• Aucun résultat trouvé

D ÉTERMINATION DE LA RÉMUNÉRATION RAISONNABLE DU CAPITAL

Dans le document Avis 15-A-02 du 09 janvier 2015 (Page 108-113)

C. LA MÉTHODE DE DÉTERMINATION DES NIVEAUX DES TARIFS REGLEMENTÉS 106

2. D ÉTERMINATION DE LA RÉMUNÉRATION RAISONNABLE DU CAPITAL

a) Principes

697. Deux méthodes permettent de calculer une rémunération raisonnable du capital des professions juridiques.

698. La première consiste à évaluer le montant de capital mobilisé par les professionnels, puis à y appliquer un taux de rémunération raisonnable. Cette méthode présente toutefois deux limites.

D’une part, en l’absence de données sur des entreprises comparables cotées en bourse, la définition du taux de rémunération du capital ne peut se faire selon l’approche classique reposant sur le modèle d’évaluation des actifs financiers (MEDAF). En effet, ce modèle suppose d’évaluer le risque spécifique de l’activité régulée, le plus souvent à partir de la sensibilité des titres boursiers de l’entreprise régulée aux variations de l’ensemble du marché. Aucune des sociétés des professions juridiques considérées n’étant cotée, une telle approche apparaît peu appropriée en l’espèce. D’autre part, si l’on cherche à définir le taux de rémunération du capital en s’appuyant sur des professions comparables, les ratios de rentabilité sur capital (définie comme le ratio du résultat net comptable sur l’excédent brut d’exploitation) obtenus font apparaître une grande instabilité compte tenu de la nature peu capitalistique des professions étudiées : en effet, dans des secteurs peu intensifs en capital, une faible variation du résultat ou du capital entraîne de fortes variations de la rentabilité du capital. Les données à prendre en compte devraient donc s’appuyer sur des séries temporelles longues pour homogénéiser les résultats obtenus et sur une mesure du capital engagé extrêmement précise.

699. Cette méthode paraît donc peu appropriée dans le contexte présent.

700. La seconde méthode consiste à se référer à des professions comparables, mais exerçant dans le secteur concurrentiel, en utilisant cette fois pour indicateur le taux de résultat (défini comme ratio du résultat net comptable sur le chiffre d’affaires). De fait, dans le cas de secteurs peu capitalistiques, la rémunération raisonnable du capital est fréquemment basée sur une comparaison des taux de résultat57 entre le secteur régulé et des secteurs concurrentiels comparables. Cet indicateur présente en effet plusieurs avantages par rapport au taux de

57 Cf., par exemple, “Something for nothing ? Returns in low-asset industries”, Oxera, March 2014. Cf.

également la Décision de la Commission du 20.12.2011 relative à l'application de l'article 106, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne aux aides d'État sous forme de compensations de service public octroyées à certaines entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général. Selon cette décision, si les règles européennes recommandent de déterminer le bénéfice raisonnable comme « le taux de rendement du capital, compte tenu du risque encouru ou de son absence » (§18), la Commission reconnait que « lorsque, en raison de circonstances particulières, il n’est pas approprié de recourir au taux de rendement du capital, les États membres, pour déterminer le niveau du bénéfice raisonnable, devront pouvoir se fonder sur d’autres indicateurs de bénéfice, tels que le rendement des capitaux propres moyen, le rendement du capital employé, le rendement de l’actif ou la marge d’exploitation » (§21, soulignement ajouté). De même, l’étude

« enforcement fee structure review – proposal for a new enforcement fee structure and analysis of the issues and options » réalisée pour le ministère de la justice britannique, après avoir calculé pour les agents d’exécution un coût des capitaux propres de 6.69 % selon une approche basée sur le coût du capital, a préconisé plutôt, compte tenu de la faible intensité capitalistique du secteur, une approche en termes de taux de résultat.

rentabilité du capital, utilisé lorsque les dépenses en capital sont plus élevées. D’une part, il présente une variabilité plus faible. D’autre part, il ne nécessite pas de connaître le montant de capital engagé, mais uniquement le résultat net et le chiffre d’affaires, fournis dans les documents comptables, et se mesure donc plus aisément. En l’espèce, le Conseil national des greffiers comme le Conseil supérieur du notariat ont proposé une méthode de détermination de la marge raisonnable s’appuyant sur une comparaison des taux de résultat.

