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Introduction

Dans le document Avis 15-A-02 du 09 janvier 2015 (Page 10-13)

1. L’Autorité de la concurrence a été saisie par le ministre chargé de l’économie, le 3 juin dernier, pour d’une part, porter une appréciation sur les missions qui sont confiées aux officiers publics ministériels et aux administrateurs et mandataires judiciaires, notamment pour évaluer la répartition de celles-ci entre les activités de service public et les activités de marché, d’autre part, pour examiner les objectifs et la méthode de tarification réglementaire de ces professions. Cette saisine, qui se limite aux professions juridiques, faisait notamment suite à des travaux conduits par l’Inspection générale des finances sur un périmètre très large de professions réglementées.

2. L’Autorité a estimé nécessaire d’étendre le champ de son avis au-delà du strict libellé de la saisine pour prendre également position sur deux sujets qui lui paraissaient intimement liés avec les deux questions posées, à savoir les conditions d’installation, qui au moins pour les officiers publics et ministériels sont strictement encadrées, et les modalités d’exercice de la profession (les différentes formes juridiques d’exercice telles que l’exercice individuel, l’exercice salarié, en société sous différentes formes, la composition du capital et l’exercice des droits de vote).

3. En effet, l’encadrement de la liberté d’installation exerce nécessairement une influence sur le mode de tarification. Ainsi le souhait des pouvoirs publics d’orienter la création d’offices vers des zones où l’activité serait spontanément faible pour assurer un maillage territorial de proximité peut conduire à surévaluer les tarifs réglementés pour assurer la rentabilité de ces offices et conduire ainsi à assurer une rente aux offices les mieux placés en termes d’activité.

L’Autorité avait mis en évidence ce phénomène dans son avis n° 09-A-21 relatif à la situation de la concurrence sur les marchés des carburants dans les départements d’outre-mer (paragraphe 136). Dans ces conditions, l’instauration d’une liberté d’installation serait susceptible de réduire cette rente, dès lors qu’elle s’accompagne a minima d’une certaine flexibilité tarifaire permettant aux opérateurs les plus efficaces de restituer une partie de la rente aux utilisateurs du service.

4. De même l’évolution des conditions d’exercice, à travers notamment une certaine ouverture du capital des structures, offre des perspectives d’investissement et de modernisation susceptibles de rendre moins nécessaires des tarifs surévalués pour assurer une viabilité minimale aux offices les moins performants. À l’inverse, des capitaux externes ne sont susceptibles d’entrer dans les offices que si les partenaires entrevoient un retour sur investissement qui pourrait être atteint par une plus grande flexibilité dans la tarification mais aussi dans les synergies envisageables grâce à l’exercice partenarial de plusieurs professions.

5. Bien que ces professions juridiques réglementées échappent jusqu’à présent, pour l’essentiel, au livre IV du code de commerce, l’Autorité a déjà été conduite à se prononcer sur l’articulation entre les règles spécifiques qui les régissent et le fonctionnement de la concurrence. En effet, ces professions, comme les professions de santé, obéissent à des contraintes, au premier rang desquels l’obligation d’instrumenter1, qui peuvent se justifier au regard de leurs missions d’intérêt général, mais qui viennent se heurter au principe de libre concurrence. Dans un avis n° 10-A-14 relatif à l’assistance du greffier en chef en matière de vérification des comptes de tutelle par un huissier de justice, l’Autorité a ainsi rappelé qu’elle appréhende toujours avec circonspection la constitution ou l’extension des monopoles, qu’ils soient publics ou privés, dans

1 Pour les officiers publics ministériels, c'est-à-dire les notaires, les huissiers de justice, les commissaires priseurs judiciaires et les greffiers des tribunaux de commerce.

la mesure où ils entravent par nature le libre jeu de la concurrence, tout en reconnaissant qu’ils peuvent être justifiés, notamment par des motifs d’ordre public ou d’intérêt général.

6. Si l’Autorité a ainsi pu souligner la légitimité d’une réglementation applicable à certaines professions, il convient de rappeler que celle-ci vise à assurer l’intérêt du consommateur et non à protéger les professionnels de la concurrence. Ainsi, dans son avis n° 08-A-18 du 29 juillet 2008 relatif au projet de décret portant code de déontologie des masseurs- kinésithérapeutes, le Conseil de la concurrence, prédécesseur de l’Autorité avant 2009, a précisé que « les restrictions à la concurrence posées par la réglementation d’une activité professionnelle qui vise à encadrer les conditions d’exercice de celle-ci, peuvent toutefois être justifiées, par analogie avec ce qui a été jugé par la Cour de Justice des Communautés Européennes dans l’arrêt Wouters du 19 février 2002 (C-309/99, Rec.p1-1577), afin d’assurer au consommateur des garanties nécessaires à sa protection. Ces dernières ne vont pas nécessairement à l’encontre des objectifs de la politique de la concurrence si les effets restrictifs de concurrence de cette réglementation sont inhérents à l’objectif de protection des consommateurs, c'est-à-dire sont nécessaires et proportionnés à cet effet. »

7. La Commission européenne pour sa part, dans un rapport sur les professions libérales du 17 février 2004 a résumé les trois principales raisons qui peuvent justifier une réglementation de ces professions :

- L’existence d’une asymétrie d’information entre les consommateurs et les prestataires de services. En effet, les prestataires doivent disposer d’un niveau élevé de compétences techniques que les consommateurs ne possèdent pas nécessairement, aussi peuvent-ils éprouver des difficultés à évaluer la qualité des services qu’ils achètent. Les services offerts sont des « produits de confiance » dont la qualité ne peut être facilement déterminée par une observation préalable ni même dans certains cas, par la consommation ou l’utilisation.

