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3. Confrontations empiriques

3.2. L’efficacité d’internet en question

Les résultats apportés par les études empiriques sont, jusqu’à présent, conformes à nos attentes. En raison de son faible coût, et de ses qualités supposées en matière de circulation de l’information, la nouvelle technologie s’est imposée très rapidement aux acteurs du marché du travail. De plus, les internautes cherchent avec plus d’intensité, ce qui devrait se traduire par une efficacité accrue de la recherche. Les études disponibles permettent de tester l’impact de l’internet sur la durée de chômage et sur la stabilité des relations d’emploi.

3.2.1. L’effet de l’internet sur la durée de chômage

Dans leur enquête, P. Kuhn et M. Skuterud suivent la trajectoire d’un groupe de chômeurs afin de voir si ceux qui utilisent l’internet dans leur recherche retrouvent plus rapidement du travail. Après une année, il apparaît que 64,6 % des chômeurs internautes ont retrouvé un emploi, contre 53,3 % des non internautes. Ces données sont conformes aux attentes, mais ceci est peut-être dû aux spécificités de la population des internautes chômeurs. Ces derniers ont en effet des caractéristiques statistiques associées à une meilleure employabilité : ils ont un niveau d’éducation plus élevé ; ils ont été moins longtemps au chômage auparavant ; ils habitent davantage dans les Etats où le taux de chômage est le plus faible ; ils ont travaillé surtout dans des domaines où le taux de chômage est moins élevé ; ils sont moins souvent noirs, hispaniques ou immigrants [Kuhn et Skuterud, 2004, p. 221]. Au final, ces

42 La façon dont l’internet transforme les modalités de l’intermédiation est étudiée dans les chapitres suivants.

caractéristiques « observables » expliquent l’intégralité de l’avantage des internautes sur les non internautes. Dans la mesure où ils disposent de caractéristiques observables « meilleures » que les non-internautes, les internautes retrouvent un emploi plus rapidement. Par contre, à caractéristiques observables équivalentes, les chercheurs d’emploi internautes ont une durée de chômage identique ou plus longue que les non-internautes – selon la population à laquelle ils appartiennent et l’année de recueil des données. Selon Kuhn et Skuterud, ce résultat ne peut s’expliquer que par le fait que l’usage de canaux de recherche traditionnels avantage les chercheurs d’emploi du point de vue de caractéristiques non-

observables. Les auteurs en concluent que les chercheurs d’emploi, lorsqu’ils incluent l’internet dans leur recherche, sont sélectionnés positivement sur leurs caractéristiques observables, et négativement sur leurs caractéristiques non observables.

Ce résultat est confirmé par l’étude de A. Fountain [2005]. A partir des mêmes données, mais en procédant à un traitement économétrique différent43, elle montre que l’avantage des internautes en 1998 s’est transformé en un désavantage en 2000 : dans l’absolu, un internaute avait 1.6 fois plus de chances de retrouver un emploi dans les trois mois en 1998 ; en 2000, au contraire, ses chances sont inférieures d’un tiers à celles d’un non-internaute [cf. figure 9]. Fountain remarque que le groupe des internautes de 1998 était plus réduit et possédait des caractéristiques observables sensiblement supérieures à la moyenne des chercheurs d’emploi. L’arrivée massive d’internautes moins employables – du point de vue de leur caractéristiques observables – a fait chuter l’avantage des internautes sur les non-internautes. L’étude de Fountain donne également une idée des effets de l’usage d’internet à caractéristiques observables identiques. La prospection par internet élève de 5 % la probabilité de trouver un emploi en 1998, mais la fait chuter de 8 % en 2000. Ainsi, selon Fountain, à mesure que l’internet s’est répandu, son efficacité (effectiveness) a décliné.

43 La population des deux études est un croisement de chômeurs suivis par le BLS (CPS) et d’individus ayant

répondu à une enquête sur l’usage d’internet (CIUS). L’échantillon de A. Fountain est représentatif et regroupe 316 individus en 1998 et 346 individus en 2000 – ces individus sont suivis pendant trois mois. Au contraire, l’échantillon de Kuhn et Skuterud est exhaustif et contient 4 139 individus suivis pendant un an.

Figure 9 : probabilité de trouver un emploi en incluant ou non l’internet dans ses méthodes de recherche en 1998 et en 2000 [source : Fountain, 2005].

3.2.2. L’effet de l’internet sur la longévité des appariements

Si l’internet ne réduit pas la durée moyenne de chômage, il est possible que son effet positif se reporte vers la qualité moyenne des appariements. Cette thèse est défendue – de façon prédictive – par A. B. Krueger [2000] ou par R. Freeman [2002]. L’enquête de Y. Hadass [2004] permet de mettre en relation l’usage d’internet dans le recrutement et la durée dans l’emploi. Dans le modèle de Jovanovic [1979], la stabilité de l’appariement donne, par définition, sa qualité. Dans les modèles de prospection avec recherche sur le tas, il constitue également un bon indicateur (indirect) de qualité, puisque l’allongement de la durée de la relation d’emploi – une réduction du turn over – peut être le résultat d’une élévation du salaire d’embauche – les salariés ayant atteint un bon salaire renoncent à poursuivre leur recherche sur-le-tas [Cahuc et Zylberberg, 2001, p. 58]. Pour autant, les résultats présentés par Y. Hadass indiquent que le recrutement par internet n’est pas associé à un allongement de la relation d’emploi. Ainsi, les candidats recrutés par internet restent aussi longtemps en poste que ceux qui sont recrutés par petites annonces ou par le biais d’une agence. Cependant, le recrutement par relation personnelle, ou l’embauche directe de jeunes diplômés, produisent des appariements nettement plus stables – 1,7 fois plus longs. De plus, les métiers ayant enregistré la plus forte croissance des recrutements par internet (ingénieurs et techniciens ; marketing) sont aussi ceux qui ont vu leur durée d’emploi décliner le plus fortement. Au final, Y. Hadass soutient la thèse d’une possible réduction de la qualité de l’appariement lorsque les employeurs ont recours à l’internet pour recruter.