701. Il demeure toutefois nécessaire d’identifier des secteurs dont le niveau de risque et d’intensité capitalistique sont proches de ceux des professions étudiées. Cette méthode par comparaison est donc présentée ci-dessous, en considérant successivement le montant des capitaux investis par les professionnels (b) le degré de risque des professions juridiques étudiées (c), et enfin les ratios de résultat sur chiffre d’affaires de secteurs comparables (d). En tout état de cause, il sera souhaitable d’entreprendre une consultation des professionnels concernés de façon à affiner et valider cette méthodologie.

b) Le montant de capital mobilisé par les professions juridiques réglementées

702. La comparaison du ratio du résultat net sur le chiffre d’affaires des professions étudiées avec celui constaté dans d’autres secteurs n’est pertinente que dans la mesure où l’intensité capitalistique est relativement similaire entre les secteurs comparés. En effet, toutes choses égales par ailleurs, un montant d’actifs plus importants, donc de capital à rémunérer plus élevé, pourra justifier un taux de résultat plus élevé.

703. Le capital mobilisé par les professionnels pour l’exercice de leur activité comprend essentiellement diverses immobilisations matérielles, le besoin en fonds de roulement, et pour certaines professions, la valeur de l’office, dont le professionnel a dû s’acquitter lors de son installation en tant que titulaire.

704. Selon la Chambre nationale des Huissiers de Justice, le montant des diverses immobilisations matérielles s’élève à 50 000euros par huissier et le besoin de fonds de roulement lié au délai d’encaissement des créances à 100 000euros, auxquels devraient s’ajouter 50 000euros nécessaires pour maintenir en trésorerie l’équivalent d’un mois de charges de l’office. Selon le Conseil national des greffiers, la valeur moyenne des immobilisations matérielles s’élève à 75 493euros par greffe. Indirectement, les greffiers détiennent en outre une quote-part d’immobilisations du GIE Infogreffe, dont les comptes présentent des dépenses de matériel informatique et de logiciels élevées. Le besoin en fonds de roulement des greffiers, lié à la nécessité d’avancer les coûts associés à certaines diligences, n’a pu être évalué. Le Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires souligne l’importance du besoin en fonds de roulement, du fait du délai d’encaissement des honoraires (estimé à 2,1 années en moyenne sur l’échantillon analysé par la Conseil). Le financement sur fonds propres nécessaire à l’activité est estimé entre 1,9 million d’euros et 4,2 millions d’euros par professionnel. Enfin, le Conseil supérieur du notariat n’a pas répondu à la demande d’information des services d’instruction concernant le montant de capital mobilisé par les notaires dans l’exercice de leur activité. Ces premières données restent très générales et demanderont à être validées et vérifiées.

705. En réalité, la partie la plus importante du capital investi est constituée de la valeur d’achat de l’office, à l’exception des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires pour lesquels il n’existe pas de droit de présentation. Cependant, sa prise en compte dans le capital nécessitant d’être rémunéré au travers des tarifs est discutable. Certes, si le coût d’opportunité de ce capital n’était pas rémunéré à travers les tarifs des prestations fournies, l’activité risquerait de ne plus générer de rémunération suffisante du capital engagé dans l’office et les professionnels

abandonneraient cette profession. Pour autant, si les prix de cession des offices sont flexibles, cette rémunération insuffisante conduirait à une baisse de la valeur d’achat des offices : dès lors, soit les nouveaux diplômés trouvent alors profitable d’investir dans de tels offices, soit les professionnels en place ne souhaiteront plus vendre leur office. De plus, la prise en compte de la valeur du droit de présentation dans le capital éligible à une rémunération raisonnable présente une difficulté liée à son interdépendance avec le niveau des tarifs. En effet, faire dépendre le niveau des prix réglementés de la valeur des offices a pour conséquence d’entretenir artificiellement un niveau élevé des prix réglementés et donc du prix d’acquisition des offices lui-même.

706. Les données disponibles permettent, dans le cas des huissiers, de calculer le rapport entre le chiffre d’affaires et le capital mobilisé, selon que la valeur de l’office est incorporée ou non dans le capital. Cet indicateur pourra être utilisé pour identifier des secteurs dont l’intensité capitalistique est comparable aux professions juridiques étudiées.

