cerveau de la volonté chez Schopenhauer », in J-C. Banvoy, Ch. Bouriau et B. Andrieu (dir.), Schopenhauer et l’inconscient, coll. Epistémologie du corps, PUN, 2011.

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„Fast möchte man glauben, daß die Hälfte alles unsers Denkens ohne Bewußtsein vor sich gehe“ (Schopenhauer, SW, Band V., p. 69).

91 1. Une conscience fragmentaire

La conscience comme surface de notre être

Nos précédentes considérations conduisent nécessairement à nous interroger sur la définition exacte que Schopenhauer donne de la conscience. Une partie des processus intellectuels (notamment les processus réflexifs) peut-elle être dite inconsciente, et, si oui, suivant quelle mesure ? Sommes-nous confrontés à une pure activité représentationnelle inconsciente ou, comme nos diverses analyses des manifestations de la Volonté-de- connaître nous le laisse entrevoir, est-ce qu’il s’agit plutôt d’une élaboration de la connaissance en-deçà du champ de la conscience ? En d’autres termes, peut-on parler de représentations et pensées (jugement, résolution, etc.) inconscientes ou d’une élaboration inconsciente des pensées ?

Si la question de l’association des idées nous fournira sans doute des éléments importants pour formuler une réponse à ces interrogations, il nous semble avant tout judicieux d’analyser les passages où Schopenhauer parle de la pensée dans un sens général. Comment comprendre l’idée que nous sommes tenter de croire que « la moitié de notre penser s’effectue sans conscience » ? Qu’est que ce « penser inconscient », dont nous parle Schopenhauer ? Le passage suivant, extrait du Chapitre XIV des Suppléments nous fournit des éléments essentiels pour mieux le comprendre. Il nous dit, en effet, que « dans la réalité, d’ailleurs, le processus de nos pensées intimes n’est pas aussi simple qu’il le semble dans la théorie ; c’est en fait un enchaînement très complexe » (Schopenhauer, 1844, p. 822 ; SW, Band II., 174-175). Il ajoute, introduisant une métaphore qui a pour nous, après Freud, un écho particulier :

« Pour nous rendre la chose sensible, comparons notre conscience à une eau de quelque profondeur ; les pensées nettement conscientes n’en sont que la surface ; la masse, au contraire, ce sont les pensées confuses, les sentiments vagues, l’écho des intuitions et de notre expérience en général, tout cela joint à la disposition propre de notre Volonté qui est le noyau même de notre

être » (Ibid., nous soulignons).

La conscience n’est que l’apparaître de notre pensée : si elle nous semble simple, elle est en fait d’une très grande complexité. Nous la simplifions car nous nous efforçons constamment de la rendre cohérente, et donc de parvenir à « une conscience distincte de notre vie psychologique toute entière ». Seulement, nous dit Schopenhauer, « les pensées nettement conscientes n’en sont que la surface » : à comprendre les choses littéralement nous serions conduit à affirmer que certaines représentations (images) seraient ainsi non- conscientes, ou, pourrait-on dire préconscientes. Dans les abîmes de la conscience, qui en forme la plus grande partie, nous n’avons que des pensées confuses, de vagues sentiments, les traces de nos intuitions et de nos expériences.

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Face à une telle analyse, principalement à cause de l’emploi d’une telle image, nous sommes tentés de rapprocher ce discours de la conception freudienne et de l’image, généralement utilisée, de l’iceberg. Or, si cette image peut convenir schématiquement, les choses semblent bien plus complexes. En effet, Schopenhauer ne parle pas là de représentations ou de pensées inconscientes : il parle simplement, dans un premier temps, des « pensées nettement conscientes [die deutlich bewußten Gedanken] » et de celles qui sont plus « confuses [Undeutliche] » (reprenant sans doute, mais suivant sa perspective propre, la distinction kantienne entre perceptions claires et perceptions obscures1). Ensuite, il parle d’éléments qui ne sont clairement pas de l’ordre de la représentation, mais des traces, des affections physiologiques résultant de notre expérience et de notre intuition. Toutes ces données font partie intégrante de notre conscience, nous dit Schopenhauer. Elles ne sont donc pas inconscientes, mais simplement plus ou moins clairement conscientes, c’est-à-dire plus ou moins clairement conçues.

« La masse de notre conscience est dans un mouvement perpétuel, en proportion, bien entendu, de notre vivacité intellectuelle, et grâce à cette agitation continue montent à la surface les images précises, les pensées claires et distinctes exprimées par des mots et les résolutions déterminées de la Volonté » (Schopenhauer, 1844, p. 822).

