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La question de la métaphore dans la clinique de la
schizophrénie : approche comportementale et
électrophysiologique de l’interaction émotion-cognition
Claire Syda
To cite this version:
Claire Syda. La question de la métaphore dans la clinique de la schizophrénie : approche comporte-mentale et électrophysiologique de l’interaction émotion-cognition. Médecine humaine et pathologie. 2016. �dumas-01655033�
1
UNIVERSITÉ DE NICE SOPHIA ANTIPOLIS FACULTÉ DE MÉDECINE DE NICE
LA QUESTION DE LA MÉTAPHORE DANS LA CLINIQUE DE
LA SCHIZOPHRÉNIE : APPROCHE COMPORTEMENTALE
ET ÉLECTROPHYSIOLOGIQUE DE L’INTERACTION
ÉMOTION-COGNITION
THÈSE
Présentée et soutenue publiquement
à la Faculté de Médecine de Nice le 8 Septembre 2016
En vue de l’obtention du Diplôme d’État de
DOCTEUR EN MÉDECINE
Par
Claire SYDA
Née le 11 Février 1987 à Colmar, Haut-Rhin
Examinateurs de la thèse :
Monsieur le Professeur Michel BENOIT Président du Jury Monsieur le Professeur Guy DARCOURT Assesseur
Monsieur le Professeur Dominique PRINGUEY Assesseur Monsieur le Docteur Jean ROUSSEAU Assesseur
Madame Galina IAKIMOVA Assesseur et co-directrice Monsieur le Docteur Bruno GIORDANA Assesseur et directeur de thèse
3
UNIVERSITÉ NICE-SOPHIA ANTIPOLIS
FACULTÉ DE MÉDECINE
_________
Liste des professeurs au 1er septembre 2015 à la Faculté de Médecine de Nice
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4
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5
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6
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9
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10
Table des matières
Liste des abréviations
17Introduction
générale
18
PARTIE I : PARTIE THEORIQUE
I) Introduction : L’intérêt suscité par la métaphore dans la clinique de
la
schizophrénie
21
II) Les liens entre la compréhension du langage figuré, la théorie de
l’esprit et le traitement des émotions chez les patients schizophrènes
par l’approche cognitive
23II.1) L’approche cognitive dans la psychopathologie schizophrénique
II.1.1) L’approche cognitive
II.1.2) L’approche cognitive de la schizophrénie
II.1.3) Modèles cognitifs de la schizophrénie 25
II.1.3.1) Le modèle de Frith (1992)
II.1.3.2) Le modèle de Hardy-Baylé (1994)
II.2) Les troubles de la cognition sociale dans la schizophrénie
27II.2.1) La théorie de l’esprit II.2.2) Le traitement des émotions
II.2.2.1) Le traitement de la prosodie dans la schizophrénie
II.2.2.2) Le traitement de la valence émotionnelle dans la schizophrénie
11
III) Apport de l’approche cognitive à la compréhension du langage
figuré dans la schizophrénie
33
III.1) La compréhension du langage littéral dans la schizophrénie à partir des
études en amorçage sémantique
III.2) La compréhension de la métaphore dans la psychopathologie
schizophrénique par l’approche expérimentale : études comportementales
35III.
2.1) Exemples des modèles de Frith et Hardy-Baylé dans la compréhension de la métaphore chez les patients schizophrènesIII.2.2) Les concepts de littéralité et de concrétude dans la compréhension du langage figuré chez les patients schizophrènes à partir des tests d’interprétation de proverbes
III.2.3) L’influence des caractéristiques cliniques dans la compréhension de la métaphore dans
la psychopathologie schizophrénique 37
III.3) L’approche expérimentale et cognitive dans la compréhension des
métaphores dans la psychopathologie schizophrénique
38III.3.1) La compréhension de la métaphore dans la schizophrénie : mise en évidence de la littéralité chez les patients schizophrènes par une démarche expérimentale
III.3.2) Mise en évidence de l’« hyper-concrétude » des schizophrènes par la tâche de décision lexicale
III.3.3) Mise en évidence simultanée et sans les confondre de la présence d’éléments concrets et littéraux dans l’interprétation des métaphores chez les patients schizophrènes
III.3.4) Le rôle sémantique de la valence émotionnelle des mots et le rôle pragmatique de la prosodie émotionnelle dans la compréhension de la métaphore dans la schizophrénie 43 III.3.5) Le rôle de la théorie de l’esprit dans la compréhension de la métaphore dans la schizophrénie
12
III.4) La compréhension de la métaphore dans la schizotypie
45III.5) Modèles psycholinguistiques d’accès à la compréhension du langage
figuré
chez
le
sujet
sain
48
III.5.1) La métaphore comme « déviance » du sens littéral III.5.2) Le modèle « d’accès direct » au sens figuré III.5.3) Le modèle de la saillance relative de Giora
III.5.4) Le modèle compositionnel à partir de l’hypothèse configurationnelle III.5.5) Modèle de la saillance ou modèle configurationnel ?
