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l'espace francilien

Chapitre 3: Mobilité individuelle et communication mobile

III. 1 3 La nécessité du passage de l'individu aux lieu

III.2. L’explosion des communications mobiles

Les données issues de la téléphonie mobile apparaissent comme un bon medium pour connaître la mobilité, en partie car les deux pratiques, celle de la communication et celle des déplacements, sont très liées. Les télécommunications mobiles, comme l’ensemble des technologies de l’information et de la communication ont participé d’une révolution industrielle commencée au XIXème siècle. Les pratiques de mobilité et de communication ont connu leur essor à la même période et ont évolué en croissant de manière parallèle. Contrairement à ce que certains analystes avaient pu annoncer, la communication à distance ne s'est pas substituée à la mobilité, elle l'a au contraire accompagnée, voire amplifiée. Ces deux pratiques participent aujourd’hui de cette mise en relation de toutes les parties du monde qu’on appelle mondialisation. Elles modifient non seulement les pratiques individuelles mais le rapport des personnes à l’espace : la communication mobile permettant par excellence, de dépasser la distance séparant des interlocuteurs. Mais en quoi la communication peut-elle nous renseigner sur la mobilité? La présentation des données de téléphonie mobile montre que les enregistrements de localisation des téléphones portables peuvent être causés par des pratiques de communication mais aussi par des pratiques d'itinérance au sein du réseau de téléphonie. Pour comprendre davantage l'information de mobilité qu'on peut construire à partir de données d'usage des téléphones portables, nous essayons ici d'éclairer la relation entre communication et mobilité.

III.2.1. Un essor des communications et des mobilités

« A l’origine, le téléphone était un équipement collectif : on le trouvait dans certains endroits publics (gare, hôtels, grands magasins, postes) que l’on fréquentait pour y avoir accès. Il est ensuite devenu un équipement des lieux privés, maisons, entreprises. Aujourd’hui c’est un équipement personnel, attaché à un individu, qui peut théoriquement s’en servir à tout moment et en tout lieu. Le numéro de téléphone ne désigne plus une adresse, mais une identité. » (Ascher, 2003, p.23)

parallèle de la mobilité. Alors que le chemin de fer commençait à conquérir l’Europe et les Etats-Unis, les télécommunications faisaient aussi leurs premiers pas. Le téléphone est inventé en 1876. En 1878, le plan Freycinet voté par la IIIème république française vise à construire un réseau ferré pour désenclaver les régions et favoriser le développement économique. Dans les deux cas, c’est tout un ensemble de facteurs sociétaux, économiques et industriels qui permettent à ces innovations de se développer (Castells, 2001). L’arrivée de l’électricité favorise le développement et la diffusion du transistor inventé en 1947. La Ford « T », première automobile produite en grande série par l’entreprise Ford au début du siècle, correspond elle à une période de mutation des systèmes de production industrielle.

Les deux pratiques de mobilité et de communication sont donc avant tout des produits d’innovations technologiques qui se sont développées tout au long du XXème siècle. Aujourd’hui ces deux pratiques sont largement diffusées et on observe une corrélation forte entre les mobiles et les communicants. Le téléphone portable est un outil de communication largement diffusé. En 2009, 82 % de la population française est équipée d'un téléphone portable (Bigot et Crotte, 2009). L’évolution même de l’objet téléphonique est un indice de cette corrélation : au départ objet fixé dans un lieu, le téléphone se transforme en outil individuel, porté quasiment en continu par son détenteur (Townsend, 2000). C’est en raison de cette dimension individuelle du téléphone portable que le lien peut être fait entre l’objet, ses localisations et celles de son détenteur. C’est aussi en raison de cette forte appropriation du téléphone portable qu’il constitue un capteur de déplacements. Rappelons que le téléphone portable est avant tout un outil permettant de téléphoner en situation de mobilité, contrairement au téléphone fixe dont l’utilisation nécessite d’être dans un lieu disposant d’un abonnement (donc soit d’un lieu public où les téléphones sont accessibles, soit d’un lieu privé relevant du domicile ou du travail, où les téléphones sont connectés au réseau en raison d’une fréquentation régulière de ce lieu par l’individu). Au contraire, le téléphone portable n’est pas associé à une localisation définie comme le téléphone fixe pouvait l'être vis à vis du domicile, mais il est « portable » permettant sans cesse à son détenteur de joindre ses interlocuteurs et par conséquent permettant de suivre son détenteur dans ses déplacements.

