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L’espace académique de production en sciences sociales et humaines

Chapitre 7 : Synthèse et discussion

7.1 Synthèse analytique

7.1.1 L’espace académique de production en sciences sociales et humaines

Au niveau académique les activités de recherche et surtout de diffusion étaient articulées autour de différentes visées dont le rapport aux téléologies des pratiques extra- académiques pouvait varier. Constitutives de la sphère de la production culturelle, les connaissances pouvaient être posées comme relevant d’une fin en soi ou d’une volonté de

faire avancer un domaine de recherche. Or, ces connaissances pouvaient également être

interprétées comme comportant une pertinence médiate, notamment par le biais d’une

propagation extra-académique médiate par laquelle les connaissances académiques

participeraient indirectement à la construction des références constitutives du discours social. Le caractère indirect de ces interactions est caractéristique de la sphère de la production culturelle. Étant principalement articulée autour des activités relatives à la

production de connaissances et à la diffusion pour les pairs, la professionnalisation

substantive s’organise autour de la notion de « contribution » relevant d’une tension entre la

continuité et la nouveauté. Cette production permet alors au chercheur d’assurer sa

sécurité institutionnelle (par la permanence), mais aussi de se faire reconnaître comme interlocuteur dans un domaine (réseautage; reconnaissance; réputation). Le chercheur est par contre doté d’une grande indépendance de sorte que le poids qu’il accorde à la

continuité et à la nouveauté ainsi qu’à la contiguïté et à la variance est susceptible de

varier.

32Il ne faudrait pas réduire notre conceptualisation à la conception des jeux de langage wittgensteiniens dont parle Lyotard. En notre sens, ces « coups » doivent être compris comme la matérialisation de pratiques signifiantes relevant de l’organisation sociale d’une activité spécifique.

À différents moments de leur carrière, les chercheurs vont donc aborder différentes postures relevant de configurations différentes de ces relations. En tant que

contributeur/interlocuteur, le chercheur s’inscrit dans un réseau d’experts qui cherchent à

faire avancer un domaine. Il pose alors sa stratégie de continuité avec les problématiques de ce réseau, mais celle-ci peut relever de la mise en forme et de la présentation si les questions originales relevaient plutôt de ses propres questionnements. Dans ce sens, les recherches d’un chercheur peuvent être effectuées à l’intérieur des marges de manœuvre et des espaces de liberté considérables de l’académie. Cette indépendance peut alors se poser comme une posture d’autonomie par rapport à la continuité. Dans ce cas, il cherche à construire sa propre voie d’investigation plutôt que suivre un courant de recherche. Cependant, l’indépendance peut également s’exprimer dans une posture de polyvalence par une stratégie de variance qui le porte à changer d’orientation, d’objet ou de domaine. En contraste, la stratégie inverse par laquelle un chercheur mobilise une forte contiguïté peut lui permettre de contribuer à un domaine en tant que spécialiste qui, ayant développé une réputation dans un domaine précis, se fait inviter pour des chapitres de livre, des conférences ou des séminaires.

À cet égard, si l’organisation des pratiques de production pour les pairs relève principalement du déploiement de la posture du contributeur/interlocuteur, le chercheur individuel demeure libre (ou parfois contraint) de mobiliser des postures différentes à l’égard des stratégies problématologiques que nous avons décrites. Or, en inscrivant leur production dans des rapports de nouveauté et continuité, les chercheurs participent à des interlocutions qui forment des réseaux de problématiques et plus précisément des structures discursives. Ceux-ci s’articulent ainsi comme des lieux d’interaction, flexibles et dynamiques, constitutifs de la topographie de l’espace académique.

Cet espace de « professionnalisation substantive » est par contre dépendant d’une « professionnalisation formelle » (Burawoy 2009) ou en d’autres mots, diverses pratiques « d’autogestion institutionnelle » (Kalleberg 2005). Ce moment de la professionnalisation implique alors un ensemble de postures qui participent à la reproduction et à la reconduction des structures et des espaces d’investigation et d’interlocution académiques.

Certaines de ces postures sont par contre des activités relevant de la professionnalisation substantive qui ont comme objectif de porter au renouvellement ou à la reproduction d’une veine d’investigation. La posture du méthodologue/épistémologue est alors adoptée par celui qui cherche à fournir un renouvellement de l’outillage cognitif d’un domaine ou d’une discipline, alors que celle du synthétiseur vise à articuler un résumé ou une interprétation de la littérature afin de consolider un front de recherche ou fournir des points d’entrée à de nouveaux chercheurs. Ensuite, plusieurs pratiques auxiliaires qui se posent directement dans la professionnalisation formelle peuvent être résumées sous la posture de facilitateur. En mobilisant ce rôle, certains chercheurs travailleront sur l’organisation de colloques, l’édition de revues ou de collections, l’édition de collectifs, l’évaluation des pairs, l’instigation de contacts entre réseaux de recherche, administration d’associations et de centres, bref sur un ensemble de pratiques par lesquelles se construisent et se reconduisent les assises institutionnelles du champ académique.

Nous pouvons donc situer l’organisation de cet espace autour de deux moments, l’un relevant de la production (professionnalisation substantive) et l’autre de la facilitation (professionnalisation formelle). Or, selon nos hypothèses formulées au cours des chapitres quatre et cinq, ces moments entretiendraient des rapports spécifiques à la construction, la reproduction et la différenciation des structures et des espaces discursifs. À cet égard, les pratiques de production et de diffusion pour les pairs établiraient les structures discursives et leur infuseraient leurs formes et leurs dynamiques. Ensuite, les pratiques de facilitation encadreraient ces structures par la gestion et l’organisation de leurs assises matérielles et institutionnelles. Sur ce plan, la critique interne des contributions par l’évaluation par les pairs se constituerait en fonction d’une différenciation des espaces discursifs qui délimitent les formes de connaissance et les langages admis à l’intérieur des structures discursives qui composent ces espaces. Sur ce plan, nous avons établi une différence entre deux formes d’espace qui s’articulent autour d’un continuum. Premièrement, les espaces contraignants se rapprochent des sciences naturelles dans l’optique de construire une cohésion théorique. Deuxièmement, les espaces plus ouverts se rapprochent de la philosophie et des études littéraires et cherchent plutôt à établir des dialogues et des réflexions plus larges. Ces

espaces seront constitués soit de courants théoriques qui divisent les domaines de recherche, soit de spécialisations qui se positionnent en soi dans ce continuum.33