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de création d’une parole de femme n’est toutefois pas exempte d’une certaine violence contre le genre

masculin dans son ensemble, on trouve les textes fictifs de Monique Wittig (1969 et 1973). Dans ceux-ci la violence des guérillères, amantes et amazones s’avère partie intégrante de l’identité féminine.

12 Elles prennent ainsi le contre-pied de la domestication dont la définition renvoie, par analogie, à l’assujettissement et l’asservissement. C’est du même coup la figure incapacitante de « l’Ange du foyer » (Woolf, 1983 : 26) qu’elles refusent, image par excellence d’une féminité domestiquée et domestique que Virginia Woolf invite les femmes à tuer afin de pouvoir créer au même titre que le font les hommes. « [P]hilanthrope, belle, énergique et généreuse, mère dévouée d’une famille nombreuse, l’image même de la bonne féminité » (1990 : 38), selon les termes de Nancy Huston, l’Ange du foyer est une femme anesthésiée, dont la violence et les pulsions ont été domptées, matées. 13 Il faut voir que l’expression de mère archaïque ne recouvre pas ici complètement ce que la psychanalyse entend à travers la même désignation. Dans les écrits psychanalytiques, mère archaïque et mère phallique tendent à se confondre jusqu’à devenir un principe total, tout-puissant, une sorte d’hydre à mille têtes qui ne peut, contrairement au père, être mangée afin que l’on s’approprie une partie de son pouvoir. Sa force anarchique, présentée sous le signe d’une menace d’avalement, peut tout au plus être jugulée, voire mise en crypte, dès lors qu’opère la loi du père. Là où le père sépare, ordonne et lie par-delà la coupure, la mère archaïque fusionne et annihile. Alors qu’elles ne s’opposent pas à une telle représentation et placent elles aussi cette mère du côté d’une corporéité fusionnelle et incestueuse, les auteures de la sororité l’expurgent toutefois de ses connotations négatives. La fusion se fait, dans les textes comme dans les écrits théoriques, communion, l’avalement devient un embrassement. Or, la menace dont est investie la représentation traditionnelle de la mère archaïque fait peut-être l’objet d’un processus de revalorisation, mais elle demeure en latence dans

Si la mise à mort symbolique du père apparaît comme une évidence pour un mouvement de femmes qui cherche à se libérer d’une culture patriarcale séculaire et à théoriser le « rapport de la femme à la mère et le rapport des femmes entre elles » (Irigaray, 1977 : 123), autant de rapports qui avaient été occultés par cette même culture, le sacrifice de la figure maternelle, simultanément à celui du père, se présente toutefois comme un paradoxe. C’est ce rapport meurtrier à la mère que questionne, sur un ton dubitatif, Françoise Collin :

Il est assez curieux d’ailleurs que les femmes, les féministes, ne soient capables de rendre hommage qu’aux mortes, à leur « mères » mortes, quand elles entreprennent de refaire l’histoire, et soient au contraire d’une extrême sévérité pour les vivantes et pour leurs mères vivantes. (1992b : 90)

La mère morte incarne en quelque sorte la « bonne mère » alors que la mère vivante est dans le meilleur des cas tout simplement ignorée et dans le pire des scénarios, elle représente un obstacle sur la voie de l’émancipation festive de ses filles, obstacle qui leur faut, comme le veut la formule consacrée, abattre. D’une façon comme de l’autre, le rapport des filles de la sororité à leurs mères s’inscrit du côté du mortifère.

La proclamation de « l’année zéro » de la libération des femmes par la revue Partisans en 1970 (dans Naudier, 2002 : 59) témoigne en effet d’une désaffiliation matrilinéaire. Les féministes de la première vague, qui ont mené entre autres luttes celle qui a ouvert aux femmes occidentales l’accès à la démocratie, leur sont peut-être connues, mais elles ne sont assurément pas reconnues, et encore moins reconnues en tant que mères initiatrices, par cette deuxième vague du féminisme occidentale. Leurs prédécesseures,

cette figure maternelle, prête à resurgir, avec tout ce qu’elle contient de terrorisant et d’aliénant, chez les auteures de la génération suivante. Cette question constitue à elle seule la problématique du chapitre intitulé « En huis clos maternel ».

