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L’indépendance du Conseil constitutionnel au regard des autres cours

E – L’après seconde guerre mondiale

B- Le contrôle de constitutionnalité sous la V ème

3- L’indépendance du Conseil constitutionnel au regard des autres cours

59. L’efficacité de la séparation des pouvoirs. Avant d’acquérir ses galons, le Conseil constitutionnel a du être confronté à l’autre pouvoir en place : le pouvoir judiciaire.

Le pouvoir judiciaire, titulaire du dogme de l’interprétation de la loi, a toujours recherché des sources d’inspiration au-delà de la simple loi. Ce fut tout d’abord dans la coutume, puis dans des textes internationaux que la Constitution place au dessus de ladite loi.

140 Expression empruntée au juriste Edouard LAMBERT (1866-1947) dans le titre de son ouvrage « Le

gouvernement des juges et la lutte contre la législation sociale aux Etats-Unis ». Cette expression met en

exergue le pouvoir d’interprétation personnel du juge, capable de dénaturer la loi et donc de supplanter le législateur. Rappelons que la fonction de la Cour suprême des états unis est de fédérer les lois de tous les états au regard de la Constitution. Cette Cour dispose d’un véritable contre pouvoir capable de bloquer la mise en place de la politique par le pouvoir exécutif. Ainsi après la crise de 1929, elle a systématiquement fait opposition à l’application des dispositions du Président ROOSEVELT qui tentait de mettre en place sa politique économique du New Deal.

141 Disponible sur http://www.senat.fr/evenement/revision/dailly-74.html

142 Julien BONNET, Le juge ordinaire français et le contrôle de la constitutionnalité des lois, analyse critique

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Selon un principe bien connu, la légalité (au sens large) d’un texte s’apprécie toujours au regard du texte supérieur qui le régit.

Nul doute que la Constitution, est le texte supérieur absolu du droit français. Pour s’approprier ce texte, de longues réflexions ont eu lieu dans le pouvoir judiciaire afin d’en créer le chemin. C’est par le biais de l’œuvre du Conseil constitutionnel que le juge judiciaire va se retrouver confronté à l’interprétation de la norme. De même, alors que le juge français est devenu le juge de la conventionalité, le Conseil a pu être confronté à des textes étrangers qui trouvaient à s’appliquer dans son ressort.

Ne se situant pas sur le terrain judiciaire, il s’est instauré longtemps un statu quo entre le Conseil et les Hautes Cours,

Le Conseil d’Etat dans un arrêt ARRIGHI du 6 novembre 1936143, et plus récemment en 1989 (ROUJANSJY) avait refusé d’apprécier la constitutionnalité d’une loi qui lui était soumise dans le cadre d’un contentieux.

Ce refus à pu être confirmé par le Conseil d’Etat pour les lois de Vichy144, des ordonnances du Comité française de libération nationale et du Gouvernement provisoire de la République Française145, des ordonnances prises en vertu de l’article 92 (mesures législatives nécessaires à la mise en place des institutions, mesures transitoires, prises par ordonnance ayant force de loi) de la Constitution de 1958146, des ordonnances de l’article 38147 de la Constitution

143 C.E. Sect. 6 novembre 1936, ARRIGHI, Rec. 966 ; D. 1938.3.1 concl. R. Latournerie, note Eisenmann ; RDP 1936.671, concl. R. Latournerie ; S. 1937.3.33, concl. R. Latournerie, note Mestre ; - Ass. 20 octobre 1989, ROUJANSKY, JCP 1989.II.21371, conl. Frydman ; RFDA 1989.993. En l’espèce le requérant contestait la constitutionnalité d’une loi dont était tiré un décret qui lui faisait grief. Le Conseil d’Etat refuse de juger la constitutionnalité des lois au nom de la séparation des pouvoirs exécutifs/législatifs, il concluait être le serviteur de la loi et non pas son juge.

144 C.E. 22 mars 1944, VINCENT, REC. 417 ; S. 1845.353, concl. Detton, note Charlier. : « Considérant que les

actes accomplis par les autorités investies du pouvoir constituant ou du pouvoir législatif ne peuvent pas faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat par application de l'art. 28 de la loi du 18 déc. 1940 ; que la loi n° 85 du 9 févr. 1943 a été édictée par le chef du gouvernement en conseil de cabinet, conformément aux actes constitutionnels n°s 12 et 12 bis des 17 et 28 nov. 1942, faits par le chef de l'Etat en vertu des pouvoirs qui lui ont été conférés par la délibération de l'Assemblée nationale du 10 juill. 1940 ». 145 C.E. 22 février 1946, BOTTON, Rec. 58 ; S. 1946.3.56, note P.H. Réaffirmant le caractère législatif des ordonnances prises par le Gouvernement, et donc insusceptible d’appréciation par le C.E.

