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L ES RECOMMANDATIONS

Dans le document Avis 15-A-02 du 09 janvier 2015 (Page 16-23)

A. LE MONOPOLE DES NOTAIRES

4. L ES RECOMMANDATIONS

36. L’évolution du monopole d’exercice des notaires passe par une analyse de la pertinence du champ des actes obligatoirement authentiques, par la remise en cause de certaines exclusivités, par la suppression des restrictions à une mise en concurrence de la rédaction d’actes destinés à être authentifiés ainsi que par une ouverture plus large aux notaires des ventes judiciaires.

a) La révision de la liste des actes obligatoirement authentiques

37. Il convient de s’interroger sur la pertinence de l’exigence d’authentification en ce qui concerne les actes pour lesquels l’authentification est rendue obligatoire par une disposition légale.

38. Eu égard à la portée de l’acte authentique, il peut en effet être envisagé de réviser la liste des actes pour lesquels d’autres formes d’actes pourraient être suffisantes tels que l’acte sous-seing privé ou l’acte d’avocat. Il faut ajouter à ces substituts potentiels, le projet d’acte de procédure d’avocat, qui pourrait notamment constituer, selon la Direction des affaires civiles et du sceau,

« un mode de preuve simplifié pour les héritiers ».

39. Cette évolution aurait des conséquences quant au concepteur de l’acte, qui pourrait être le notaire sur une base volontaire, ou un autre professionnel en cas de renonciation à la forme authentique.

Elle serait de nature à stimuler la concurrence quant à l’établissement d’actes dont les notaires n’auraient plus l’exclusivité.

Les critères d’une authentification obligatoire au travers des attributs propres à l’acte authentique

40. Pour faire la part au sein des actes dits du monopole entre ceux susceptibles de ne pas requérir la forme authentique de manière obligatoire et ceux qui doivent nécessairement la conserver, il

10 Acte sous seing privé, acte d’avocat, acte authentique.

convient de préciser les critères permettant d’opérer cet arbitrage. Une mise en cohérence du champ de ces deux types d’actes devrait également y contribuer (cf. infra). Une Commission d’experts civilistes pourraient préparer cet arbitrage. L’Autorité présente néanmoins d’ores et déjà des éléments d’analyses.

41. Selon la Chancellerie, la justification du périmètre des actes pour lesquels la forme authentique est exigée devrait tenir compte, d’une part de la gravité des effets de l’acte, d’autre part de la nécessité d’en confier l’élaboration pour des motifs d’intérêt général à un délégataire de l’autorité publique.

42. Plus généralement, il semble nécessaire pour procéder à cet arbitrage de se référer au niveau de sécurité juridique requis par certains actes qui justifie de rendre obligatoire leur forme authentique. La sécurité juridique recherchée s’entend ici de la sécurité des droits subjectifs (propriété, droits réels immobiliers, créances, servitudes…) et plus largement de la sécurité des situations juridiques individuelles (état des personnes, position contractuelle…).

43. Les attributs de l’acte authentique en termes de sécurité juridique, devraient constituer le critère principal de choix du caractère obligatoire de la forme authentique.

44. Certains attributs de l’authenticité en termes de sécurité juridique, étant partagés avec d’autres formes d’actes, ne justifient pas à eux seuls l’obligation de la forme authentique. Ainsi, l’intégrité du consentement, qui consiste en l’interposition d’un tiers impartial offrant aux parties un éclairage sur la portée et les conséquences de leurs actes, ne constitue pas un atout spécifique de l’authenticité. On peut aussi y parvenir dans toutes les hypothèses où un professionnel, officier public ou non, rédige un acte pour autrui.

45. En revanche, la forme authentique procure des avantages propres liés à l’intervention de l’officier public, qui répondent directement à l’objectif de sécurisation des situations juridiques individuelles, en assurant leur pérennité, leur incontestabilité et leur efficacité.

46. L’un des attributs de l’acte authentique tient ainsi au fait qu’il est toujours conservé par l’autorité publique, d’abord par l’officier instrumentaire puis dans les archives publiques. Par cette obligation de conservation, l’officier public en préserve la mémoire et assure donc la pérennité de la situation juridique. Cette qualité justifie que les actes fondateurs de la vie des familles (principaux actes du droit de la famille) présentent cette caractéristique et puissent constituer selon l’expression de Cornu « une charte donnant pour l’avenir, à chaque événement sa constitution écrite ».

