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L’appréciation constitutionnelle des éléments de l’infraction

§1 : La légalité des lois pénales et de la procédure pénale

B- L’appréciation constitutionnelle des éléments de l’infraction

Le droit pénal est un droit d’interprétation strict, le Conseil constitutionnel plus qu’une autre matière va censurer les dispositions laissant trop de place à l’interprétation prétorienne faute de clarté de la volonté du Législateur.

1) La définition claire des éléments matériels des délits ou des crimes.

119. Déterminer les auteurs, définir clairement les crimes et les délits, une obligation pour le législateur. Dans la Décision n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002337, Loi

334 Décision n° 86-210 DC du 29 juillet 1986, Loi portant réforme du régime juridique de la presse, considérant 26 : « Considérant que chacune des dispositions de l'article 12 (1° à 4°) définit avec précision les infractions

résultant de la méconnaissance des articles 3, 7, 8 et 10 de la loi et désigne de manière non équivoque l'auteur responsable de chacune de celles-ci ; qu'ainsi le moyen manque en fait ; ».

335 Décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006 ; Loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la

société de l'information, considérant 10 in fine : « qu'il résulte de ces dispositions que le législateur est tenu de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis ; que cette exigence s'impose non seulement pour exclure l'arbitraire dans le prononcé des peines, mais encore pour éviter une rigueur non nécessaire lors de la recherche des auteurs d'infractions ». 336 André VITU : Le Principe de la Légalité criminelle et la nécessité de textes clairs et précis. Observations sous Cass.crim. 1er février 1990, Rev.sc.crim. 1991 555.

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de modernisation sociale, il est précisé dans un considérant numéro 82 que le législateur a l’obligation de fixer le champ d’application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis pour permettre la détermination des auteurs d’infractions et pour exclure l’arbitraire dans le prononcé des peines.

En l’espèce il s’agissait des mettre en place dans le Code pénal un article 222-33-2 338(article 170 de la loi déférée), en cas d’atteintes à des « droits » sans en préciser la teneur.

Le Conseil a donc renvoyé aux dispositions de l’article ex L.122-49 du Code du Travail (L1152-1 nouveau) en précisant que les droits en questions sont des droits de la personne au travail et émet cette réserve d’interprétation pour rejeter les griefs d’inconstitutionnalité.

Dans sa longue Décision n° 2003-467 DC du 13 mars 2003339, Loi pour la sécurité intérieure de nombreuses réserves d’interprétations sont prononcées (13 réserves) notamment le considérant 104 visant à restreindre le champ d’application du délit d’outrage aux emblèmes nationaux aux manifestations publiques à caractère sportif, récréatif ou culturel se déroulant

dans des enceintes soumises par les lois et règlements à des règles d'hygiène et de sécurité en raison du nombre de personnes qu'elles accueillent en excluant de ce délit les œuvres de l’esprit, les propos tenus dans un cercle privé ou lors de manifestations non organisées par les autorités publiques ou non réglementées par elle. Cette réserve pouvant sembler superflue

toutefois dans la mesure où l’article visé (433-5-1 du Code pénal) limitait l’incrimination déjà aux manifestations organisées ou réglementées par les autorités publiques, et comportait le terme « d’outrager publiquement ».

L’exemple a été donné le 16 septembre 2011340 à l’occasion d’une QPC portant sur la définition de la circonstance aggravante d’inceste dans l’article 222-31-1 du Code pénal touchant les viols et les agressions sexuelles sur les mineurs. La disposition énonçait les

337 Journal officiel du 18 janvier 2002, p. 1053, Recueil, p. 49

338 Article 222-33-2 du Code pénal, inséré par Loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 art. 170 Journal Officiel du 18 janvier 2002, Le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une

dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni d'un an d'emprisonnement et de 15000 euros d'amende.

339 Journal officiel du 19 mars 2003, p. 4789 Recueil, p. 211

340 Décision n° 2011-163 QPC du 16 septembre 2011, M. Claude N. [Définition des délits et crimes incestueux], Rendu public le 16 septembre 2011. Commentaire aux Cahiers du Conseil constitutionnel, version internet sur le site du Conseil constitutionnel.

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catégories de personnes de façon large : les ascendants, frères, sœurs ou « toute autre personne » y compris s’il s’agit d’un concubin, d’un membre de la famille, ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait.

Le Conseil aurait pu utiliser une réserve d’interprétation pour recadrer les éléments constitutifs de l’infraction en ce qui concerne « les membres de la famille ». Mais ce serait se substituer au Législateur qui avait sciemment élargit le spectre d’incrimination de la circonstance aggravante d’inceste sur ces infractions341.

Cette imprécision avait pour effet de déléguer à l’autorité judiciaire le soin d’appliquer au cas pas par cas la disposition législative imprécise.

Le Conseil a donc sanctionné cet article en le frappant d’inconstitutionnalité du fait de son imprécision.

Comme le rappelle le Conseil constitutionnel dans son commentaire de la décision du 20 janvier 1981342, aux termes de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du

citoyen de 1789, nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée ; il en résulte la nécessité pour le législateur de définir les infractions en terme suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire.

Le législateur doit donc encadrer le pouvoir décisionnel du juge afin d’éviter, que dans des situations similaires, les infractions ne soient réprimées de façon différente.

La clarté participe au double objectif de prévention et de répression équitable. Cet engagement constitutionnel est conforme aux principes développés par la CEDH 343 qui

341 Laurent BETEILLE, Rapport fait au nom de la commission des lois, Sénat, session ordinaire de 2008-2009, n° 465, p. 5.