qu’elles soient suffragettes ou écrivaines, comme Marguerite Yourcenar, Nathalie Sarraute, et même Simone de Beauvoir – en dépit de son statut de précurseur du féminisme des années 1970 qui lui a été postérieurement attribué –, sont condamnées pour n’être pas assez radicales. Il est vrai qu’aux yeux de cette génération de femmes, qui se sont battues pour accéder à une subjectivité dite « universelle » et ainsi être considérées comme des êtres humains à part entière malgré leur appartenance au genre féminin, ou « au sexe » (Beauvoir, 1949 : 15), cette expression auparavant utilisée en tant que synonyme de femmes et qui renvoie sans cesse ces dernières à leur anatomie, se réclamer d’une identité féminine apparaît absurde, voire régressif. En effet, la trajectoire du devenir-femme que décrit Beauvoir dans Le Deuxième Sexe concerne avant tout la constitution, à travers une dialectique du Même et de l’Autre, des femmes en tant qu’altérité radicale, sujet inessentiel, secondaire. À cet égard, si on ne naît pas femme, tel que le veut la plus fameuse des phrases de cette auteure, mais qu’on le devient par la force des choses, il reste préférable de ne pas le devenir dans la mesure où être femme équivaut, dans cette perspective diamétralement opposée à l’entreprise de revalorisation du féminin qui anime la sororité des années 1970, à être reléguée à une position inférieure, dévaluée, à appartenir à la catégorie du particulier plutôt qu’à celle de l’universel.

Le refus d’une filiation féministe, ou même d’une filiation qui serait plus simplement matrilinéaire, trouve un écho violent dans les textes littéraires où abondent les représentations de matricides. « La notion qu’il faut tuer la mère devient, tel que le souligne Lori Saint- Martin, un véritable lieu commun de la réflexion féministe dès la fin des années 1970 » (1990 : 80). Mais ce n’est pas n’importe laquelle des mères qui fait l’objet de la mise à mort : c’est la femme du père que les sœurs tuent sans cependant faire rejouer le scénario oedipien. Car la haine des filles pour leurs mères n’a rien d’une rivalité oedipienne afin de gagner

l’amour du père. Une rivalité qui, à l’instar de ce qui est mis en œuvre chez les frères de la horde sauvage, se traduirait fantasmatiquement par le meurtre de la mère, suivi de son ingestion afin de s’approprier ses qualités qui lui valent les faveurs du père. Le matricide, ici, ne s’accompagne d’aucun repas rituel et plutôt qu’une appropriation du pouvoir (de séduction) de la mère, il vise la destruction complète de ce système de pouvoir aliénant qu’est la famille. Lieu commun, la pulsion matricidaire l’est donc d’abord par la récurrence des références à la mise à mort des mères comme moyen de libération des filles. Les propos de Pol Pelletier en introduction de la pièce de théâtre collective À ma Mère, à ma mère, à ma mère, à ma voisine (Gagnon et al., 1979) illustrent avec brutalité la nécessité de tuer la mère afin de rompre avec un héritage maternel aliénant : « Je voulais absolument tuer physiquement la mère sur scène. La vraie bataille. Le corps à corps entre fille et mère. Le sang. Tuer physiquement mon héritage de honte et d’impuissance » (4).

Or, s’il faut tuer la mère, dans un geste matricide qui, souvent, emprunte des voies plus subtiles que cette tempétueuse lutte à mort proposée par Pol Pelletier, notamment en passant par l’abolition du « rôle » de mère14 sans pour autant s’attaquer à la femme derrière la

