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§1 : La QPC au service du justiciable

A- Recevabilité d’une QPC

2- Les filtres

a) Le premier filtre de la QPC, la recherche du lien avec le litige.

73. Premier filtre factuel, le juge du fond. L’une des principales difficultés dans la QPC est le passage du premier juge qui filtre. Bien souvent le juge « filtreur » est le juge qui est en charge du litige. C’est une anomalie selon nous.

Ce qui justifie que ce soit ce juge qui statue, c’est le fait qu’il connaisse bien le litige pendant et qu’il peut alors rapidement décider si la question est en rapport avec. Cette question n’est pas rédhibitoire, dans la mesure où le lien est facile à détecter même pour un juge tiers, en général les questions sont assez précises.

Le juge qui connait le dossier, peut en avoir une appréciation négative, et cette appréciation peut ou pourrait lui donner une vision négative de la QPC qui peut être interprétée comme une manœuvre dilatoire. Tout aussi bien au sein de la Cour de cassation, interprète du droit, lorsque la QPC s’avère porter sur l’application constante d’une jurisprudence établie par la Cour, cette dernière se trouve confrontée à une question contestant sa propre appréciation de la chose. Ce qui est parfois source de polémique.

Pour autant, la raison du filtrage de la QPC par le juge qu’il soit ordinaire ou de cassation est légitime puisqu’il s’agit d’une procédure qui peut s’analyser en exception dans le litige en cours et qu’elle permet aussi dans un certain sens aux organes juridictionnels de participer à cette QPC.

Reste qu’il y a cependant techniquement deux niveaux de filtres.

Le premier filtre qui doit s’assurer que la question est en relation avec le litige, voire que la décision reflète un caractère sérieux.

Page | 121 b) Le filtre de la Cour de cassation

74. L’utilité du filtre. Pour apprécier de la Constitutionnalité d’une disposition, nous disposons, et de commune force dans la pyramide des normes, de la Constitution de 1958, de son préambule, du préambule de la Constitution de 1946, de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen de 1789, puis de la Charte de l’environnement qui ne sont pas des textes formels mais des textes qui vont être « interprétés ».

C’est dans l’ensemble de ces textes et de leur interprétation faite par le Conseil constitutionnel que la QPC posée va chercher à se référer. Il va falloir aussi rechercher si la disposition contestée n’a pas déjà fait l’objet d’une analyse complète (motif + dispositif), faute de quoi la QPC rempli une condition du filtre.

Si le Conseil a déjà eut à connaître du texte déféré, il va falloir chercher à démontrer que l’analyse faite par le Conseil diffère de l’application concrète du texte et ce dans l’absolu, c'est-à-dire non au seul regard du litige lui-même, mais par application générale.

Il y a donc au regard de la QPC deux sortes de textes considérés comme constitutionnels qui vont pouvoir passer au filtre des juridictions pour pouvoir être déférées.

Sachant que dans le dispositif de la QPC est prévu :

- D’inclure comme questions admissibles, les questions qui ont déjà été analysées mais qui ont changé de circonstances206.

- D’inclure comme questions admissibles, les questions qui ont déjà été analysées mais dont l’application jurisprudentielle aurait évolué207 et ce de manière constante.

206 Article 23-2.2° de la Loi organique n°2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article

61-1 de la Constitution.

207 Décision n° 2010-39 QPC du 06 octobre 2010, Mmes Isabelle D. et Isabelle B. et Décision n° 2010-52 QPC du 14 octobre 2010 Compagnie agricole de la Crau. Par ce deux décisions importantes, le conseil Constitutionnel développe, dans sa construction prétorienne, une nouvelle attribution qu’il semble tirer de la Loi. On le sait, la QPC, n’est possible à soulever qu’à l’encontre d’une disposition législative applicable au litige ou à la procédure. Il y aurait donc des cas attentatoires aux principes Constitutionnels, qui auraient valeur législatives qui pourraient dès lors échapper au Conseil Constitutionnel. Tout comme il y aurait des dispositions non attentatoires, au regard des travaux préparatoires et de leur rédaction, qui dans la bouche du juge pourraient être anticonstitutionnels. La question s’est posée. Mais la QPC est intimement liée à la Cour de Cassation et au Conseil d’Etat qui en sont le filtre. Dès lors, et c’est le rôle de la jurisprudence, il existe des dispositions législatives, et elles sont nombreuses, qui ont fait l’objet d’une très importante construction prétorienne. La QPC n’aurait plus aucun sens dès lors, si le texte en lui-même, tant de manière formelle que lors des travaux du législateur serait conforme à la Constitution mais pas l’interprétation qu’en font les juges. Le Conseil a cadré ses prérogatives. Tout d’abord dans la première décision du 6 octobre 2010, relative à l’article 365 du Code Civil,