La question que l'on peut alors se poser est celle de la relation entre la mobilité et la communication. Est ce que les individus mobiles sont aussi ceux qui utilisent le plus leur téléphone portable ? Si c'est le cas, les traces obtenues à partir des usages des téléphones portables ne fournissent-elles pas une surreprésentation de cette catégorie d'individus ?

T. Couronné, A.-M. Olteanu-Raimond et Z. Smoreda (2011) comparent les données de localisation des téléphones portables obtenues à partir de deux catégories d'évènements enregistrés, les données liées à une pratique de communication (appel, SMS, handover) et les données liées à de l'itinérance sur le réseau de téléphonie, sans qu'il y ait communication (changement de Location Area, mise à jour du réseau). La comparaison des combinaisons des

III.2. L’explosion des communications mobiles

deux types de distribution montre qu'il existe une probabilité forte de deux types de combinaisons :

– la première combinaison regroupe les individus ayant peu de traces d'itinérance et peu d'événements de communication enregistrés

– la deuxième combinaison regroupe les individus ayant de nombreuses traces d'itinérance, donc présentant une mobilité importante et ayant aussi de nombreux enregistrements liés à des communications.

L'autre résultat de cette comparaison des données de mobilité et de communication révèle que passé un certain seuil de communications, la distance moyenne parcourue par les individus augmente moins. Ces deux résultats confirment qu'il existe une relation entre la mobilité et la communication : les individus présentant de nombreuses traces de communication présentent aussi de nombreuses traces de mobilité Mais cette relation n'est pas une simple relation linéaire ou relation de proportionnalité.

De fait, la relation même qui associe un individu à un téléphone n'est pas une relation de un à un. Le taux de couverture des téléphones portables dépasse aujourd'hui les 100 % en France d'après l'ARCEP50, ce qui veut dire que nombreux sont ceux qui ont plusieurs abonnements.

Le téléphone portable peut être détenu dans le cas d'un abonnement professionnel, le sens qu'il est possible de donner à des traces issues d'usages différents se complexifie davantage. Les données de localisation issues de l'utilisation du téléphone portable professionnel présentent peut-être encore plus d'imperfections que les données issues de l'utilisation du téléphone personnel, car l'utilisation du téléphone professionnel obéit moins à des routines de gestion du quotidien qu'à une organisation du temps de travail. Ainsi, cet outil de travail ne permet peut-être pas de suivre les déplacements des individus quand ils ne travaillent pas.

III.2.2. La communication révèle les territoires vécus

La communication révèle non seulement la mobilité, mais aussi les lieux dans lesquels les individus passent du temps. Le statut de ces lieux est très variable (ce point sera développé dans la partie suivante sur le contexte des communications).

Une étude longitudinale des communications issues des téléphones portables (Ahas, Aasa, Silm et alii, 2007) permet de retrouver le lieu de résidence nocturne des individus Le téléphone portable permet de retrouver des lieux d'ancrage (Ahas et alii, 2010), c'est à dire qu'il permet de retrouver les différents lieux pratiqués par le détenteur du téléphone portable, donnant ainsi à voir un autre aspect de la mobilité en identifiant les lieux qu'elle permet de

relier. La récurrence des communications permet en effet, de construire des algorithmes de détection de domicile ou de détection de lieu de travail à partir de l'inscription dans l'espace et dans le temps des données de téléphones portables. Les auteurs utilisent des données collectées pendant une période assez longue et considèrent les antennes-relais qui apparaissent le plus souvent au sein des créneaux horaires considérés comme les créneaux de résidence ou de travail. Ainsi, une connaissance de l'organisation spatio-temporelle moyenne des individus permet d'identifier des lieux types tels que les lieux de domicile ou les lieux de travail. C'est dire le potentiel de ces données pour compléter, enrichir les sources d'information sur la mobilité ordinaire. Les données sur les déplacements domicile-travail collectées ponctuellement par le moyen des recensements ou des enquêtes pourraient être mises à jour beaucoup plus rapidement, permettant ainsi aux décideurs de suivre l'évolution de l'aire d'influence d'un pôle d'emploi au fil des saisons.

