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L’après-guerre et la société de consommation : l’architecture du fonctionnalisme (XX e )

Chapitre 4. Résultats

4.1. Évolution historique des artefacts d’eau urbains

4.1.6. L’après-guerre et la société de consommation : l’architecture du fonctionnalisme (XX e )

Le XXe siècle est une période de mutation en matière de conception et de gestion des

réseaux d’eau urbains. Le contexte de l’après-guerre mène à des innovations techniques qui accélèrent le processus de reconstruction (Mognetti et al. 2014). La municipalité de Montréal, qui avait commencé à prendre la responsabilité des aqueducs en 1840, devient officiellement propriétaire du réseau d’eau en 1945 (M. Dagenais 2011). Les progrès industriels permettent la production en masse des pièces composant les fontaines et les jeux d’eau ; certaines industries commencent à proposer des modèles standardisés sur catalogue (Fachard et al. 1982). Au sein des nouveaux développements urbains des années 1950, les fontaines standardisées se répètent uniformément, quels que soient le contexte et le lieu (Mognetti et al. 2014). En outre, le fonctionnalisme impose des formes de signification purement utilitaire et entraîne ainsi la disparition de la figure humaine dans la conception des artefacts d’eau (Fachard et al. 1982 ; Mognetti et al. 2014).

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Leur rôle dans la vie quotidienne étant devenu obsolète, les fontaines sont parfois éteintes et deviennent des obstacles à contourner, perdant leur caractère patrimonial (Fachard et al. 1982). La planification urbaine moderniste conçoit la ville comme une machine fonctionnelle et l’organise autour de la circulation automobile (Gehl 2012). Cependant, cette nouvelle échelle urbaine rend la ville hostile à la marche. À la fin du XXe siècle, les

professionnels de l’aménagement remettent en question ce modèle et s’intéressent à la perspective du piéton. Cette nouvelle mentalité met en lumière la perte d’identité des lieux. Certains critiquent un « appauvrissement de la pensée urbanistique » (Fachard et al. 1982) et proposent de repenser l’espace urbain en considérant l’expérience sensorielle et la familiarité (Jacobs 1961 ; Whyte 1979 ; Gehl 1987). La conception des artefacts d’eau, qui conjugue le naturel et l’artificiel, a le potentiel de contribuer à ce renouveau urbain :

« Ce que le piéton semble attendre de la fontaine est la création d’une ambiance qui n’est pas seulement visuelle. Pour lui, l’attraction de l’eau joue sur tous les sens. La dimension de la fontaine n’est plus, de son point de vue, essentielle. On aime, certes, les petites fontaines familières au murmure discret, le mariage de l’eau et de la verdure du square, la flaque luisante sur les pavés, le mur suintant, la margelle ou la vasque à portée de la main ou des lèvres. En dehors de toute cette nostalgie, on aimerait retrouver de ces objets de la rue sans prétention, mais pourquoi pas « modernes » au sens où le voulaient les Italiens de la Renaissance, c’est-à-dire sachant exprimer leur époque et ne se contentant pas de copier le passé ou d’interpréter un « design » qui n’est plus ni fonctionnel, ni beau. » (Fachard et al. 1982, 75)

Associée à l’électricité, la fontaine devient aussi un symbole de modernité et de prouesse technique. Les pompes souterraines permettent dorénavant de programmer des chorégraphies de jets plus complexes et la lumière magnifie les jets d’eau et prolonge l’utilisation durant les heures nocturnes. Grandiose et éphémère, ce nouveau type de fontaines intègre les foires internationales (Figure 33). Bientôt, elles se retrouvent dans d’autres espaces caractéristiques de la vie moderne tels les cinémas et le cirque (Mognetti et al. 2014). Ces avancées technologiques sont ensuite récupérées au profit du consumérisme. L’animation procurée par l’eau met les consommateurs dans de meilleures

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dispositions lors de leur passage au centre commercial ou au casino (Figure 34) (Lin 2015).

Figure 33. Fontaine lumineuse présentée à la foire internationale de Barcelone, lithographie couleur d’auteur inconnu, 1929, Espagne. Source : Wellcome collection.

Figure 34. Fontaine du centre commercial La Place Montréal-Trust, Montréal, Canada. Source : Wikimedia Commons, 2010.

Ces fontaines lumineuses, censées incarner la modernité, ne sont pourtant pas fondamentalement différentes de leurs ancêtres auxquelles elles empruntent le traditionnel plan centré et la glorification de la technicité des effets d’eau (Mognetti et al.

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2014). Par la suite, différents mouvements et concours urbains permettent de réhabiliter le statut patrimonial des anciennes fontaines et de proposer de nouvelles formes de fontaines contemporaines. Durant les années 1970, le Mouvement français de

réhabilitation de la fontaine familière et poétique est créé (Fachard et al. 1982).

D’importants programmes de restauration de fontaines anciennes sont alors lancés, tandis que de nouvelles fontaines sont créées dans des quartiers anciens.

À Montréal, le financement public et le mécénat permettent à la relève artistique de développer des fontaines uniques, introduisant une nouvelle plasticité dans l’espace urbain. Elles contribuent également à la revitalisation de certains secteurs urbains. Le parcours varié de fontaines sculptées proposé par le collectif montréalais Art Public permet de découvrir l’audace des créations du XXe siècle (Art Public Montréal S. d.).

Intitulée Gratte-ciel, cascades d’eau/rues, ruisseau… une construction, la fontaine crée par l’artiste Melvin Charney en 1992 occupe la place Émilie-Gamelin avec une empreinte spatiale résolument originale. Contrairement aux fontaines traditionnelles, l’eau n’est plus contenue dans un bassin, elle s’écoule dans trois caniveaux surmontés de petits ponts, situés sous trois tours qui traversent l’espace vert de la place et se mêlent à ses occupants (Figure 35). Symbolisant différentes dimensions de Montréal (le fleuve, le Mont-Royal, les passages souterrains, l’architecture), cette œuvre marie l’eau à la topographie pour évoquer l’identité locale.

Figure 35. Gratte-ciel, cascades d’eau/rues, ruisseau… une construction, Melvin Charney, Montréal, Canada. Source : Photographies de Gilles Beaudry, 2017, issues du blogue mesquartiers.wordpress.com avec

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D’autres œuvres sont réalisées dans le cadre d’événement exceptionnel puis intègrent le patrimoine montréalais. C’est notamment le cas de la fontaine La Joute, réalisée dans le cadre des Jeux olympiques de 1976 par l’artiste Jean-Paul Riopelle, puis déménagée dans le quartier international en face du Palais des congrès (Art Public Montréal S. d.). Dotée d’un bassin sans rebord, installé de plain-pied avec la dalle urbaine, l’œuvre substitue les traditionnelles statues de figures historiques par des créatures de fonte nées des rêves de l’artiste (Figure 36). Le feu, antagoniste naturel de l’eau, s’allume par intervalle à la surface de l’eau pour former un contraste saisissant. Dans les espaces verts entourant la fontaine, des brumisateurs diffusent la présence de l’eau pour contribuer à l’ambiance des lieux durant la saison estivale.

Figure 36. La Joute, Jean-Paul Riopelle, Montréal. Source : Photographies de Gilles Beaudry, 2017, issues du blogue mesquartiers.wordpress.com, avec autorisation de l’auteur.

4.1.7. La société post-industrielle : crise environnementale et échelle humaine (fin