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L'empirisme conduit à l'éparpillement de la recherche

Evénement entrepreneurial

2. L'empirisme conduit à l'éparpillement de la recherche

Au-delà des sensibilités différentes, l'empirisme régnant dans le domaine conduit les chercheurs à entreprendre des travaux portant sur des objets particuliers, ce qui est du reste légitime. Mais, trop souvent, les problématiques des recherches ne sont pas clairement spécifiées, elles ne sont pas reliées à des théories, il n'y a donc pas de rupture épistémologique sémantique par rapport au sens commun des mots234. Les recherches ne sont généralement pas intégrées dans

un programme, il s'agit souvent de procéder à la cueillette et au traitement de données concernant des populations qui n'auraient pas encore fait l'objet d'investigations, de façon à légitimer le travail entrepris. Les chercheurs du domaine se préoccupent rarement de la portabilité des méthodes qu'ils ont empruntées ou de la pertinence des caractéristiques de l'échantillon sur lequel ils vont travailler au regard de leur problématique. En changeant d'objet, la recherche se déplace, mais ne progresse guère. La formule force le trait.

Cette absence de réflexion concernant la nécessaire rupture épistémologique par rapport au sens commun, a, pour nous, des inconvénients majeurs. Des échantillons hétérogènes sont traités comme étant homogènes dans la problématique du chercheur, et les variables non contrôlées provoquent une surabondance des "bruits". Nous reviendrons par la suite sur ces difficultés qui sont, pour partie, responsables de la pauvreté des résultats obtenus par la recherche comparés aux efforts fournis.

Afin d'illustrer ceci, procédons à un bref inventaire des principales dimensions supplémentaires utilisées par les chercheurs.

D'abord, intéressons-nous à celles qui ont trait à des caractéristiques particulières de l'entrepreneur. L'entrepreneurship au féminin est très "à la mode" depuis le milieu des années 80. Les entrepreneurs issus des minorités ethniques (hispaniques, noirs, indiens...) ont fait également l'objet d'études spécifiques235, ainsi que les entrepreneurs issus de l'université ou

des laboratoires, les chômeurs, les jeunes ... A titre d'exemple, deux chercheurs proposent une étude comparative des profils et des problèmes des entrepreneurs immigrants arméniens à Los Angeles et des entrepreneurs immigrants chinois à Calgary au Canada236.

234 Avec bien d'autres, Gartner attire l'attention des chercheurs sur ces insuffisances, sans que ses

avertissements soient entendus pour le moment. GARTNER William B. (1989).

235 Ces recherches ne retiennent que rarement un autre critère de sélection pour l'échantillonnage que

l'appartenance du créateur à une minorité. Ceci conduit, par exemple, à inclure dans le même échantillon des créateurs de petit commerce et des créateurs d'entreprise innovatrice ou technologique, ce qui présente des inconvénients lorsqu'il s'agit de mesurer des attitudes quant à l'innovation ou le besoin en personnel qualifié. L'entrepreneurship au féminin est parfois classé avec les études concernant les minorités !

KIRCHHOFF B., LONG W., McMULLAN W., VESPER K. et WETZEL W. (1988).

236 RAY Dennis M. et McMULLAN W. Ed. (1988).

Des dimensions particulières concernant les caractéristiques de la création de valeur nouvelle, en dehors de la croissance forte de la valeur générée ou de l'innovation, ont été également explorées. La création des entreprises high-tech a naturellement attiré l'attention de nombreux chercheurs ; des secteurs industriels spécifiques ou des entreprises situées dans des régions ou pays particuliers ont été également étudiés, ainsi que le commerce, la création des entreprises agricoles, la franchise...

Arrêtons cet inventaire fastidieux, mais nécessaire pour rendre compte du fait qu'il est aujourd'hui pratiquement impossible de faire une synthèse des résultats obtenus, et que seul un recensement ou une énumération semble être réalisable.