CA des huissiers

CA/capital mobilisé (prise en compte de la valeur de l'office) 0,95 0,97 0,97 CA/capital mobilisé (non prise en compte de la valeur de l'office) 2,61 2,67 2,67

c) Le niveau de risque des professions juridiques réglementées

707. S’agissant du niveau de risque de l’activité, le rapport de l’IGF propose de l’apprécier sur la base des taux de défaillance des différents secteurs. Le taux de défaillance des activités juridiques semble particulièrement faible (inférieur à 0,25 % contre 1,4 % pour l’ensemble des entreprises françaises). Cependant, le risque associé à une activité ne couvre pas seulement une éventuelle faillite mais incorpore également la volatilité des revenus, qui peut être décomposée en un risque-prix, un risque-volume et un risque de coûts. À cet égard, le Conseil supérieur du notariat note que les notaires assument une responsabilité particulière et qu'il existe un risque réel tant sur les prix que sur les volumes puisque le marché de l'immobilier est extrêmement fluctuant. Par ailleurs, les tarifs sont fixés unilatéralement par l'État, ce qui serait un risque que ne subissent pas la plupart des entreprises. Enfin, il existe un risque de coût puisque la complexité réglementaire aurait fortement progressé ces dernières décennies. De la même façon, le Conseil National des Greffiers souligne le risque associé aux sommes très importantes laissées en compte courant pour assurer la trésorerie de l'office et les risques liés à la fixation unilatérale des tarifs par l’État, aux modifications possibles de la législation et à la responsabilité juridique des greffiers. La Chambre nationale des huissiers de justice note également que les risques de l'huissier de justice, chef d'une entreprise libérale, sont ceux encourus par tout propriétaire dirigeant son entreprise (baisse d'activité, liée aux changements réglementaires, à l'évolution de l'économie, de la société, perte de clientèle, problèmes de santé du professionnel, problèmes d'organisation interne et problèmes liés aux collaborateurs).

708. Les risques liés à la responsabilité juridique des professionnels doivent cependant être relativisés car ils sont en grande partie couverts par les fonds de garantie professionnelle58. De façon à tenir

58 La Chambre nationale des huissiers de justice note par exemple que les huissiers de justice sont solidaires sans limitation de montant en matière de responsabilité civile et financière, et que l'huissier de justice doit

compte de ce risque, la tarification devra simplement être conçue de façon à ce que les revenus des professionnels permettent la couverture des cotisations aux assurances et fonds de garantie59. Par ailleurs, la volatilité des revenus des professionnels concernés doit être relativisée par rapport à celle supportée par les autres entreprises. Une étude de l’INSEE sur « les professions libérales réglementées »60 propose un « indice de variabilité » mesurant, pour divers secteurs, le caractère prévisible du chiffre d’affaires d’une entreprise donnée à partir de celui de l’année précédente et des caractéristiques de l’entreprise. Cet indice est d’autant plus élevé que l’incertitude est forte sur le chiffre d’affaires prévisible. Cet indicateur conclut à une faible variabilité du chiffre d’affaires des entreprises du secteur des activités juridiques, et en particulier des offices de notaire, par rapport à l’ensemble des services marchands. Le Conseil national des greffiers reconnaît également que le risque lié au volume de l’activité est relativement faible.

Indice de variabilité du chiffre d’affaires des professions réglementées entre 1995 et 2010

Source : INSEE

d) La comparaison des taux de résultat sur chiffre d’affaires entre secteurs comparables 709. Les secteurs avec lesquels peuvent être comparées les professions juridiques étudiées doivent présenter un niveau de risque et d’intensité capitalistique comparables. De ce fait, la proposition du Conseil supérieur du notariat, visant à retenir comme secteur de comparaison celui des

« activités spécialisées, scientifiques et techniques et activités de services administratifs et de soutien » n’est pas recevable. D’abord, cette catégorie comprend les « activités des sièges sociaux », secteur atypique selon l’INSEE : en effet, « les sièges sociaux recouvrent les profits et les pertes des sociétés du groupe »61 et présentent une rentabilité supérieure à 100 % susceptible de biaiser les résultats. Ensuite et surtout, la catégorie retenue est très hétérogène : elle comprend

obligatoirement souscrire une assurance de responsabilité professionnelle dans le cadre de son activité, cette couverture étant illimitée dans son montant. De la même façon, les greffiers des tribunaux de commerce soulignent l'existence d'une assurance collective. Le CNAJMJ rappelle enfin que les AJMJ sont assujettis à des règles professionnelles et en particulier une obligation d'assurance de tout premier plan, unique en Europe et probablement au monde.