III.5.6) Le modèle de Bowdle et Gentner « The Career of Metaphor model »
III.6) L’apport de l’imagerie fonctionnelle dans la compréhension des
métaphores
chez
le
sujet
sain
53
III.7) L’apport de l’imagerie fonctionnelle dans la compréhension de la
métaphore
dans
la
schizophrénie
57III.7.1) La théorie de la latéralisation cérébrale dans la compréhension de la métaphore chez les schizophrènes
III.7.2) Les études en IRM fonctionnelle dans la compréhension des métaphores chez les schizophrènes
Résumé
chapitre
III
63IV) Application des potentiels évoqués cognitifs à l’étude du langage
dans
la
schizophrénie
66
IV.1) Principes des potentiels évoqués
IV.2) Description des potentiels évoqués
67IV.2.1) La structure
IV.2.2) La nomenclature conventionnelle IV.2.3) La classification des potentiels évoqués
13
IV.2.4) La notion de composante
IV.2.5) La quantification des composantes
IV.2.6) Les limites de l’interprétation des potentiels évoqués cognitifs
IV.3) Application des potentiels évoqués à l’étude du langage chez l’individu
sain
71IV.3.1) Description princeps de la N400
IV.3.2) Caractéristiques sémantiques et topographie de la N400 73 IV.3.3) Modulation de la N400 par le contexte phrastique
IV.3.3.1) La notion de prédictibilité du dernier mot de la phrase
IV.3.3.2) Les effets incrémentiels du contexte et « effets de position ordinale du mot » IV.3.3.3) Les effets de l’association sémantique entre les mots ou « related anomaly effect »
IV.3.4) La N400 et l’amorçage sémantique 75
IV.3.5) Quels processus de traitement la N400 reflète-elle ?
IV.3.6) Le rapport entre le contexte phrastique et le contexte lexical 76 IV.3.6.1) De la similarité qualitative entre l’amorçage lexical et l’amorçage phrastique IV.3.6.2) Des caractéristiques individuelles des mots au jeu interactif du contexte
IV.3.7) Les modèles théoriques et générateurs cérébraux potentiels de la N400 77 IV.3.7.1) Modèles théoriques
IV.3.7.2) Générateurs cérébraux potentiels de la N400
IV.3.8) Autre potentiel évoqué linguistique : la LPC ou P600 ou composante positive tardive IV.3.9) La LPP pour « Late Positive Potential » dans le traitement des émotions 80
14
IV.4) Application des potentiels évoqués à l’étude du langage dans la
schizophrénie
80IV.4.1) Apport de la N400 à l’étude du langage dans la schizophrénie
IV.4.1.1) L’hypothèse de l’hyper-activation sémantique des patients schizophrènes 81 IV.4.1.2) Les anomalies de la N400 chez les patients schizophrènes versus sujets sains IV.4.2) Apport de la LPC à l’étude du langage dans la schizophrénie 87
IV.5) L’apport des potentiels évoqués à l’étude du langage figuré : la métaphore
IV.5.1) L’apport de l’électrophysiologie à la compréhension de la métaphore chez le sujet sain IV.5.1.1) Le cas de l’augmentation de l’amplitude de la N400 en condition métaphorique chez le sujet sain et hypothèses explicatives
IV.5.1.2) Les différences qualitatives sur la N400 en conditions métaphoriques et hypothèses
explicatives 89
IV.5.1.3) Comparaison de la N400 en condition métaphorique conventionnelle et nouvelle chez le sujet sain
IV.5.2) Apport de l’électrophysiologie à la compréhension de la métaphore dans la
schizophrénie 91
IV.5.2.1) Etude princeps : La N400 dans la compréhension des idiomes chez les patients schizophrènes
IV.5.2.2) La N400 et la LPC dans la compréhension de la métaphore des patients schizophrènes par rapport aux sujets sains
15
Partie
II
:
Partie
expérimentale
96
I) Problématique
II)
Matériel
et
méthode
97II.1) Participants
II.1.1. Participants schizophrènes II.1.2. Participants témoins II.1.3. Cadre éthique et légal
II.2)
Matériel
expérimental
104
II.2.1) Principe de la tâche et conditions expérimentales
