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La forme urbaine influence-t-elle les pratiques de mobilité ?

Conclusion du chapitre

II.1. Des cadres théoriques pour saisir les mobilités urbaines 2 Les mobilités individuelles : ressorts et contraintes

II.1.3. La forme urbaine influence-t-elle les pratiques de mobilité ?

La mobilité s'inscrit au sein d'un territoire particulier avec lequel elle interagit. Au niveau local, la ville est un des cadres territoriaux dans lesquels s'inscrit la mobilité quotidienne. Mais cet objet géographique a connu sa propre évolution, évolution qui n'est pas sans relations avec la mobilité, à la fois phénomène permettant aux individus de réaliser leurs activités, mais aussi mettant en relation les différents lieux de la ville par ces mouvements de population. L'expression forme urbaine désigne non seulement la forme de l'espace urbain mais aussi l'agencement des localisations des lieux d'emploi et des lieux de résidence. La forme de la ville a évolué, justifiant que les débats autour d'une définition de la ville soient sans cesse réactualisés, les critères classiques de continuité du bâti et de densité de la population ne suffisant plus à caractériser l'espace urbain.

II.1. Des cadres théoriques pour saisir les mobilités urbaines

• L'automobile et l'étalement de l'espace urbain

A l'ère du développement durable et de la volonté de réduire les émissions de polluants issus de l'utilisation de l'automobile lors des déplacements, de nombreux travaux s’intéressent à la relation particulière qui existe entre mobilité et forme urbaine et aux modes de transports qui permettraient de réduire l’empreinte écologique des villes. Le développement des infrastructures de transport (autoroutes urbaines construites dans les années 1960, puis réintroduction des tramways…) et l'accroissement des vitesses, permettant de rendre accessibles des zones éloignées, ont incité les ménages à s’installer dans ces espaces périphériques où les coûts du foncier sont souvent moins importants. La conséquence de ce développement a été un allongement des distances domicile-travail et donc un étalement de l'espace urbain. Ainsi, le développement de l'automobile a accompagné une « transition urbaine » (Wiel, 1999), de la ville piétonne originelle au centre historique restreint, à la ville ferroviaire du 19ème siècle, dont le développement s'est fait le long des axes de transport et enfin à la ville automobile, aux densités de population qui décroissent énormément quand on s'éloigne du centre et dans laquelle l'automobile demeure le principal mode de transport, notamment pour les déplacements à l'intérieur de la périphérie.

A l’échelle d’une agglomération, la « ville automobile » se manifeste par un desserrement de ses espaces résidentiels, mais aussi de ses espaces d’activités. L'archétype de la ville automobile reste le modèle de la ville américaine, dans laquelle les résidences mais aussi les commerces et emplois se sont éloignés du centre, donnant naissance aux Edge Cities, des pôles d'emploi suburbain. Le desserrement de l'espace urbain et des fonctions urbaines ne se produit pas de la même manière en Europe. Les concepts utilisés aux Etats Unis, comme celui d'Edge cities ou encore la notion de déconcentration et de desserrement de l'emploi ne sont pas directement transposables en Europe, même si des formes de concentration de l'emploi en périphérie peuvent être remarquées dans les métropoles européennes comme Massy-Saclay, Val d'Europe en région parisienne ou encore l'aéroport Schipol d'Amsterdam (Le Néchet, 2010).

A l’échelle des relations entre les villes, l'accessibilité accrue des grandes villes du territoire français, facilitée par les lignes de train à grande vitesse rend possible, par exemple, les navettes quotidiennes entre des villes comme Paris et Lille, ou Paris et Lyon.

« Des vitesses en hausse ont donné la possibilité d'habiter loin, en distance, des lieux de travail, sans gonfler le budget-temps de transport de manière proportionnelle, et les ménages ont ainsi pu accéder à des zones de moindre tension immobilière dans lesquelles ils ont pu s'offrir un logement et/ou un environnement qu'ils ne pouvaient se payer à proximité de leur lieu de travail. Parallèlement, les actifs ont aussi profité des gains de vitesse pour élargir le périmètre de leur marché du travail accessible et aller chercher plus loin de leur domicile le meilleur emploi possible. » (Korsu, 2010, p.77).

