• Aucun résultat trouvé

L’Histoire, les acteurs et la dimension du temps

Dans le document tel-00007513, version 1 - 25 Nov 2004 (Page 33-36)

Permanence sociale et changement technique

Chapitre 1 : Permanence sociale et changement technique

1.1.2 L’Histoire, les acteurs et la dimension du temps

Comme celle du type communauté indienne isolée en forêt amazonienne, par exemple

Deux volets semblent importants : les savoirs (et leurs pendants techniques les savoir-faire) et les aspects liés aux valeurs et à la formation de l’identité des individus. Les pratiques sociales peuvent guider un choix économique ou technique selon leur degré d’implication des individus en tant que communauté. Elles peuvent aussi refléter les nécessités technique : la riziculture irriguée entraîne la maîtrise du facteur travail par exemple. Les pratiques sociales s’expriment à travers des stratégies, individuelles et collectives, qui sont à l’origine de permanence (agroforesterie), d’inertie (au sens du non-changement) ou de ruptures (adoption du palmier à huile par exemple comme nouveau système de culture, en substitution ou en complémentarité). Il n’y a pas de “neutralité sociale”. Tout système technique s’inscrit dans un système social. La cohérence entre les deux systèmes indique la stabilité (générant éventuellement une inertie après un certain temps) et la résolution des problèmes de production. Les systèmes actuels ne sont plus jamais stables très longtemps sauf autarcie complète1. Technique et société sont donc partiellement intégrés et inter-dépendants au fil de l’histoire.

1.1.2 L’Histoire, les acteurs et la dimension du temps

Le temps n’a pas la même signification pour les différents acteurs (paysans, Etat...). Pour Bartoli (cité dans Dockès, op cité),“le temps est surgissement de relations

nouvelles, destructions de relations périmées et mutations de relations existantes”. Le

concept “d’épaisseur du temps” semble primordial dans l’analyse des évolutions, et particulier dans l’analyse micro-économique. L’acteur occupe par conséquent un rôle central dans l’analyse sur le changement technique et l’innovation. Deux acteurs clés de nature différente apparaissent : le petit producteur et l’Etat.

La signification du temps pour les acteurs économiques induit également des comportements différenciés selon qu’elles intègrent ou non une perspective historique. Ainsi par exemple, en terme d’économie du développement, pour Galbraith (1980), “les

agents économiques des pays pauvres ont des comportements au temps qui engendrent des cercles vicieux de la pauvreté”. Cette hypothèse est infirmée dans cette

étude ou le rapport culturel et économique à la forêt, l’intérêt économique des pratiques agroforestières, la prise en compte du temps sur le long terme dans l’établissement de plantations pérennes et des stratégies d’exploitation montrent que le comportement des petits planteurs débouche au contraire sur l’entrée dans un cercle vertueux. Néanmoins, ce cercle a trouvé ses limites aboutissant à la re-définition de certaines trajectoires technologiques.

La permanence des stratégies agroforestières s’explique non seulement par ses aspects positifs mais aussi par cette inertie. Le rapport au temps, sa logique, les

2

L’oubli de la dimension historique dans l’analyse économique du changement technique a conduit dans certains cas à des analyses insatisfaisantes et tronquées.

3

Nous maintiendrons l’usage du terme “jungle rubber” qui correspond le mieux à la traduction indonésienne de “Hutan Karet”. La traduction française “forêt à hévéa” n’exprime pas le véritable concept deriière ce système de culture qui est agroforestier et non pas forestier. Il n’y a bien sur aucune connotation péjorative a l’utilisation de ce terme “jungle rubber”.

comportements induits, bref globalement les “composantes de son épaisseur” vont donc être déterminants dans cette analyse.

Le recours à l’histoire et à sa temporalité se justifie aussi par “l’irréversibilité du temps

qui donne une certaine matérialité à l’histoire” (Dockès et Rosier, 1991). Elle se

compose de plusieurs facteurs : une série de points de non-retour, un potentiel mémorisé à travers une accumulation de savoirs, de connaissances et de techniques d’où une ramification infinie des trajectoires technologiques et une irréversibilité dynamique de ces dernières. Une trajectoire résulte d’un choix, d’un cheminement particulier, d’où l’importance de qualifier les trajectoires techniques et la nécessité de prendre en compte non seulement la décision individuelle mais le poids du collectif, de l’organisation sociale, et de ses règles, dans la définition de ces stratégies. Les stratégies paysannes intègrent le “vouloir” individuel et le “pouvoir” (au sens du possible) collectif2. L’outil utilisé pour déterminer les macro-éléments responsables du changement technique est une périodisation en trois temps. Elle intègre des tableaux de synthèse sur les faits marquants et déterminants, les points de non-retour et les périodes charnières qui caractérisent les contextes d’évolution de ces changements techniques.