II.2.2) Procédure expérimentale 106
II.2.3) Analyses statistiques et hypothèses opérationnelles 108 II.2.3.1) Définition des variables expérimentales
II.2.3.2) Comparaison des données sociodémographiques cliniques et neuropsychologiques des participants des deux groupes
II.2.3.3)Analyses des résultats comportementaux : temps de réponse (TR) et performance à la compréhension des phrases (% BR)
II.2.3.4) Analyse des potentiels évoqués associés à la perception des phrases dans chaque modalité expérimentale
II.2.3.5) Hypothèses opérationnelles 111
III)
Résultats
113
III.1) Les résultats comportementaux
III.1.1) Analyse de la congruité de la prosodie sur la compréhension des phrases littérales, métaphoriques et anormales chez les patients schizophrènes versus témoins
16
III.1.2) Analyse de la valence émotionnelle et de la congruité de la prosodie sur la compréhension des phrases métaphoriques et littérales chez les patients schizophrènes versus témoins
III.2) Corrélations 117
III.2.1) Corrélations avec les variables cliniques
III.2.2) Corrélations avec les variables neuropsychologiques
III.3) Analyse électrophysiologique 125
III.3.1) Modulation de la N400, de la LPC et de la LPP en fonction du type de phrase dans chaque groupe
III.3.2) Comparaison de la N400 et LPC des schizophrènes versus témoins pour chaque type de phrase
III.3.3) Impact de la valence émotionnelle sur les phrases littérales et métaphoriques dans la comparaison de la N400, LPC et LPP dans chaque groupe
III.3.4) Impact de la prosodie sur la compréhension des phrases littérales, métaphoriques et anormales dans la comparaison de la N400, LPC et LPP dans chaque groupe
Résumé
des
principaux
résultats
139IV) Discussion et ouverture
141Conclusion
générale
154
Bibliographie
156Annexes
169Serment d’Hippocrate
19917
Liste des abréviations
DSM : Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders EEG : électroencéphalographie
ERP : électrophysiologie
IRM : imagerie par résonnance magnétique LPC : late positive component
LPP : late positive potential MEG : magnétoencéphalographie MMN : mismatch negativity ms : milliseconde
PE : potentiel évoqué
PET scan : tomographie par émission de positons % BR : pourcentage de bonnes réponses
SOA : stimulus onset asynchrony TR : temps de réponse
18
Introduction générale
La recherche psychopathologique dans la schizophrénie est un domaine vaste et multidisciplinaire, où les différentes approches psychanalytiques, phénoménologiques, cognitives mais aussi psychopharmacologiques ou encore neuro-développementales jouent chacune un rôle singulier et complémentaire qui fait toute la richesse de la psychiatrie contemporaine.
Les questions des troubles du langage et des interactions sociales de ces patients sont des domaines importants à l’étude car ils ont un impact certain dans leur qualité de vie. Les outils d’évaluation clinique comme la PANSS (Kay, Fiszbein, et Opler, 1987) considèrent que les patients schizophrènes présentent des difficultés d’abstraction, et ainsi des troubles de l’accès au langage figuré et à la métaphore, contrastant avec un discours abstrait, hermétique, ou dans certains cas jugé poétique voir créatif. Cette ambivalence en elle-même est représentative de la désorganisation de la pensée chez les patients schizophrènes. La recherche cognitive a montré que chez les patients schizophrènes ces difficultés d’abstraction sont le reflet d’autres mécanismes, comme les difficultés à traiter les émotions, à attribuer des intentions, ou à intégrer les informations contextuelles en un tout cohérent. Ces différents éléments pourraient être à l’origine de difficultés dans la compréhension du langage métaphorique dans cette population.
