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II. Les facteurs de susceptibilité à la sclérose en plaques

II.3. Les facteurs épigénétiques

II.3.2. Comment l’épigénétique pourrait modifier la susceptibilité à la sclérose en plaques ?

3.2.3. L’inactivation du chromosome

D’un point de vue cellulaire, les femmes se différencient des hommes par la présence de 2 chromosomes X dans leur génome. Bien que les hommes possèdent un chromosome Y à la place du deuxième chromosome X, seulement 54 gènes présents sur le chromosome Y sont

partagés avec le chromosome X qui en possède environ 1100 [Migeon et al., 2007]. Afin d’équilibrer l’expression des gènes présents sur le chromosome X entre les hommes et les femmes, un des deux chromosomes X est inactivé chez ces dernières. En effet, les gènes présents sur le chromosome X inactivé voient leur expression inhibée. Cependant, cela n’est pas totalement vrai puisqu’il a été démontré que quelques gènes (environ 15%) pouvaient maintenir leur expression malgré cette inactivation [Carrel et al., 2005]. Ces gènes contribuent à l’existence de dimorphismes sexuels homme/femme. La possible implication de l’inactivation du chromosome X (XCI) dans les maladies auto-immunes complexes fut suggérée par l’hypothèse de Kast-Steward qui repose sur deux observations simples : (1) la majorité des maladies auto-immunes touchent préférentiellement les femmes, (2) le XCI est une régulation biologique fondamentale qui n’a lieu que chez les femmes [Ozcelik et al., 2008].

a. Mécanismes d’inactivation du chromosome X

Le XCI est un mécanisme qui a lieu très tôt au cours de l’embryogénèse. Durant l’ontogénie des cellules germinales, l’unique chromosome X présent dans chaque cellule est inactivé. Puis lorsque les gamètes sexuels se rencontrent, les deux chromosomes X perdent leur état d’inactivation. C’est au stade blastocyste que chaque cellule somatique du fœtus femelle choisit d’inactiver l’un des deux chromosome X sans prêter attention à l’origine de celui-ci [Migeon et al., 2007]. Les femmes sont ainsi composées d’une « mosaïque » de cellules : des cellules qui expriment le chromosome X d’origine maternelle et d’autres qui expriment le chromosome X d’origine paternelle. Le procédé du XCI étant un phénomène aléatoire, la majorité des femmes sans pathologie particulière ont une quantité environ égale des deux populations cellulaires. Cependant, environ 5% des femmes présentent un très fort biais du XCI, c’est à dire qu’au moins 90% de leurs cellules sanguines expriment un chromosome X de même origine [Knudsen et al., 2009]. Nous reviendrons par la suite sur les causes et les conséquences d’un tel biais du XCI. Par la suite, une fois que la cellule a fait son choix dans le chromosome X à inactiver, elle maintiendra ce profil d’inactivation sans en changer. De plus, le profil d’inactivation est maintenu au cours des mitoses ce qui fait que les cellules provenant d’une cellule progénitrice présentent toutes le même chromosome X inactivé

[Migeon et al., 2007]. Dans le noyau de la cellule, le chromosome X alors inactif forme une structure visible en microscopie que l’on appelle le corps chromatinien de Barr.

Le mécanisme qui conduit à l’inactivation de l’un des deux chromosomes X est un mécanisme complexe dont toutes les subtilités ne sont pas encore cernées [Thorvaldsen et al., 2006]. Le XCI est composé de plusieurs grandes étapes qui sont les suivantes : (1) comptage du nombre de chromosomes X présents dans la cellule (1 ou 2 ou même plus si la cellule est anormale), (2) détermination du ratio « nombre de chromosomes X par rapport au nombre d’autosomes », (3) choix du chromosome X à inactiver, (4) initiation de l’inactivation, (5) extension progressive de l’inactivation sur toute la longueur du chromosome X, (6) maintien de cet état d’inactivation. Le mécanisme du XCI est contrôlé par une région présente au sein même du chromosome X. Cette région, appelée Xic pour X-inactivation center, contient 3 gènes/domaines importants : le gène Xist (X-inactive specific transcript), le gène Tsix et le domaine Xce (X-controlling element) [Plath et al., 2002]. Les gènes Xist et Tsix codent pour des ARNs nucléaires qui ne sont pas traduits en protéines. Xist, qui est exprimé uniquement par le chromosome X inactivé, joue un rôle crucial dans l’inactivation du chromosome X par son action en cis [Brow et al., 1991]. Son ARN va progressivement recouvrir le chromosome X dans son intégralité. Cela permet de recruter des histones-déacétylases et des histone- méthylases qui vont remodeler la structure de la chromatine rendant ainsi le chromosome transcriptionnellement inactif. Le deuxième gène, Tsix, agissant également en cis, est indispensable pour réprimer l’expression de Xist par le chromosome X activé. Le gène Tsix code pour un ARN antisens du locus Xist [Sado et al., 2001]. L’expression de Tsix est maintenue dans un premier temps afin d’inhiber la production d’un ARN stable du gène Xist, et donc la réversion du chromosome X vers un état inactif. Par la suite, cette expression n’est plus nécessaire lorsque l’état inactif du chromosome X devient irréversible [Wutz et al., 2000]. Tsix, qui ne code pas de protéine, agirait en modifiant la structure de la chromatine au niveau du locus Xist ce qui conduirait à réprimer ce gène [Sado et al., 2005]. Enfin, le domaine Xce influence la probabilité dans le choix du chromosome X à inactiver en altérant l’asymétrie dans l’expression de Tsix. Le gène ou l’élément contenu dans le domaine Xce qui lui confère cette propriété n’a pas encore été déterminé avec certitude. Cependant, une équipe suggéra que la fonction du domaine Xce dépendait de la présence d’un élément de transcription intergénique appelé Xite (X-inactivation intergenic transciption elements), placé génétiquement en amont du gène Tsix [Ogawa et al., 2003]. Enfin, une nouvelle région du domaine Xic fut récemment suggérée comme impliquée dans le phénomène de XCI. Cette région appelée Xpr, pour X-pairing region, permettrait le rapprochement de deux