146 C.E. Sect. 12 février 1960, SOCIETE EKY, REC. 101 ; S. 1960.131, concl. KHAN ; D. 1960.236, note L’HUILLIER ; JCP 1960. II.11629 bis, note Vedel. Cet arrêt conforte la nature Constitutionnelle du préambule de la Constitution de 1958 aux yeux du droit administratif. Le Conseil d’Etat refuse d’opérer un contrôle de constitutionnalité d’une ordonnance article 92 de la Constitution (ordonnance transitoire) ayant valeur législative.

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ratifiées implicitement ou explicitement par le Parlement, de celles prises en vertu de l’article 16 de la Constitution148.

La Cour de cassation elle-même avait affirmé cette impossibilité dans une décision du 20 décembre 1956149 rendue par la 2ème chambre en précisant que l’exception d’inconstitutionnalité d’une loi ne peut être portée devant les tribunaux de l’ordre judiciaire.

Pour autant la règle du contrôle de constitutionnalité pour les actes réglementaires pouvait être invoquée tant au niveau administratif que devant le juge pénal en vertu de l’article 111-5 du Code pénal. Ce contrôle s’opère par une appréciation de légalité par le biais de la pyramide de KELSEN, un acte doit être conforme à la norme supérieure. Cependant il faut pour cela qu’aucune loi ne s’interpose, si la loi est jugée conforme à la Constitution, et que l’acte est tiré de cette loi. De manière restrictive, dans ce cas, la théorie de la loi écran150 s’applique et le juge ne peut plus invalider l’acte. Ainsi même dans les actes réglementaires, le Juge n’opère pas réellement un contrôle de Constitutionnalité, alors qu’il est compétent pour le contrôle de conventionalité151.

147 C.E. 7 février 1994, GHEZ ; Rec. 55 ; AJ 1994.412 p 520-521, note Guglielmi ; Ordonnance de l’article 38C ratifiée même implicitement

148 C.E. 2 mars 1962, Rubin de Servens, les décisions du Président de la République prises en vertu de l’article 16 sont des actes de gouvernement insusceptibles de faire l’objet d’un recours. A noter que l’article 16C a été modifié par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui a introduit la QPC, en ce sens que désormais la durée de mise en œuvre de l’article 16C peut faire l’objet d’un contrôle par le Conseil Constitutionnel sur saisine des parlementaires au bout d’un mois pour jauger de sa nécessité. On peut se poser la question de la constitutionnalité des actes pris en vertu de l’article 16C dont le conseil constitutionnel aurait jugé la mesure disproportionnée et pris dans cette période. Mais l’évolution des prérogatives du Conseil Constitutionnel qui prend toute sa mesure depuis quelques années, laisse supposer qu’un contrôle pourra s’opérer aussi sur la totalité de ces décisions prises dans l’urgence mais soumises à la hiérarchie des normes et donc la Constitution.

149 Cass, Civ, 2e, 20 décembre 1956, Bull civ. N° 714 p. 464.

150 La théorie de la loi-écran, par Laurent MICHEL et Guillaume RAYMOND (Séminaire de droit administratif, 2001) Cours de Droit Administratif, Jacqueline Morand-Deviller, Montchrestien, 9e édition, ISBN 2-7076-1418-1

151 Déduit de l’article 55C de la Constitution : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont,

dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie. ». Le juge « bouche de la loi », est aussi l’organe des normes internationales que la

Constitution place au dessus des lois sous réserve de ratification et de réciprocité. Au nom de la séparation des pouvoirs cependant, il ne peut tirer des conséquences directes quant à la constitutionnalité des lois qu’il est uniquement chargé d’appliquer ou d’interpréter dans un certain cadre donné. Le contrôle constitutionnel reste du côté du pouvoir législatif en dépit d’une incursion de plus en plus grande entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif par le biais de la procédure de QPC qui opère un lien entre les deux en tant qu’organe « juridictionnel » au dessus des organes juridictionnels traditionnels disposant d’un pouvoir de sanction des lois.

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En ce qui concerne le droit pénal, cette réserve remonte à un arrêt de la chambre criminelle du 3 août 1810, portant sur l’appréciation de la légalité d’un règlement inapplicable par le juge. Si le principe de séparation des pouvoirs fortement protégé se trouve ici bafoué, il sera compensé par un autre grand principe du droit français, constitutionnellement protégé, celui de la légalité.

Reste que le juge se trouve démuni et déconnecté par rapport au sommet de la hiérarchie juridique dont le seul accès n’est possible que par un contrôle a priori des lois par saisine spéciale.

Cette question, qui est aussi une question de souveraineté nationale importante, ne pouvait manquer d’être soulevée au regard de l’accroissement des normes européennes vis-à-vis des Droits de l’Homme, dont le juge ordinaire est le garant à cette époque par défaut, et, ce paradoxalement en vertu d’une décision du Conseil Constitutionnel de 1975152 qui de facto conforta la compétence des juges ordinaires pour apprécier de la conventionalité d’une loi.

