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L’approche expérimentale et cognitive dans la compréhension des métaphores dans la psychopathologie schizophrénique

III.3.1) La compréhension de la métaphore dans la schizophrénie : mise en évidence de la littéralité chez les patients schizophrènes par une démarche expérimentale :

L’approche expérimentale et cognitive en psychopathologie a impulsé de nouvelles perspectives d’étude des troubles de l’accès au sens figuré des patients schizophrènes. L’investigation de la compréhension du langage figuré chez les schizophrènes fournit un aperçu des modalités de la pensée de ces patients (Thoma et Daum, 2006). Une revue de la littérature de 2005 a traité de l’importance des habiletés pragmatiques nécessaires à la compréhension du langage figuré, concernant la qualité des relations interpersonnelles des schizophrènes (Mitchell et Crow, 2005), ce qui reflète d’une grande importance dans le quotidien de ces patients.

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Basées sur une méthodologie expérimentale, permettant d’opérationnaliser la fonction étudiée et d’éviter le recours à la verbalisation, ces études visent à mieux définir les conditions d’apparition des troubles de l’accès au sens figuré, et à étudier le dysfonctionnement des processus cognitifs sous-jacents des patients schizophrènes.

Les premières épreuves expérimentales d’interprétation de métaphores ont testé en priorité la présence de biais d’interprétation en faveur du sens littéral des métaphores chez ces patients au moyen de questionnaires à choix multiples et des épreuves de décisions lexicales.

Une étude de Chapman (Chapman, 1960), compare des patients schizophrènes à des sujets cérébrolésés. Les participants devaient choisir l’interprétation appropriée d’une métaphore parmi trois choix de réponses qui paraphrasaient leurs interprétations littérale, figurée ou inappropriée. Dans le groupe de patients schizophrènes, les interprétations en faveur du sens littéral atteignent un taux de 61% et montrent que les patients négligent le contexte inducteur du sens figuré de l’expression, c’est-à-dire qu’ils choisissent l’interprétation littérale même lorsque le contexte induit le sens figuré (cité dans Iakimova, Passerieux, et Hardy-Baylé, 2006).

Dans une étude de Maher (Maher, 1972), cet auteur met en évidence la confusion possible dans les travaux précédents entre deux dimensions cognitives différentes à savoir la dichotomie sens littéral et sens figuré et la dichotomie sens dominant et sens non dominant. Il critique ainsi le fait que le biais de littéralité retrouvé dans les études serait relié à la prédominance du sens littéral des idiomes testés. La tendance des schizophrènes à se focaliser sur le sens dominant d’un mot polysémique est une donnée connue de la littérature (Chapman, Chapman, et Daut, 1976). Dans une étude plus récente de Titone et collaborateurs les auteurs suggèrent que les schizophrènes ont des difficultés d’inhibition du sens dominant d’un mot polysémique mais si le contexte inducteur est fortement contraignant ils arrivent à inhiber le sens dominant de la même façon que les témoins (Titone, Levy, et Holzman, 2000). Ainsi, devant des métaphores familières dont l’interprétation figurée est la plus saillante, les schizophrènes ne feraient pas d’erreur d’interprétation en faveur du sens littéral, mais choisiraient bien la signification figurée (cité dans Iakimova, Passerieux, et Hardy-Baylé, 2006). Dans leur article Iakimova et collaborateurs critiquent les questionnaires à choix forcé qui étudient la dichotomie sens littéral et sens figuré des expressions, en soulignant que les différentes possibilités de réponses devraient inclurent le paramètre sens dominant et non dominant d’une expression. De plus, dichotomiser les possibilités de réponse de la sorte

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pourrait induire ce biais de littéralité, d’autres types d’interprétations non-figurées n’étant pas proposées (par exemple l’interprétation concrète).

III.3.2) Mise en évidence de l’« hyper-concrétude » des schizophrènes par la tâche de décision lexicale :

Afin de mettre à l’épreuve l’hypothèse de l’ « hyper-concrétude » chez les patients schizophrènes soulevée par les travaux de Goldstein (Goldstein, 1959), différentes études utilisent le paradigme de la tâche de décision lexicale, dans lequel le temps d’identification d’un mot cible est plus court s’il entretient un lien sémantique avec l’amorce. Cette amorce peut être un mot ou une phrase.

Dans une étude, Spitzer (Spitzer, 1993) montre que lorsqu’une métaphore est suivie d’un mot lié au sens figuré, concret, ou non lié, les schizophrènes présentent un effet d’amorçage avec « hyper-priming » (« hyper-amorçage ») par rapport aux témoins pour les mots liés au sens concret d’un mot individuel des proverbes métaphoriques, à la différence des mots liés au sens figuré qui ne suscitent pas de facilitation.

Par exemple : « il joue avec le feu », mot lié au sens concret : « pyromane », mot lié au sens figuré : « danger », mot non lié : « chaise ». Le patient présenterait dans ce cas de figure un effet d’amorçage pour le mot « pyromane », alors que le mot « danger » ne susciterait pas de facilitation.