chromosomes X. Ce rapprochement est une étape nécessaire à l’initiation du mécanisme du XCI (Figure 27) [Augi et al., 2007].

Figure 27 : Modèle possible d’inactivation du chromosome X. D’après Augui et al., Science, 2007.

b. Implication de l’inactivation du chromosome X dans l’expression phénotypique

L’effet de l’inactivation du chromosome X sur l’expression phénotypique d’un trait fut évoqué au cours d’études menées sur des maladies génétiques à transmission récessive liées au chromosome X. Ces maladies monogéniques, dont le gène muté est porté par le chromosome X, ne s’expriment normalement pas chez les femmes ne portant qu’une seule copie du gène mutant. Or cela n’est pas toujours vrai. Deux études réalisées sur le syndrome de l’X fragile (maladie responsable d’un retard mental héréditaire) [Kruyer et al., 1994] et sur le daltonisme [Jørgensen et al., 1992] prouvèrent qu’il était possible d’observer chez des jumelles MZ une discordance anormale dans l’expression clinique. Les auteurs suggérèrent que cette discordance était la conséquence d’une différence dans le profil du XCI. Par la suite, plusieurs travaux réalisés sur d’autres maladies génétiques récessives liées au chromosome X démontrèrent qu’il pouvait exister une expression phénotypique de la maladie même chez des femmes portant un allèle sauvage du gène [Parolini et al., 1998 ; Bicocchi et al., 2005]. Toutes ces études mirent en évidence un fort biais du XCI. L’orientation de ce biais allait toujours vers une inactivation préférentielle du chromosome X portant l’allèle sauvage du gène responsable de la maladie.

L’implication d’un tel phénomène épigénétique dans le développement des maladies auto- immunes complexes est plus difficile à évaluer. En effet, contrairement aux maladies monogéniques précédemment citées, la susceptibilité aux maladies complexes repose d’une part sur l’implication de plusieurs gènes et d’autre part sur des gènes dont la localisation génomique est encore inconnue. Cependant, un travail réalisé sur une maladie auto-immune complexe, la sclérodermie, démontra que la proportion de femmes présentant un fort biais du XCI dans le sang était fortement augmentée dans le groupe des femmes souffrant de cette

maladie comparé au groupe de témoins (64% vs 8%) [Ozbalkan et al., 2005]. Par la suite, cette étude fut répliquée avec une différence moins marquée entre les deux groupes (34% vs 8%)

[Uz et al., 2008]. Un résultat similaire fut retrouvé dans la thyroïdite auto-immune avec un plus grand nombre de femmes présentant dans les cellules sanguines un fort biais du XCI chez les patients (34%) par rapport au groupe des témoins (8%) [Ozcelik et al., 2006]. Par ailleurs, chez un même patient, le biais du XCI visible sur les cellules sanguines, était généralisable à d’autres tissus comme la thyroïde ou la muqueuse buccale [Ozcelik et al., 2006]. Brix et al. démontrèrent, chez des jumeaux discordants pour la thyroïdite auto-immune, que le jumeau malade présentait un plus fort biais du XCI que son jumeau témoin [Brix et al., 2005]. Dans la

SEP, l’implication du XCI ne fut que peu évaluée. Une étude démontra que bien que la proportion de personnes présentant un fort biais du XCI soit augmentée chez les patients SEP par rapport aux témoins (17% vs 11%), cette différence n’était pas significative (P = 0,137)