- La production « d’effets externes ». Sur certains marchés, la prestation d’un service peut avoir une incidence sur des tiers et pas seulement sur le client qui achète le service. Au cas d’espèce, il va de soi que les prestations juridiques en cause, mal réalisées, seraient susceptibles d’avoir des conséquences négatives bien au-delà de leurs destinataires directs. Le droit ne peut en effet être assimilé à une marchandise.

- La notion de biens publics. Ces services des professions libérales sont considérés comme des biens publics présentant une valeur pour l’ensemble de la société. Pour les professions examinées, la bonne administration de la justice peut être considérée comme un bien public.

8. Pour autant, en tant que professions libérales, qualité rappelée récemment par le Conseil Constitutionnel dans une décision relative au droit de présentation des notaires2, les professions sous revue sont considérées comme des entreprises. Elles se sont d’ailleurs revendiquées comme telles au cours de l’instruction de cet avis. L’arrêt Wouters précité, qui concernait les avocats néerlandais, a d’ailleurs réaffirmé cette caractéristique d’entreprise.

9. Ainsi, analysant des entreprises libérales soumises à des réglementations spécifiques pour des motifs d’intérêt général et de protection des consommateurs, c’est au regard de ce prisme de la vérification de la proportionnalité des restrictions de concurrence que l’Autorité s’attachera à

2 Décision n° 2014-429 QPC du 21 novembre 2014, M. Pierre T. [Droit de présentation des notaires]

formuler un diagnostic et des recommandations. La pesée de la proportionnalité des mesures restrictives de concurrence devra en particulier prendre en compte la capacité d’entrée sur le marché de nouveaux professionnels ou le niveau de rentabilité ou des revenus moyens assurés par les tarifs réglementés.

10. Il convient de noter que le sujet d’une réforme des professions réglementées, notamment juridiques, n’est pas nouveau. Déjà le rapport Armand-Rueff paru en 1960, se penchait sur cette question :

« Il est aisé de constater qu’en fait certaines législations ou réglementations économiques ont actuellement pour effet, sinon pour but, de protéger indûment des intérêts corporatifs qui peuvent être contraires à l’intérêt général et, notamment, aux impératifs de l’expansion.

Tel est le cas lorsque législations ou réglementations ont pour effet de fermer abusivement l’accès à certains métiers ou certaines professions, de maintenir des privilèges injustifiés, de protéger, voire d’encourager des formes d’activité ou de production surannées, de cristalliser dans leur position des bénéficiaires de certains droits et de donner ainsi à certaines parties de l’économie française une structure en « offices », si répandue sous l’ancien régime ».

11. Plus récemment, la commission pour la libération de la croissance, dite commission Attali, en 2008, revenait sur ce sujet en insistant sur une nécessaire ouverture des professions réglementées.

12. Le présent avis a été sollicité par le gouvernement dans le contexte de l’engagement de réformes visant notamment à libérer l’activité au bénéfice de la croissance, en particulier en mettant fin aux rentes excessives. L’avis intervient alors qu’un certain nombre d’arbitrages ont déjà été rendus par la loi pour la croissance et l’activité adopté en conseil des ministres le 10 décembre mais il se veut également une contribution utile pour le débat parlementaire qui doit s’ouvrir fin janvier 2015. Il s’inscrira dans la logique de ce projet qu’il soutient, en portant également sur des sujets non traités dans le projet de loi conformément à la demande qui lui a été adressée.

13. L’avis de l’Autorité viendra également compléter les travaux conduits par le député Richard Ferrand, parlementaire en mission auprès du ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique qui a rendu en octobre 2014 un rapport intitulé « Professions réglementées, pour une nouvelle jeunesse » ainsi que ceux de la mission d’information conduite par les députés Cécile Untermaier et Philippe Houillon au nom de la commission des lois sur les professions juridiques réglementées.

14. De manière générale, comme elle a déjà eu l’occasion de le faire à l’occasion d’autres avis sectoriels dans le domaine de la réparation automobile ou du médicament notamment, l’approche proposée par l’Autorité se veut pragmatique et progressive. Elle consiste à instiller plus de concurrence au sein des professions et parfois entre elles, afin de favoriser une modernisation de celle-ci, un meilleur rapport coût-efficacité de nature à faire bénéficier les consommateurs et les entreprises des gains attendus qui se répercuteront ainsi sur l’ensemble de l’économie. Ce renforcement de la concurrence est naturellement tempéré par la spécificité de ces professions liée à l’exercice au moins en partie des missions d’intérêt général qui doivent être préservées.

15. C’est pourquoi, sans proposer de révolution compte tenu des avantages procurés par un certain encadrement de ces professions dont le ministère de la Justice est le garant, l’Autorité analysera et émettra successivement des recommandations sur le périmètre du monopole des professions concernées (I), les règles d’installation des professionnels (II), les modalités d’exercice des professions à travers notamment la question de l’ouverture du capital des sociétés d’exercice (III) et enfin les tarifs de celles-ci en présentant une méthodologie générale et quelques illustrations (IV).

Dans le document Avis 15-A-02 du 09 janvier 2015 (Page 10-13)