Pour Spitzer, cette manifestation de « concrétude » chez les schizophrènes résulte du dysfonctionnement de la mémoire de travail (en lien avec le fonctionnement du cortex frontal) nécessaire au maintien actif du sens des mots liés au sens concret des mots individuels du proverbe, à la différence des mots liés au sens figuré qui ne suscitent pas de facilitation. De plus, Spitzer interprète ces résultats comme allant dans le sens de l’hypothèse de l’hyper- activation du réseau sémantique des schizophrènes (ce réseau étant hyper-activé par rapport aux témoins pour les mots liés au sens concret).

Dans une autre étude avec une tâche de décision lexicale, Titone et collaborateurs (Titone, Holzman, et Levy, 2002), testent l’accès au sens d’idiomes dont deux acceptations sont possibles (littérales ou métaphoriques). Selon les auteurs, le sens littéral est véhiculé

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parallèlement au sens figuré au cours du traitement sémantique des idiomes. Ainsi, l’absence d’effet d’amorçage ou de facilitation pour les cibles figurées chez les schizophrènes est considérée comme le reflet d’un trouble d’inhibition du sens littéral. En ce sens, les auteurs montrent que les idiomes lexicalisés n’ayant pas d’interprétation littérale plausible suscitent tout de même un effet d’amorçage cette fois-ci figuré chez les schizophrènes.

III.3.3) Mise en évidence simultanée et sans les confondre de la présence d’éléments concrets et littéraux dans l’interprétation des métaphores chez les patients schizophrènes :

Dans leur étude Iakimova et collaborateurs (2006) ont comparé la compréhension de la métaphore dans la schizophrénie et la dépression par rapport à un groupe contrôle. Leur design expérimental était construit selon le modèle des questionnaires à choix forcés. Sur dix expressions métaphoriques familières, les participants devaient choisir entre non pas deux mais quatre possibilités de réponse à savoir : une réponse littérale, une réponse figurée, une réponse concrète et une réponse au hasard. L’âge, le niveau de vocabulaire (QI verbal) et le nombre d’années d’études étaient des paramètres contrôlés.

Par exemple : « Ce milieu est un panier de crabes » -a) sens littéral : « vivier »

-b) sens figuré : « magouille » -c) sens concret : « crustacé »

-d) réponse inappropriée : « journal »

Les réponses a) et b) correspondent respectivement au sens littéral et figuré de l’expression considérée dans sa globalité, la réponse c) correspond au choix d’un mot lié au sens concret du dernier mot de l’expression, et la réponse d) contrôle les réponses au hasard.

Les résultats de cette étude mettent en évidence que les patients schizophrènes (et les patients déprimés) commettaient plus d’erreurs d’interprétation des métaphores que les personnes contrôles. Conformément à leur hypothèse de départ, ils ont pu montrer que les patients schizophrènes faisaient des erreurs d’interprétation en faveur du sens littéral des métaphores, mais aussi des erreurs de prise en compte du sens concret d’un seul mot des expressions métaphoriques au détriment de leur sens global. Les patients déprimés

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présentaient le même type de profil que les patients schizophrènes dans cette étude, témoignant de la non spécificité des troubles de l’interprétation des métaphores dans la schizophrénie. De même, tous les patients schizophrènes et déprimés, ne faisaient pas d’erreur dans l’interprétation des métaphores, mais les patients commettant des erreurs se caractérisaient par une symptomatologie clinique plus sévère que les patients qui interprétaient correctement les métaphores. Selon cette étude, les patients schizophrènes faisant des erreurs d’interprétation des métaphores présentaient des troubles formels de la pensée quantifiés par la TLC (Andreasen, 1986) (voir Annexe 6) plus sévères que les patients qui ne commettaient pas d’erreur.

De plus, les auteurs précisent dans ce travail que les troubles de l’interprétation des expressions figurées familières observées lors des tests traditionnels d’interprétation des proverbes et des épreuves à choix forcé chez les patients schizophrènes contrastent avec les conclusions rapportées par Titone et collaborateurs (Titone, Holzman, et Levy, 2002), à l’issue de leur épreuve d’amorçage sémantique. En effet, ils avaient montré l’existence d’un effet d’amorçage chez les schizophrènes entre un idiome non ambigu et un mot cible lié au sens figuré. Ils avaient conclu que l’accès au sens figuré des expressions non ambiguës, familières et fortement lexicalisées était préservé chez les patients schizophrènes. Cependant, cela ne présume pas que ces expressions soient correctement interprétées par les patients par la suite. Ceci soulignerait d’après les auteurs, la différence fondamentale entre les processus sémantiques reflétés par les taches d’amorçage, de ceux des épreuves d’interprétation des expressions figurées, dont les résultats sont complémentaires mais non comparables.

Ils critiquent ainsi le fait que les processus cognitifs sous-tendant les anomalies retrouvées restent à préciser notamment par des études en temps réel, que nous aborderons dans un autre chapitre.

