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l’Histoire » (1996 : 22) Il joue lui aussi sur cette association que reprennent à leur compte les femmes

de la sororité.

42 « C’est de réminiscences surtout que souffre l’hystérique » (2003 : 12) écrit Freud dans la « Communication préliminaire » des Études sur l’hystérie (Breuer et Freud, 2002). Le traitement cathartique qu’il applique aux patientes hystériques vise à les libérer des souvenirs qui les hantent. Ces souvenirs, Freud les lira plus tard comme des désirs transgressifs qui ont été transformés à travers la censure qu’exercent le processus psychique du refoulement. Censée mener l’hystérique de la réminiscence à une certaine amnésie, la méthode cathartique – dont la visée est l’abréaction, par sa mise en mots, de « l’affect coincé » (2003 : 26) qui est la cause des tics, maux et autres malaises toujours spectaculaires de la patiente –, apaise la féminité déchaînée de l’hystérique. C’est pour cette raison qu’Irigaray s’oppose à la « guérison » des hystériques par la psychanalyse qui fonctionne comme un processus de normalisation : elle les « adapte[…], un peu mieux, à la société masculine » (1977 : 135). Leur maladie dérange fortement cette société, peut-être parce que dans l’hystérie « une partie du corps devient le support d’une signification symbolique inconsciente » (McDougall, 1989 : 30). Cette signification inconsciente perturbe en effet les images projetées sur l’écran des représentations, dès lors brouillé par le spectacle convulsif qui se surimpose sur le corps de l’hystérique. Une fois guérie l’hystérique apparaît, dans la lecture qu’en font les penseures féministes, coupée de sa mémoire, de son désir, dépouillée de sa force contestataire. Or, cette mémoire, ce désir et ce pouvoir de contestations sont autant d’éléments que les auteures de la sororité s’attachent à retrouver par le biais de l’écriture du corps qui ne substitue pas un discours cohérent aux symptômes somatiques, mais cherche plutôt à mimer la crise hystérique à même le texte.

peuplent les écrits des femmes, l’hystérique, qu’Hélène Cixous qualifie tour à tour de sœur et d’admirable, revêt une importance particulière. Non seulement ses symptômes clament-ils son refus de « la séparation d’avec un état de plaisir fusionnel […] et le langage qui s’ensuit » (Kristeva, 1993 : 313), privilégiant tout comme l’écriture féminine la crise et le cri désarticulé à l’ordonnancement que commande le langage symbolique, mais le « corps poétique » (Cixous, 1975a : 48) de l’hystérique représente, pour la sororité, la voie royale vers l’inconscient, lui-même compris comme un réservoir où subsiste du féminin qu’il faut, par l’acte d’écriture, tirer de l’ombre. « L’inconscient, écrit à cet égard Cixous, l’autre contrée sans limites est le lieu où survivent les refoulées : les femmes, ou comme dirait Hofmann, les fées » (43).

« Sa chair dit vrai »43

L’écriture du corps se module donc sur la figure de l’hystérique et mise sur ce que Cixous nomme l’« efficacité » (Cixous, 1975a : 48) de l’hystérie qui, parce qu’elle était auparavant limitée à la sphère privée, serait demeurée à l’état de potentialité. Mais là où la parole de l’hystérique demeure enfermée dans son corps, retournée contre elle-même dans une mise en scène souffrante qui en vient à saboter sa force perturbatrice, l’écriture féminine se déploie quant à elle dans un acte guerrier qui s’en prend en premier lieu aux figures parentales, vers l’extérieur, vers la sphère publique où elle veut introduire du féminin, du corporel, de l’inconscient. Pour ce faire, elle en passe par une esthétique négative, marquée par la désobéissance aux lois tant syntaxiques que génériques. Lorsqu’elle affirme, dans « La femme ce n’est jamais ça » (1974a), qu’« une pratique de femme ne peut être que négative » (21), Kristeva souligne la nécessité d’une pratique intellectuelle et artistique capable de faire

43Cixous, 1975a : 44.

advenir une identité féminine qui résisterait, aussi paradoxale que cela puisse sembler, « à toute définition adéquate » (Irigaray, 1977 : 26). Une identité indéfinie, floue, multiple, ouverte et fluide, opposée, en ce sens, au « un de la forme, de l’individu, du sexe, du nom propre, du sens propre » (26), que les penseures associent à l’économie du même régissant l’« ordre phallocratique, qu’il ne s’agit pas de renverser […] mais de déranger, d’altérer, à partir d’un “dehors” soustrait, pour une part, à sa loi » (67). C’est ainsi vers la logique oppositionnelle, ou encore l’opposition à la logique qui sous-tend la pratique littéraire féminine durant la décennie 70, que pointent dans des termes similaires Kristeva et Irigaray.