14Luce Irigaray prône ainsi l’abolition du rôle de mère, abolition qui n’est toutefois pas un rejet de la maternité : « Qu’il n’y ait plus de famille n’empêchera pas que des femmes mettront au monde des femmes » (1977 : 140). Hélène Cixous va aussi dans ce sens lorsqu’elle exhorte les femmes à refuser les rôles familiaux sans pour autant se priver de cette « passionnante époque du corps » (1975a : 52) qu’est la grossesse. Elles marquent ainsi une différence entre cette invention historique qu’est la maternité (voir Saint-Martin, 1999 et Badinter, 1980), aussi nommée institution de la maternité, une institution qu’Annie Leclerc décrit d’ailleurs avec horreur dans Parole de femmes (1974 : 76-78), et la maternité en tant qu’expérience féminine transhistorique, à la fois personnelle et corporelle. Il y a là une rupture franche avec les positions de leurs prédécesseures, les féministes égalitaires que sont Simone de Beauvoir et Shulamith Firestone. Pour ces dernières, les particularités du corps féminin, avec ses règles, ses maternités, sa lactation, expliquent le fait que les femmes n’ont pas eu accès aux mêmes droits et privilèges sociaux que les hommes. Dans cette optique, seule l’évolution de la science, de la contraception et des méthodes de procréation artificielle peuvent éliminer les effets négatifs de la spécificité biologique des femmes, à savoir leur capacité à enfanter, et permettre à celles- ci d’accéder à un statut social égal à celui de l’homme. Elles font montre de ce qu’Elizabeth Grosz nomme la somatophobie (1994 : 5), mais aussi, de façon plus générale, d’une peur certaine pour tout ce qui relève, traditionnellement, du féminin.

mère, c’est, paradoxalement, afin de mieux ressusciter cette femme étouffée sous son rôle de reproductrice auquel elle a été réduite15. Pour les sœurs de la horde sauvage, le meurtre de la « mère patriarcale » (Brossard, 1988 :21), de la « mpère » (Collin, 1992b : 81), réalisé simultanément au meurtre du père dont elle est inéluctablement dépendante, se présente comme une entreprise archéologique visant à désenfouir, sous les multiples strates de la culture patriarcale, une mère archaïque qui avait été laissée pour morte. Lieu commun, le matricide l’est dès lors dans un sens plus littéral, non plus tant en vertu de sa récurrence que parce qu’à travers le meurtre de la mère traditionnelle, cette « écriture de la mémoire, voire de l’archéologie » (Théoret, 1987 : 150) qu’est l’écriture au féminin cherche, dans un geste à la fois nostalgique d’un passé mythique et prophétique d’un futur utopique qu’elle s’emploie à faire advenir, à retourner vers un lieu oublié. Un paradis perdu qui pourra devenir le terrain commun de la communauté des femmes, les fondations sur lesquelles ériger la sororité, c’est- à-dire un corps maternel vivant.

Dans sa représentation scénique, c’est de cette façon que se donne le personnage de la reine mère de À ma Mère… (Gagnon et al., 1979). Elle domine de sa présence mortifère les personnages de la fille et de la folle16. Son corps entièrement enveloppé de bandelettes

15 Cette mère reproductrice ne reproduit pas seulement des êtres humains, mais participe aussi à la reproduction du système patriarcal, relayant la loi du père à ses filles qui apprennent ainsi à s’y soumettre tout comme leur mère l’a fait avant elles. C’est ainsi qu’elle est décrite dans À ma Mère… (Gagnon et al, 1979), mais aussi par Marie Cardinal qui dépeint le rôle traditionnel de la mère comme un mécanisme tautologie de reproduction de la reproduction : « je n’avais aucun rôle à jouer dans cette société où j’étais née et où j’étais devenue folle. Aucun rôle sinon donner des garçons pour faire marcher les guerres et les gouvernements et des filles pour faire, à leur tour, des garçons aux garçons » (1975 : 252).