Ph. Hugon définit le développement économique “comme un processus de

changements structurels accompagnant l’accroissement de la productivité du travail sur longue période” (Hugon Ph. 1989), nous intégrerons ce facteur : la productivité du

travail, au coeur de notre analyse sur l’innovation et le changement technique. Ce facteur est très largement utilisé par les planteurs dans l’affectation de leur ressources au champ des activités possibles. La permanence de certaines composantes techniques, le concept agroforestier notamment, est basée sur la diminution du risque et l’optimisation de la productivité du travail. La justification partielle de cette permanence et le développement continu des plantations s’expliquent par la relative constance du rapport du revenu issu de la production du caoutchouc. La comparaison des revenus en roupie nominale par journée de travail (ou la valorisation de la journée de travail) pour les différents systèmes de culture possibles explique aussi le fort développement initial des jungle rubber (agroforêts à hévéa)3 et la continuité de cette tendance dans le temps.

La forte productivité du travail de modèles extensifs comme le jungle rubber liée à la

4

Rubber Agroforestry Systems ou systèmes agroforestiers améliorés. Voir Chapitre 3.

sécurité de la production sont des facteurs extrêmement significatifs et déterminants dans l’évolution des trajectoires paysannes.

Les paradigmes, au sens des modèles techniques dominants, sont différents selon les acteurs en Indonésie. La monoculture, plus ou moins stricte, est celle des grandes plantations et des projets de développement. L’agroforesterie est celle des petits planteurs non encadrés qui constituent la majorité des paysans indonésiens. Les critères de choix des systèmes et leur évolution seront importants à considérer sur un pas de temps suffisamment long pour expliquer les phénomènes de dominance, d’interpénétration, puis de rencontre voire d’intégration des techniques. Le cas des systèmes agroforestiers améliorés (dont les RAS4 par exemple) seront plus particulièrement développés.

Il est donc primordial de bien délimiter l’objet étudié, “l’unité d’analyse” (Wallerstein, 1992), son contexte et définir les limites d’un système historique à travers une périodisation. Cette dernière est un élément méthodologique qui marquera le temps de périodes de ruptures, d’inertie (ou non-changement technique), ou de progressivité relative. Une perspective historique sur longue période permet également d’intégrer la complexité de la nature humaine et de ses choix.

L’objet de cette étude est l’histoire du changement technique, des processus d’innovation qui le sous-tendent et le rôle des savoirs en hévéaculture villageoise indonésienne. La principale unité d’analyse (unité socio-économique de base) sera l’exploitation agricole. Elle est le centre de décision individuelle des paysannats où s’opérent les choix qui vont marquer le changement technique et les processus d’innovation. La communauté (le village le plus souvent) sera le second niveau d’analyse. C’est un centre de décision collective et un lieu où s’exprime le poids social et collectif dans les décisions. Les paysannats ne sont pas homogènes derrière une certaine façade apparente. Une différenciation sociale plus ou moins marquée transparaît selon l’accès ou non à des projets de développement, donc à des systèmes de culture plus intensifs. Le troisième niveau sera celui de l’Etat, le niveau national. Evolution puis recomposition des savoirs, liés au changement technique, sont au coeur de la problématique de cette thèse dans la recherche des composantes de la permanence des logiques agroforestières dans la mise en valeur des ressources. Les changements économiques (crise de 1997-2000) et politiques importants (1998 : chute du président Suharto, 1999 : premières vraies élections ) ont provoqué un changement des mentalités et l’introduction de certaines libertés. Elles ont fondamentalement accéléré le cours du temps dans les années 1990 et modifié les stratégies des planteurs. Un cadre d’analyse basé sur la recherche de ces critères avec l’utilisation

5

Pour certains auteurs, dont Shumpeter peut être le premier qui se place entre Histoire et Economie.

d’une périodisation devrait permettre d’utiliser l’histoire comme une source de compréhension des facteurs d’évolution des situations économiques.

Dans le document tel-00007513, version 1 - 25 Nov 2004 (Page 33-36)