• La ville des « proximités »

A l’inverse de cette force de déconcentration, il existe aussi des forces de concentration s'appuyant sur des logiques de centralité et de proximité qui contribuent à une modification des modes de déplacements et à une revalorisation de la marche à pied. Aujourd’hui de nombreux travaux s’intéressent aux formes de mobilité locale ou aux modes de transports doux. C. Genre-Grandpierre (2007) se concentre sur la relation entre le réseau viaire et les formes de mobilité produite. La dépendance automobile est une conséquence de la métrique de la vitesse présente sur les réseaux viaires. En effet, l’efficacité de ceux-ci s’accroit avec la portée des déplacements, rendant tous les autres types de modes de transport peu compétitifs face à l’automobile (Genre-Grandpierre, 2007). La grande efficacité des réseaux viaires entretient donc l’espacement des lieux et l’utilisation de l’automobile. C’est en agissant directement sur le fonctionnement de ces réseaux et leur métrique de la vitesse que C. Genre- Grandpierre propose de repenser les mobilités urbaines. Les métriques « lentes », favorisées, par exemple, par de nombreux arrêts répartis de manière aléatoire, inciteraient davantage à la proximité et à la réduction des déplacements en automobile.

Le réseau viaire en tant que tel joue un rôle essentiel dans le choix des mobilités, mais d’autres variables plus qualitatives expliquent aussi les choix d’itinéraires. Dans le cas de la marche à pied, A. Piombini et J.-C. Foltête (2007) comparent les itinéraires les plus « rationnels » selon l’hypothèse du plus court chemin pour des piétons avec des variables paysagères susceptibles de créer des bifurcations par rapport à l’itinéraire le plus rationnel. Ils montrent ainsi que « l’utilité » de l’itinéraire doit être redéfinie en fonction de critères qualitatifs. Les individus portent d’autant plus attention à leur environnement lors de leurs déplacements piétons, quand ceux-ci ne sont pas très courts et ont pour motif des « loisirs ». Le regain de la marche à pied révèle l’attention portée aux proximités géographiques. La proximité entre le domicile et le travail reste un facteur de choix résidentiel et professionnel chez l'individu « hypermoderne » (Korsu, 2010). L'hypothèse de l'hypermobilité selon laquelle les distances ne seraient plus un obstacle pour l'individu, ne résiste pas à l'analyse des stratégies résidentielles de différents profils d'individus. En effet, le secteur des transports seul ne permet pas de répondre à la question du lien entre la forme urbaine et les mobilités : les individus n'agissent pas qu'en fonction du coût de la distance mais aussi en fonction d'un ensemble de facteurs au sein duquel ils effectuent des ajustements. Parmi ces facteurs, la capacité de la ville à pouvoir modifier l’offre de logements à proximité des emplois afin de les rendre plus attractifs pour les ménages est aussi un des enjeux d'une ville « cohérente ». (Korsu, Massot et Orfeuil, 2009). Le coût du logement est un facteur permettant d'expliquer la persistance de domiciles éloignés des lieux de travail. En Ile-de-France, sur les actifs résidant dans la région, 21 % consacrent une heure ou plus à leurs déplacements. E. Korsu s'appuie sur les résultats de l'enquête globale sur les transports de 2001-2002, réalisée en Ile-de-France

II.1. Des cadres théoriques pour saisir les mobilités urbaines

(2010) et étudie la distance des déplacements domicile-travail, mais aussi les changements résidentiels. Dans la plupart des cas, quand la distance domicile-travail est largement supérieure à la moyenne, les ménages optent pour une stratégie de relocalisation résidentielle, ajustant ainsi cette distance dont le coût reste important. Le coût et la qualité du logement sont donc des facteurs permettant d'expliquer les mobilités. Des exceptions existent néanmoins : dans le cas des grands migrants interrégionaux, censés disposer de davantage de liberté dans leurs choix de localisation résidentielle ainsi que dans leur choix du lieu de travail, la grande distance domicile-travail peut être choisie pour plusieurs raisons, soit en raison d'un attachement à une ville d'origine, ou parce que ces individus, appartenant souvent aux classes supérieures ont aussi des exigences plus élevées en termes de qualité de vie ou encore de niveau des établissements scolaires à proximité de leur domicile.

Le débat sur la forme de la ville et les mobilités qui s’y déroulent est donc un large débat que nous n’avons fait qu’effleurer. Il n’en reste pas moins qu’il existe une grande diversité des formes de mobilité, dont certaines sont favorisées par la forme de l’espace urbain (paysage, bâti) mais aussi par les performances du réseau existant. Ces formes de mobilité sont devenues très hétérogènes avec la diversification des motifs de déplacements et des chaînes de déplacement, de plus en plus éloignées du simple déplacement domicile-travail.

II.2. Les sources de données classiques sur la mobilité individuelle