Opposition, entre autres, à un déroulement narratif traditionnel, téléologique, qui se donne à lire, chez les auteures, par un refus de la linéarité qui n’est pas sans reproduire le chaos d’un temps archaïque dont se réclame la sororité. En fragmentant les textes, elles créent un flou temporel, quelque part entre un passé mythique et un futur utopique, qui est propre au temps cyclique féminin dont traite Kristeva dans « Le temps des femmes ». Basée sur une imagerie génitale qui pose le pénis turgescent en tant que symbole du temps téléologique masculin, cette stratégie scripturaire veut faire le texte à l’image de ce qui est considéré comme la représentation par excellence du féminin : circulaire, circonvolutif, ce temps évoque en effet, « comme tout ce qui rappelle le O, le zéro ou le cercle » (Wittig, 1969 : 16), ce que Monique Wittig désigne dans Les Guérillères en tant que symbole du féminin, c’est-à-dire « l’anneau vulvaire » (16). Aussi négative qu’elle se veuille au départ – tout occupée qu’elle est à « cultive[r] le désordre sous toutes ses formes. La confusion les troubles les discussions violentes les désarrois les bouleversements les dérangements les incohérences […] le chaos l’anarchie » (Wittig, 1969 : 133-134) –, cette logique oppositionnelle en vient néanmoins à inscrire du féminin en creux, là où se tenait auparavant du manque, du vide, de l’absence (de pénis). Si les auteures « part[ent] du trou » (Brossard,

1985 : 39), de ce « néant ou cette affreuse blessure dont les hommes ne peuvent souffrir la vue » (38), elles ne se tiennent toutefois plus médusées devant le « continent noir » (Clément et Cixous, 1975 : 124) que sont leur corps et leur sexualité.

Dans un retournement conceptuel qui transforme le vide et l’absence en béance et en ouverture, elles font, au contraire, de ce trou la porte d’entrée vers un territoire du féminin qu’elles explorent et arpentent dans leurs textes, jouant ainsi les cartographes d’un monde nouveau qu’elles s’attachent à nommer dans son entier, ses parties les plus belles comme les plus abjectes, afin de présenter un corps qui ne soit plus mis en pièces, dépecé tel qu’il se donne à voir dans la tradition littéraire (Didier, 1981 : 36). À travers son hymne à la menstruation, c’est bien ce à quoi s’emploie Annie Leclerc. Généralement perçues en tant que souffrance, voire comme une punition divine infligée aux femmes qui expient ainsi la faute originelle commise par Ève, les nombreuses sensations corporelles qui accompagnent les menstruations deviennent, sous la plume de Leclerc, autant de chemins à suivre afin de faire la lumière sur les zones « noires » du continent féminin :

Le mamelon est alors tendu, rouge vif, d’une sensibilité extrême. Le moindre contact le crispe, le durcit encore davantage. On peut dire, c’est ce qu’on se dit entre copines, j’ai mal aux seins. […] Mais ce n’est pas ça. On n’a pas mal aux seins on les sent. Ils sont vifs, éveillés, accessibles à de mordantes douleurs, mais pas douloureux. Car ils sont accessibles à la caresse aussi, bien plus que d’habitudes ; continuellement en instance de caresse. Étrangement accessible au plaisir (1974 : 60).