47. L’acte authentique a en propre la caractéristique de favoriser l’incontestabilité des situations juridiques individuelles ou des événements importants, dans la mesure où il fait pleine foi des éléments personnellement constatés par l’officier public, où sa régularité au fond est assurée par un contrôle de légalité du professionnel et où enfin il contribue à rassurer les tiers à l’acte en raison des contrôles scrupuleux dont il fait l’objet. Cet effet à l’égard des tiers est tout particulièrement remarquable en ce qui concerne le système foncier « qui repose sur un enchaînement d’actes scrupuleusement vérifiés qui, prenant appui les uns sur les autres, offrent une généalogie complète et certaine de la situation juridique des immeubles sur le sol français et y favorise les investissements »11. Cette incontestabilité peut être caractérisée par le faible taux de contentieux relatif aux actes notariés (0,089 % en 2012).

48. On observera que le contrôle de légalité effectué par l’officier public et ministériel passe non seulement par l’interdiction de recevoir des actes manifestement illicites ou passés en fraude du droit des tiers mais aussi par l’instrumentation d’actes pleinement réguliers en la forme et au

11 L’authenticité : droit, histoire, philosophie (Direction : professeur Laurent Aynès)

fond, sauf à engager sa responsabilité. Le contrôle de légalité effectué par le notaire serait, selon le professeur Aynès, un des plus aboutis, puisque « la jurisprudence lui impose non seulement de s’assurer de la validité intrinsèque de l’acte qu’il reçoit (capacité juridique des parties, intégrité des consentements, appartenance des droits en cause et du pouvoir d’en disposer…), mais également de son efficacité, ce qui implique notamment des investigations sur les circonstances de fait ou de droit qui pourraient empêcher l’acte instrumenté de remplir pleinement son but ».

L’exemple de la vente immobilière constitue une bonne illustration de ce contrôle « puisqu’on y voit le notaire se transformer en agent de contrôle du respect de la législation sur les termites, l’amiante, le plomb, le diagnostic énergique, les délais de rétractation, les droits de préemption, la protection de l’emprunteur, etc… ».

49. L’acte authentique est un acte efficace en raison de son autorité probatoire aussi bien entre les parties que vis-à-vis des tiers (contestation par la seule procédure de faux). Cette efficacité se traduit surtout par sa force exécutoire qui offre au créancier d’une obligation figurant dans un acte, la possibilité de diligenter, sans recours préalable au juge, des mesures d’exécution sur les biens du débiteur.

50. Il convient donc d’apprécier l’obligation d’un acte authentique au regard du besoin absolu de pérenniser la situation juridique dont il est l’objet et d’en assurer l’incontestabilité et l’efficacité.

51. À un titre ou à un autre, cela justifie de conférer obligatoirement la forme authentique aux

« actes fondateurs de la vie des familles » et aux actes afférents à la propriété immobilière. Il a été montré que la sécurité juridique des situations individuelles couvertes par ces actes suppose en effet la réalisation des différents critères de l’authenticité.

52. Ce besoin pourra n’être considéré que comme relatif, lorsque la sécurité juridique pourra être assurée à partir de la réalisation d’une partie des critères de l’authentification, par des actes supplétifs ou alternatifs pouvant assurer un niveau de sécurité équivalent. Dans cette situation il conviendra de laisser aux parties la faculté de conclure un acte authentique ou d’autres types d’actes, dès lors que ce caractère authentique ne sera ni indispensable ni la condition de validité de l’acte et qu’en outre l’objectif de sécurité juridique pourra être rempli par d’autres voies (acte d’avocat ou acte sous seing privé).

53. Au vu de cette analyse de l’obligation d’acte authentique, le tableau récapitulatif ci-dessous présente par catégorie d’actes12, les actes pour lesquels l’obligation d’authentification apparaît incontournable ainsi que les situations où l’authentification pourrait ne revêtir qu’un caractère optionnel.

54. Il sera recouru à titre complémentaire à une analyse en termes d’harmonisation des champs respectifs des actes volontairement ou obligatoirement authentiques. La méthode consiste à identifier les actes obligatoirement authentiques pour lesquels des actes de nature et de portée similaires ne font l’objet que d’une simple faculté d’authentification par le notaire.

Mise en cohérence du champ des actes obligatoirement ou volontairement authentiques 55. Sans procéder à une analyse exhaustive des actes en monopole au regard de la pertinence de

l’exigence de la forme authentique, qui pourrait relever d’une commission d’experts civilistes, on évoquera les modifications qui semblent souhaitables au vu de la comparaison des deux périmètres.

12 Actes rassemblés pour la commodité de l’analyse en actes du droit de la famille, du droit de l’immobilier et de l’entreprise.

