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Vincent Brulhart *

II. L’indépendance du juge en droit positif

La justification d’un pouvoir judiciaire indépendant a inspiré quelques-unes des plus belles pages de la littérature politique du XVIIIe siècle. Evoqué par Aristote, le principe a été repris par les Classiques et les Romantiques qui le déduisent tantôt de la loi de Nature (Montesquieu), tantôt de la nécessité de combattre les excès du féodalisme ou encore de la liberté individuelle (Kant et Rousseau par exemple)3.

Dans la législation positive, le principe est fixé dans la CEDH (art. 6), qui a donné lieu à une jurisprudence abondante4, également relative aux rela-tions entre le juge et l’expert. Deux exemples à cet égard :

– Il a été jugé qu’un tribunal dont une partie des membres revêt qualité d’expert (en l’occurrence il s’agissait de médecins) n’est pas contraire aux

2 Cf. P. Sutter, Wissenschaft und Ethik in der Rechtsetzung – Eine Untersuchung über die Legi-timation nicht-juristischer Expertise am Beispiel der Präimplatationsdiagnostik (PID), thèse St-Gall, 2006, pp. 25 ss, 197 ss ; cf. p. ex. D. Thürer, Der Experte : Eine “vierte Gewalt” ? – Seine Rolle im Gemeinwesen zwischen Sachverstand und demokratischer Legitimität, in T. Marahun (éd.), Recht, Politik und Rechtspolitk in den internationalen Beziehungen, Tübingen, 2005, p. 45 ss.

3 Cf. Aristote, Politique, livre VI, chap. 4 ; cf. p. ex. M. Troper, La séparation des pouvoirs et l’his-toire constitutionnelle française, Paris, 1980 ; cf. C.-L. de Montesquieu, Esprit des lois, Paris, 1867, livre XI.

4 Pour une liste de la jurisprudence, cf. p. ex. C. Grabenwarter, Europäische Menschenrechts-konvention, Bâle/Munich/Vienne, 2008, p. 308 ss ; cf. également J.-L. Charrier, Code de la Convention européenne des droits de l’homme, Paris, 2005, p. 76 ss.

exigences d’impartialité, dans le domaine il est vrai de la privation de liberté à des fins d’assistance, là en d’autres termes où l’avis de l’expert psychiatre est déterminant. Ce qui revient à dire que dans ces cas, l’ex-pert est susceptible de participer à l’élaboration de la décision5.

On peut franchir encore un pas dans cette logique :

– A été jugé contraire à la CEDH le fait qu’un Tribunal administratif ait refusé la prise en charge d’une opération de conversion sexuelle au mo-tif que le délai de deux ans, imposé normalement par la jurisprudence avant la mise en œuvre d’une telle intervention, n’était pas écoulé. La Cour a considéré que le juge s’était à tort substitué à l’expert alors que la situation de la requérante eût exigé la prise en compte des réalités médi-cales, biologique et psychologique exprimées clairement par les experts médicaux, pour éviter une application mécanique du délai de deux ans.

Ce qui revient à dire que la détermination de l’expert aurait dû prévaloir pour justifier la prise en charge de l’opération dont il était question6. Ces décisions illustrent l’influence que l’expert est susceptible d’exercer sur la détermination du juge et sur l’issue de la cause, une évolution visible, il est vrai, avant tout dans le domaine médical, mais non pas exclusivement (droit de la construction). Revenons pour un instant sur la situation du juge et celle de l’expert.

A. Le juge

Dans nos lois d’organisation judiciaire et nos codes de procédure, le principe du juge indépendant se concrétise, sous sa forme la plus visible, au travers de règles sur la récusation dont les motifs s’imposent d’ailleurs pareillement pour l’expert7.

Nombreux sont les facteurs susceptibles de menacer l’indépendance du juge. La littérature juridique en mentionne de classiques au nombre desquels on compte, par exemple, le rôle des médias, les incidences liées aux voies de recours ou encore à la surveillance des tribunaux8. En matière de RC, se pré-sentent non rarement des situations qui opposent un particulier de condition modeste à une compagnie organisée et financièrement puissante. Ce dés-équilibre apparent est-il susceptible d’influencer le juge ? C’est le lieu de rap-peler que le droit à un procès équitable a notamment accouché du principe