Conclusion

A l’issue de cette revue des travaux empiriques, il apparaît donc que l’arrivée d’internet ne produit pas de manière certaine les effets escomptés par leurs auteurs : réduction du chômage et élévation de la qualité des appariements. Certes, ces résultats sont fragiles et leurs auteurs indiquent la nécessité de recourir à d’autres enquêtes pour éprouver leur fiabilitié. De plus, il est possible que le marché du travail soit lui aussi le théâtre du paradoxe formulé par R. Solow en 1987 : « you can see the computer age everywhere these days, except in the productivity statistics ». Un argument avancé pour expliquer ce paradoxe est qu’il était nécessaire d’atteindre un certain seuil de diffusion et d’apprentissage avant que les effets de productivité ne se manifestent dans les statistiques [Gadrey, 2000]. Cependant, l’enquête de A. Fountain montre plutôt une tendance inverse : passé un certain seuil de diffusion, le recours à l’internet ne devient plus aussi efficace. Par ailleurs, les nombreuses études visant à tester les conséquences d’une baisse des coûts de recherche sur les marchés de produits – i.e. le commerce électronique – produisent, elles aussi, des résultats peu conformes aux prédictions de la théorie standard. Ainsi, si les marchés électroniques contribuent parfois à une baisse des prix, ils sont également caractérisés par une grande volatilité et une forte dispersion des prix [cf. encadré 3].

Comment, dès lors, expliquer la persistance de frictions – ou, disons, d’imperfections, au sens de la théorie standard – dans un environnement où les coûts de recherche d’information sont proches de zéro ? On pourrait tenter de répondre à cette question en mobilisant les modèles de prospection explorés dans la section précédente. D’une part, si l’internet ne réduit pas la durée de chômage, c’est que les chercheurs d’emploi profitent de la baisse des coûts de recherche pour élever leur salaire de réservation. D’autre part, si le recrutement par internet ne se traduit pas par un allongement des relations d’emploi, c’est que les salariés ainsi recrutés mobilisent ce mode d’information pour prospecter sur-le-tas : la baisse des coûts engendrée par l’internet leur permet de consulter davantage d’offres et de changer plus souvent d’emploi. Ce type d’explication n’est cependant pas mobilisé par les auteurs dont nous avons passé en revue les travaux. Ceux-ci privilégient une interprétation en termes de coûts de sélection et d’asymétries d’information.

Encadré 3 : les effets d’internet sur les marché de produits

L’arrivée d’internet sur les marchés de produits a donné lieu à une littérature foisonnante [voir Ellison et Ellison, 2005, pour la revue la plus récente]. De manière intéressante (pour l’étude de notre objet), de nombreux travaux s’inscrivent dans une problématique identique à la nôtre : que se passe-t-il dans un environnement où un paramètre – ici, les coûts de recherche – prend soudainement une valeur nulle ? Assiste-t-on à une baisse et à une convergence des prix vers le coût marginal ?

Les études portent généralement sur des produits standardisés, dans un environnement hautement concurrentiel, et où les consommateurs peuvent accéder à l’information via les sites internet comparateurs de prix (price search engines).

Les premières études – Lee [1997] et Bailey [1998] – montrent que les prix sont en moyenne plus élevés sur internet que dans le commerce traditionnel. Au contraire, les études, plus représentatives et plus tardives, de Brynjolfsson et Smith [2000] et de Larribeau et Penard [2002] sur le marché des biens culturels (CD et livres), de Brown et Goolsbee [2002] sur le marché des assurances vies, ou de Scott-Morton et al. [2001] sur les automobiles montrent que les prix sont sensiblement inférieurs sur internet – de 2 à 16 %.

Parallèlement, toutes les études constatent une très forte dispersion et une grande volatilité des prix. Ainsi, la baisse des coûts de recherche ne conduit pas vers un prix unique. Ce résultat est conforme aux prédictions du modèle de Stahl [1989] dans lequel cohabitent des individus a priori parfaitement informés (les internautes) et des individus supportant des coûts de recherche positifs. On constate, à l’équilibre, une baisse des prix – par rapport au pur univers de search – mais aussi une dispersion des prix. A mesure que la population des « internautes » s’accroît, le prix tend vers le coût marginal et la dispersion disparaît. Or, une telle évolution n’est pas observée dans le commerce électronique.

Aussi, face à la persistance de la dispersion et de la volatilité des prix, les explications sont à trouver du côté du comportement stratégique des firmes dans l’établissement des prix et des asymétries d’information [voir par exemple Carlton et Chevalier, 2001 et le survey de Ellison et Ellison, 2005]. Ainsi, M. Spence, dans la conférence qu’il donna à l’occasion de la remise du prix Nobel, déclare: « the late George J. Stigler recognized that finding the lowest price was an activity that requires resources and that there was a trade-off between incurring costs of further research and the expected benefits of finding even lower prices. For prices that are posted in an Internet environment, the cost of finding the lowest price is pretty close to zero. […] The reduction or elimination of these search costs in the first instance increases competition. However, there is probably more to this story. The decision to post a price is a strategic decision and in the face of negligible search costs, it is possible that sellers’ willingness to post prices will decline and that there will be more negociated prices or prices that are taylored to the individual buyer » [2002, p. 455].

4. L’effet incertain d’internet sur les coûts de recrutement :