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Hasard du calendrier ? Les deux décisions du 6 et 14 octobre 2010 qui sont favorables à l’extension de la saisine de la QPC y compris sur l’interprétation qu’en donne la jurisprudence répondent à un des points principaux dont la Commission des lois constitutionnelle avaient eu à trancher par une série d’auditions au 1er août 2010.

Ce rapport qui a été déposé le 5 octobre 2010 (n°2838) par Monsieur le Député Jean-Luc WARSMANN sur l’évaluation de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009

relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution, posait le problème de

l’interprétation des lois par la jurisprudence et invitait, à défaut de modification de la loi organique en ce sens, à ce que les juridictions ne puissent plus se retrancher derrière l’interprétation d’une loi par une jurisprudence établie pour rejeter le caractère sérieux d’une question prioritaire de constitutionnalité.

En effet la question avait été posée lors d’un refus de la Cour de Cassation dans un arrêt du 19 mai 2010208 de transmettre la question au Conseil Constitutionnel considérant que « la

question posée tend, en réalité, à contester non la constitutionnalité des dispositions qu’elle vise, mais l’interprétation qu’en a donnée la Cour de cassation ».

sur l’autorité parentale des enfants mineurs ayant fait l’objet d’une adoption simple par une personne seule. Sa saisine portait donc sur une interprétation particulière de la jurisprudence depuis 2007, qui de fait empêchait l’adoption de l’enfant mineur du partenaire ou du concubin puisque impossible tant que l’un des parents biologique entendait continuer à exercer ses droits. En l’espèce le couple était composé de deux personnes du même sexe. Le Conseil a donc tranché au regard de l’application qu’en fait la Cour de Cassation et a donc admit par cette décision d’être saisit sur une disposition interprétée par le juge. Dans la seconde Décision du 14 octobre, c’est au regard du Conseil d’Etat qui avait jugé qu’une disposition d’une loi de 1941 avait un caractère fiscal, que le Conseil Constitutionnel s’est prononcé. Bien qu’à l’origine cette loi à l’origine ne revêtait pas ce caractère. Le Conseil Constitutionnel a donc décidé qu’il y avait donc lieu d’appliquer à l’espèce, conformément à la jurisprudence du Conseil d’Etat, les règles constitutionnelles de droit fiscal. Il se sert donc d’un grand principe, celui de l’égalité devant les charges publiques, pour en constater l’inconstitutionnalité et abroger immédiatement l’article 1 de cette loi qui disparait de l’ordonnancement juridique.

208 Arrêt n° 12020 du 19 mai 2010 (09-87.307) - Question prioritaire de constitutionnalité - Cour de cassation. Recueil Dalloz 2010. p. 2236 commentaire d’Hélène NICO, ainsi que Pascale DEUMIER, QPC : la question

fondamentale du pouvoir d'interprétation (à propos du contrôle de l'interprétation de la loi) RTD Civ. 2010 p.

508. Cette décision relative au refus de transmission de QPC par la Cour de Cassation d’une question relative à la motivation des arrêts de la Cour d’Assise sur la base non pas d’une violation d’un texte mais de son interprétation (en l’espèce l’article 353 Code de procédure pénale) souleva contre elle un tollé de la part de la doctrine, qui non seulement fut privée à cette occasion d’un débat sur le fond de la motivation des arrêts de Cour d’Assise dont nous reparlerons, mais aussi par le fait que ne pas soumettre la QPC au regard d’une jurisprudence revenait à vider le contenu de la mesure Constitutionnelle protectrice des citoyens et instaurait un contrôle de pré-constitutionnalité de la part de la Cour de Cassation qui en empêchait la transmission. Bien évidement aujourd’hui la position des hautes juridictions judiciaire a évoluée dans le bon sens, ce qui a ouvert une nouvelle prérogative au Cons. Const., d’autant que la transmission a pour effet de reconnaitre leur travail de construction jurisprudentielle puisque le Constitutionnel se base sur l’interprétation prétorienne des dispositions qui lui sont soumises.