56. Le champ des actes facultativement authentiques comprend notamment les baux d’habitation, les baux commerciaux, les baux professionnels ainsi que les baux dits du Code civil. On peut s’interroger sur la pertinence au sein des actes obligatoirement authentiques, des baux commerciaux des locaux de débits de boissons (art. 504 du CGI), des baux ruraux cessibles (art.

L.418-1 du code rural) et des quittances et cessions d’une somme équivalente à trois années de loyers ou fermages non échus des baux de moins de 12 ans. A contrario le maintien des baux emphytéotiques et des baux à construction dans le champ des actes authentiques semble se justifier au vu des effets de l’acte.

57. Par ailleurs, certains actes tels que les cahiers des charges pour vente immobilière et les inventaires (art. 1330 du CPC) semblent pouvoir relever du domaine partagé au regard de leurs effets. Au demeurant, le caractère facultatif du recours à un notaire pour établir une déclaration de succession semble pouvoir justifier le sort similaire de l’inventaire qui n’en constitue que l’accessoire.

58. Cet allégement de la liste des actes obligatoirement authentiques passe en tout état de cause par la faculté laissée aux parties de leur conférer le caractère d’authenticité.

59. Le tableau récapitulatif décline pour les principaux actes notariés les critères (gravité de l’effet de l’acte, sécurité juridique et harmonisation des champs) permettant de faire évoluer le périmètre de ces actes vers une simple faculté d’authentification. Il pointe le cas échéant pour des actes moins fréquents les incohérences de périmètre les plus apparentes. Au vu de cette analyse, il est proposé que certains actes (actes en gras) ne relèvent que d’une authentification volontaire.

60. L’Autorité recommande les mesures suivantes :

- Instituer une commission d’experts civilistes en vue de réduire le champ des actes obligatoirement authentiques. Elle devrait se prononcer sur la base des critères de gravité des effets de l’acte, du niveau de sécurité juridique adapté à la nature et à la portée de l’acte et de la nécessité d’en confier l’élaboration à un délégataire de l’autorité publique ;

- Réduire le périmètre des actes obligatoirement authentiques pour lesquels cette exigence ne paraît pas justifiée. Cela pourrait viser les baux commerciaux des locaux de débits de boissons (art. 504 du CGI), les baux ruraux cessibles (art. L.418-1 du code rural), les quittances et cessions d’une somme équivalente à trois années de loyers ou fermages non échus des baux de moins de 12 ans, les cahiers des charges pour vente immobilière et les inventaires (art. 1330 du CPC). Certains actes du droit des affaires pourraient également faire l’objet d’une authentification volontaire à l’instar des actes du droit des affaires visés par l’article 13 du décret du 8 mars 1978 : cessions d’exploitation agricole en cas de crédit transmission (art. 199 vicies CGI) ; réitération de cessions de parts de sociétés à prépondérance immobilière (art 726 CGI) ; cessions de créances (art. 1690 code civil).

Actes obligatoirement authentiques

Gravité des effets de l’acte

Besoin de sécurité juridique apporté par l’authenticité Pérennité Incontestabilité Efficacité :

- Date Baux > 12 ans (emphytéotiques et

à construction)

Bail rural cessible (L. 418-1 code rural)

Non Non Authentification

volontaire des actes du droit des affaires (art. 13

13 Pas de force juridique de cet acte en cas de prescription acquisitive trentenaire.

décret tarifaire de mars

Non non Oui Authentification

volontaire des actes du Acte de réitération de cessions de

parts de sociétés à

b) La remise en cause de l’exclusivité des ventes aux enchères de biens meubles incorporels

62. Les notaires jouissent de fait, sauf exception, d’une compétence exclusive sur les ventes aux enchères publiques de biens incorporels (marques, brevets, fonds de commerce …). Or, aucune raison particulière liée par exemple à la nature de ces biens ne justifie une telle exclusivité de compétence des notaires.

63. La libéralisation de cette activité se justifie d’autant plus que les actes de ventes de fonds de commerce ou d’éléments du fonds de commerce sont soumis facultativement à authentification et peuvent donc être dressés par d’autres professionnels. On observera au surplus que ces actes des notaires ont été dé-tarifés en 1986 (décret n° 86-358 du 14 mars 1986) pour être soumis aux honoraires libres (articles 4 et 13 du décret du 8 mars 1978).

64. Cette mission pourrait être partagée soit avec les opérateurs de ventes volontaires, s’agissant des ventes volontaires de biens meubles incorporels, soit avec d’autres officiers publics et ministériels (commissaires priseurs judiciaires et huissiers de justice) en ce qui concerne les ventes judiciaires de ces biens.

