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L’impact sur le pouvoir judiciaire du Conseil constitutionnel à travers la QPC

§2 La QPC dans la procédure pénale

A- Les difficultés de mise en œuvre en droit interne

89. L’impact sur le pouvoir judiciaire du Conseil constitutionnel à travers la QPC

Avec la QPC, les données sont changées, et l’impact de cette dernière sur l’ordonnancement juridique s’apprécie à triple titre.

- D’une part parce que la QPC n’existe qu’à travers un litige qui se déroule devant une juridiction dont elle bloque temporairement l’issue et qui peut influencer indirectement le juge par application de la Décision constitutionnelle.

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- D’autre part parce que la constitutionnalité d’une loi ne peut s’apprécier qu’à travers l’application pratique qui en est faite, ce qui implique que le Conseil est aussi amené à contrôler la jurisprudence qui lui est soumise.

- Ensuite parce que la QPC reste aux mains des juges judiciaires qui jouent le rôle de filtre avant de transmettre ou pas.

Cette dernière disposition charnière, porte plus que tout autre débat. Transmettre une QPC sur l’interprétation jurisprudentielle revient à admettre par l’organe qui transmet, sa propre faiblesse, d’autant qu’il y a une concurrence entre la QPC et la constitutionnalité de la loi. De ce fait, l’apparence fonctionnelle laisse toute latitude aux juridictions suprêmes de maitriser le système judiciaire ou juridique.

D’un autre côté, il y a une sorte d’impuissance de cette autorité indépendante devant l’application de la Loi qu’en fait le juge si ce dernier ne le saisit pas. Cette difficulté pose des questions sociologiques, quand par exemple, la Cour de cassation refuse de transmettre la question de la prescription dans l’infraction d’abus de bien sociaux, et que cette question avait une connotation politisée puisque mettant en cause un système de financement politique.

Que ce soit dans le contrôle antérieur ou postérieur de la loi, et lorsqu’il s’agit uniquement de la loi, ou d’une disposition législative, le rôle intrinsèque du Conseil ne changeait pas. Seule l’exception posée sous forme de QPC s’immisçait techniquement dans le processus juridique sous une forme proche de la question préjudicielle, avec seulement un transfert de compétence du pouvoir judiciaire à celui constitutionnel pour trancher sur la norme applicable au juge.

Sur le fond, bien que le litige remonte par voie judiciaire, le juge ne fait que suivre l’application de la loi, elle-même confirmée ou abrogée. Si elle est abrogée, il n’y aurait ici qu’une censure destinée au législateur et non au juge, censure assortie de principes constitutionnels dont il faudrait à l’avenir respecter la teneur.

Là où l’institution constitutionnelle prend un nouvel essor, c’est lorsque celle-ci se reconnait compétente pour apprécier le droit appliqué par les juridictions, ou que la disposition qui fait grief est assortie de réserves d’interprétation. Il s’agit dans un cas comme l’autre, de manière

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pragmatique, d’une censure destinée directement au juge qui se voit directement opposé par le Conseil l’autorité de la chose suprême.

Par ces deux derniers biais, lorsqu’ils émanent d’une procédure de QPC, il existe un impact aujourd’hui tout à fait différent dans la mesure où le juge n’est toujours pas maître du contrôle de constitutionnalité, sauf d’une certaine manière les Hautes cours dans leur rôle de filtre. Il ne se sert pas de la norme constitutionnelle, mais cette dernière lui est opposable.

C’est du justiciable à travers la QPC, qui va pouvoir saisir le Conseil, que l’inconstitutionnalité de la loi et de son application va être soulevée, et ce même sur la jurisprudence.

La QPC va permettre de ce fait un réel apurement du droit pénal (et autres) en apportant par petites retouches des recours au regard des principes protégés y compris au regard des réserves d’interprétation dont le Conseil s’est déjà servi pour répondre à une QPC241.

Bien que n’étant pas organiquement liés, les Hautes Cours et le Conseil vont devoir harmoniser leurs jurisprudences dans le sens donné par le Conseil faute d’intervention législative.

90. L’impossibilité technique de dépôt d’une QPC face à la construction incomplète d’une jurisprudence basée sur un article constitutionnel. La question peut se poser quant à l’application effective de la jurisprudence du Conseil lorsque la question entre dans le cadre de son interprétation sous réserve, mais que cette réserve n’est pas encore ancrée dans la jurisprudence de la Cour de Cassation (ou du Conseil d’Etat). C'est-à-dire l’émission d’une réserve d’interprétation constitutionnelle sur une disposition validée partiellement, alors que cette dernière n’aura pas encore fait l’objet d’une quelconque application jurisprudence judiciaire.