Le Conseil Constitutionnel aurait pu se réapproprier le contrôle, la Cour d’appel de Paris avait dans un arrêt du 7 juillet 1973153 écarté une disposition du droit français en contradiction avec une norme européenne supérieure à la loi en vertu de l’article 55C.

Le Conseil d’Etat se range à cette analyse par l’arrêt NICOLO en 1989154, principe très fortement affirmé par la suite dans l’arrêt DEPREZ ET BAILLARD du 5 janvier 2005155.

152 Décision n°75-54 du 15 janvier 1975, loi relative à l’interruption volontaire de grossesse. Rec., p. 19, GDCC, n°23. Saisi par un parlementaire sur une violation de l’article 2 C.E.D.H., protégeant le droit à la vie, le Conseil s’est déclaré incompétent dans le contrôle de conventionalité « lorsqu’il est saisi en application de l’article 1 de

la Constitution d’examiner la conformité d’une loi aux stipulations d’un traité ou d’un accord international. Si

les dispositions de l’article 55 de la Constitution « confèrent aux traités, dans les conditions qu’elles définissent,

une autorité supérieure à celle des lois, elles ne prescrivent ni n’impliquent que le respect de ce principe doive être assuré dans le cadre du contrôle de la conformité des lois à la Constitution prévu à l’article 61 de celle-ci».

A contrario le Conseil Constitutionnel notait aussi qu’une loi contraire à un traité ne serait pas pour autant contraire à la Constitution qui se place au dessus des lois et des traités puisque c’est la Constitution elle-même qui donne l’ordre juridique des traités internationaux et les placent au dessus de la loi.

153 Paris, 7 juillet 1973, SOCIETES DESCAFES JACQUES VABRE, violation de l’article 95 du Traité de Rome, norme supérieure à la loi en vertu de l’article 55 de la Constitution. D. 1974. 159, note J. Rideau ;Gaz. Pal. 1973.2.661, concl. J. Cabannes.

154 Ass, 20 octobre 1989, Nicolo, R.F.D.A. 1989 p. 813 concl. Frydman, note Genevois.

155 C.E. Deprez et Baillard du 5 janvier 2005 ; « Considérant que l’article 61 de la Constitution du 4 octobre

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Ainsi tous les juges sont gardiens de l’application des accords internationaux (sous réserve de réciprocité), visant essentiellement les accords CEE (aujourd’hui Union Européenne), harmonisant ainsi le droit sur ses deux branches selon le souhait des auteurs156. Seules ses réserves d’interprétation offrent aux juges ordinaires une possibilité de contrôle d’application de la loi vis-à-vis de la Constitution.

Cette prérogative de conventionalité souffre toutefois de la relative portée, puisque l’inconventionalité d’une loi n’est applicable qu’au seul litige dans lequel il est invoqué (en raison de l’autorité relative de la chose jugée). Alors que, a contrario, les décisions du Conseil Constitutionnel s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles en vertu de l’article 62 de la Constitution.

Il en ressort donc que le juge ne se pose pas de question sur la validité de la loi au regard de la Constitution, qu’il applique, et que le Conseil constitutionnel jaugeant a priori la loi ne s’intéresse pas à l’interprétation des textes en vigueur. La QPC change totalement la donne puisqu’elle crée une importante passerelle entre deux domaines qui cohabitaient sans encombre d’autant que le contrôle a posteriori de la loi qui est soulevé nécessairement dans le cadre d’un litige, porte dorénavant sur l’interprétation positive de la norme.

En soumettant le procès à l’épreuve de la constitutionnalité, le législateur a pu, sans le dire, ni le vouloir, créer une redistribution dans la pyramide des normes, non pas en créant une nouvelle situation, mais en reliant les deux pouvoirs qui de manière concrète tentent de se jauger et de s’affirmer mutuellement.

La Cour de cassation n’ayant pas eu à ce jour la nécessité d’invoquer les principes constitutionnels puisque le droit européen lui en fournissait des similaires, elle peut voir d’un œil suspicieux la création du Constituant qui, avec la QPC, la soumet à un contrôle.

contrôle est susceptible de s’exercer après le vote de la loi et avant sa promulgation ; qu’il ressort des débats tant du Comité consultatif constitutionnel que du Conseil d’Etat lors de l’élaboration de la Constitution que les modalités ainsi adoptées excluent un contrôle de constitutionnalité de la loi au stade de son application ; Considérant cependant, que pour la mise en œuvre du principe de supériorité des traités sur la loi énoncé à l’article 55 de la Constitution, il incombe au juge, pour la détermination du texte dont il doit faire application, de se conformer à la règle de conflit de normes édictée par cet article »

156 R. Chapus, Droit du contentieux administratif, p. 664 ; B. Genevois, note précitée sous la Décision n° 88-1082/1117 du 21 octobre 1988, A.N., Val d’Oise 5e circ.

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Reste que pour sauvegarder les équilibres, la Haute Cour dispose encore du filtre de la saisine.

La fronde semble plus profonde au sein de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, et donc dans l’interprétation du droit pénal attentatoire aux libertés que protège justement le Conseil.