5 Cour EDH, arrêt D.N. c. Suisse, du 29 mars 2001, requête no 27154/95, CEDH 2001-III.

6 Cour EDH, arrêt Schlumpf c. Suisse du 8 janvier 2009, requête no 29002/06.

7 Art. 47 CPC ; cf. art. 18 ss LOJ/VD ; art. 53 ss LOJ/FR ; cf. également p. ex. § 92 GOG/SO.

8 Cf. p. ex. R. Kiener, Richterliche Unabhängigkeit, Berne, 2001, p. 198 ss ; cf. également K. Eichen-berger, Die richterliche Unabhängigkeit als staatsrechtliches Problem, Berne, 1960, p. 49 ss.

de l’égalité des armes, lequel requiert que chaque partie dispose d’une possi-bilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire. Ce principe s’applique à toutes les procédures civiles, pénales et administratives.

Le TF le déduit de l’art. 29 Cst9.

Certains auteurs tirent un parallèle entre le principe de l’égalité des armes et l’exigence d’impartialité : il doit exister une égale distance des par-ties à l’égard du tribunal, seul moyen de garantir une justice indépendante.

Cela ne saurait cependant être confondu avec les règles matérielles, dont cer-taines visent à protéger, sur le plan du résultat et non celui de la procédure, la partie faible (consommateur). Il existe de pareilles règles dans la LCA, par exemple. Le droit de la RC est à cet égard plus sibyllin, bien qu’au moment de fixer les principes de la réparation, la situation particulière de la victime ait été naturellement considérée, aussi si bien d’ailleurs par le législateur que par le juge. A noter dans ce contexte que l’art. 42 CO ne compte pas directe-ment au nombre des règles visant à protéger la partie faible : les exigences réduites en matière de preuve s’imposent en présence de difficultés objec-tives, mais non pas lorsque les problèmes ont pour origine la différence de connaissances des protagonistes. La question a toutefois été discutée dans différents contextes de savoir si une inversion du fardeau de la preuve pour-rait se justifier lorsqu’il s’agit de prendre en compte la situation de certaines parties en position d’infériorité10.

B. L’expert

Quant à l’expert, il doit également offrir toute garantie d’indépendance, d’im-partialité et d’objectivité.

– L’indépendance, constitue le « trait congénital » de l’expertise (Motulsky)11. Elle doit être distinguée de l’impartialité. L’indépendance de l’expert s’apprécie dans les rapports qu’il entretient avec les personnes concer-nées par l’expertise, qu’il s’agisse du commanditaire, de l’auteur de la dé-cision ou des personnes qui seront affectées par cette dernière. L’expert ne doit être engagé avec aucun d’entre eux dans des liens personnels, contractuels, familiaux ou encore économiques.

9 ATF 133 I 1, c. 5.3.1 ; cf. Cour EDH arrêt Ankerl c. Suisse du 23 octobre 1996, requête no 17748/91, CEDH 1996-V p. 1553, ch. 38 ; Cf. R. Kiener, op. cit. (n. 8), p. 134.

10 Cf. A. Ileri, Der Richter und sein Denker, HAVE/REAS 4/2009, p. 4 ss ; cf. ATF 122 II 219, c. 3 ss ; 4C.74/2005 du 16 juin 2005.

11 H. Motulsky, Notions générales, in L’expertise dans les principaux systèmes juridiques d’Eu-rope, Travaux de recherche de l’Institut de droit comparé de Paris, Paris, 1969, p. 18.

– L’impartialité suppose que les conclusions de l’expert sont guidées par la seule appréciation de la situation, sans faveur artificielle à l’égard d’une des personnes à départager12.

– Indépendance et impartialité sont des concepts relationnels en ce sens qu’ils se conçoivent dans les rapports avec un tiers. L’objectivité quant à elle renvoie à la manière ; elle impose à l’expert d’apprécier la situation de façon complète, sans omettre aucun aspect et en exposant les éventuelles controverses existant dans sa discipline13.

La question s’est posé notamment dans ce contexte de savoir si le fait, pour un expert, d’avoir exprimé une opinion sur une controverse particu-lière, notamment scientifique, peut justifier la récusation. Selon la jurispru-dence et la doctrine, la récusation peut être considérée si les avis exprimés par l’expert sont liés à la cause, mais non pas s’il s’agit d’avis exprimés de façon générale, sans rapport avec un litige déterminé. Ce résultat se conçoit, notamment si l’on considère l’exigence d’objectivité telle que nous venons de la décrire et qui doit guider l’élaboration du rapport d’expertise14.

III. Le procès en RC