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L’apport de l’imagerie fonctionnelle dans la compréhension de la métaphore dans la schizophrénie

La compréhension des métaphores conventionnelles et nouvelles implique des aires corticales traditionnellement liées au langage, tout comme d’autres aires qui ne sont pas liées. Alors que le traitement sémantique est essentiel pour comprendre les métaphores, ceci n’est pas suffisant, comme nous avons pu l’exposer ci-dessus (Mashal, Vishne, et Laor, 2014).

III.7.1) La théorie de la latéralisation cérébrale dans la compréhension de la métaphore chez les schizophrènes

D’après Faust et Kenett (2014), l’individu sain fait preuve de flexibilité avec les multiples possibilités d’associations sémantiques exprimées dans le langage humain, dont font parties les associations métaphoriques. Ces habiletés sémantiques impressionnantes peuvent être associées à des patterns distincts et flexibles d’interaction entre les deux hémisphères cérébraux, l’hémisphère droit étant plus particulièrement impliqué dans le traitement des

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métaphores nouvelles et des associations sémantiques éloignées, alors que l’hémisphère gauche serait plutôt impliqué dans le traitement des métaphores conventionnelles et des associations sémantiques étroites (Zeev-Wolf, Goldstein, Levkovitz, et Faust, 2014).

Cependant ces habiletés peuvent être endommagées dans certaines situations cliniques spécifiques comme la schizophrénie, ou dans le syndrome d’Asperger. L’altération du traitement sémantique est accompagnée de différents patterns d’interactions hémisphériques durant le traitement sémantique, montrant une implication excessive de l’hémisphère droit dans la schizophrénie, et au contraire une implication réduite au profit de l’hémisphère gauche dans le syndrome d’Asperger.

Les auteurs interprètent ces différences interindividuelles en termes de « rigidité, chaos et intégration » décrivant les différents patterns de ce réseau que constitue la mémoire sémantique. Ils argumentent en faveur d’un continuum entre ces différents états possibles, incluant d’une part l’hémisphère gauche caractérisé par un état d’hyper-rigidité de la mémoire sémantique (prépondérant dans le syndrome d’Asperger), et d’autre part un l’hémisphère droit caractérisé par un état chaotique et hyper-flexible de la mémoire sémantique (prépondérant dans la schizophrénie). Entre ces deux extrêmes, il existerait différents niveaux de structure de la mémoire sémantique qui font référence aux différences individuelles de créativité chez les sujets, la métaphore étant une figure de style des plus créatives de notre langage.

Ils suggèrent qu’un traitement sémantique efficace est achevé par « l’intégration » sémantique, définie comme un juste milieu entre rigidité sémantique et chaos sémantique, nécessitant une communication inter-hémisphérique optimale. Si cet équilibre était rompu, le traitement du langage métaphorique serait altéré (Faust et Kenett, 2014).

Selon Zeev-Wolf et collaborateurs, les patients schizophrènes désorganisés présenteraient un pattern hémisphérique inversé dans la compréhension du langage, comme ils tentent de le montrer dans une étude comportementale, avec une prédominance de l’implication de l’hémisphère droit et donc du traitement des associations lointaines et non saillantes, induisant une meilleure intégration des métaphores nouvelles par rapport aux témoins. Cependant, malgré ces résultats, ceci ne représente pas un réel avantage car ils ont plus de difficultés à juger du sens des phrases incongrues, des phrases littérales, des métaphores conventionnelles qui sont moins bien comprises chez ces patients et qui les handicapent en situation de communication (Zeev-Wolf, Goldstein, Levkovitz, et Faust, 2014).

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Comme nous avons pu le voir, les deux hémisphères cérébraux ont montré leur implication dans l’intégration sémantique de différentes manières. L’hémisphère droit serait plutôt sensible aux relations sémantiques les plus éloignées, alors que l’hémisphère gauche est sensible aux relations sémantiques plus familières. Pour une bonne compréhension des métaphores, ces deux systèmes doivent interagir de manière optimale.

III.7.2) Les études en IRM fonctionnelle dans la compréhension des métaphores chez les schizophrènes

Des techniques de neuro-imagerie ont ainsi été utilisées pour étudier les processus neurocognitifs dans le traitement du langage figuré dans la schizophrénie. La latéralisation de la compréhension du langage dans la schizophrénie a intéressé les chercheurs depuis que les difficultés de compréhension du langage chez les schizophrènes ont été associées à l’implication de l’hémisphère droit dans la psychopathologie de leurs troubles (Mitchell et Crow, 2005). Les études concernant les métaphores restent rares (voir Image 1 : exemple de représentation IRM de l’anatomie cérébrale).