Ainsi, l’opposition conscient/inconscient, ou même conscient/préconscient n’aurait pas de sens ici : il s’agit d’une gradation entre ce qui est « nettement conscient », ce qui est montée à la surface, pour poursuivre l’image ; et ce qui est confus, obscur, ce qui n’est que vagues sentiments, impressions, etc. La différence, et c’est là chose importante s’établie sur les mots : ce qui est nettement conscient c’est ce qui est constitué en tant que

représentation. À en croire Schopenhauer, notre conscience n’est donc pas seulement

composée de ce qui est parfaitement clair et distinct, puisque, en effet, il est très rare que « le processus de notre penser et de notre Volonté se trouve tout entier à la surface, c’est-à-dire consiste dans une suite de jugements nettement aperçus. Sans doute, nous nous efforçons d’arriver à une conscience distincte de notre vie psychologique tout entière, pour pouvoir en rendre compte à nous-mêmes et aux autres ; mais l’élaboration des matériaux venus du dehors et qui doivent devenir des pensées se fait d’ordinaire dans les profondeurs les plus obscurs de notre être, nous n’en avons pas plus conscience que de la transformation des aliments en sucs et en substances vivifiantes » (Ibid.).

Poursuivant sa métaphore, Schopenhauer nous dépeint la conscience comme quelque chose de profondément dynamique et vivant : elle est dans une agitation continue et, de ce fait, il est rare que « le processus de notre penser et de notre Volonté se trouve tout entier à la surface ». Nous n’avons que très rarement une conscience claire de l’élaboration de nos pensées et de l’orientation de notre Volonté. Ce que nous dit Schopenhauer ici, c’est

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« Nous pouvons être indirectement conscients que nous avons une perception, bien qu’en même temps nous n’en ayons pas immédiatement conscience. De telles perceptions sont dites obscures : les autres claires » (Kant, Anthropologie, I, §5, cité dans Whyte, 1960, p. 156).

93 que si nous avons une plus ou moins nette conscience de nos pensées, nous n’avons pas

accès au processus qui en sont à l’origine ! Là encore nous mesurons combien la

connaissance est un processus vivant, résultat de la manifestation de la Volonté-de- connaître : l’élaboration des pensées, à partir des matériaux fournis par les sens, se fait « dans les profondeurs les plus obscurs de notre être ». La comparaison avec le processus physiologique inconscient de la digestion renforce complètement cette conception physiologique de la formation de la connaissance. Il insiste, à la suite directe, en écrivant : « C’est pourquoi nous ne pouvons souvent pas rendre compte de la naissance de nos pensées les plus profondes ; elles procèdent de la partie la plus mystérieuse de notre être intime. Des jugements, des pensées, des résolutions émergent inopinément de ces profondeurs et nous sont à nous-mêmes un objet d’étonnement » (Ibid.).

Ces jugements, ces pensées et ces résolutions qui émergent « de la partie la plus mystérieuse de notre être intime » ne sont pas pour autant préconstituées : elles n’émergent pas « telles quelles », elles sont le résultat d’une élaboration indépendante de la conscience à partir de données nouvellement reçues et qui rendent possible leur formation. S’il existe dans la conscience une gradation entre les « pensées claires », qui sont à la surface et exprimables par des mots, et les « pensées confuses », ces dernières ne sont pas pour autant constituées dans le fond de notre conscience, elles proviennent « des profondeurs les plus obscurs de notre être ». Le processus d’élaboration de nos pensées, de nos jugements, de nos résolutions, échappe à la conscience, et ne relève pas d’elle. C’est pourquoi, en tant que la conscience les apprend la plupart du temps « après-coup », qu’elles peuvent être pour nous un objet d’étonnement. C’est ce que Schopenhauer cherche à souligner avec l’exemple suivant : une lettre nous apporte des nouvelles imprévues qui nous troublent. Cependant, nous laissons de côté ces nouveaux éléments. Nous ne saisissons parfois que quelques temps après, nous dit-il, la véritable portée de ces informations et les modifications concrètes auxquelles elles peuvent conduire.