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Avec une extrême clairvoyance, le rapporteur relevait que l’un des intervenants, et non des moindre puisqu’il s’agissait de Marc GUILLAUME, le Secrétaire Général du Conseil Constitutionnel, avait attiré l’attention dès le mois d’août 2010 qu’une question relative à l’article 365 du code civil avait été déposée, lequel article « soulève des questions qui portent

autant sur le texte de l’article lui-même que sur l’interprétation qui en a été donnée jusqu’à présent ». Et de rajouter dans son rapport que « Cela laisse espérer un infléchissement de la jurisprudence, qui éviterait une nouvelle intervention du législateur organique sur ce point. »

De son coté le Conseil d’Etat à travers la voix de son Vice-président Jean-Marc SAUVE avait toujours été favorable à sa saisine de QPC sur application jurisprudentielle en affirmant que :

L’interprétation que le juge donne de la loi est, au moins pour le Conseil d’Etat, inséparable de la loi elle-même et peut donc elle aussi être contestée devant le Conseil constitutionnel.209

C’est cette question qui fut tranchée dans ce sens par le Conseil constitutionnel, le lendemain de la remise du rapport et qui élargit la saisine aux interprétations jurisprudentielles.

Il en va de même pour les points qui auraient été rendus conforme mais avec des réserves. Dès lors que ces réserves n’auraient pas encadré la situation de fait et la situation juridique qui se développeraient lors du litige.

Bien entendu en cas de violation de réserves, pas besoin de QPC, la procédure de violation de la loi auprès de la Cour de Cassation suffit.

C’est là que l’on ressent toute la différence entre une QPC et une procédure de recours ordinaire. Le recours ordinaire s’attache au litige en cours et a pour effet de le trancher. La QPC est une analyse de l’interprétation des règles et de leur application, en vue d’une éventuelle modification ou précision. Cette modification ou abrogation peut, de plus, ne pas s’appliquer de facto au litige en cours une fois rendue, par le biais non seulement de la réserve d’interprétation, mais aussi par le report des effets d’inconstitutionnalité. Et ce pour des raisons de célérité de la Justice, par exemple en cas de référé ou du contentieux relatif à la

209 Colloque tenu à l’Assemblée nationale le 22 septembre 2010, JCP G 2010, supplément au n°48, 29 novembre 2010, p.14.

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détention qui emporte de par la loi des décisions plus rapides de la part du juge y compris au niveau de la cassation.

Dans le premier cas, par exemple, la question aurait passé le filtre des cours, et le Conseil aurait confirmé cette constitutionnalité de disposition mais encadrée de réserves. Soit ces réserves profitent au requérant, immédiatement ou plus tard (voir ci-dessous), soit elles ne s’appliquent pas au cas d’espèce, mais permettent au Conseil de s’exprimer en fixant des règles juridiques plus restreintes sur ladite disposition attaquée. Comme les décisions du Conseil sont d’autorité absolue, tous les litiges en cours doivent appliquer alors la nouvelle interprétation du Conseil Constitutionnel.

Soit dans le deuxième cas, la disposition est jugée non conforme à la Constitution mais porte une atteinte considérable à l’ordonnancement juridique. Le Conseil Constitutionnel, qui n’a pas vocation à palier le législateur dans l’élaboration des lois, émet donc un report d’inconstitutionnalité, laissant ainsi le temps au législateur de combler le vide juridique qui aurait eu lieu si la disposition avait été abrogée immédiatement. Reste à savoir comment les Cours européenne interpréteront l’application dans un Etat d’une disposition que lui-même a déclarée non conforme à ses normes supérieures mais dont il a retardé l’application faute de loi de substitution !

Dans ce cas là aussi, la disposition relevée par la QPC ne profite pas au requérant, mais à tous les autres litiges à partir de la date de report d’inconstitutionnalité, du moins sur le plan national. Il est aussi possible qu’une juridiction saisie d’une QPC rende un jugement avant le traitement d’une QPC déposée. Il est alors prévu en cas d’abrogation postérieure que le requérant bénéficie d’un nouveau droit lui permettant de ressaisir la juridiction pour qu’il soit tenu compte de cette abrogation.

