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ce que Bordo englobe dans l’imaginaire individuel du corps Or, au final, un air de famille se dessine

par standardisation de l’apparence physique et du style vestimentaire, créant ainsi et malgré tout un effet de communauté. Communauté que les participants et participantes de ces émissions prennent apparemment le parti d’ignorer. À moins qu’elles fassent le choix délibéré de ressembler à une star du cinéma ou de la chanson, mais il s’agit là moins d’une volonté de faire communauté que d’une forme d’identification extrême par laquelle elles veulent tendre vers un destin meilleur.

Marguerite Duras et d’Enfance de Nathalie Sarraute15, une prise de distance face à une pensée de la rupture pour ces deux écrivaines jusque-là associées à l’avant-garde du Nouveau Roman, les auteures privilégient une entreprise de reconstitution du passé familial au déni généalogique qui caractérisait leurs productions théoriques et littéraires durant les années 1970 et le début des années 1980. Inscrit dans l’assimilation récurrente de l’acte scripturaire à un meurtre symbolique des figures parentales, ce déni généalogique s’efface sans que toutefois disparaisse la métaphore identifiant l’écriture à un couteau. Or, cette arme, les auteures la retournent désormais contre elles-mêmes dans un geste qui va au-delà de l’évidence d’une forme d’autodestruction, ou encore d’un masochisme essentiellement féminin qu’il serait facile, en suivant la théorie freudienne du devenir-femme (1964), de lire dans ces représentations qui « atteign[ent] des nudités extrêmes » (Nobécourt, 1994 : 89). En poussant parfois le dénudement jusqu’à un écorchement dont le résultat consiste, selon les mots employés par Irène, narratrice de La Démangeaison de Lorette Nobécourt, en une mise « à nu [de] l’obscénité d[es] chairs intérieures » (93), c’est surtout d’une entreprise de monstration des sentiments de vide et d’insatisfaction dont elles se disent habitées que l’écriture relève. Symptomatiques d’une dysphorie, quasi exact opposé de l’euphorie qui animait l’écriture féminine, ces sentiments se traduisent, dans les écrits, par une mélancolie exprimée sous la forme de plaintes souvent sans objet précis, sentiment de malaise et de mal

15 Sans prétendre à une quasi-exclusivité féminine dans la pratique du récit de filiation, par ailleurs surtout associée à des écrivains tels Pierre Michon et Pierre Bergounioux, aux côtés desquels se retrouve parfois le nom d’Annie Ernaux, il apparaît significatif que la transition repérée par Viart s’ancre dans les œuvres de deux femmes dont l’une a été, durant un temps, parmi les figures de proue de l’écriture au féminin. Au « geste radical de la table rase revendiqué par les avant-gardes » (Viart, 1999 : 130), se substitue une posture contemporaine qui n’est ni obédience au passé, à la tradition et aux figures d’autorité, ni, à l’opposé, rupture et rejet, mais s’avère plutôt de l’ordre d’un « approfondissement de ses propres interrogations » (130), sans que ce geste exploratoire du passé ne cherche toutefois une quelconque résolution aux questions qu’il soulève. La série de retours – retour du sujet, de l’histoire, d’une certain lisibilité corollaire de l’abandon de l’expérimentation textuelle – semble en effet s’engager d’abord du côté des écrits des femmes qui n’avaient pour la plupart, faut-il préciser, jamais complètement adhéré aux théories voulant que le texte soit un système clos, dépris de la « toile d’araignée » (1992 : 64), métaphore dont use Woolf afin de désigner les nécessaires liens entre tout texte et le contexte social d’où celui-ci émerge.

être généralisé.