« Il ressort de tout ceci que la conscience et la pensée humaines sont nécessairement fragmentaires en vertu même de leur nature » (Schopenhauer, 1844, p. 826) et que l’élaboration des matériaux venus du dehors en pensée est inconsciente. Cette absence de conscience, elle est prouvée par le fait que certaines de nos pensées « nous sont à nous- mêmes un objet d’étonnement ». La conscience, élément secondaire, assiste en spectateur à ce qui émerge de notre être intime : elle n’a aucune maîtrise, elle ne peut que constater, avec étonnement parfois, ce qui remonte à la surface. C’est pourquoi Schopenhauer affirme que « nous n’avons en réalité qu’une demi-conscience [eine halbe Besinnung] » : « Puisque toute notre pensée est ainsi dispersée et fragmentaire, puisque les représentations les plus hétérogènes se choquent et s’entrecroisent dans le cerveau même le mieux organisé, il s’ensuit que nous avons en réalité qu’une demi-conscience et que nous avançons à tâtons dans le labyrinthe de notre vie et les ténèbres de nos recherches ; des moments de clarté, semblables à des éclairs, illuminent parfois notre route ». (Schopenhauer, 1844, p. 826 ; SW, Band II., p. 179)

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L’obscurité est donc le lot de la majorité de notre pensée : la clarté est réservé à un nombre très restreint de pensées, qui, s’élaborant de manière claire, deviennent des représentations nettement aperçues, des résolutions conscientes ou des jugements exprimés par des mots. La conscience, surface de l’intellect, est le théâtre où émergent nos pensées, nos jugements et nos résolutions. Schopenhauer ne cesse d’affirmer le caractère dispersé et fragmentaire de notre pensée. Dans ce cas, qu’est-ce qui fonde l’unité de notre conscience ? Quel est le principe qui fait que nous pouvons éprouver chaque pensée qui émerge comme étant nôtre ? C’est la question à laquelle il nous faut répondre avant de revenir à cette importante question de la formation de nos pensées et de l’existence de représentations inconscientes.

La Volonté : l’élément permanent de la conscience

Face au caractère fragmentaire de la conscience demeure donc une importante question : qu’est ce qui donne son unité à la conscience ? Si « le moi est une grandeur inconnue, c’est-à-dire un mystère à lui-même », nous n’en avons pas moins une conscience de soi suivie, qui nous permet d’identifier nos affects, nos représentations et nos pensées réfléchies comme étant les nôtres. Ne serait-ce là « qu’un effet inconscient de notre imagination régulatrice et schématisante [eine unbewußte Wirkung unserer

ordnenden und schematisierenden Phantasie sei] » (Schopenhauer, 1851, p. 175 ; SW,

Bd. IV, p. 252), qui nous ferait percevoir dans les différents événements de notre vie, une connexion systématique ? Il semble que Schopenhauer n’y réponde pas par l’affirmative. En effet, si la conscience n’est pas transparente à elle-même, du fait de sa profondeur et, de ce fait, de la grande obscurité dans laquelle s’agite la masse de son contenu, elle n’est cependant pas dépourvue de permanence, d’un élément immuable. Cet élément permanent, nous dit Schopenhauer, ne peut être qu’à l’extérieur de la conscience : il est la base même de la conscience, les racines de cette cime qui s’ouvre à la lumière. L’origine de l’intellect dans la Volonté, que nous avons précédemment mis en lumière à travers le concept de Volonté-de-connaître, nous l’éprouvons dans la conscience de soi, et pour cause « puisque la fonction primitive de l’intellect, c’est d’abord la formation de la conscience ? » En effet, « l’intellect est précisément le guide qui permet à la Volonté d’être en prise avec le monde, de réagir à ses sollicitations » (Stanek, 2005, p. 52).

Ainsi, la conscience n’a aucun pouvoir de détermination car son origine est fondamentalement étrangère à l’ordre de la représentation. Son fondement intime dans la Volonté, c’est ce qui permet son unité. En effet, la conscience étant par nature fragmentaire et dispersée, ce qui permet de parler d’un « moi », c’est la Volonté, la partie

95 immuable de notre être1. Selon Schopenhauer, le « je pense » kantien ne suffit pas à établir l’unité de la conscience2

: elle ne peut pas, du fait de sa nature secondaire et limitée en tant qu’issue d’un processus physiologique, se connaître elle-même comme un tout, comme une entité permanente dans le temps. Pour reprendre ce que nous exposions au début du chapitre I, le sujet connaissant ne peut pas se prendre lui-même comme objet. Il faut nécessairement qu’à côté du sujet de la connaissance, il y ait une partie de l'individu qui soit « à connaître », ce que Schopenhauer nomme dans la Quadruple

racine, le sujet de la volition. C’est donc la Volonté qui est l’élément immuable et

permanent, nous permettant d’établir un lien entre nos divers vécus, nos faits de conscience, nos représentations, etc. Nous ne nous connaissons pas en tant que sujet de la connaissance (ce qui est intrinsèquement impossible), mais nous nous éprouvons comme tel. C’est le sens des propos de François Félix dans son article « Entre inconscient psychique et inconscient neuro-cognitif » : « c’est ainsi comme le mouvement ou la spontanéité de la tendance surgissant dans le sens interne qu’advient le sujet : c’est comme appétition qu’il se contracte, et c’est comme sujet désirant qu’il se saisit alors, prenant acte de lui-même » (Félix, 2011, p. 127). Il en conclut que fondamentalement, « la conscience se constitue (…) mystérieusement sur fond de vouloir – et avec elle, en cette motion même, le monde »3 (Ibid.). Ce sujet de la volition, identifiable comme nous l’avons vu précédemment à ce donné immanent et immédiat, ce corps propre (Leib), est ainsi le « référent » de toute notre expérience. C’est la Volonté, en tant qu’élément « permanent et immuable de la conscience », qui en assure la cohésion, autant que l’orientation de son attention conformément à ses propres fins4

.

