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Nicolas Jeandin *

B. En cas d’appel et en cas de recours

L’appel (art. 308 ss CPC) et le recours (art. 319 ss CPC) représentent respecti-vement les voies ordinaires et extraordinaires de remise en cause des juge-ments, une distinction qui appelle des différences marquées quant aux possi-bilités de modifier l’objet du litige en seconde instance cantonale.

La voie de l’appel habilite le juge à connaître tant des faits que du droit (art. 310 CPC). Dans ce contexte, il est possible de soumettre au juge d’appel des faits et moyens de preuve nouveaux – peu importe qu’il s’agisse de vrais ou de faux nova87 – aux conditions prévues à l’article 317 al. 1 CPC : d’une part ils doivent être invoqués ou produits sans retard durant la procédure d’appel (lit. a), d’autre part la partie qui s’en prévaut doit établir qu’elle ne pouvait s’en prévaloir devant la première instance en dépit du fait qu’elle avait fait preuve de toute la diligence requise (lit. b). Tout comme pour la première instance, on peut émettre des doutes quant au bien-fondé de l’assi-milation des faits aux moyens de preuve puisque les premiers remettent en cause l’objet du litige proprement dit, contrairement aux seconds88.

En sus, l’article 317 al. 2 CPC prévoit l’admissibilité de conclusions nou-velles en appel aux conditions prévues à l’article 227 al. 1 CPC (à savoir lien de connexité ou alors consentement de la partie intimée), mais – ainsi le pré-cise l’article 317 al. 2 lit. b CPC – à la condition supplémentaire que lesdites conclusions reposent sur des faits ou moyens de preuve nouveaux. Ces der-niers, pour être pris en considération, doivent être recevables en application de l’article 317 al. 1 CPC89.

Les choses sont plus radicales s’agissant du recours, dans la mesure où le juge n’a qu’un pouvoir de cognition limité au droit (art. 320 CPC). Dans ce contexte, les conclusions, faits et moyens de preuve nouveaux sont irrece-vables (art. 326 al. 1 CPC)90.

86 A noter que les nova, peu importe qu’ils soient vrais ou faux, sont admissibles en tout état de cause jusqu’aux délibérations lorsque la maxime inquisitoire s’applique (art. 229 al. 3 cum art. 153 CPC).

87 BSK ZPO – Spühler K., art. 317 N 7.

88 Comparer à cet égard avec l’art. 308 al. 2 LPC GE qui admet les moyens de preuve nouveaux en appel mais « sanctionne » la partie négligente en lui faisant supporter en tout ou partie les dé-pens de première instance et d’appel.

89 BSK ZPO – Spühler, art. 317 N 9.

90 L’art. 326 al. 2 CPC réserve les dispositions spéciales de la loi (p. ex. l’art. 174 LP en matière de faillite) : voir BSK ZPO – Spühler, art. 326 N 1 ss.

VI. Excursus sur les frais

Ce n’est le lieu ici que d’aborder en détail la thématique des frais au sens des articles 95 et suivants CPC, en dépit de son importance lorsqu’il s’agit d’évaluer l’opportunité d’envisager un procès dans les matières relevant de la responsabilité civile. A ce stade, on évoquera quelques principes : le tribu-nal statue sur les frais « en règle générale dans la décision finale » (art. 104 al. 1 CPC), tandis que ceux-ci sont répartis d’office (art. 105 al. 1 CPC)91 et mis à la charge de la partie succombante (art. 106 CPC), sous réserve des cas dans lesquels la loi autorise le juge à procéder à une répartition en équité (art. 107 CPC)92 ou de frais causés inutilement par l’attitude de l’une des parties (art. 108 CPC)93.

Les frais (art. 95 CPC) comprennent les frais judiciaires (al. 2) et les dépens (al. 3). En l’occurrence, ce sont les frais judiciaires (dont la finalité consiste à couvrir – parfois forfaitairement, parfois au centime près – les dépenses assumées par le tribunal) qui nous intéressent, puisqu’ils comprennent no-tamment « les frais d’administration des preuves » (art. 95 al. 2 lit. c CPC). La norme générale prévoit que « le tribunal peut exiger du demandeur une avance à concurrence de la totalité des frais judiciaires présumés » (art. 98 CPC).