Les données de communication mobile nous apportent aussi une information sur un autre territoire, le territoire des sociabilités. Car, contrairement à l'idée selon laquelle la communication remplacerait la présence physique, la communication ne réduit pas l'effet de la distance. L'observation des communications mobiles tend à prouver que les communications se font de manière privilégiée avec des interlocuteurs proches spatialement. La probabilité qu'ont deux individus vivant loin de communiquer ensemble diminue avec la distance qui les sépare suivant une loi de puissance décroissante (Lambiotte, Blondel, de Kerchove et alii, 2008). R. Lambiotte et alii (2008) ont étudié le cas de personnes qui se déplacent et emportent avec elles leurs liens sociaux. Il s'avère que même dans ce cas, les réseaux sociaux des intéressés se reconfigurent en fonction du nouvel espace géographique d'appartenance. Des liens sociaux ayant une plus grande proximité géographique apparaissent de nouveau après la période d'adaptation. La communication ne tend donc pas à combler la distance, elle intervient davantage dans le cadre des liens sociaux de proximité. Les liens distants existent toujours, mais ils donnent lieu à une autre forme de communication, moins fréquente mais qui dure en général plus longtemps que les communications de proximité qui sont fréquentes mais ont une durée très courte (Lambiotte et alii, 2008).

III.2. L’explosion des communications mobiles

A la distance géographique s'ajoute un autre paramètre qui est celui des barrières linguistiques.

La figure 3.6 montre le rôle que la distance exerce sur les relations sociales. Les usagers des trois villes de Liège, Bruxelles et Louvain ont moins de chances d'avoir des relations avec des usagers des villes les plus éloignées qu'avec les usagers des villes proches. Mais, R. Lambiotte et alii montrent aussi par cette représentation, qu'il existe des discontinuités spatiales dans ces probabilités calculées à partir de la distance topographique. Les discontinuités sont dues à des barrières linguistiques : dans le cas de Liège ou de Louvain appartenant chacune à une des aires linguistiques belges, on observe clairement une frontière nord-sud. Les clients de Bruxelles, où les deux langues coexistent, ont autant de probabilité de communiquer avec un interlocuteur flamand qu'avec un interlocuteur francophone.

La communication mobile révèle donc non seulement les territoires pratiqués par les individus grâce à la localisation des antennes auxquelles leur téléphone se connecte, mais elle révèle aussi les territoires de sociabilité des individus, à condition de disposer de données sur les destinataires des communications (dans ce cas, seuls les destinataires clients du même opérateur peuvent être identifiés par l'opérateur concerné). Ces territoires de sociabilité se révèlent être des territoires locaux. Ils partagent à la fois une proximité géographique qui laisse supposer que la communication mobile est un complément à l'interaction réelle, et une proximité culturelle, au moins linguistique.

Figure 3.6 : Probabilité qu'ont des clients de Liège, Bruxelles et Louvain d'avoir un lien avec un autre client d'une autre commune belge. La probabilité est représentée avec la plage de couleur, plus les couleurs tendent vers le rouge, plus cette probabilité est forte et inversement, les couleurs froides donnent une probabilité faible. (Source : Lambiotte et alii, 2008)

Au lieu de n'être qu'un indicateur de la mobilité, la communication mobile est un révélateur des pratiques du territoire, pratiques de mobilité, mais aussi pratiques d'ancrage ou de sociabilité. Ces pratiques sont liées mais elles sont aussi contextuelles : tout comme les mobilités dépendent des spécificités des individus et de leur environnement, les communications sont associées à un contexte individuel (les caractéristiques socio- économiques des individus), et à un contexte spatio-temporel plus général.

III.3. Le contexte spatio-temporel de la communication mobile