16 Le Surmoi tout en haut, le Moi au milieu et le Ça sur le devant de la scène, les trois femmes incarnent les instances psychiques de la topique freudienne. La folle est d’ailleurs la seule des trois femmes à pouvoir se mouvoir librement dans l’espace. D’abord empêchée par ses chaussures, signes de sa domestication, elle les retire pour s’éloigner de la fille et de la mère. Elle est aussi, dans la désignation des trois femmes, celle à qui n’échoit aucune posture filiale précise, tout entière qu’elle est dans sa folie qui semble la soustraire à l’organisation familiale.

ainsi que ses pieds chaussés de talons hauts marquent son incapacité à se déplacer dans l’espace, la clouant dès lors en place telle une morte-vivante toute juste bonne à répéter inlassablement à sa fille une litanie de contraintes dans laquelle sont déclinées les lois de la « bonne » féminité. Si elle apparaît momifiée, statufiée par sa domestication, la façon dont est représentée la reine mère laisse néanmoins croire que sous les bandes qui tout à la fois la contraignent et l’étouffent, vit encore une femme dotée d’un corps qui aurait été encrypté plutôt qu’enterré – et ainsi altéré – par la culture patriarcale. Car c’est bien le corps de la mère archaïque, « fantasmée comme immense et menaçante » (Smart, 1988: 23) par la culture patriarcale, qu’il s’agit de libérer en tuant la femme du père. Il est vrai qu’en désenfouissant ce corps maternel qui a été conservé intact, « mis en conserve » (Abraham et Torok, 1987 : 266) dans un caveau secret et en le tirant hors de sa crypte située au lieu même où se fonde et s’érige l’édifice patriarcal, c’est aussi cet édifice dans son entier que les sœur de la horde sauvage menacent de faire s’écrouler.

Jean-Luc Nancy a explicité dans La Communauté désœuvrée ce rapport fondateur qu’entretiennent les communautés avec « le fantasme de la communauté perdue » (2004 : 35) dans lequel « toujours, il est question d’un âge perdu où la communauté se tissait de liens étroits, harmonieux, infrangibles » (30), d’un état antérieur, paradisiaque, que la nouvelle communauté se doit de retrouver, ou à défaut d’y parvenir, de recréer. Le récit mythique qui fonde et unit la communauté17, en l’occurrence la sororité, est empreint de nostalgie pour cette ère ante qui réfère à un « passé préjuridique » (Butler, 2005 : 115) concernant à la fois

17Bien qu’on ne soit pas, ici, face à un unique récit mais bien à une multitude de micro-narrations, et qu’il soit rarement question d’un « nous femmes » exprimé aussi explicitement – le « nous » est d’ailleurs délaissé au profit d’une multitude de voix individuelles qui cherchent à se rejoindre –, un certain récit mythique unifié ressort toutefois de ces textes qui participent, d’une façon ou d’une autre, « à la symbolique d’un “grand récit” – le récit qui va du matriarcat et des amazones à l’épopée de la sororité » (Collin, 1992b : 93).

l’histoire collective des femmes, figurée ici par le matriarcat, et l’histoire individuelle de chaque femme avant que celle-ci ne soit, par décret de la loi du père, « expulsée de la liaison à sa mère » (Freud, 1984 : 173). D’un côté comme de l’autre, qu’ils fassent référence à la mythique ère prépatriarcale du développement des sociétés humaines18 ou encore à la période prélinguistique de l’évolution du sujet, c’est vers un espace essentiellement maternel, préservé de la loi du père puisque extérieur à celle-ci, que pointent les écrits qui font office de récits mythiques pour la sororité.

De prime abord, l’ère matriarcale et la période prélinguistique renvoient à des temporalités, et de surcroît à des temporalités féminines supposées préculturelles19. Car c’est bien d’une féminité assimilée à la maternité dont il est, de part et d’autre, question. Or, ces temporalités, justement en raison de leur appartenance au domaine du féminin, ne désignent pas tant un déroulement temporel que des espaces :

18 Françoise Héritier remarque, à ce propos, que « le terme de matriarcat, impliquant l’idée du pouvoir féminin a été et continue fréquemment d’être utilisé pour référer en fait à des situations réelles de matrilinéarité, où les droits imminents sont ceux des hommes nés dans des groupes de filiation définis pas les femmes, ou pour référer à des situations mythiques comme celle des Amazones » (1996 : 211, je souligne). Le matriarcat en tant qu’ère où les femmes ne font pas que transmettre leur nom et leur héritage à leurs filles mais détiennent aussi le pouvoir dans la société demeure donc de l’ordre du mythe. Il est remarquable d’ailleurs que Bachofen (1996 et 1980), grand spécialiste du matriarcat s’il en est un, ait basé toute sa prolixe argumentation sur des récits mythiques sans jamais avoir pu apporter quelques preuves concrètes de l’existence d’une « ère gynécocratique » (1996 : 22).