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III.3.4) Le rôle sémantique de la valence émotionnelle des mots et le rôle pragmatique de la prosodie émotionnelle dans la compréhension de la métaphore dans la schizophrénie :

Dans l’étude d’Elvevåg et collaborateurs (2011), les auteurs mettent en évidence que des métaphores émotionnelles, familières, lues aux participants, étaient interprétées plus souvent selon leur sens métaphorique par rapport aux métaphores non émotionnelles, ceci dans les deux groupes de 21 schizophrènes et de 21 sujets sains. Les interprétations des participants étaient libres. Les métaphores émotionnelles étaient basées sur six émotions : la colère, la peur, la joie, la tristesse, l’amour et le désir. Les réponses « bizarres » étaient similaires dans les deux groupes. Les auteurs ne concluent pas à une différence concernant l’interprétation idiosyncratique des métaphores par les schizophrènes versus témoins, mais une augmentation significative de l’interprétation littérale des métaphores chez les patients. Ainsi, ils concluent à des processus de traitement sémantiques probablement intacts chez les schizophrènes (Elvevåg, Helsen, De Hert, Sweers, et Storms, 2011).

Il n’y a, à ce jour, pas d’étude publiée ayant déjà exploré la question de la prosodie dans la compréhension de la métaphore dans la schizophrénie.

III.3.5) Le rôle de la théorie de l’esprit dans la compréhension de la métaphore dans la schizophrénie:

Les liens entre compréhension du langage et la théorie de l’esprit sont des sujets d’intérêt en neuropsychologie cognitive.

Une étude réalisée chez des enfants de 5 à 7 ans suggère que certains types d’idiomes dits « non-décomposables » (c’est-à-dire qui n’ont qu’une interprétation figurée possible, exemple : « pierre qui roule n’amasse pas mousse ») ne soient compréhensibles par l’enfant que lorsqu’il a acquis la théorie de l’esprit de second ordre, vers 7 ans, ceci en sus du rôle des compétences verbales nécessaires à la compréhension de ce type d’expressions figurées propres à une langue donnée (Caillies et Le Sourn-Bissaoui, 2008). La même équipe montre dans une étude précédente que les idiomes dits « décomposables » (ayant deux interprétations littérales et figurées possibles, exemple : « tirer la couverture vers soi ») sont compréhensibles par l’enfant dès l’âge de 5 ans, après avoir acquis les compétences linguistiques suffisantes et

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probablement des capacités pragmatiques telle que la théorie de l’esprit de premier ordre (Caillies et Le Sourn-Bissaoui, 2006).

L’étude de Brüne suggère que le déficit en théorie de l’esprit dans la schizophrénie hébéphrénique chez un groupe de patients stabilisés soit lié au QI verbal plus faible des patients, alors que l’analyse en sous-groupe des patients dont le QI verbal est significativement semblable à celui des témoins ne permet pas de mettre en évidence ce déficit, et ceci quel que soit l’âge de début des troubles et la durée de la maladie. Ce résultat est discutable vu la faible taille du sous-groupe (12 schizophrènes versus 12 témoins). Il émet l’hypothèse que les déficits de théorie de l’esprit dans la schizophrénie pourraient être corrélés à des altérations plus globales des processus intégratifs aux niveaux perceptifs, émotionnels et cognitifs, ainsi que des altérations de la mémoire de travail (Brüne, 2003). Dans une autre étude, il met en avant l’importance de l’intégrité de la théorie de l’esprit dans la compréhension des métaphores dans la schizophrénie, en plus du niveau d’intelligence et de l’intégrité des fonctions exécutives (Brüne et Bodenstein, 2005). Pour Mo et collaborateurs, la compréhension de la métaphore dans la schizophrénie serait liée à la théorie de l’esprit de second ordre, indépendamment du QI des sujets (Mo, Su, Chan, et Liu, 2008).

Pour Langdon (2004), le déficit de théorie de l’esprit serait lié aux difficultés de compréhension de l’ironie dans la schizophrénie, mais non lié aux difficultés de compréhension des métaphores. Les difficultés de compréhension des métaphores seraient quant à lui expliquées par des difficultés d’intégration sémantique chez les patients schizophrènes (Langdon et Coltheart, 2004).

Pour d’autres, la compréhension de la métaphore serait liée à la théorie de l’esprit de premier ordre, alors que la compréhension de l’ironie serait liée à la théorie de l’esprit de second ordre (Sperber et Wilson, 2002). Ceci concorderait avec les résultats de certaines études développementales suggérant que la compréhension de la métaphore est acquise avant la compréhension de l’ironie (Winner, 1997), dans la même chronologie que l’acquisition de la théorie de l’esprit de premier, puis de second ordre.

Ainsi, les difficultés de théorie de l’esprit seraient en rapport avec les troubles de la communication et de la compréhension du langage figuré dans la schizophrénie.

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