342 Décision n° 80-127 DC du 20 janvier 1981, Loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes, cons. 7

343 CEDH, 26 avril 1979, Sunday Times c. Uni, n° 6538/74, § 49, 2 août 1984, Malone c.

Royaume-Uni, n° 8691/79, §66, et 21 octobre 2008,Salihoğlu c. Turquie, n° 1606/03, § 26. On ne peut considérer comme une " loi " qu’une norme énoncée avec assez de précision pour permettre au citoyen de régler sa conduite ; en s’entourant au besoin de conseils éclairés, il doit être à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte déterminé. Elles n’ont pas besoin

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explique que la nécessité d’édicter une loi claire peut parfois, lorsque le juge a les moyens de les appliquer.

2) La définition de l’élément moral des délits ou des crimes

120. Reprise constitutionnelle des principes pénalistes d’intention. Pour que soit retenu un délit ou un crime, il faut une intention (article 121-3 Code pénal alinéa 1), sauf si la loi en dispose autrement pour les infractions non intentionnelles (article 121-3 alinéa 3 et 4). Pour exemple on peut se référer à l’article 221-6 du Code pénal sur les atteintes involontaires à la vie. On sait que dans ce cas là le comportement réprimé ne sera pas l’animus necandi, qui est un dol spécial (aggravant), mais celui d’avoir d’une manière volontaire, ou qu’on ne pouvait ignorer, contrevenu à une disposition dont le résultat à été (dans le cadre de cette incrimination) la mort.

Pour les infractions volontaires délictuelles ou criminelles, le Conseil exige cet élément intentionnel344, voire dans le deuxième cas un élément moral plus précisément345.

Dans ce domaine, il peut aussi, comme il s’en est donné la possibilité, assortir la conformité de ses réserves d’interprétation qu’il peut exceptionnellement qualifier de « strictes »346 pour

d’être prévisibles avec une certitude absolue : l’expérience la révèle hors d’atteinte. En outre la certitude, bien que hautement souhaitable, s’accompagne parfois d’une rigidité excessive ; or le droit doit savoir s’adapter aux changements de situation. Aussi beaucoup de lois se servent-elles, par la force des choses, de formules plus ou moins vagues dont l’interprétation et l’application dépendent de la pratique.

344 Décision n° 2003-467 DC du 13 mars 2003, Loi pour la sécurité intérieure, Journal officiel du 19 mars 2003, p. 4789, Recueil, p. 211 ; considérant 64 : « Considérant que, selon les sénateurs requérants, cette disposition

méconnaîtrait le principe selon lequel nul ne peut être sanctionné que de son propre fait et celui selon lequel la définition des crimes et délits doit comporter un élément intentionnel ; »

345 Décision n° 99-411 DC du 16 juin 1999, Loi portant diverses mesures relatives à la sécurité routière et aux

infractions sur les agents des exploitants de réseau de transport public de voyageurs, considérant 16 : « Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, s'agissant des crimes et délits, que la culpabilité ne saurait résulter de la seule imputabilité matérielle d'actes pénalement sanctionnés ; qu'en conséquence, et conformément aux dispositions combinées de l'article 9 précité et du principe de légalité des délits et des peines affirmé par l'article 8 de la même Déclaration, la définition d'une incrimination, en matière délictuelle, doit inclure, outre l'élément matériel de l'infraction, l'élément moral, intentionnel ou non, de celle-ci ; ».

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que les juges tiennent comptent (impérativement ?) du précepte de légalité des peines et de la nécessité d’établir un élément moral dans les incriminations délictuelles et criminelles.

Comme on peut le voir dans cette dernière disposition, en 1999, le Conseil Constitutionnel tente de mettre en place une certaine doctrine protectrice des droits fondamentaux qu’il destine directement aux juges ordinaires. Il est clair que l’impact d’une telle précision est doublement amoindri.

121. L’élément intentionnel, principe unanimement reconnu. Le principe n’est pas amoindri dans sa portée effective, mais uniquement dans l’autorité habituelle qui est attachée à une décision constitutionnelle. D’une part parce que ce principe de nécessité intentionnelle existe déjà dans le Code pénal en 1999, et que dès lors le Conseil ne fait que rappeler de manière ferme son attachement à ce principe, d’autre part parce que la jurisprudence du Conseil en tout état de cause n’est pas applicable par le juge ordinaire qui ne peut s’en prévaloir directement, même si paradoxalement cette jurisprudence s’adresse aussi à lui (les décisions du Conseil sont originellement axées de fait vers le seul législateur).

Section 3 : Le principe de l’indépendance de l’autorité judiciaire,

préservé par le Président et le Conseil supérieur de la magistrature

(CSM)

Le Président de la République est le chef suprême de l’exécutif, il tire sa légitimité du suffrage universel par lequel il est élu.

Son statut général au sein de l’organisation politique de la 5ème République est inséré dans le titre II de la Constitution dans les articles 5 à 19 qui lui donnent un certain nombre de prérogatives et de devoirs. Dans l’ordre et en ce qui peut toucher à la matière pénale:

- Il veille au respect de la Constitution

346 Décision n° 99-411 DC du 16 juin 1999 Loi portant diverses mesures relatives à la sécurité routière et aux

infractions sur les agents des exploitants de réseau de transport public de voyageurs, Considérant 17 :

« Considérant qu'en l'espèce, en l'absence de précision sur l'élément moral de l'infraction prévue à l'article L.

4-1 du code de la route, il appartiendra au juge de faire application des dispositions générales de l'article 4-124-1-3 du Code pénal aux termes desquelles "il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre" ; que, sous cette stricte réserve, l'article 7 est conforme aux prescriptions constitutionnelles ci-dessus rappelées ; » .