19Judith Butler, dans une critique adressée en particulier à la théorie du sémiotique de Julia Kristeva, a été l’une des premières à remettre en question le caractère prétendument préculturel du corps maternel et les notions corrélatives que sont le sémiotique, le matriarcat ainsi que la période qui va de la naissance de l’enfant à son entrée dans le monde symbolique du langage. Pour Butler, il n’existe rien de tel que le prélinguistique. Celui-ci s’insère déjà dans le langage, dans un système culturel qui lui accorde, précisément, cette valeur « préculturelle ». Au courant des années 1970 et 1980 toutefois, le matriarcat et le présymbolique sont généralement imaginés comme des espaces protégés, intouchés par la culture patriarcale qui se serait simplement superposée à eux tout en les laissant intacts. Qu’une telle pensée d’une ère féminine enfouie, à retrouver par le biais d’une approche archéologique, ait eu des conséquences politiques négatives pour le féminisme, qu’elle ait mené à des exclusions malheureuses ne fait pas de doute (à ce sujet, voir notamment Judith Butler 2005, 2004 et 1993, Donna Haraway, 1991 et bell hooks, 1981). Mais ces critiques, aussi justes qu’elles soient, importent peu dans le cadre de mon analyse qui cherche à cerner les imaginaires de la communauté déployés par une telle conception du maternel et du féminin à une époque précise.

« Father’s time, mother’s species », disait Joyce. C’est en effet à l’espace générateur de notre espèce humaine que l’on pense en évoquant le nom et le destin des femmes, davantage qu’au temps, au devenir ou à l’histoire. […] On pourrait multiplier les exemples. Ils convergeront tous vers cette problématique de l’espace que maintes religions à résurgences matriarcales attribuent à « la femme ». Platon […] l’avait désigné par l’aporie de la chora : espace matriciel, nourricier, innommable, antérieur à l’Un, à Dieu et, par conséquent, défiant la métaphysique (Kristeva, 1993 : 301-302) Ainsi, le retour vers la mère archaïque pointe non pas vers un sujet maternel mais bien vers un espace maternel et matriciel, une chora en quelque sorte, lieu de l’archaïque (Mijolla- Mellor, 2005), tant il est vrai que dans cet espace, qualifié de matriarcal ou encore de présymbolique, règne une telle indistinction que la notion même du sujet devient caduque.

En ce sens, le geste archéologique des sœurs de la horde sauvage, qui cherchent par là à retrouver la mère archaïque encryptée dans les fondations de l’édifice patriarcal, ne réinstaure pas une filiation maternelle au sens strict. Appartenant à une temporalité cyclique et englobante qui, de l’avis de Kristeva, « a si peu à voir avec le temps linéaire que le nom même de temporalité ne lui convient pas » (1993 : 303), cette mère archaïque apparaît comme une antinomie au principe généalogique qui s’avère, par définition, téléologique. Celui-ci, en effet, classifie, assigne, régit l’ordre de succession en suivant la logique du « à chacun sa place » (Legendre, 2004 : 39) qui a pour finalité la « réfutation du magma familial » (39). Inversement, ce magma familial définit le temps féminin dans lequel les notions de place et d’ordre n’ont pas cours, si bien que mère et fille ne sont plus l’une au- dessus de l’autre comme les présente l’ordre généalogique, mais côte à côte et même corps à corps. Car c’est bien de la mise en contact des corps, à travers un principe d’indifférenciation des places, dont il est question dans ce temps féminin qui caractérise tout autant les périodes matriarcale que prélinguistique. Le recours à l’image du cercle, « sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part » (Wittig, 1969 : 97), que déploie Monique Wittig d’un bout à l’autre des Guérillères illustre bien le fonctionnement de la sororité qui ne

se veut ni hiérarchique ni triangulaire, où chacune peut aisément être interchangée, prenant la