S’il est possible d’affirmer, à la suite d’Éric Fassin (dans Butler, 2005), que « le radicalisme des années 1970 allait placer la sexualité au coeur du projet féministe » (11) qui découvre alors « la signification politique de l’anatomie » (11), cette sexualité tient toutefois plus d’une sensualité par laquelle doit s’établir une nouvelle économie des plaisirs, affranchie des contraintes de l’économie reproductive qui restreint l’érogénéité du corps féminin à la

seule zone vaginale. « [D]ans la phase phallique de la petite fille, écrit Freud dans le portrait qu’il dresse de l’évolution « normale » de la sexualité féminine, c’est le clitoris qui est la zone érogène directrice » (1964 : 158). Mais, ajoute-t-il, « avec l’orientation vers la féminité, le clitoris doit céder sa sensibilité, et du même coup son importance au vagin » (158). Cet exil, qui exige le passage sans retour possible sinon sur le mode de la régression, d’une zone érogène à l’autre, celle-là dévouée presqu’exclusivement à la reproduction ainsi qu’au plaisir qu’elle est à même de fournir aux hommes, est refusé par la sororité qui présente une géographie différente, et beaucoup plus extensive, des plaisirs féminins.

Lorsqu’elle écrit que « la femme a des sexes un peu partout. Elle jouit d’un peu partout » (Irigaray, 1977 : 28), c’est à une jouissance diffuse, englobante qui mobilise le corps féminin dans son entier dès lors qu’elle n’est plus articulée qu’autour du signifiant phallique, que fait référence Luce Irigaray. Une sexualité, en somme, qui permet d’envisager un rapport sexuel entre sœurs, une jouissance exclusivement féminine qui tiendrait lieu de lien entre les femmes. N’obéissant à aucun principe hiérarchique qui privilégie certains organes et certaines zones corporelles au détriment des autres, cette nouvelle économie de la sexualité féminine est mise en scène par Monique Wittig dans Le Corps lesbien. Vivement critiqué pour sa violence manifeste, ce texte qui se compose de fragments poétiques et « laisse entrevoir une forme spécifiquement féminine et diffuse d’érotisme, comprise comme une contre-stratégie face à la construction reproductive de la génitalité » (Butler, 2005 : 99), procède néanmoins à une érogénéisation totale du corps féminin, jusqu’aux organes internes qui participent aussi de la jouissance des amantes :

M/on clitoris l’ensemble de m/es lèvres sont touchés par tes mains. À travers m/on vagin et m/on utérus tu t’introduis jusqu’à m/es intestins en crevant la membrane. Tu mets autour de ton cou m/on duodénum rose pâle assez veiné de bleu. Tu déroules m/on intestin grêle jaune. Ce faisant tu parles de l’odeur de m/es organes mouillés, tu

parles de leur consistance, tu parles de leur mouvement, tu parles de leur température (33).

Le vagin, s’il n’est plus réduit qu’à sa fonction procréatrice, n’est toutefois pas complètement exclu de l’économie sexuelle « antiphallique » (Rich, 1980 : 652) qui préfère le contact sensuel, tout en surface, à la pénétration, perçue comme une intrusion violente, voire comme l’invasion, par ses anciens colonisateurs, de ce territoire du féminin nouvellement (re)conquis.

La métaphore qui fait du corps féminin un territoire colonisé par les hommes abonde effectivement dans les écrits de l’époque : corps appropriés jusque dans leur force de travail et leur sexualité qui est quant à elle réduite, selon Colette Guillaumin (1978), à une forme d’« usage physique sexuel » (1978 : 13) dans laquelle les femmes jouent tout simplement le rôle d’objet de consommation ; corps dont l’intégrité est menacée par un « pénis violeur » (Irigaray, 1977 : 24) qui vient barrer l’accès à la jouissance féminine ; corps frigidifiés (Cixous, 1975a : 41) qui tiennent lieu de prisons pour les femmes qui y habitent sans pouvoir en user librement. Les auteures et penseures sont nombreuses à s’inspirer des mouvements de décolonisation en cours au même moment et à imaginer leur lutte en tant que processus de décolonisation d’un territoire appartenant à l’ordre du personnel et de l’intime, mais dont les enjeux s’avèrent néanmoins politiques. Qu’il ait partie liée à la jouissance, à des sensations oscillant entre plaisir et douleur durant les menstruations, la gestation et la mise au monde ou qu’il pointe, sur le mode d’une hémorragie hystérique, vers un malaise qui ne trouve pas les mots pour se dire (Cardinal, 1975), le corps féminin est le support d’un savoir qui se constitue autant qu’il se partage par l’écriture féminine.