Dans une étude en IRM fonctionnelle de Kircher et collaborateurs (2007), les auteurs ont étudié la compréhension de métaphores nouvelles versus phrases littérales courtes auprès de 12 schizophrènes versus 12 sujets sains, par une tâche de lecture de phrase où les participants devaient juger de la connotation positive ou négative des propositions. Les résultats des comparaisons entre les groupes en situation métaphorique ont montré que les sujets schizophrènes présentaient une sur-activation au niveau du gyrus frontal inférieur gauche, alors que les participants sains présentaient des modifications de signal plus importantes pour les métaphores nouvelles dans le gyrus temporal supérieur et moyen droit. Ainsi, les patients présentaient des patterns d’activations hémisphériques inversés pour la compréhension des métaphores nouvelles par rapport aux sujets sains. De plus, le score de concrétude de la PANSS (N5) était corrélé négativement à l’activation du gyrus frontal inférieur gauche uniquement chez les patients (Kircher, Leube, Erb, Grodd, et Rapp, 2007).

Dans leur étude en IRM fonctionnelle, Mashal et collaborateurs testent la compréhension de paires de mots de types métaphores conventionnelles, métaphores

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nouvelles, conditions littérales et conditions incongrues. Les 14 sujets schizophrènes versus 14 sujets sains ont dû juger à partir d’une lecture silencieuse du sens de ces paires de mots. En se basant sur les résultats de la littérature concernant les sujets sains, les auteurs émettent l’hypothèse selon laquelle les métaphores nouvelles vont entrainer une activation de régions hémisphériques droites (plus spécifiquement le gyrus frontal inférieur droit), contrairement aux métaphores conventionnelles. Ils testent l’hypothèse selon laquelle le traitement des métaphores nouvelles entraine paradoxalement une activation du gyrus frontal inférieur gauche chez les patients schizophrènes, et ils étudient la relation entre le niveau de concrétude estimé à la PANSS et le signal IRM comme dans l’étude précédente de Kircher (2007). Ils montrent que les patients présentent une diminution significative de la compréhension des métaphores conventionnelles et nouvelles par rapport aux témoins, alors qu’il n’y a pas de différence significative dans la compréhension des paires de mots incongrues entre ces deux populations. De plus, alors que les témoins présentent une activation du gyrus frontal inférieur droit en condition métaphorique nouvelle par rapport aux paires de mots incongrus, les patients schizophrènes présentent une sur-activation du gyrus frontal inférieur et moyen gauche pour les métaphores nouvelles versus paires de mots incongrus. Les comparaisons directes entre les groupes ont montré une augmentation de l’activation du précunéus gauche pour les métaphores nouvelles et les phrases littérales chez les patients, ceci correspondrait d’après les auteurs, aux difficultés d’intégration sémantique générale des patients pour les deux types de conditions littérales et figurés comme l’ont suggéré Iakimova et collaborateurs (Iakimova, Passerieux, Laurent, et Hardy-Bayle, 2005) . Les comparaisons entre métaphore nouvelle et condition littérale chez les patients montrent une augmentation de l’activité dans le gyrus frontal moyen gauche. Ils montrent également une corrélation négative entre le score du concrétude à la PANSS, la compréhension des métaphores conventionnelles et le niveau d’activation cette fois du gyrus frontal moyen gauche et non du gyrus frontal inférieur gauche comme l’avait montré Kircher. Les comparaisons directes entre patients et témoins dans la compréhension des métaphores conventionnelles (familières) indiquent une augmentation de l’activation du gyrus temporal moyen gauche pour les patients par rapport aux témoins, région cérébrale qui serait associée au traitement sémantique et à l’abstractionnisme (Diaz, Barrett, et Hogstrom, 2011). La difficulté à comprendre les métaphores conventionnelles dans la schizophrénie pourrait donc être représentée par l’augmentation de l’activation du gyrus temporal moyen gauche. De plus, cette région n’est pas activée lors de la comparaison de la compréhension des métaphores nouvelles entre les deux groupes, ce qui est en faveur d’une différence de traitement entre métaphores nouvelles et conventionnelles et dont le traitement

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sous-tendrait des processus cognitifs différents. Les auteurs concluent en suggérant notamment que le traitement inefficient des métaphores nouvelles dans la schizophrénie entraîne un recrutement compensatoire de régions cérébrales comme le gyrus frontal moyen gauche et le précunéus gauche, et ainsi des ressources cognitives supplémentaires situées dans le cortex fronto-pariétal, comme la mémoire de travail, l’imagerie mentale, la mémoire épisodique. Ils citent les travaux de Titone pour montrer que leurs recherches s’inscrivent dans la continuité des études suggérant que les patients schizophrènes présentent des difficultés de compréhension du langage figuré dès que cette compréhension va au-delà de la simple retranscription des connaissances sémantiques, demandant des mécanismes d’inhibition ou d’intégration supplémentaires (Mashal, Vishne, Laor, et Titone, 2013).