Il nous faut évoquer trois autres thèmes237 :

- le capital risque238, sans doute du fait de son développement spectaculaire à travers

le monde, surtout aux E.U. en raison d'une législation fiscale particulièrement attrayante ;

- les systèmes d'appui à la création d'entreprise et, notamment, ce qu'il est convenu d'appeler les pépinières ou les incubateurs ;

- enfin, ce qui a trait à l'éducation, à la pédagogie et à la recherche en matière

d'entrepreneurship, ce qui paraît naturel pour une communauté scientifique composée en majorité d'enseignants-chercheurs.

Cet éparpillement de la recherche et l'état du champ du point de vue sémantique nous conduisent à proposer un outil "dégradé", mais susceptible de mieux rendre compte de la réalité des pratiques des chercheurs telles qu'elles apparaissent au travers des sommaires des actes des différentes conférences.

237 Même si ces thèmes de recherche ne concernent pas tous les entrepreneurs, ils concernent le "coeur" de la

cible tel que nous l'avons défini.

238 A titre d'exemple, sur 38 papiers de recherche publiés dans leur intégralité dans les actes de la conférence de

Babson College en 1989, 8 étaient consacrés directement à ce sujet, soit près de 20%.

Figure 13. Le champ de l'entrepreneurship : outil dégradé

Création de valeur nouvelle

Forte croissance Innovation Technologies

avancées Dirigeant créateur Dirigeant Employé Employé Dirigeant Héritage Invitation Franchise Acquisition Création ex nhilo

Pas ou peu de création de valeur nouvelle

Accession au poste de dirigeant par

: Secteur privé Public et O.B.N.L.

S t a r t - u p

P é p i n i è r e

C o r p o r a t e v e n t u r i n g

I n t r a p r e n e u r s h i p

Technological venture

Devenir son propre

patron

V e n t u r e c a p i t a l

L'outil conserve les deux dimensions de la dialogique individu/création de valeur. Les axes sont nominaux, il est cependant possible, à l'instar du schéma général, d'estimer que sa partie nord- est soit objet de consensus sémantique de la part de la communauté scientifique.

L'axe horizontal reprend la notion de création de valeur, mais fait apparaître quatre grandes thématiques :

- pas ou peu de création de valeur nouvelle : dans la conception moderne de

l'entrepreneurship, ne sont retenus comme faisant partie du champ que les cas pour lesquels l'individu initie et réalise un changement ; le thème principal est alors "devenir son propre patron" ou "l'accession au travail non salarié" ; la création ou la reprise de petite entreprise et les franchisés sont particulièrement étudiés ainsi que les

entreprises du secteur informel ;

- la création importante de valeur nouvelle, c'est à dire la création d'une activité

nouvelle se développant fortement : les travaux relatifs à cette dimension sont souvent regroupés sous les termes "entrepreneurial growth strategy" ;

- la création de valeur nouvelle par l'innovation ;

- le thème spécifique de la technologie avancée (high technology ventures)239.

239 Les critères de classement disponibles relatifs à l'innovation ou aux entreprises de technologies avancées sont

qualitatifs et se prêtent mal au repérage statistique. Albert et Mougenot, reprenant des travaux antérieurs, proposent les définitions suivantes :

Les entreprises de technologies avancées "développent et/ou exploitent des nouvelles technologies dans différentes applications pour différents marchés. Ces entreprises, aux frontières de la science et de l'industrie, ont les caractéristiques suivantes :

- leurs dépenses de recherche et développement sont nettement supérieures à la moyenne nationale ; - elles disposent d'une proportion élevée de personnel hautement qualifié ;

- elles ont la capacité de suivre, dans leur domaine, les résultats des laboratoires de recherche et de les mettre en œuvre ;

- elles ont la capacité d'utiliser des savoir-faire rares en s'appuyant sur les connaissances maîtrisées par un nombre limité de personnes ;

- elles appartiennent à des secteurs d'activités qui sont fréquemment bouleversés par des changements technologiques importants tels que les composants électroniques, les nouvelles applications de l'informatique (mécatronique, infographie), la productique, les matériaux nouveaux, le génie biomédical et les biotechnologies, l'énergie et la communication ;

- elles ont un potentiel de croissance rapide mais cette croissance est souvent irrégulière et réalisée par paliers successifs."

