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Ilots de fraicheur : vers des aménagements d’eau accessibles

Chapitre 1. Introduction : Problématique de l’expérience de l’eau à travers l’artefact

1.3. Ilots de fraicheur : vers des aménagements d’eau accessibles

Pour toutes les raisons précédemment énoncées, il est impératif pour la ville de Montréal de s’adapter aux changements climatiques et de célébrer la présence de l’eau sous des formes variées. Ces deux objectifs peuvent être avantageusement conjugués, puisque la diffusion de l’eau peut constituer un bon moyen de rafraichir les espaces publics et d’atténuer l’effet d’ilots de chaleur urbains. Dans le cadre du premier Plan d’adaptation aux changements climatiques de l’agglomération de Montréal datant de 2015, 24 mesures ont été retenues. Elles sont regroupées en 6 catégories parmi lesquelles trois concernent la chaleur en milieu urbain :

Catégorie : Augmentation des températures moyennes

1. Mesure 1.4 : Augmenter l’offre d’activités récréatives estivales et les opérations d’entretien

Catégorie : Vagues de chaleur

2. Mesure 3.1 : Contrer les ilots de chaleur

3. Mesure 3.2 : Aménager des lieux permettant de se rafraichir et d’éviter l’exposition à la chaleur accablante (ilots de fraicheur)

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La mesure 1.4 (Augmenter l’offre d’activités récréatives estivales et les opérations d’entretien) consiste à faire de la chaleur estivale un atout pour la population et l’industrie touristique en adaptant la programmation des activités extérieures et en prolongeant les heures d’ouverture des infrastructures publiques. Cela inclut les aménagements diffusant de l’eau comme les fontaines, les jeux d’eau et les pataugeoires (bassins de faible profondeur pour jeunes enfants). Cette volonté s’arrime avec les autres mesures d’adaptation à la chaleur puisque ces aménagements sont considérés comme moyens d’offrir à la population des ilots de fraicheur permettant de diminuer l’inconfort dû à la chaleur, comme mentionnée dans la mesure 3.2 (Ville de Montréal 2015a).

Par ailleurs, la diffusion de l’eau pourrait avoir un meilleur effet rafraichissant lors de chaleurs nocturnes que d’autres mesures actuellement suggérées. À titre d’exemple, il est intéressant de noter que la mesure 3.1 (contrer les ilots de chaleur) n’inclut pas l’utilisation de l’eau dans les stratégies de lutte aux ilots de chaleur. À la place, on suggère des stratégies telles que l’intégration de couvertures végétales et l’emploi de matériaux réfléchissants pour diminuer l’absorption de la chaleur. Pourtant, une récente étude nord- américaine portant sur les ilots de chaleur en centre-ville a démontré que la végétation et les matériaux réfléchissants, s’ils démontraient de l’efficacité pour diminuer la chaleur durant la journée, n’avaient pas d’effet significatif durant la nuit (Krayenhoff et al. 2018).

Or, les pics de chaleur urbains culminent souvent en début de soirée, car la chaleur emmagasinée durant la journée émane des matériaux de construction et s’ajoute à la chaleur simultanément provoquée par l’activité humaine (Krayenhoff et al. 2018). À Montréal, les nuits chaudes ont augmenté de 58 % sur la période 1953-2012, affectant le sommeil des citadins (Ville de Montréal 2017). Ainsi, prolonger les heures de fonctionnement des aménagements diffusant de l’eau en soirée est une autre mesure qui pourrait potentiellement avoir des effets bénéfiques durant les pics de chaleur, mais elle nécessite de s’interroger sur les aspects fonctionnels et expérientiels liés à une utilisation nocturne.

Outre la diffusion nocturne, un enjeu majeur de l’utilisation des artefacts d’eau est leur accessibilité. Comme dans d’autres métropoles, la population de Montréal affiche des

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tendances de vieillissement à la hausse (Ville de Montréal 2018b). Qui plus est, selon le

Plan directeur du sport et du plein air urbains, ce sont actuellement plus de 570 000

Montréalaises et Montréalais qui ont certaines difficultés motrices ou sensorielles (se déplacer, réaliser des tâches quotidiennes, voir, entendre, etc.) (Ville de Montréal 2018a). La ville s’est d’ailleurs dotée d’une Politique municipale d’accessibilité universelle depuis 2011 (Ville de Montréal 2011). Dans les prochaines années, il risque donc d’y avoir de plus en plus de personnes vulnérables aux vagues de chaleur. Le Plan directeur des équipements

aquatiques réalisé par la Direction des sports et de l’activité physique de la Ville de