1

« Ce qui donne à notre conscience de l’unité et de la cohésion, ce qui en traverse toutes les représentations, ce qui en est la base et le support permanent, ne saurait être lui-même déterminé par la conscience, et par conséquent ne peut pas être une représentation ; non, c’est quelque chose d’antérieur à la conscience, c’est la racine de l’arbre dont celle-ci est le fruit. Cette base, dis-je, est la Volonté ; elle seule est immuable et absolument identique et a engendré la conscience conformément à ses propres fins. Aussi est-ce la Volonté qui donne à la conscience l’unité, qui en relie toutes les représentations et les pensées ; c’est en quelque sorte la note fondamentale qui les accompagne toutes » (Schopenhauer, 1844, p. 827). 2

« La proposition de Kant : « Le je pense doit accompagner toutes nos représentations », est insuffisante ; car le moi est une grandeur inconnue, c’est-à-dire un mystère à lui-même » (Ibid.)

3

Ce n’est « qu’au terme de ce mouvement, une fois qu’il [s’est] établi comme connaissant, que le sujet peut avoir des volitions particulières, les connaître comme telles et donc signifier ce qu’il désire au moment où il le désire » (Félix, 2011, p. 127). En effet, « ce n’est que dans la conscience que le vouloir se qualifie pour devenir tel ou tel désir présent, qui pourra alors donner lieu à une décision. Sinon, antérieurement ou préalablement à cette conscience, la volition semble plutôt être une disposition sans détermination, sans contenu, comme une pure impulsion, une pure tendance » (Félix, 2007, p. 61).

4

« La Volonté seule est l’élément permanent et immuable de la conscience. C’est elle qui établit un lien entre toutes les pensées et les représentations, qui en fait des moyens pour ses fins personnelles, qui les teint de la couleur de son caractère, de sa disposition, de son intérêt, qui régit l’attention et tient en main le fil des motifs, ressorts suprêmes de la mémoire et de l’association des idées ; c’est de la Volonté au fond qu’on parle, chaque fois que le « moi » se présente dans un jugement. Elle est donc la vraie, la suprême unité de la conscience, le lien de ses fonctions et de ses actes ; sans relever elle-même de l’intellect, elle en est la source, le principe et le maître » (Schopenhauer, 1844, p. 827-828).

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Schopenhauer affirme que « c’est de la Volonté (…) qu’on parle, chaque fois que le « moi » se présente dans un jugement ». Elle est le véritable agent de la connaissance, elle est ce qui conditionne la connaissance et rend possible toute expérience. Sans notre dimension affective, sans la conscience de soi qui nous fait rapporter chaque affect, chaque émotion, chaque impression, à un même « objet » (seul « objet » de sa catégorie : le sujet de la volotion) qui se caractérise comme corps propre (Leib), la connaissance du monde serait impossible. Ainsi, et c’est là que la philosophie de Kant, aux yeux de Schopenhauer, atteint ses plus frappantes limites, à côté du « je pense », il faut nécessairement que le « je veux » accompagne toutes nos représentations. Sans lui, nous ne pourrions les reconnaître comme nôtres, nous ne pourrions même pas identifier notre expérience comme personnelle, reflétant et nourrissant tout en même temps notre Volonté. C’est dans la chair, dans le corps vécu affecté, que réside l’épreuve de notre unité. On constate donc ici de manière flagrante, faisant le lien avec nos précédents développements, que l’élément essentiel de la conscience, qui a échappé à Kant, n’est pas à chercher dans la nature intellectuelle de l’homme, mais bien dans ce qui la conditionne et la rend possible. La Volonté en tant qu’elle se manifeste par le cerveau et la conscience, qui en est son produit, comme Volonté-de-connaître, est au fond le seul et vrai agent de la connaissance. Cette citation de Schopenhauer, qui témoigne du caractère « volontaire » des pensées, le prouve : elles viennent à nous quand elles le veulent1, et non quand nous le décidons consciemment.

« Que nous devions transcrire le plus tôt possible nos méditations personnelles valables, cela se