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MARCHES NUMERIQUES DU TRAVAIL

1. Les usages du moteur de recherche d’annonces de Keljob

1.1. Eléments de cadrage

1.1.1. Keljob.com, un pur matchmaker ?

En raison de son caractère spécifique d’agrégateur de bases de données, qui lui permet de draîner des volumes importants d’annonces et de candidats, il serait tentant de voir dans

Keljob une place de marché occupant une position centrale sur le marché du travail français. Cependant, une telle réduction pourrait s’avérer trompeuse. Certes, Keljob référence un nombre considérable d’annonces et génère une audience importante ; il n’est cependant pas représentatif du marché du travail français. Certes, Keljob se situe à l’interface de l’offre et de la demande ; mais il joue un rôle de facilitateur de la rencontre, et non de secrétaire de marché walrasien.

Son statut de moteur de recherche d’annonces permet à Keljob, plus encore qu’à ses concurrents et/ou partenaires, de bénéficier de fortes externalités de réseau. Sur un versant, il additionne les annonces émanant d’un nombre de sites croissant dans le temps : 356 sites en août 2004, 1200 sites en mars 2006. Sur l’autre versant, il récupère l’audience générée par des sites partenaires et se rend attractif en annonçant des volumes d’offres nettement plus élevés que les autres. Voire, sa capacité à attirer simultanément sur sa plate-forme offreurs et demandeurs en nombre constitue la raison d’être de Keljob.

Ainsi, quoique décroissant dans le temps, le nombre d’annonces référencées par Keljob reste toujours bien supérieur à celui des sites dédiés à l’emploi classiques. Jusqu’à décembre 2003, Keljob indexait les offres diffusées sur le site de l’ANPE, ce qui lui permettait de présenter un volume considérable d’offres (357 000 offres en juin 2001). En août 2004, Keljob référençait encore 149 074 annonces. A titre de comparaison, l’ANPE diffusait en moyenne 100 000 offres sur son site en 2004. Il n’est pas inintéressant de noter qu’à cette époque, l’ANPE revendiquait de 30 à 35 % de parts sur le marché des annonces d’offres d’emploi138. Si ces données approchaient la réalité139, cela signifierait que pendant la période qui nous occupe –

138 Entretiens avec Alain Jecko, directeur général adjoint de l’Anpe (avril 2003) et Julien Varin, responsable des

services à distance de l’Anpe (avril 2004).

139 Ces données sont cependant très fragiles. Premièrement, un certain nombre d’annonces référencées sont des

doublons, car elles sont diffusées simultanément sur plusieurs sites référencés par Keljob. Il est impossible de quantifier ce biais. Deuxièmement, selon Y. Fondeur et C. Turchzirer [2005], en 2004, les annonces diffusées sur le site de l’ANPE n’étaient plus accessibles depuis le site de Keljob, mais étaient encore comptabilisées par le site agrégateur. Cela signifierait que Keljob référençait effectivement environ 50 000 offres, et non 150 000. Ces données s’accordent mieux avec le volume d’annonces référencées par Keljob en mars 2006 : 55 000 offres. Cette réduction du volume d’offres s’explique également par la fin du référencement de sites dédiés à l’emploi (tel le site de l’APEC) au profit d’un recentrage stratégique vers les sites d’entreprises, moins fournis en annonces, mais plus rentables [cf. chapitre 2]. Mais, comment alors expliquer que Keljob soit parvenu à référencer plus de 300 000 offres quelques années plus tôt (à une époque où le marché du travail était certes florissant) ? Nous ne disposons pas de réponse à cette question ; notons toutefois que Keljob a progressivement renoncé à occuper une position de surplomb, position occupée désormais en France par le site

soit le premier semestre 2004 – près de la moitié des annonces diffusées en France étaient accessibles depuis le moteur de recherche du site Keljob. Cependant, quelle que soit la part du marché des annonces d’offres d’emploi détenue par Keljob, leur contenu n’est pas représentatif du marché du travail français. Selon nos estimations [cf. annexe 2], les emplois dans le secteur tertiaire, et tout particulièrement dans les fonctions commerciales et informatiques, ainsi que les offres en région parisienne, sont sur-représentés. Cependant, malgré cette spécialisation de facto, Keljob maintient une visée généraliste en adressant son offre de services à l’ensemble des employeurs.