Dans une étude suivante, la même équipe étudie le rôle du précunéus et du cortex pariétal supérieur, en collaboration avec les aires traditionnelles du langage dans la compréhension de la métaphore chez les patients schizophrènes, le précunéus étant impliqué dans des processus intégratifs complexes, telles que la récupération de la mémoire épisodique et l’imagerie mentale. Ils comparent 12 schizophrènes à 12 témoins par des tâches comportementales de lecture silencieuse et de compréhension de paires de mots métaphoriques conventionnelles, métaphoriques nouvelles, et littérales pendant une analyse en IRM fonctionnelle. Les patients ont, comme dans l’étude précédente, présenté une diminution de la compréhension des métaphores par rapport aux témoins. Chez les patients schizophrènes, une activation significative du précunéus gauche et cortex pariétal supérieur correspondant corrélée à l’activation sillon temporal postéro-supérieur gauche (aire du langage) était significative dans les conditions littérales et métaphoriques nouvelles. De la même façon, cette corrélation a été établie au niveau de l’hémisphère droit, cette fois ci dans les trois conditions littérale, métaphorique familière et métaphorique nouvelle. Ces données n’ont été retrouvées que chez les patients. De plus, les patients montraient une activation du précunéus et cortex pariétal supérieur droit lors de la compréhension de métaphores nouvelles, d’autant plus importante que les réponses données lors du questionnaire de compréhension des métaphores étaient exactes. Les auteurs suggèrent que les schizophrènes utilisent l’imagerie mentale dans la compréhension du langage, ainsi qu’une plus vaste participation d’aires cérébrales spécifiques et non spécifiques du langage témoignant d’un effort de traitement plus important pour les métaphores nouvelles chez les patients (Mashal, Vishne, et Laor, 2014).

62 Image n°1 : Exemple en IRM de l’anatomie du cerveau. Séquence T1, coupe coronale. Issue d’IMAIOS 2016, Atlas d’Anatomie humaine en coupe, Antoine Micheau et Denis Hoa, http://www.imaios.com.

D’autres études ont été menées sur la question de la compréhension du langage métaphorique non verbal, et notamment d’éventuels dysfonctionnements cérébraux dans le traitement de gestes en condition métaphorique chez les patients schizophrènes. Une étude a montré des altérations de la communication entre le sillon temporal supérieur impliqué dans l’intégration d’informations audio-visuelles et une aire du langage, le gyrus frontal inférieur gauche, particulièrement durant le traitement de gestes en condition métaphorique (Straube, Green, Sass, et Kircher, 2014), alors qu’une étude précédente avait montré l’intégrité des processus neuronaux dans le traitement des gestes en condition littérale chez les patients schizophrènes versus témoins (Straube, Green, Sass, Kirner-Veselinovic, et Kircher, 2013). Tous ces travaux mettent en évidence la complexité des processus impliqués dans la compréhension du langage métaphorique chez le sujet sain et les particularités que l’on peut retrouver chez les patients schizophrènes.

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Résumé chapitre III :

Bleuler (1911) était le premier psychiatre à postuler que les troubles du langage et de la communication dans la schizophrénie, qui reflètent en partie des troubles de la mémoire sémantique, constitueraient des symptômes fondamentaux de la pathologie et qu’ils seraient présents chez tous les patients et à tout moment de l’évolution de la maladie.

La compréhension du langage figuré dans la schizophrénie a toujours été un sujet d’intérêt en recherche clinique. En effet, l’ « abstractionnisme systématique » identifié par Bleuler, contraste avec les troubles de l’interprétation des expressions figurées chez ces patients. Différents modèles pathogéniques ont été proposés concernant la compréhension de la métaphore dans la schizophrénie. Les troubles de la compréhension des métaphores selon le modèle de Frith (1992), seraient directement liés aux troubles de la métareprésentation et de cette façon aux anomalies de lecture intentionnelle de ces patients. Contrairement à Frith, le modèle de la « cascade pathogénique » d’Hardy Bayle (1994) postule l’intégrité de la capacité d’attribution intentionnelle des schizophrènes, mais l’incapacité des schizophrènes désorganisés à se servir du contexte dans la compréhension des intentions d’autrui.