[Knudsen et al., 2007]. Dans le contexte des maladies auto-immunes complexes, il est important de rappeler que même si une proportion plus importante de femmes présente un fort biais du XCI par rapport à des femmes témoins, cela ne signifie pas qu’à l’état d’individu, une femme présentant un fort biais du XCI développera systématiquement une maladie auto-immune. Dans les maladies auto-immunes précédemment citées comme associées à un fort biais du XCI, ce biais est visible dans plusieurs tissus dont les cellules sanguines. Ozcelik et al. émirent l’hypothèse excluant le fait que le biais du XCI soit la conséquence d’une prolifération cellulaire due à la réaction auto-immune [Ozcelik et al., 2008].

c. Causes du biais dans l’inactivation du chromosome X

Même si la majorité des femmes présentent une inactivation aléatoire du chromosome X, c'est-à-dire environ 50% des cellules sanguines exprimant un chromosome X d’origine paternelle et 50% exprimant un chromosome X d’origine maternelle, il est possible d’observer chez certaines femmes un fort biais du XCI. Ce biais peut être expliqué par plusieurs mécanismes qui ont lieu de manière primaire ou secondaire (Figure 28):

Les mécanismes primaires responsables du biais dans le XCI sont tous les mécanismes qui ont lieu lors du choix du chromosome X à inactiver [Minks et al., 2008]. Ce biais du XCI peut être la cause d’un phénomène totalement aléatoire. En effet, le phénomène de XCI a lieu très précocement au cours de l’embryogenèse c'est-à-dire quand un nombre limité de cellules sont présentes [Brown et al. 2000]. Bien que le

études l’estiment entre 10 et 20 [Monteiro et al., 1998]. Ainsi une inactivation légèrement biaisée à l’initiation de l’inactivation peut avoir par la suite des conséquences importantes sur le profil du XCI. De plus, nous avons vu que le domaine Xce modifie la probabilité qu’un chromosome soit inactivé. Certains allèles du domaine Xce pourraient donc avoir des effets très forts et être la cause d’un biais du XCI [Minks et al., 2008]. Enfin, des mutations dans les gènes Xist et Tsix ou simplement différents allèles de ces gènes pourrait également être la cause d’un biais du XCI [Brown et al., 2000]. Les mécanismes secondaires responsables du biais du XCI sont tous les phénomènes qui apparaissent après que la sélection du chromosome X à inactiver ait eu lieu [Minks et al., 2008]. Les mécanismes secondaires peuvent être perçus comme une sélection préférentielle d’une population cellulaire. En effet, une mutation portée par un gène du chromosome X peut avoir un effet sur la survie ou la prolifération des cellules exprimant la mutation. C’est le cas de la mutation du gène FMR1 responsable du syndrome de l’X fragile [Sun et al., 1999] ou de la mutation du facteur VIII dans les cas de dyskératose congénitale [Devriendt et al., 1997], qui sont des mutations délétères pour la survie. A l’inverse, la mutation portée par un gène du chromosome X peut conférer un avantage sélectif à la population cellulaire qui l’exprime. C’est généralement le cas dans les cancers où les cellules tumorales sont des clones d’une même cellule mère, exprimant donc toutes un chromosome X de même origine [Braunstein et al., 2006].

Figure 28 : Mécanisme expliquant le biais dans l’inactivation du chromosome X. D’après Minks et al., J. Clin.

d. Conséquences de l’inactivation du chromosome X

Même si la corrélation entre certaines maladies auto-immunes et un fort biais du XCI est clairement établie, le mécanisme qui les relie est encore inconnu. De nombreuses études partent du principe que le biais du XCI est la cause de l’apparition de la maladie auto-immune et non sa conséquence. Ainsi de nombreuses hypothèses ont été formulées dans ce sens.

Une hypothèse fut proposée par Stewart et al. pour expliquer la mise en place d’une réponse auto-immune [Stewart et al., 1998]. Cette hypothèse peut être résumée en 3 événements