Sur le versant de la demande d’emploi, Keljob a enregistré 1 800 000 visites pour 554 000 visiteurs uniques en avril 2004140. A la même époque, 421 000 chercheurs d’emploi étaient abonnés au service d’alerte email permettant de recevoir à intervalles réguliers les offres correspondant à des critères de recherche pré-enregistrés. A titre de comparaison, l’ANPE a reçu en avril 2004 sept millions de visites uniques pour plus de deux millions de visiteurs. Par ailleurs, le profil des chercheurs d’emploi connectés à Keljob est plus proche de la population des internautes que de celle des chômeurs – en moyenne, les utilisateurs de Keljob sont plus jeunes, plus urbains et ont un niveau d’éducation plus élevé [cf. annexe 2].

Au final, si Keljob n’est pas représentatif du marché du travail français, il attire vers sa plate- forme de mise en relation un volume très important d’offres et de demandes – volume jamais atteint par les supports de presse, et plus élevé sur le versant de l’offre d’emploi que sur la plupart des sites d’emploi classiques. Ce faisant, il serait tentant de comparer cette place de marché virtuelle au secrétaire de marché walrasien. L’un comme l’autre agrègent de nombreuses offres et demandes ; tous deux jouent le rôle de chambre de compensation. Cependant, la comparaison s’arrête là. En effet, le secrétaire de marché walrasien enregistre les ordres d’achat et de vente pour déterminer et annoncer le prix d’équilibre, information commune suffisante à la réalisation immédiate et complète des transactions. Au contraire,

Optioncarriere.com (204 691 annonces référencées le 11 avril 2006) ; en Amérique du Nord, le moteur de recherche Simplyhired.com référence un nombre considérable d’annonces (5 381 261 annonces référencées le 11 avril 2006).

140 Données Xiti. Le baromètre Nielsen/Netratings, qui analyse un échantillon représentatif de 5100 internautes à

domicile et au travail, a comptabilisé 259 000 visiteurs uniques, également en avril 2004. En février 2006, le site Keljob.com a accueilli 1 068 888 visiteurs uniques, pour 3 573 311 visites [soit une hausse de son audience de 100 % en moins de deux ans ; source : baromètre Xiti-FocusRH].

Keljob ne fait que mettre en relation des contractants potentiels sans participer à la construction de cette variable commune que constitue le salaire141.

Or, son statut d’agrégateur lui impose une contrainte bien spécifique : du côté de l’offre d’emploi, Keljob ne peut imposer un format unique à des annonceurs qui diffusent par ailleurs leurs offres sur leur propre site ; du côté de la demande, Keljob doit s’assurer que les candidats connectés sont en mesure d’accéder aux annonces, quel que soit leur format et leur contenu. D’un point de vue technique, Keljob est un pur « matchmaker », un entremetteur qui met en relation candidats et recruteurs sans intervenir sur le contenu des offres et des demandes. Sans aucune intervention ?

1.1.2. Une intervention a minima sur les deux versants du marché

Que ce soit sur le versant de l’offre d’emploi ou sur celui de la demande, une intervention minimale de l’intermédiaire est nécessaire pour cadrer les interactions. Vis-à-vis des annonceurs, cette intervention relève de considérations techniques : la contrainte porte essentiellement sur le référencement des offres [cf. encadré 1]. Quant aux candidats, ils doivent être orientés dans leur prospection à la marge extensive de l’information.

