• Aucun résultat trouvé

§2- La sauvegarde par le Conseil de la séparation des pouvoirs

I- Conception constitutionnelle

109. L’exception française. Séparation des acteurs, séparations des autorités de poursuite et de jugement, séparation des autorités d’instruction et de jugement sont donc des principes qui s’insèrent dans un autre grand principe qui est la séparation des pouvoirs.

281 Décision n° 2011-147 QPC du 08 juillet 2011, M. Tarek J. [Composition du Tribunal pour enfants], Rendu public le 8 juillet 2011, Journal officiel du 9 juillet 2011, p. 11979 (@ 103), Commentaire aux Cahiers du Conseil constitutionnel, Publié sur internet.

Page | 174

La particularité fonctionnelle dualiste des autorités juridiques administratives et judiciaires, avec une compétence pour chacun est qualifiée par le Conseil constitutionnel dans une Décision du 23 janvier 1987282 de « conception française de la séparation des pouvoirs » à l’occasion de la promulgation d’une loi qui transférait la compétence en appel du contentieux du Conseil de la concurrence d’obédience administrative à la Cour d’appel de Paris qui est d’obédience judiciaire.

Mais cette dualité, se trouve régulièrement confronté aux limites de la procédure pénale, tant dans certains actes de contrôles, que de réquisitions, le droit des étrangers, le code de la route, autant de matières qui surfent d’une autorité à l’autre.

110. Arbitre de la séparation des pouvoirs. La création d’un organe de juridiction constitutionnelle fut pour l’époque une véritable révolution de culture juridique.

La Constitution va attribuer des compétences différentes aux différents pouvoirs selon la nature de la disposition. A la loi un certain nombre de domaines énumérés, et au règlement le reste. L’exécutif peut émettre un certain nombre de normes de sa propre initiative, du domaine dit réglementaire, tandis que le législateur va, sous forme de loi, garder la main en tant que représentant du peuple.

Il y a aussi le principe des ordonnances prises par le gouvernement sur autorisation du Parlement qui permet d’accélérer l’adoption de certaines dispositions.

La séparation des pouvoirs est la vocation primitive du Conseil qui en était le juge dès sa création en 1958, puisque sa première mission était de juger du caractère réglementaire ou législatif des dispositions qui lui étaient soumises par le biais de l’article 37C. Il devait arbitrer entre les deux pouvoirs et ainsi censurer d’éventuelles dispositions prises par le Gouvernement qui auraient dû être de la seule compétence du législateur.

Sa vocation a évoluée de manière pratique au fil des années pour devenir au final un organe de contrôle constitutionnel au dessus de l’exécutif et du législatif doté du plus grand des

282 Décision n° 86-224 DC du 23 janvier 1987, Loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des

décisions du Conseil de la concurrence, Journal officiel du 25 janvier 1987, p. 924, Recueil, p. 8, Considérant

Page | 175

pouvoirs, la censure. Cette notion à sa création est nouvelle, dans la mesure où elle porta atteinte au dogme de « la loi a toujours raison ».

Lorsque la saisine a été rendue possible à tous les parlementaires (avec soixante signatures), son rôle s’est encore étoffé. En pratique, il joue aussi un rôle politique indirectement, car il est régulièrement saisi par les parlementaires de l’opposition. Mais malgré son mode de nomination (politique), il s’est régulièrement distingué par son détachement aux pouvoirs dont les membres sont issus en rendant des décisions qui ont pu embarrasser l’exécutif.

La Constitution de 1958, celle de la 5ème République, tente de redistribuer les pouvoirs en tenant compte des échecs et blocages rencontrés par les autres Républiques. Le pouvoir est représenté par le Chef de l’Etat qui sera par la suite élu au suffrage universel direct, et met en place un équilibre entre le pouvoir exécutif et l’Assemblée nationale qui peuvent si nécessaire interférer l’un dans l’autre, l’assemblée pouvant être dissoute par le Président, et l’Assemblée pouvant renverser le gouvernement par une motion de censure ou en refusant de valider un vote de confiance.

Le Conseil se place entre les deux en tant que gardien de la Constitution, avec le pouvoir de bloquer les dispositions qu’ils jugeraient inconstitutionnelles. La loi des parlementaires n’a donc plus l’autorité absolue. Le placement au sein de la Constitution des dispositions issues des accords internationaux au dessus de la loi ne fait que confirmer cette redistribution.

L’avènement de la QPC ne fait, dans cette optique de perte de puissance du pouvoir législatif, que rendre une part au pouvoir au peuple qui jusqu’à présent s’exprimait par le biais de ses représentants élus. Cette procédure permet à tout un chacun de pouvoir saisir l’organe constitutionnel en vue d’abroger une disposition législative, ou d’en limiter sa portée. C’est la fin du puissant règne de la loi et du légicentrisme, et c’est aussi surtout la fin d’une exception française issue directement de sa révolution de 1789.

Force est de constater au final que le Conseil constitutionnel se trouve dorénavant au centre névralgique des trois pouvoirs. S’il peut être saisi par le Président ou le Premier ministre, et par les parlementaires pour visa de constitutionnalité avant la promulgation, il peut aussi dorénavant être saisi par tout justiciables dans tous les litiges de l’ordre judiciaire et

Page | 176

administratif, avec un pouvoir indirect de censure du juge par censure de la disposition législative intéressant le litige. Si son rôle s’arrêtait là, il n’y aurait pas réellement une suprématie du Conseil vis-à-vis du pouvoir judiciaire, sauf que pour donner une certaine cohérence à la QPC, le Conseil constitutionnel s’est doté du pouvoir d’abroger ou de limiter l’application d’un article vis-à-vis de son application concrète dans le cadre du litige dans lequel la question est posée. Ceci impliquant aussi depuis octobre 2010, l’interprétation de la disposition qu’en a faite la Cour de cassation ou le Conseil d’Etat.

C’est cette application pratique de compétence du Conseil constitutionnel qui le placerait d’une certaine manière au dessus de ces dernières et provoque un débat sur le glissement du Conseil constitutionnel vers une Cours constitutionnelle. Ce qu’il n’est pas encore, puisqu’il n’agit qu’indirectement sur le litige en recadrant la loi, par réserve ou abrogation, et que cette Décision oblige la Cour de cassation en tout état de cause.

Mais en attendant que le législateur dans son rôle de constituant n’élève un jour, ce Conseil en organe suprême, reste aujourd’hui que le système français est axé sur la dualité autonome des systèmes juridiques que le Conseil Constitutionnel a érigée en principe. Le 22 juillet 1980283 il a affirmé sans ambiguïté l’indépendance des juridictions judiciaires et administratives au regard de l’exécutif : « il résulte des dispositions de l’article 64 de la

constitution en ce qui concerne l’autorité judiciaire et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République en ce qui concerne, depuis la loi du 24 mai 1872, la juridiction administrative que l’indépendance des juridictions est garantie ainsi que le caractère spécifique de leurs fonctions sur lesquelles ne peuvent empiéter ni le législateur, ni le gouvernement » (Considérant n°6).