Car ce « corps écrit, corps vécu » (1983) selon la formulation de Christiane Makward, s’avère moins le terrain de la rencontre sexuelle que celui de la connaissance44, terreau fertile à partir duquel les auteures et penseures déploient une épistémologie alternative, féminine, dans laquelle les expériences personnelles, mais aussi et surtout corporelles, font autorité :

Que je dise d’abord d’où je tiens ce que je dis. Je le tiens de moi, femme, et de mon ventre de femme. Car c’est bien dans mon ventre que cela débuta, par des petites signes légers, à peine audible, lorsque je fus enceinte.

………... il faudra que j’en parle, des jouissances de mon sexe […] les jouissances de mon ventre de femme, de mon vagin de femme, de mes seins de femme, des jouissances fastueuses dont vous n’avez aucune idée. Il faudra que j’en parle car c’est seulement de là que pourra naître une parole neuve et qui soit de la femme. Il faudra bien divulguer ce que vous avez mis au secret avec tant d’acharnement (Leclerc, 1974 : 11- 12).

Si elle participe, comme l’énonce Nicole Brossard (1985 : 14), d’un règlement de compte avec le savoir tel qu’il est traditionnellement pratiqué45, la création d’une épistémologie basée sur une approche du sensible plutôt que de l’observable agit aussi à titre de processus

44L’absence de la sexualité présentée autrement que dans le contexte d’un viol ou de la prostitution – elle-même souvent représentée comme l’une des déclinaisons du viol –, est frappante dans les récits des années 1970. Autant le sexe féminin, en particulier la vulve, est investi, mis en mots et symbolisé, autant l’acte sexuel, surtout s’il prend place dans une économie hétérosexuelle, est évacué des textes. Il s’agit, bien sûr, pour les auteures de marquer leur refus des règles de la représentation classique qui fait du corps féminin un objet de désir et de plaisir, mais aussi de connaissances, offert passivement aux regards scrutateurs des spectateurs ou des lecteurs qui cherchent à y lire les vérités qui se dérobent à leur conscience. « Man as knowing subject postulates woman’s body as the objet to be known, by way of an act of visual inspection which claims to reveal the truth – or else makes that object into the ultimate enigma » (1993 : 97), note Peter Brooks qui associe le désir de fouiller le corps féminin du regard à une forme de sadisme dont la visée est la soumission de l’objet observé. « Attempts at seeing and knowing are attempts at mastering » (106), ajoute-t-il en effet. Or, au tournant des années 1990, plusieurs femmes font place, dans leur travail artistique, à des représentations très explicites du corps et surtout de la sexualité, exhibant sur la place publique leur propre corps et leur propre sexe dans un geste qui peut paraître, d’un point de vue féministe, régressif. Toutefois, le retour à un corps féminin exhibé, cette fois-ci non pas uniquement par et pour les hommes mais par des femmes qui, délibérément, choisissent de s’autoreprésenter ainsi, peut faire l’objet d’une lecture différente. Le chapitre suivant traite plus longuement de cette question du retour, sous la plume des femmes, d’un morcellement et d’un dénudement du corps féminin.

45 La connaissance, rappelle à juste titre Elizabeth Grosz dont l’analyse emprunte aux théories foucaldiennes des rapports savoir/pouvoir, « est une activité, une pratique, et non une réflexion contemplative. Elle fait des choses » (1992 : 59), et même qu’elle fait les choses à l’image de ce qu’elle présente comme des « observations » (voir à ce sujet Thomas Laqueur, 1992). Dès lors, renouveler l’épistémologie vise non seulement à réaménager les champs de savoir mais aussi à transformer le monde.

communiel pour la sororité. Car c’est dans ce corps de connaissance nouvellement créé que communient littéralement les sœurs, dans la mesure où cet acte de communion s’exerce à travers le texte, par le partage de leurs expériences corporelles avec les lectrices, ainsi appelées à se joindre à la communauté et à faire corps avec elle.