conduisant à la mise en place de l’auto-immunité : (1) le fort biais du XCI a aussi lieu dans le thymus, (2) le thymus est un organe important dans l’éducation des lymphocytes T vis-à-vis de la tolérance envers les antigènes du soi. Ainsi, les lymphocytes T pourraient être rendus tolérants uniquement envers les allèles des gènes portés par le chromosome X préférentiellement exprimé dans le thymus. (3) Les cellules T, après leur maturation, circulent dans la totalité de l’organisme. Elles pourraient alors réagir contre des antigènes du soi codés par les allèles des gènes portés par l’autre chromosome X, qui sont présentés par des cellules périphériques. Cela pourrait conduire à l’apparition d’une réponse immune. Cette hypothèse présume de l’existence d’antigènes codés par le chromosome X possédant des différences alléliques. Par ailleurs, elle suppose qu’il existe des variations du profil du XCI au sein des différents tissus d’un même individu. Dans le cas de la SEP, un gène répondant à tous ces critères est le gène codant pour la PLP. La PLP est le composant principal de la gaine de myéline. Elle existe sous deux isoformes obtenues par épissage alternatif : la forme longue appelée PLP, la forme courte appelée DM20 et pour laquelle il manque une boucle de 35 acides aminés [Steinman et al., 2000]. Chez l’Homme, l’expression thymique de la PLP est réduite à la forme DM20 [Klein et al., 2000]. Il existe de nombreux polymorphismes répartis sur l’ensemble du gène codant pour la PLP. On peut donc imaginer que dans des situations de fort biais du XCI, l’allèle exprimé majoritairement dans le thymus est incapable de rendre les lymphocytes T tolérant vis-à-vis des épitopes de la PLP exprimée dans le SNC.

L’autre hypothèse repose sur le fait que le chromosome X contient de nombreux gènes ayant une fonction dans le développement du système immunitaire ou la mise en place d’une réponse immune. Des mutations contenues dans certains de ces gènes ont déjà été directement impliquées dans le développement de maladies auto-immunes [Molina et al., 2006]. C’est par exemple le cas du gène FOXP3 pour lequel des mutations peuvent

exemple est le gène codant pour le ligand du CD40. Des mutations dans ce gène sont associées à un syndrome d’hyper-IgM ou à des désordres auto-immuns [Gulino et al., 2003]. Des forts biais du XCI forcent le système immunitaire à exprimer majoritairement un seul allèle des gènes. L’hypothèse serait que certains allèles peuvent conduire à un système immunitaire moins tolérant vis-à-vis des antigènes du soi, ce qui autoriserait le développement d’une réponse auto-immune.

e. Monosomie ou perte du chromosome X

En plus du phénomène épigénétique du XCI, les cellules d’une femme peuvent présenter une perte d’un des deux chromosomes X. On parle alors de monosomie du chromosome X. Le chromosome X éliminé par la cellule n’est pas choisi au hasard car c’est toujours le chromosome X inactif qui est éliminé [Miozoo et al., 2007]. Par ailleurs, le pourcentage de cellules sanguines présentant une monosomie du chromosome X n’est pas stable car il tend à augmenter lentement avec l’âge. Ainsi, alors que des femmes pré-pubères possèdent dans leur sang 1,5 à 2,5% des cellules sanguines ayant un seul chromosome X, des femmes plus âgées peuvent présenter une monosomie du chromosome X dans 5% de leurs cellules sanguines [Guttenbach et al., 1995]. En 2004, pour la première fois, Invernizzi et al. démontrèrent une augmentation significative de la proportion de cellules sanguines présentant une monosomie du chromosome X chez les patients souffrant d’une maladie auto-immune, la cirrhose biliaire primitive, comparé à des témoins (5% vs 2,8%) [Invernizzi et al., 2004]. Cette monosomie du chromosome X n’était pas un artéfact reposant sur la présence de cellules mâles contaminantes (micro-chimérisme présent dans le sang de femmes ayant accouché d’un garçon) car aucun chromosome Y n’était détecté dans les cellules ne possédant qu’un seul chromosome X [Invernizzi et al., 2004]. Par ailleurs, les cellules composant le système immunitaire adaptatif semblaient plus affectées par cette monosomie du chromosome X que les cellules du système immunitaire inné [Invernizzi et al., 2004]. Des résultats similaires furent obtenus pour deux autres maladies auto-immunes connues pour présenter un biais dans le XCI : la thyroïdite auto-immune et la sclérodermie. En effet, les cellules monosomiques pour le chromosome X étaient plus nombreuses chez les femmes souffrant de l’une de ces maladies (6,2% pour la thyroïdite auto-immune et 4,3% pour la sclérodermie) comparé à une population témoin (2,9%) [Invernizzi et al., 2005]. Il fut retrouvé que les cellules du système

cellules du système immunitaire inné [Invernizzi et al., 2005]. Bien qu’une proportion plus importante de cellules présentant une monosomie du chromosome X soit retrouvée dans le sang de patients souffrant d’une de ces maladies, aucun mécanisme pouvant expliquer une plus forte susceptibilité ne fut proposé ou testé. Les auteurs suggérèrent l’effet éventuel d’une haplo-insuffisance des gènes portés par le chromosome X sur une susceptibilité accrue aux maladies auto-immunes. Cependant, ce phénomène de monosomie du chromosome X ne peut pas être généralisé à toutes les maladies auto-immunes puisque d’autres études démontrèrent que ce phénomène n’était pas plus marqué chez les patients souffrant de lupus érythémateux systémique [Invernizzi et al. 2007]. Jusqu’à aujourd’hui, l’implication du phénomène de délétion