141 Les modèles d’intermédiation présentés au chapitre précédent séparent nettement l’activité pré-

transactionnelle en deux séquences. Dans une première phase, l’intermédiaire contribue à la prospection bilatérale aboutissant à l’identification de partenaires potentiels. Dans la seconde phase, la formation du salaire ou du prix résulte d’une négociation bilatérale à laquelle ne participe pas l’intermédiaire. Du point de vue de la formation des prix, cette modélisation est donc très éloignée de celle du secrétaire de marché walrasien. Pour notre part, nous considérons que la formation de la valeur, sur le marché du travail, ne se réduit pas à la détermination d’un prix : le prix rentre dans une gamme de formes de valorisation plus larges, correspondant aux différentes façons d’identifier et de mesurer la qualité du travail. Comme nous le verrons plus loin [cf. ci- dessous, 3. et chapitre 4], une incidence de cette approche de la qualité est qu’elle abolit la discontinuité entre prospection et négociation-formation de la valeur : le langage des qualités, instrumenté par les intermédiaires, est à la fois un outil de prospection et un support de valorisation.

Pour un chercheur d’emploi connecté à l’internet, il est possible d’effectuer une requête de recherche, soit en se connectant directement sur le site Keljob.com, soit en accédant à la rubrique ‘Emploi’ d’un site partenaire de Keljob (Lemonde.fr ; tf1.fr ; etc). Dans ce second cas de figure, l’identité visuelle de Keljob est discrète, voire absente, mais les possibilités de paramétrage sont identiques. La page d’accueil du site Keljob.com invite le candidat soit à effectuer une recherche immédiate par mot clé, soit à accéder à une page de recherche après

Encadré 1 : Une intervention à géométrie variable sur l’offre d’emploi

Parmi les clients de Keljob, certains diffusent de grands nombre d’annonces. Ce sont généralement les sites emploi ou les entreprises de travail temporaire, qui disposent du statut de ‘grand compte’. Sur le plan commercial, ce statut leur permet d’obtenir des réduction tarifaires importantes, compensées par le volume des offres diffusées, et par un ordre d’importance moins élevé dans la liste des annonces renvoyées au candidat [cf. chapitre 2, 2.3.]. Techniquement, ces ‘grands comptes’ disposent de bases de données structurées, ce qui permet un échange de données parfaitement automatisé entre leur serveur et le serveur de Keljob. Une fois par jour, une communication s’établit entre ces serveurs, qui permet de référencer les nouvelles offres, et d’effacer les offres obsolètes.

Pour les petits comptes, par contre, le référencement des annonces se fait de façon ‘semi- automatique’. Le client dispose d’une interface privée accessible en ligne (‘Your Keljob’), à partir de laquelle il va venir définir les informations utiles au référencement de l’annonce. A côté de champs décrivant la zone géographique, le domaine d’emploi, le niveau d’expérience requis, etc, et la zone de texte, un champ spécial permet à l’annonceur de préciser les mots clés, associés à l’offre, et qui permettront le matching avec les requêtes des candidats. En effet, les requêtes de recherche sur des mots clés ne balayent pas le contenu complet des annonces (requêtes ‘full text’), mais une liste finie de mots clés associés à chaque annonce. Enfin, le service ‘Keljobdirect’ permet au recruteur de publier son offre directement sur le site Keljob. L’annonce n’est plus référencée, mais hébergée par le site, à la façon des sites dédiés à l’emploi classiques. La rédaction s’effectue à partir d’un formulaire standardisé qui reprend les champs énoncés ci-dessus, et y ajoute des champs consacrés aux descriptifs du poste et du candidats ainsi qu’aux coordonnées du recruteur. Ce service, plus récent que les précédents, s’inscrit bien dans la stratégie de ‘normalisation’ du moteur de recherche.