Hypertélie labiale. Communi(qu)er

Deux générations de femmes se sont enfin touchées par la bouche et le sexe et trouvé leur cible. Chaque tourbillon avec une autre femme, car il fallait entrer dans le noir, l’eau, le bleu et noyer l’acidité du blanc. Crampe au ventre et cramponné un mâle qui ne pourra y entrer. N’entre plus qui veut dans le laboratoire s’il n’est sujet à transformation.

Nicole Brossard, L’Amèr

À la suite de Leigh Gilmore qui lit dans le recours aux récits personnels – qu’ils prennent la forme de l’autobiographie, de la confession, du témoignage, de « coming-out » littéraire ou de récits de « prise de conscience » – la volonté d’établir un lien intersubjectif entre auteures et lectrices, il m’apparaît possible de qualifier la sororité de « communauté de papier » (Gilmore, 1994 : 232) tant il est vrai que les membres de cette communauté communient surtout à travers le corpus des écritures féminines, par l’oralité de leur texte qui veut mimer celle du contact sexuel46. Ce corpus se présente dès lors pour la sororité comme la « seule version recevable du corps collectif » (Collin, 1992c : 115), ne serait-ce parce qu’il constitue l’un des rares lieu où (toutes) les femmes peuvent approcher, voire toucher comme le véhicule l’imaginaire de la sororité, le corps de leurs consœurs. La communauté, écrit

46L’expérience lesbienne se présente un peu tel le pendant de cette communion, opérée toutefois dans le réel et la réalité des corps. Il faut toutefois noter que pour plusieurs, le lesbianisme demeure de l’ordre du théorique. Ce qui n’a pas manqué de soulever nombre de critiques de la part de féministes lesbiennes dont les pratiques sexuelles divergeaient de l’« idée » que certaines penseures se faisait du lesbianisme. Car dans ce lesbianisme mis de l’avant par un courant de la pensée féministe, la pénétration, les pratiques sadomasochistes et l’usage du gode font l’objet d’une quasi prohibition au profit d’une sexualité qui tient surtout de la sensualité.

Maurice Blanchot à propos d’un type d’organisation communautaire qu’il invite cependant à dépasser47 en prenant exemple sur la communauté acéphale et négative imaginée par Georges Bataille, « semble s’offrir comme tendance à une communion, voire à une fusion » (1983 : 17) qui assure au groupe créé sa cohésion. Le repas symbolique, forme par excellence sous laquelle la communion est figurée, participe en effet de l’« identification [des membres] au corps vivant de la communauté » (Nancy, 2004 : 30). Or la sororité, tout en faisant appel à un processus communiel, ne clôt pas la fête meurtrière, tel que nous l’avons vu plus tôt, par un festin cannibale qui aurait, par ailleurs, pour effet de réintroduire du père à l’intérieur du corps féminin tout juste affranchi de celui que cette communauté de sœurs désigne, en empruntant au lexique martial, comme l’ancien occupant.

Sa communion, si elle met aussi en jeu l’organe buccal comme le font la communauté chrétienne et la communauté des frères sauvages qui usent toutes deux de leur bouche lorsqu’elles se sustentent du corps paternel sacrifié, ne fonctionne toutefois pas sur le mode de la dévoration. La bouche, ici, embrasse plus qu’elle ne mange, faisant ainsi des lèvres, tant celles de la bouche que du sexe féminin, le point de contact entre les femmes de la communauté. Lorsque lue à l’aune du processus communiel, l’insistance dans la littérature des femmes « sur le parlé, sur l’oralité, c’est-à-dire une forme plus corporelle, plus pulsionnelle de la communication » (Zupancic, 1999 : 41), généralement identifiée aux

47Blanchot, aux côtés de Jean-Luc Nancy (2004, 2001) et Giorgio Agamben (1990), s’inscrit dans une pensée de la fin de la communauté. Du moins ces philosophes en appellent-ils à repenser le concept de communauté. Car ce terme, que l’histoire récente, comme le souligne Blanchot, nous a fait connaître « sur un fond de désastre » (1983 : 10), semble voué à porter une connotation négative. Entre le délire de communion mortifère, qui trouve son ultime représentation dans la société fasciste, et les dérapages, tout aussi létaux, de l’idéal communiste, en passant par le génocide rwandais, il est vrai que le