Le particulier ne pourra pas, en théorie, saisir la juridiction d’une QPC, le Conseil ayant déjà été saisi sur la disposition et ayant déjà tranché favorablement malgré une réserve d’interprétation. Si aucune jurisprudence des Hautes cours ne vient au « secours » du

241 Décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, Époux L. [Faute inexcusable de l'employeur], Journal officiel du 19 juin 2010, p. 11149 (@ 71), les cahiers du Conseil Constitutionnel numéro 29.

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justiciable, il ne pourra pas non plus arguer de l’inconstitutionnalité d’une disposition légale via son interprétation prétorienne constante qui lui serait applicable, mais qui n’englobe pas son cas d’espèce.

Il conviendra alors de surveiller l’évolution de la jurisprudence de la Cour de Cassation, voir de la saisir en ce sens, au risque de voir le litige aboutir à une Décision non favorable en dernier ressort. Nous serions dans une situation dans laquelle aucun moyen de recours ne pourrait alors être encore déposé, laissant ainsi le requérant initial sans possibilité de soulever une QPC, d’abord dans un premier temps faute de base jurisprudentielle établie, et ensuite, dans un second temps, faute de recours possible.

91. La résistance fonctionnelle de la Cour de cassation pour préserver sa prérogative d’interprète de la loi. Si la disposition a déjà fait l’objet d’une réserve et que cette réserve coïncide avec le cas d’espèce sans qu’une jurisprudence ne soit établie, mais que la Cour décide d’aller dans le sens du Conseil constitutionnel. Sachant que la Cour de cassation ne se réfère que très peu à l’autorité de la chose interprétée par le Conseil, il lui faudra alors obligatoirement transférer dans le domaine juridique l’interprétation constitutionnelle dans des termes similaires au Conseil, par un attendu restrictif, afin de rendre applicable immédiatement la réserve d’interprétation constitutionnelle. Mais compte tenu des rapports gouvernant la Cour de cassation et surtout la Chambre criminelle avec le Conseil constitutionnel qu’elle peut parfois voir comme un rival dans l’interprétation de la loi, elle pourra toujours son pouvoir d’interprétation du droit européen !

En effet, dans le domaine pénal, la Cour de cassation est frileuse avec le Conseil. Elle utilise plus fréquemment un contrôle de conventionalité dont elle peut tirer aussi des protections de droits fondamentaux, par ailleurs très proches de ceux du Conseil Constitutionnel, pour être tentée de sauvegarder son identité, sachant que ces principes européens sont souvent moins théoriques et plus pragmatique que la motivation du Conseil242.

242 Bertrand MATHIEU, Un état des lieux dans concessions (A propos du rapport d’évaluation de la QPC du 5

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92. La garde à vue, terrain d’enjeu de suprématie judiciaire. Les deux organes sont toutefois arrivés à la même conclusion quant à certaines dispositions sur la Garde à vue par exemple. Ce qui dans un certain sens, montre la cohérence universelle des principes pénalistes, mais qui d’un autre côté démontre la volonté de la Cour de cassation de se détacher formellement du Conseil constitutionnel tout en étant obligée d’appliquer ses principes. Dans l’exemple susvisé, les deux organes sont arrivés à une solution identique, l’un par une Décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010243, et l’autre par les arrêts Cour de cassation, 19 octobre 2010244, Req. n° 10-82.902, 10-82.306, 10-82.051. Dans les deux cas, par des moyens différents et des sources différentes, les solutions préconisent impérativement le droit à l’avocat dès le début de la mesure de GAV et le droit à garder le silence tout en reportant l’inconstitutionnalité pour l’un et l’inconventionalité pour l’autre (mais citant aussi le Conseil) au 1er juillet 2011. Ce report d’application de conventionalité est une première pour la Cour de Cassation qui se réfère ainsi quant à elle de manière non équivoque au Conseil Constitutionnel dans son mode de fonctionnement et de report tout en préservant son autonomie décisionnelle.

Il y eut là, un réel problème qui s’est posé en pratique par cette gymnastique au regard du principe de non rétroactivité des lois sauf en ce qui concerne les lois plus douces (principe in

mitius) ce qui est le cas en espèce.