Montréal en 2012 est parvenu à la conclusion que les personnes à capacités réduites bénéficieraient grandement d’accès à des aménagements d’eau adaptés et intergénérationnels (Ville de Montréal 2012a). On souligne notamment le besoin d’adapter les aménagements d’eau pour favoriser leur accessibilité (Ville de Montréal 2011), en concevant des installations aquatiques flexibles, intergénérationnelles et inclusives :

« Les futures installations aquatiques de Montréal doivent être conçues comme des lieux de vie, de bien-être et de santé, attirant une clientèle diversifiée, composée de personnes de tous âges qui cherchent une détente ou une activité physique plus intense. […] Ces clients voudront aussi se déplacer sur des surfaces de qualité, dans une architecture agréable, comportant tous les services nécessaires pour que leur expérience soit réussie. » (Ville de Montréal 2012a, 24)

Pour répondre à ces différentes problématiques environnementales, économiques et sociales, il semble donc nécessaire de disposer d’une offre variée d’aménagements urbains diffusant de l’eau. Mais qu’en est-il réellement de l’offre actuelle ? Actuellement, le site web officiel de la Ville de Montréal répertorie les emplacements et horaires de 118 pataugeoires et 76 jeux d’eau destinés aux enfants et à leurs accompagnateurs (Ville de Montréal S. d.). Ces aménagements sont réglementés et les pataugeoires — qui peuvent présenter un risque de noyade pour les très jeunes enfants — sont généralement clôturées et surveillées (Figure 4). De plus, les jeux d’eau présentent habituellement du mobilier aux formes figuratives et colorées qui évoquent le langage formel des jeux d’éveil : le jeune public est implicitement ciblé (Figure 5). Bien qu’ils soient attrayants pour les jeunes

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familles et les garderies, ces équipements ne peuvent répondre aux besoins de l’ensemble de la population. On peut en effet s’attendre à ce que leur usage par des adultes ou des adolescents non accompagnés d’enfants provoque désapprobation et méfiance, lorsque cela n’est pas déjà interdit par le règlement municipal.

Figure 4. Pataugeoire du parc La Fontaine, Montréal. Source : Google maps, 2015.

Figure 5. Inauguration du jeu d’eau au parc de Normanville à Montréal, le 13 avril 2016. Source : Arrondissement de Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension, Flickr commons.

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Les fontaines ne semblent pas répertoriées de manière aussi détaillée, bien que la ville donne de nombreuses informations sur la restauration et l’entretien des fontaines considérées comme un patrimoine à protéger (Ville de Montréal S. d.). Néanmoins, cette documentation nous renseigne peu sur les aspects qualitatifs de l’expérience usager et il est difficile de juger si les aménagements sont réellement aussi accessibles et inclusifs qu’on le souhaiterait.

Cependant, quelques particuliers témoignent parfois de leurs expériences à travers des articles anecdotiques. À ce propos, la démarche informelle et prolifique du blogue Stroller

Parking est éloquente. Ce blogue est l’œuvre de Christine Latreille, mère au foyer qui a

commencé à évaluer les parcs et jeux d’eau de Montréal qu’elle visitait avec ses jeunes enfants depuis 2014. Aujourd’hui son blogue compte plus de 800 billets d’opinions accompagnés de photographies. Plusieurs journaux locaux utilisent ce blogue comme référence pour conseiller les meilleurs jeux d’eau de Montréal, à défaut d’autres publications.

Au cours de ses expériences, Mme Latreille a constaté que très peu d’aménagements étaient adaptés aux besoins des enfants atteints d’autisme ou de handicaps (Latreille 2016 ; Tomkinson 2017). Les conditions actuelles de la vie citadine à Montréal témoignent ainsi d’une demande grandissante pour des pièces d’eau accessibles et intergénérationnelles. De surcroît, la détérioration actuelle de plusieurs équipements fait hésiter les services de la Ville entre maintenir, améliorer ou reconvertir les différentes typologies existantes, incluant les pataugeoires (Ville de Montréal 2012a). Comment actualiser la diffusion de l’eau dans l’espace urbain ?