Ainsi, les liens entre la compréhension du langage métaphorique dans la schizophrénie, et les cognitions sociales sont étudiés en neuropsychologie cognitive et dans ce chapitre. Une hypothèse soulève la nécessité de l’intégrité de la théorie de l’esprit dans la compréhension des métaphores. Une hypothèse adverse postule que la théorie de l’esprit ne serait pas liée à la compréhension des métaphores chez les schizophrènes mais résulterait de difficultés d’intégrations sémantiques.

Les tâches de décisions lexicales avec des choix multiples ont permis de montrer que les patients schizophrènes faisaient plus d’erreurs d’interprétation des métaphores dans le sens littéral et concret par rapport aux sujets sains, résultats en corrélation avec l’intensité des troubles formels de la pensée de ces patients. Selon la perspective dimensionnelle, l’étude de la compréhension de la métaphore chez les sujets schizotypiques peut nous éclairer sur les patterns cognitifs communs ou différents de ceux retrouvés dans la schizophrénie, et traite de la limite passionnante entre désorganisation et créativité, entre pathologie et originalité.

La littérature concernant le traitement des métaphores a proposé plusieurs modèles chez les sujets sains. Les premières approches traditionnelles ont proposé deux modèles opposés. Le premier modèle de « déviance » du sens littéral de Grice (1989) suggérait que le

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traitement était dans un premier temps celui du sens littéral suivi d’une étape de rejet permettant l’accès au sens métaphorique. A l’opposé, le modèle d’accès direct de Gibbs (1994) propose un accès immédiat au sens figuré fortement contexte-dépendant. Par la suite, selon le modèle de la saillance relative de Giora (1997), les processus initiaux d’accès aux sens figuré et littéral sont gouvernés par le même principe général, celui de la saillance relative des acceptations, les acceptations saillantes étant codées dans le lexique et traitées prioritairement contrairement aux significations non saillantes. Dans un autre modèle de Bowdle et Gentner (2005), les métaphores nouvelles et familières sont comprises à l’aide de stratégies différentes.

Au cours du traitement du langage, le cerveau intègre toutes les informations de nature lexicale, grammaticale, sémantique, émotionnelle et pragmatique afin de créer du sens. Les deux hémisphères cérébraux n’utilisent pas les mêmes stratégies lors du traitement sémantique, mais se complètent. L’hémisphère gauche utilise la stratégie prédictive, rapide, impactée par l’organisation de la mémoire sémantique, alors que l’hémisphère droit utilise la stratégie intégrative ou « wait-and-see », plus lente, nécessitant des ressources attentionnelles optimales avec le maintien du contexte en mémoire de travail. Les études en imagerie fonctionnelle chez les sujets sains ont suggéré l’implication de l’hémisphère gauche (gyrus frontal inférieur) dans le traitement sémantique, et de l’hémisphère droit (gyri temporaux supérieurs et moyens) dans l’analyse de la complexité syntaxique et sémantique du langage et des associations lointaines, ces deux hémisphères interagissant dans la compréhension des métaphores nouvelles. Ces patterns hémisphériques se sont révélés inversés dans les études chez les schizophrènes, avec le recrutement d’autres aires comme le précunéus dans la compréhension des métaphores nouvelles, suggérant le recrutement d’aires compensatoires pour comprendre les métaphores dans la schizophrénie.

Les travaux étudiés soulèvent différentes hypothèses théoriques à explorer sur le plan psychopathologique :

-L’hypothèse d’une altération spécifique de la compréhension de la métaphore par les difficultés d’abstraction dans la schizophrénie avec une tendance à la littéralité et la concrétude (Spitzer et Collaborateurs, 1993)

-L’hypothèse d’une altération de la compréhension des métaphores et du langage en général, conséquence des difficultés d’intégration contextuelle chez les patients et à la désorganisation,

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ceci pouvant être accentué dans la compréhension des métaphores qui est une forme de langage complexe (Iakimova et Collaborateurs, 2006)

-L’hypothèse d’une augmentation de la compréhension des métaphores dans la schizophrénie secondaire à une hyper-activation hémisphérique droite dans la compréhension de métaphores nouvelles (Zeev-Wolf et Collaborateurs, 2014)

Afin d’éclaircir ces différentes interrogations, nous allons procéder à l’étude en temps réel du traitement du langage.

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IV) Application des potentiels évoqués cognitifs à l’étude du langage

dans la schizophrénie