65. Dans cette hypothèse, les activités de vente judiciaire et de vente volontaire devront être scindées dans les mêmes conditions que pour les commissaires-priseurs.

66. L’Autorité recommande les mesures suivantes :

- Libéraliser les ventes volontaires de biens meubles incorporels ;

- Instituer un monopole partagé des ventes judiciaires des biens meubles incorporels avec les commissaires-priseurs judiciaires et avec les huissiers de justice ;

- Dissocier les activités de vente judiciaire et de vente volontaire dans les mêmes conditions que pour les commissaires priseurs.

67. Concernant les ventes judiciaires de biens meubles, l’Autorité recommande aussi de permettre aux notaires de procéder aux inventaires, prisées et ventes judiciaires sur l’ensemble du territoire national, y compris dans les communes où est établi un commissaire-priseur judiciaire, et recommande d’imposer aux notaires des contraintes identiques à celles des commissaires-priseurs judiciaires et des huissiers de justice dans le cadre de cette activité (cf. infra).

c) La suppression des restrictions à une mise en concurrence de la rédaction d’actes établis en vue de leur authentification

68. Il a pu être envisagé14, aux motifs de réduire le coût de l’acte authentique à la charge des parties, de dissocier au sein de l’activité d’authentification, la rédaction, susceptible d’être confiée par les parties à d’autres professionnels du droit (potentiellement, tous les professionnels visés par la loi du 31 décembre 1971), du processus formel d’authentification, réduit à la lecture de l’acte, au recueil de la signature des parties et à l’apposition de la signature du notaire, qui seule vaut authentification.

69. Il n’est pas interdit aux parties à un projet d’acte authentique de recourir aux professionnels autorisés à rédiger des actes sous-seing privés afin de dresser l’acte qui pourra être présenté au notaire pour authentification. Cette situation est même prévue par le décret n° 78-262 du 8 mars 1978 portant fixation du tarif des notaires, qui dispose au 3ème alinéa de son article 3 que « l’acte dressé sur projet présenté par les parties donne droit aux mêmes émoluments que s’il était rédigé par le notaire lui-même ». Le Conseil supérieur du notariat (CSN) confirme que la loi prévoit cette possibilité dès lors que le contrat n’est pas contraire à la loi, à l’ordre public et aux bonnes mœurs.

70. La rédaction par un tiers d’un projet d’acte présenté à un notaire en vu de son authentification constitue donc une faculté, qui implique un surcoût de l’acte pour les parties, puisqu’ils devront

14 Cf. proposition du rapport IGF n°2012-M-057-03 « les professions réglementées »: « suppression du monopole de rédaction des actes soumis à publicité foncière » (en page 46 de l’annexe 1).

supporter, outre les frais de rédaction primitifs, les frais liés au processus d’authentification de l’acte par le notaire, sans possibilité de remise partielle au titre de la confection initiale.

71. Cette redondance des coûts trouverait sa justification dans les diligences du processus d’authentification qui devront en tout état de cause être effectuées par le notaire. Elles portent, sans préjudice de l’authentification formelle, sur l’ensemble des vérifications concernant la volonté (consentement éclairé, réel et valable) et la capacité des parties, l’équilibre du contrat, les formalités légales ou encore l’efficacité des clauses de l’acte.

72. La mise en œuvre complète du processus d’authentification est également justifiée par la responsabilité du notaire qui, selon la jurisprudence, ne peut être atténuée du fait de l’intervention d’un tiers rédacteur.

73. Si la rédaction par un tiers rédacteur ne semble pas, en l’état actuel du processus d’authentification, de nature à pouvoir réduire significativement l’intervention du notaire, il semble néanmoins opportun de réviser le dispositif actuel (alinéa 3 de l’article 3 du décret du 8 mars 1978) qui, en générant un surcoût, dissuade toute concurrence en matière de rédaction d’actes destinés à être authentifiés. Le notaire doit être en mesure, par une réduction de ses émoluments, de tenir compte du travail effectué en amont par un tiers rédacteur, si ce travail est de nature à alléger les diligences qu’il doit lui même apporter.

74. L’Autorité recommande la mesure suivante :

- Supprimer du décret n° 78-262 du 8 mars 1978 portant fixation du tarif des notaires l’alinéa 3 de l’article 3 qui dispose que « l’acte dressé sur projet présenté par les parties donne droit aux mêmes émoluments que s’il est rédigé par le notaire lui-même ». Cet article constitue une restriction de concurrence préjudiciable à l’usager.

Dans le document Avis 15-A-02 du 09 janvier 2015 (Page 16-23)