D’un autre côté, dans son pouvoir de filtre, la Cour de cassation veille aussi à ce que la QPC concerne bien ce requérant lors du dépôt. Elle a ainsi rejeté une QPC le 21 juin 2011210 au motif que :

La QPC étant un moyen venant au soutient d’une prétention, le mémoire la contenant obéit aux règles procédurales applicables en matière de pourvoi et, dès lors que le pouvoir formé

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contre une ordonnance du juge d’instruction rendue dans une procédure ne concernant aucun des demandeurs est lui-même irrecevable, il n’existe pas d’instance en cours à leur égard devant la Cour de cassation.

Il faut donc bien que le dépôt de la QPC concerne non seulement le litige en cours, mais aussi la partie qui la dépose. Le Conseil constitutionnel ne s’est pas prononcé sur ce point, mais on sait dorénavant que le Conseil constitutionnel peut soulever d’office des griefs qui n’auraient pas été retenus par la Cour de cassation pour contourner le filtre211, ce qu’il a fait dans ses décisions du 8 juillet 2011212 et du 13 juillet 2011213.

75. Des questions en suspens. Cette introduction d’une nouvelle donnée juridique dans le cadre du règlement des litiges peut poser des problèmes d’application de la loi et renforcer le praticien dans la recherche des moyens utiles à la défense de ses clients. Ces pistes de recherche, ne font qu’exacerber l’influence des différentes sources juridiques applicables dans notre pays, notamment parce que celles-ci s’affrontent déjà au plus haut niveau de notre pyramide des normes.

Pour ce qui concerne le Conseil constitutionnel, les solutions sont différentes du cadre d’application de simples jurisprudences que l’on appliquent dans la mesure où si la jurisprudence peut être, de manière communément admise, sujette à des revirements, la constitutionnalité et surtout l’inconstitutionnalité d’une disposition pose d’autres problèmes d’articulation juridique.

D’autant que le Conseil constitutionnel, qui n’entend pas se substituer au législateur, mais simplement lui donner des « pistes », peut au-delà de supprimer une disposition, retarder de manière légale les effets d’une inconstitutionnalité.

Certes, il n’y a pas de solution miracle, en tout cas elle ne sera pas trouvée dans le cadre de ces recherches. Mais est-il constitutionnel d’appliquer une disposition que l’on sait d’ores et déjà inconstitutionnelle ? Une fois la loi modifiée, voire radicalement changée, quel sera

211 Bertrand MATHIEU, saisine d’office, La semaine juridique, Edition général n°35, 29 aout 2011, 881.

212 Décision n° 2011-147 QPC du 08 juillet 2011, M. Tarek J. [Composition du Tribunal pour enfants], Rendu public le 8 juillet 2011.Journal officiel du 9 juillet 2011, p. 11979 (@ 103), Commentaire aux Cahiers du Conseil constitutionnel, Cahier version numérique.

213 Décision n° 2011-153 QPC du 13 juillet 2011, M. Samir A. [Appel des ordonnances du juge d'instruction et

du juge des libertés et de la détention], Rendu public le 13 juillet 2011. Journal officiel du 14 juillet 2011, p. 12251 (@ 84), Commentaire aux Cahiers du Conseil constitutionnel, Cahier version numérique.

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l’attitude du requérant. Ne pourrait-il pas être tenté de retarder le litige, de façon à se voir appliquer éventuellement de dispositions plus douces ?

Ne pourrait-il par arguer de « l’inconstitutionnalité » de l’inconstitutionnalité reportée ? Si ces questions se posent, c’est qu’elles sont dans le cœur de la tourmente que connait aujourd’hui la procédure pénale française attaquée de toute part dans ses fondements.

Et que pourrait-il se passer lorsque la mesure abrogée n’est pas remplacée rapidement par le législateur214?

Après avoir expliqué les outils dont dispose le Conseil Constitutionnel pour rendre ses décisions, il conviendra par la suite de dégager les grands principes qui s’attachent au droit pénal à travers non pas seulement la Constitution, mais à travers son bloc de Constitutionnalité et sa jurisprudence depuis 1958, et bien sur, ses interprétations.