Ce problème a été résolu, en partie, par l’intervention anticipée du législateur le 14 avril 2011245, mais cette dernière s’est avérée insuffisante puisque la Cour de cassation est allée plus loin que les parlementaires en appliquant, comme elle y est missionnée, directement la jurisprudence européenne au lendemain du vote de la loi246 qui devait entrer en vigueur seulement au 1er juillet (au plus tard), et ce de manière tonitruante, pointant ainsi les carences législatives et affirmant sa force et son autonomie qu’elle tire de l’article 55 de la Constitution plaçant les normes internationales au dessus de la loi.

243 Décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, M. Daniel W. et autres [Garde à vue], Rendu public le 30 juillet 2010, Journal officiel du 31 juillet 2010, p. 14198 (@ 105), Les Cahiers du Conseil Constitutionnel, Cahier numéro 30.

244 Albert MARON, Troisième messe de requiem pour la garde à vue, Droit pénal, novembre 2010, n°11, dossier 11.

245 Loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue, JORF n°0089 du 15 avril 2011 page 6610.

246 Cass. Assemblée plénière, 15 avril 2011, n° 30.316 ; Cass. Assemblée plénière, 15 avril 2011, n° 30.313 ; Cass. Assemblée plénière, 15 avril 2011, n° 30.242 ; Cass. Assemblée plénière, 15 avril 2011, n° 10-17.049

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Au début les problèmes soulevés par la Cour de cassation lors de ces 4 arrêts d’assemblée plénière, portant sur la présence de l’avocat dès le début de la GAV, ne se posaient pas d’un point de vue pratique tant que cette loi n’était pas appliquée, bien qu’existant dans l’ordonnancement juridique.

Avant le 14 avril 2011, on appliquait l’ancien régime alors légalement en vigueur et qui pouvait, selon le Conseil, continuer à perdurer jusqu’au 1er juillet 2011. Mais la Cour de Cassation n’a pas manqué de chambouler la mise en place de la loi en l’appliquant immédiatement, sous l’angle des principes européens.

Le plus impressionnant, sera sa démonstration de force par 4 arrêts du 31 mai 2011247 (un jour avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi). Elle a rajouté à la réforme législative de la Garde à vue une colossale difficulté fonctionnelle par le biais de la rétroactivité et en pointant l’inconstitutionnalité d’une mesure (la loi) abrogée virtuellement, alors que la loi nouvelle n’était pas encore en vigueur. Rendant applicable, de son propre chef, les principes du droit au silence et de la présence de l’avocat (lorsqu’il a été demandé toutefois par le gardé à vue) aux procédures antérieures à la loi, ce qui sera au soutient de milliers de procédures…

Un droit fondamental restant un droit fondamental, l’absence d’avocat aux premières heures de garde à vue met en péril des milliers de procédures qui tombent sous l’application de cette forte jurisprudence, et ce, avant que les nouvelles dispositions ne se soient installées légalement dans le panorama procédural (ce qui a pu poser des problèmes pratiques aux techniciens qui devaient appliquer une loi du 1er juin non en vigueur, votée le 14 avril, pour se conformer à la jurisprudence du 15 avril, alors que l’ordonnancement juridique officiel faisait toujours référence à l’ancienne loi, tout en sachant que cette loi était inconstitutionnelle au 1er juillet).

L’article 112-4 du Code pénal prévoit que l’application immédiate de la loi nouvelle est sans effet sur la validité des actes accomplis conformément à la loi ancienne, mais au vu du nouvel ordonnancement juridique, il s’avère à compléter, car il ne prévoit pas le cas d’une disposition déclarée inconstitutionnelle avec effet retardé. Il est certain que la sécurité juridique qui est aussi un principe constitutionnel va se retrouver confrontée à cette nouvelle situation juridique

247 Crim. 31 mai 2011, Arrêt n° 2673 n°10-88.809 ; Arrêt n° 2674 du 31 mai 2011, n°10-80.034 ; Arrêt n° 3049 n°10-88.293 ; Arrêt n° 3107 du 31 mai 2011, n°11-81.412.

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que nous pourrions appeler de « non droit avec effet post-actif ». Puisque l’inconstitutionnalité est au dessus de la loi.

La Cour de cassation est ainsi venue défier sur leurs terrains le législateur et le Conseil constitutionnel, qui avait lui-même demandé à ce dernier de revoir la loi avant le 1er juillet 2011, en forçant le calendrier de mise en application de la nouvelle loi, et en lui appliquant plus ou moins directement un visa d’inconstitutionnalité via le droit européen, avec effet rétroactif in mitius.

L’application que fait à son niveau le Conseil Constitutionnel des lois pénales dans le temps fait l’objet d’une section particulière dans le chapitre 2 du titre 2 de cette première partie.