De la litanie portée par la voix anonyme de la narratrice de Putain (Arcan), dont seuls sont connus les prénoms de prostituée qu’elle endosse au même rythme que se succèdent dans son lit ses clients, sourd ainsi un lancinant constat de vide. L’expérience de la prostitution, sur laquelle Nelly Arcan a d’ailleurs laissé planer le doute alors que les médias tentaient en vain de dégager la part de vérité non seulement de ce premier récit de l’auteure, mais aussi de ses déclarations souvent contradictoires, s’avère, de fait, prétexte à des considérations sur une vacuité que cherche à pallier le travail d’accumulation qui trouve son point culminant dans le métier de prostituée de la narratrice :

je préfère le plus grand nombre, l’accumulation des clients, des professeurs, des médecins et des psychanalystes, chacun sa spécialité, chacun s’affairant sur l’une ou l’autre de mes parties, participant au sain développement de l’ensemble, un seul homme dans ma vie serait dangereux [...], et puis d’ailleurs, que pourrais-je lui offir, rien du tout, le prolongement de ma mère, un cadavre qui sort de son lit pour pisser, [...] il me quitterait dans sa façon de remettre à plus tard son départ, et un jour ce serait le bon, celui sans retour à la perspective qu’il me quitte, et ce jour-là le vide qui m’habite grandirait démesurément, un dernier coup porter au néant qui éclaterait enfin (2001: 38-39).

La surenchère de « queues qui fouillent [s]a gorge » (22) et s’insèrent dans chacun de ses orifices, comme si ces sexes masculins pouvaient venir combler de leur présence nombreuse le vide dont la narratrice se dit constituée, ne parvient jamais à un véritable cumul. L’opérativité de toute tentative de thésaurisation est d’emblée vouée à l’échec par l’image du corps16 que dessinent les propos de cette dernière. Dotée d’une enveloppe corporelle percée, trouée, ouverte à tous vents, la jeune femme mise en scène dans le récit d’Arcan est en

16 Si, comme le note Schilder « l’élaboration de l’image du corps est basée non seulement sur l’histoire individuelle, mais aussi sur les relations de l’individu aux autres. Notre histoire intime est aussi l’histoire de nos relations avec autrui » (1968 : 157), dans le récit de Nelly Arcan, la relation à la mère et à la sœur morte participe de l’image du corps ouvert, en mal de frontière, de la narratrice. Cette question sera explorée dans le chapitre « En huis clos maternel » consacré à la figure de la mère dans la littérature contemporaine des femmes.

souffrance de frontière, en dépit de ses tentatives répétées d’établir les limites de son corps, notamment en recourant à la chirurgie esthétique et à des palliatifs que sont les secondes peaux de lingerie et de cosmétiques dont elle se pare.

À la lumière du récit de Nelly Arcan, emblématique d’une génération d’auteures là où, dans une hybridité générique convoquant à la fois autofiction et récit de filiation, sa scansion fait entendre dans une longue plainte la souffrance de sa narratrice, il semble que la littérature contemporaine des femmes soit travaillée par une esthétique de la blessure. Cette esthétique se caractérise, dans la définition qu’en donne Baqué, par des interventions corporelles que sont, entre autres, le marquage au fer (branding), le tatouage, la scarification, voire la mutilation ainsi que, à l’autre bout du spectre des techniques d’artialisation du corps humain17, le recours à la chirurgie esthétique et à des éléments prothétiques venant prolonger le corps dit « naturel » et conséquemment (à la façon dont agit la figure du cyborg imaginée par Donna Haraway), remettre en question la catégorie même d’humain. Suivant l’usage qu’en fait Dominique Baqué, l’expression d’« esthétique de la blessure » (2002: 128) renvoie