Toutefois, la loi prévoit une disposition particulière concernant l’avance de frais de l’administration des preuves, à savoir l’art. 102 CPC. Le principe général veut que chaque partie avance les frais d’administration des preuves qu’elle requiert (al. 1), tandis que chacune des parties avance la moitié des frais lorsqu’elles requièrent la mise en œuvre du même moyen de preuve (al. 2)94. A supposer que la partie en charge d’avancer les frais ne s’exécute pas, l’avance « peut » être faite par l’autre partie, à défaut de quoi les preuves ne sont pas administrées (al. 3). Ces principes prévalent pour tous les moyens de preuve, y compris l’expertise. A relever que ces règles divergent de cer-taines réglementations de droit cantonal en vigueur jusqu’ici95. En outre, ces principes ne s’appliquent pas dans toute leur rigueur lorsque la procédure

91 Ainsi comme le prévoyait l’art. 176 al. 1 LPC GE.

92 Ainsi lorsqu’une partie obtient gain de cause sur le principe de ses conclusions mais non sur leur montant (al. 1 lit. a), qu’elle a intenté le procès de bonne foi (al. 1 lit. b), que le litige relève du droit de la famille (al. 1 lit. c), que la procédure est devenue sans objet (al. 1 lit. e), ou à raison de circonstances particulières (al. 1 lit. f).

93 P. ex. le défendeur refuse de produire une pièce qu’il détient, ce qui contraint le juge à ordonner à un tiers de faire de coûteuses recherches dans ses archives contre versement d’une indemnité équitable (art. 160 al. 3 CPC).

94 La question se pose de savoir comment l’art. 102 al. 2 CPC devra être interprété lorsque plusieurs consorts de part et d’autre de la barre requerront la même mesure.

95 Voir p. ex. l’art. 268 al. 1 LPC GE (« Les frais de l’expertise sont, en règle générale, avancés par la partie dans l’intérêt de laquelle la preuve par expertise doit être administrée »).

est gouvernée par la maxime inquisitoire, le juge devant alors établir les faits d’office (art. 102 al. 3 in fine et art. 153 CPC).

S’agissant de l’expertise en particulier, la loi prévoit que l’expert a droit à une rémunération (art. 184 al. 3 CPC)96, tout en habilitant parties et experts à recourir contre la décision y relative (art. 184 al. 3 in fine cum art. 319 lit. b ch. 1 CPC)97.

VII. Conclusion

Le CPC n’apporte rien de révolutionnaire à la problématique de l’administra-tion des preuves. Il présente en tout état de cause le mérite d’instaurer l’uni-fication dans toute la Suisse d’une partie essentielle du droit de la procédure laquelle touche directement à la mise en œuvre de l’article 8 CC, une règle de droit matériel qui constitue la pierre angulaire du droit privé.

La présentation à la fois pédagogique et structurée à laquelle se livre le CPC pour ce qui concerne les principes gouvernant l’administration des preuves offre une base de travail nouvelle à la partie (particulier, juriste d’assurance) qui doit évaluer les risques liés à l’hypothèse d’une procédure contentieuse. On peut noter de ce point de vue un certain renforcement de l’obligation de collaborer des parties et des tiers, qui offre l’avantage de per-mettre aux tribunaux et aux parties une approche plus efficace de la vérité, avantage auquel vient s’ajouter une plus grande souplesse quant aux moyens de preuve à la disposition des plaideurs et à leur mise en œuvre…

96 Ce qui précise sans doute la portée de l’art. 160 al. 3 CPC, lequel ne prévoit qu’une « indem-nité équitable » en faveur des tiers appelés à collaborer : l’art. 184 al. 3 CPC parle en effet de

« rémunération ».

97 Gasser / Rickli, art. 184 N 3.