Ainsi, quoique discrète, l’intervention de Keljob est bien réelle. Qu’elle soit manuelle ou automatisée, la saisie des champs principaux et de la liste de mots clés doit être réalisée avant le référencement. Le formatage ne pose pas de problème lorsqu’il est effectué manuellement. Par contre, l’automatisation des échanges de données implique un codage a priori de l’annonce, qui doit respecter le format de Keljob. A titre d’exemple, les annonces diffusées sur le site du cabinet de recrutement Mercuri-Urval sont systématiquement accompagnées d’une liste de mots-clés, résumé de l’annonce qui s’intercale en quelque sorte entre le titre de l’offre et le descriptif du poste. Pour les ‘petits comptes’ et les bénéficiaires du service ‘Keljobdirect’, l’intervention de Keljob ne porte pas seulement sur le format, mais aussi sur le contenu des mots clés : Keljob dispose d’un ‘Service qualité’ qui conseille les annonceurs sur les mots clés à associer à chaque offre. Cependant, dans tous les cas, l’annonceur garde la main sur ce contenu, et c’est à lui de déterminer les critères par lesquels il veut rendre visible son annonce.

avoir réduit le champ de recherche à une zone géographique ou à un domaine d’emploi délimité, soit à accéder à une recherche multi-critère :

Illustration 1. La page d’accueil du site Keljob.com et le moteur de recherche simple

Ainsi, en amont de la requête, un premier parcours permet au candidat de sélectionner le dégré de complexité de sa recherche. La page de recherche multicritère142, qui suit, permet un paramétrage plus précis :

142 Remarquons que le contenu du moteur de recherche multicritères a été modifié par rapport à l’époque où ont

été recueillies les requêtes. Le champ ‘intitulé du poste / Mot Clés’ est désormais accompagné d’une fenêtre qui apparaît lorsque plusieurs mots sont écrits à la suite. Cette fenêtre propose trois types de recherche – correspondant aux opérateurs boléens AND, OR et STRING déjà employables en 2004, mais invisibles alors – en explicitant leur implication sur la recherche. Le candidat est désormais invité à préciser s’il souhaite effectuer sa requête : i) « avec tous les mots clés » (AND) ; ii) « avec au moins un des mots-clés » (OR) ; iii) « avec l’expression entière » (STRING). Cette modification a été adoptée par les gestionnaires de Keljob à la suite de notre enquête. En effet, l’usage inadéquat des opérateurs boléens entraîne un nombre important d’échecs de coordination [cf. ci-dessous, 1.2.].

Illustration 2. Le moteur de recherche multicritère en août 2004

Une fois la requête lancée – dans l’illustration visuelle, nous avons effectué une requête renseignant uniquement le champ mot clé : ‘ingénieur AND électronique’ – l’agent de recherche scrute dans la base de données à la recherche des annonces dont le contenu coïncide avec les critères de départ. Une nouvelle fenêtre s’affiche pour l’internaute, listant les annonces reçues. L’ordre de listage par défaut est le suivant : des plus récentes aux plus anciennes ; pour les annonces parues le même jour, les annonces émanant d’un ‘petit compte’ précèdent les annonces des ‘grands comptes’ (qui, rappelons le, paient moins cher pour un référencement) :

A partir du moment où le candidat clique sur une annonce, il ‘sort’ de Keljob :

Illustration 4. La page d’attente avant la connection au site hébergeant l’annonce.

Il est renvoyé automatiquement sur la page de l’annonce, sur le site de l’annonceur. Il peut alors, s’il le souhaite, candidater à l’emploi.

Cette présentation d’un parcours-type sur le site de Keljob appelle deux observations. Premièrement, la contribution de Keljob se situe exclusivement à la marge extensive de l’information. Une fois la requête effectuée sur l’un des moteurs de recherche de Keljob, le candidat accède à une ou plusieurs pages listant les annonces correspondant aux critères définis. Cette liste comporte très peu d’information : intitulé du poste, nom de l’employeur, nom de l’annonceur – différent de l’employeur lorsque l’annonceur est un intermédiaire – et date de publication. Sur la base de ces quelques informations, le candidat peut ordonner ses préférences. Mais l’approfondissement de la recherche à la marge intensive de l’information implique que le chercheur d’emploi clique sur l’intitulé de poste et sorte du site de Keljob. Deuxièmement, l’enjeu essentiel de la recherche sur Keljob se situe au niveau du paramétrage du moteur de recherche. Cet enjeu est approfondi dans la section suivante.