17 Bien que similaires là où ils ont pour matériau premier le corps même de l’artiste, deux courants différents se côtoient toutefois chez les artistes contemporains qui pratiquent la transformation corporelle. À une extrémité, Dominique Baqué situe les Modern Primitives, artistes qui, à l’instar de Fakir Musafar, se réclament d’un retour « à un primitivisme de la chair » (2002 : 123). Le remodelage du corps, qui emprunte autant à des techniques ancestrales amérindiennes qu’indiennes, se place sous l’égide d’une quête du nirvana que l’artiste ne peut atteindre qu’en transcendant la douleur physique qu’il s’impose. Aux côtés de Musafar, quoique dans un registre quelque peu différent, Baqué range des artistes tel Bob Flanagan dont les performances ne constituent peut-être pas une quête spirituelle passant par la douleur physique, mais érotisent tout autant la mutilation. À l’opposé, la souffrance est évacuée du travail d’Orlan et de Sterlac, figures emblématiques du mouvement « post-humain » qui allie, afin d’agir sur les corps, les technologies biomécaniques et médicales. « Pôle de résistance contre l’anatomie destinale et les dispositifs normatifs du pouvoir » (143), ce courant qui participe aussi d’une esthétique de la blessure en confrontant, tel que le fait notamment Orlan lors de ses performances, les spectateurs/voyeurs à l’exhibition de la chair et du sang de l’artiste, tend vers la création de mutants qui tentent d’échapper à la pensée binaire. Ni homme ni femme, ni humain ni machine, ces êtres de la frontière font jouer une altérité qui, semblable en ce sens à ce qui s’énonce dans les théories féministes de la troisième vague, n’est pas vécue sur le mode de la souffrance, alors que le travail de Flanagan pousse à l’extrême une douleur – et une altérité – arbitrairement imposée par la maladie afin de se l’approprier et, dans une certaine mesure, de la contrôler.

donc essentiellement à des pratiques artistiques contemporaines extrêmes dans lesquelles sont mis en jeu des corps réels. En revanche, présences paradoxales qualifiées parfois d’« ectoplasme[s] » (Berthelot, 1997: 7), dont la matérialité dans un contexte écrit se limite à un signe linguistique qui, nous rappelle Peter Brooks (1993: 7-8), implique toujours l’absence de l’objet qu’il représente, les corps des personnages littéraires – se veulent-ils, tel qu’ils se donnent dans un contexte autobiographique, l’avatar de leurs auteures – doivent quant à eux leur existence à un assemblage de signifiants.

L’importation de la scène artistique à la scène littéraire du concept d’esthétique de la blessure infléchit nécessairement les enjeux qui lui sont associés, ne serait-ce qu’en raison du processus de médiation symbolique à l’œuvre dans la mise en récit qui évacue d’emblée la question, formulée par Baqué (2002 : 138), quant à la légitimité d’attribuer le titre d’œuvre à des performances qui donnent à voir du symptôme sans toutefois procéder à un travail d’élaboration symbolique de celui-ci. Quoi qu’il en soit des différences inhérentes aux pratiques artistiques et littéraires, les représentations du corps féminin dont sont traversés les récits de femmes s’avèrent, tout autant que les corps réels qui composent le matériau premier des performances des Modern Primitives et des artistes adhérant à une pensée du post- humain, animées d’un mouvement d’ouverture de leurs frontières qui les disloque et, parfois, les démembre.

Marquée par une économie dans laquelle prévaut le regard, dans la mesure où les corps féminins ne sont plus seulement suggérés par un travail sur la musicalité du texte, tel que le pratiquait l’avant-garde de l’écriture féminine mais, en faisant usage d’un « lexique de l’anatomie qui ne porte ni la marque d’une valorisation par le désir de l’autre, ni celle d’un rejet moralisateur » (Guichard, 2002: 108), sont plutôt montrés dans des représentations qui

n’épargnent aucun des détails les plus crus comme les plus abjects, l’écriture procède à un démembrement des corps des narratrices que synthétise en ces mots Catherine Millet : « Le récit met les corps en pièces, satisfaisant la nécessité de les réifier, de les instrumentaliser » (2001 : 188). Le passage de la mise en récit d’un corps vécu, ressenti de l’intérieur, à l’affût des moindres sensations que les femmes sont appelées, comme le fait Annie Leclerc dans Parole de femme, à se réapproprier en les nommant, à une exhibition sans pudeur ni honte des chairs18, entreprise de re-sexualisation du corps féminin qui trouve son apogée avec le récit La Vie sexuelle de Catherine M. (Millet), instaure effectivement un retour vers une « économie scopique » (Irigaray, 1977 : 25). Le « féminisme spéculaire » (2006 : 164), tel que Marie-Hélène Bourcier nomme le courant du féminisme qui vise la réappropriation du corps féminin par les femmes, a procédé non seulement à une renaturalisation de ce corps, mais aussi à sa désexuation au profit de contacts homosensuels « avec la valorisation de certains organes (le clit versus le vagin par exemple), l’impasse fait sur le trou du cul, la valorisation des pratiques alloérotiques (masturbation) qui s’est accompagné d’un biffage de “la” pénétration et du tabou du gode » (164). Les auteures contemporaines explorent précisément ces zones et pratiques délaissées. En un sens, ce sont les régions abjectes et déniées du corps incestueux de la sororité, parties non cartographiées du territoire de la communauté féminine, qu’elles se réapproprient lorsqu’elles mobilisent les codes de la pornographie et usent de gros plans dans des scènes de pénétration qui, une fois traduites en