59 Les résultats qui seront utilisés (cf. infra) pour évaluer le revenu actuel des professionnels incorpore ces postes de coûts.

60 Publiée dans « Les entreprises en France, Edition 2013 »

61 http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ref/SERFRA12A_f%20_flot4_s.pdf

par exemple les entreprises de recherche et développement scientifique plus intensives en capital et bien plus risquées que les professions juridiques étudiées.

710. Le tableau ci-dessous présente, à partir de la base ESANE de l’INSEE désagrégée au niveau des codes NAF, et à titre illustratif, les taux de résultat de plusieurs activités de services, dont l’intensité capitalistique est, sur l’ensemble de ces activités, en moyenne de 2,6 pour 2010, 2011 et 2012. L’intensité capitalistique ainsi calculée est donc proche de celle calculée supra pour les huissiers lorsque la valeur de l’office n’est pas intégrée au capital. Il conviendra de confirmer que le niveau de risque de ces activités est également comparable à celui des professions juridiques étudiées. Par ailleurs, il serait nécessaire de concentrer l’analyse sur les entités pour lesquelles les propriétaires des entreprises ne travaillent pas également dans ces entreprises (de façon à ce que le résultat corresponde à la seule rémunération du capital). Cette distinction n’a pas été mise en œuvre dans la présente analyse :

Activité Taux de résultat

(2010)

Taux de résultat (2011)

Taux de résultat (2012)

Activités juridiques 31,2 % 28,7 % 31,3 %

Activités comptables 9,8 % 9,3 % 9,1 %

Activités des agences de recouvrement de factures et des

sociétés d'information financière sur la clientèle -0,2 % 11,5 % 8,0 % Évaluation des risques et dommages 8,8 % 26,6 % 7,0 % Activités des agents et courtiers d'assurances 18,4 % 11,5 % 2,9 % Activités des marchands de biens immobiliers 2,8 % 17,7 % 3,9 %

Agences immobilières 16,9 % 9,2 % 22,6 %

Administration d'immeubles et autres biens immobiliers 4,1 % 3,4 % 4,7 % Supports juridiques de gestion de patrimoine

immobilier 6,0 % 6,3 % 4,8 %

Conseil en systèmes et logiciels informatiques 31,2 % 28,7 % 31,3 %

Études de marché et sondages 20,0 % 19,4 % 18,7 %

711. En retirant de cette liste les activités juridiques, dont le résultat est biaisé par la présence des professions réglementées étudiées, les taux de résultat moyens pour l’ensemble de ces secteurs sont de 12,1 % en 2010, 14,4 % en 2011 et 11,5 % en 2012, soit une moyenne d’environ 12,7 % sur la période. Le secteur des activités comptables, qui pourrait fournir une référence intéressante pour certaines des professions étudiées, présente un taux de résultat moyen de 9,4 %. Dans le même ordre d’idées, les activités des agences de recouvrement, comparables à certains égards à celles des huissiers, présentent, sur 2011 et 2012, une rentabilité moyenne de 9,8 %. Enfin, de 2010 à 2012, la rentabilité moyenne des marchands de biens immobiliers, agences immobilières et administrateurs d’immeubles et autres biens immobiliers, professions susceptibles d’être comparées par certains aspects à l’activité notariale, atteignent un taux de résultat de 11,1 %62.

62Les secteurs de référence pris en compte par l’étude mentionnée supra réalisée en 2009 pour le ministère de la Justice britannique conduisent à un taux de résultat compris entre 7,5 % et 12,2 %, avec une moyenne de 9,38 %, confortant ainsi les estimations illustratives présentées à partir des données de l’INSEE.

Dans le document Avis 15-A-02 du 09 janvier 2015 (Page 108-113)