Les entreprises innovatrices sont celles qui "lancent des produits ou des procédés nouveaux ayant un contenu technologique, à partir de technologies classiques ou avancées. Par exemple Microconcept : logiciels de gestion pour infirmiers ; Smad : lancement d'un nouveau rein artificiel. Ces entreprises ont certaines caractéristiques des entreprises de technologie avancée mais leur savoir-faire est essentiellement développé dans l'application de la technologie aux utilisations du marché servi".

ALBERT Philippe et MOUGENOT Philippe (1988), p. 106-118.

L'axe vertical fait apparaître la distinction entre le secteur privé et le secteur public et les Organisations à But Non Lucratif240. Là encore, nous n'avons pas souhaité faire apparaître une

troisième dimension de façon à conserver une représentation soulignant la dialogique individu/création de valeur. Cet axe vertical concerne l'entrepreneur et sa position, son statut ou la manière dont il a accédé à la position dirigeante. Il peut être :

- un cadre responsable d'une activité, mais il demeure un employé : il s'agit de l'intrapreneurship qui suppose tout de même une certaine autonomie de l'individu dans la conduite de son projet, autonomie accordée par la direction de l'entreprise ou conquise par l'intrapreneur ;

- un dirigeant (patron), propriétaire de son entreprise ou ne possédant qu'une part négligeable du capital de l'entreprise qu'il dirige et nommé par un conseil

d'administration : les travaux spécifiques à cette perspective sont souvent regroupés sous le vocable "corporate venturing" ;

- un individu accédant à la position de dirigeant (propriétaire ou non) par différents moyens et notamment par la création de sa propre entreprise.

Cette manière de découper une réalité complexe n'est pas totalement satisfaisante, car certaines configurations ont quelques difficultés à être classées241. Les axes sont composites et

nominaux, sans échelle de valeur. ils ont pour seule vertu de nous permettre une représentation visuelle. Cependant, ils sont représentatifs de la problématique générale du champ. La tentation est grande de superposer ce schéma "dégradé", tout du moins sa partie concernant le secteur privé, avec l'outil générique. Nous verrons, avec le problème spécifique de la définition de la création d'entreprise, que nous risquerions d'occulter des hétérogénéités. Autrement dit, pour illustrer le propos, la création ex nihilo d'une entreprise innovante reposant sur l'exploitation de technologies avancées se trouverait positionnée dans l'extrême nord-est du schéma "dégradé", mais pourrait se situer au centre du schéma générique s'il s'agissait de la

240 Bien que le secteur public ou les organisations à but non lucratif soient acceptés comme des domaines où des

entrepreneurs peuvent s'exprimer, les recherches portant spécifiquement sur ceux-ci sont assez rares dans la littérature du champ de l'entrepreneurship. Voir par exemple : HEPWORTH Andrew (1976) ; RAMARMUTI (1986).

241 Le dirigeant propriétaire d'une entreprise, ayant accédé à sa fonction par héritage, qui, en peu de temps, la

transforme et la développe considérablement, se rapproche du créateur ex nihilo. Certains initiateurs d'entreprise ne possédant pas une partie, même minime, du capital de l'entreprise qu'ils ont contribuée à créer, ou les créateurs d'entreprise de type coopératif, se rapprocheraient plus de l'intrapreneur que du créateur- dirigeant-propriétaire.

création d'une toute petite entreprise de type artisanal242 par un entrepreneur qui, dans le

cadre d'un essaimage, ferait, à son compte, ce qu'il faisait déjà dans l'entreprise qui l'a essaimé.

D. Les perspectives ouvertes par cette nouvelle manière de