18Jean-Paul Guichard parle quant à lui du passage d’un corps montré à un corps ressenti (2002 : 111), analyse qui va à l’encontre de l’hypothèse que je soulève ici. Or, il en arrive à une telle conclusion en posant côte à côte les représentations du corps et de la sexualité chez quelques auteures contemporaines et ce qui est mis en scène dans La Mécanique des femmes de Louis Calferte, récit dont il fait l’emblème d’une écriture au masculin. Guichard ne s’attache donc pas, tel que je me propose de le faire, à cerner un point tournant à l’intérieur même du corpus de la littérature des femmes publié depuis le début de la deuxième vague du féminisme occidental mais cherche plutôt, dans une perspective comparatiste, à relever les différences entre les représentations nées des « regards d’hommes sur le corps féminin » (103) et celles issues du regard que les femmes portent sur leur propre corps.

images, sont dignes du cinéma X19.

Pour Irigaray dont le projet intellectuel s’articule précisément dans Ce Sexe qui n’en est pas un autour de la création d’une économie alternative, fondée sur un rapport tactile, l’insertion de toute femme dans une économie du regard signifie « une assignation pour elle à la passivité : elle sera le bel objet à regarder » (1977 : 25), objet de désir privé du plaisir qu’elle provoque pourtant chez les autres. La métaphore faisant chez les auteures de la sororité du corps des femmes un territoire colonisé par la culture patriarcale tend, de surcroît, à associer la chosification du corps féminin, par un regard (masculin) qui le morcelle afin de mieux en jouir, à une forme de viol symbolique contre lequel il leur faut se prémunir en défendant les frontières de ce lieu du féminin nouvellement reconquis. Mais qu’en est-il lorsque la pulsion scopique cesse de s’inscrire dans une répartition binaire « entre l’actif/masculin et le passif/féminin » (Mulvey dans Gould, 1988 : 36), couple auquel j’ajouterais l’opposition séculière entre sujet masculin de la représentation et objet féminin représenté, et que les écrivaines pratiquent elles-mêmes une forme de réification du corps féminin, voire d’« autoréification » (Boisclair, 2007 : 120), prérogative autrefois masculine dont l’entrée massive des femmes sur la scène littéraire devait provoquer la disparition ?

Christine Détrez et Anne Simon remarquent, dans l’introduction de À leur corps défendant, que

la confiance dans cette prise de parole [par les femmes] était telle, en effet, qu’il était par exemple évident pour les auteurs du Nouveau désordre amoureux ou pour Nancy Huston dans la première version de Mosaïque de la pornographie, que les stéréotypes relevaient du regard masculin sur les femmes (2006 : 20).

Avec l’émergence de regards de femmes portés sur le corps féminin, ces derniers devaient en

19La version cinématographique du récit Baise-moi (Despentes, 2000) s’est d’ailleurs vue décerner la côte X en raison de la scène de viol en ouverture du film, jouée par des acteurs pornos.

principe s’effacer et laisser place à des représentations exemptes des signes de la domination masculine. Or, c’est un mouvement radicalement différent de celui imaginé par des femmes mais aussi des hommes au courant des années 1970 qui s’est opéré alors que les auteures contemporaines, loin de combattre les stéréotypes, s’emploient à reprendre ceux-ci. Tentées d’y voir un retour à l’ancien schéma bipartite qui accorde l’esprit et l’intellect aux sujets masculins et réduit le féminin à une corporalité privée de subjectivité, plusieurs voix parmi la critique féministe de la littérature contemporaine interprètent cette exhibition du corps féminin par les femmes elles-mêmes en tant que perverse réitération « des anciens stéréotypes » (Détrez et Simon, 2006 : 23).

Perverse, la reprise des lieux communs par les auteures le serait là où elle prétend dépasser une oppression dont, pourtant, elle « affiche tous les signes » (Boisclair, 2007 : 122) et dénote ainsi « un cantonnement de la femme, de son propre chef, à son territoire “naturel” : le corps, le ventre, le sexe » (Détrez et Simon, 2006 : 91). La lecture que propose Isabelle Boisclair du récit Putain de Nelly Arcan, interrogé quant à la posture paradoxale « du personnage de la prostituée qui narre sa propre histoire » (2007 : 112), de même que l’ouvrage de Christine Détrez et Anne Simon qui a pour projet d’évaluer, à l’aune du programme d’écriture féminine et féministe des années 1970, l’évolution ou encore la régression des représentations du corps dans la littérature des femmes depuis les années 1990, insistent tous deux sur la prolifération des énoncés contradictoires dans les écrits des femmes et m’apparaissent ainsi mettre en lumière, bien que ces penseures ne la nomment pas explicitement, une stratégie de l’ambiguïté à l’œuvre dans ce corpus.

Entre l’agentivité qu’il est possible d’attribuer à la narratrice de Putain en raison de sa prise de parole qui la constitue en tant que sujet actif de l’acte d’énonciation et le contenu

de son discours qui affirme, en toute conscience, son statut d’objet, le récit de Nelly Arcan, à l’instar d’ailleurs de La Vie sexuelle de Catherine M. auquel il a été à maintes reprises comparé, échappe sans cesse aux tentatives de catégorisation qui voudraient, tour à tour, lui faire porter l’étiquette de féministe ou d’anti-féministe. Devant l’impossibilité de formuler une réponse claire aux questions qui ont guidé leur recherche – « ces femmes sont-elles libérées ou pas? [...] se sont-elles affranchies des clichés ou pas? » (2006 : 255) – Détrez et Simon, en dépit d’une lecture qui tend à affirmer un recul des écrits contemporains face aux revendications féministes, ne peuvent en conclusion qu’affirmer l’équivoque des nouvelles configurations corporelles présentes dans les textes étudiés :

L’important n’est peut-être pas de trouver des réponses définitives, mais d’interroger les évidences et de déplacer les questionnements. En ce sens, les artistes féminines témoignent d’un moment charnière, marqué par les incertitudes et les déconstructions de ce qui, pendant des siècles, était resté naturalisé : le genre, la famille, le corps, les rôles sexués et sexuels. Inventant de nouvelles normes ou réinvestissant les anciennes par de nouvelles pratiques ou de nouveaux contextes, les auteures [...] se trouvent décidément dans un paysage mouvant et complexe20 (255).

Parce que les écrits contemporains des femmes ne sont plus motivés par un projet collectif de création d’une contre-culture exclusivement féminine, projet qui permettait d’identifier les nombreux textes de l’écriture féminine à une forme de méta-récit dispersé en une multitude d’écrits néanmoins fondateurs de la sororité, et qu’ainsi ils se placent désormais sous le signe de la mouvance, de la complexité et d’une altérité qui remet en question l’existence d’une « identité appréhendée à travers une catégorie de “femmes” » (Butler, 2005 : 59), il devient difficile, voire impossible d’interpréter ces écrits à partir du cadre herméneutique du féminisme fondationnaliste, balisé par les concepts d’aliénation et d’émancipation, auxquels s’articulent aussi ceux de patriarcat et de sororité. Dans Trouble dans le genre (2005), Judith Butler dénonce les effets normatifs d’une telle approche qui ne

construit la catégorie de « femmes » qu’au prix de l’exclusion de celles qui, à l’intérieur des paramètres de la bonne féminité sur laquelle elle repose, font figures de mauvais sujets, déviantes et autres monstres affligés de dysmorphisme dès lors refoulés vers les marges de la communauté, dont les frontières sont précisément établies par ce même mouvement d’exclusion. À cet égard, Butler soutient que