Afin d’étudier ces différents aspects par une approche cognitive, nous avons participé à l’ANR ELISE : « Interactions émotions-cognitions à travers l’étude du langage littéral et figuré dans les troubles schizophréniques et bipolaires, approche comportementale et électrophysiologique », un projet national, multicentrique et collaboratif engageant la participation de l’Université de Nice Sophia Antipolis (le laboratoire LAPCOS) et du CHU de Nice, l’Université de Reims Champagne-Ardenne et le CHU de Reims, et l’Institut des Neurosciences de la Méditerranée et le CHU de Marseille. Au sein de ce projet, nos travaux représentent la collaboration du CHU de Nice et nos responsabilités scientifiques et cliniques apportées aux études de l’ANR, que nous présentons dans le cadre de cette thèse.
19
Dans ce travail, nous traiterons les différentes questions suivantes afin de situer le cadre de notre étude et d’intégrer nos travaux à la littérature existante sur le sujet.
Nous présenterons une première partie sur l’intérêt suscité par la métaphore dans la clinique de la schizophrénie afin d’attirer notre curiosité sur cette figure de style et les questions qu’elle peut susciter dans le domaine de la schizophrénie.
Dans une seconde partie, nous traiterons du lien entre la compréhension du langage métaphorique, la théorie de l’esprit ou « l’attribution des intentions à autrui », et le traitement émotionnel par l’approche cognitive. Ceci nous permettra d’étudier les rapports entre le langage figuré et les troubles de la cognition sociale dans la schizophrénie.
Dans une troisième partie, nous nous concentrerons sur la littérature relative à l’approche cognitive dans la compréhension du langage littéral et figuré dans la schizophrénie, tout en exposant les modèles psycholinguistiques d’accès au sens figuré chez la personne saine afin d’aborder la pathologie. Nous exposerons différents travaux en imagerie fonctionnelle chez le sujet sain et le patient schizophrène, dans la perspective d’affiner nos recherches et d’avoir une vision globale anatomique et fonctionnelle des particularités dans le traitement de la métaphore.
Puis, dans une quatrième partie théorique, nous nous concentrerons sur les études cognitives « en temps réel » par l’approche électrophysiologique dans la compréhension du langage métaphorique, par une composante d’intérêt la « N400 », et d’autre ondes moins bien connues la LPC et LPP. Pour aborder cette question nous exposerons les bases théoriques de l’électrophysiologie puis nous réaliserons une brève revue de la littérature des applications de ces composantes intégrées à des niveaux de langage de complexités différentes.
Dans la partie expérimentale nous présenterons notre travail d’étude sur la compréhension de la métaphore « nouvelle » dans la psychopathologie schizophrénique par une approche cognitive comportementale et électrophysiologique, en rapprochant ces particularités langagières à la clinique de la désorganisation de la pensée, la théorie de l’esprit, et le traitement des émotions véhiculées par le langage comme la « valence émotionnelle » et la « prosodie émotionnelle ». Il s’agit d’une étude prospective, multicentrique, visant à comparer des données cliniques, comportementales et électrophysiologiques chez des sujets schizophrènes cliniquement stabilisés versus témoins sains, réalisant une tâche de compréhension langagière et émotionnelle.
20
Notre discussion portera sur la compréhension de la métaphore et des émotions langagières dans la schizophrénie et les processus psychopathologiques pouvant sous-tendre cette compréhension, afin de mieux comprendre et appréhender leurs troubles.
21
PARTIE I : PARTIE THEORIQUE
I) Introduction : L’intérêt suscité par la métaphore dans la clinique de
la schizophrénie
La question de la métaphore en tant que figure de style unique et énigmatique de la rhétorique date d’Aristote (350 av. J-C). Il considérait que cette variation de la « normale » rendait le langage plus majestueux et hors du commun (Giora, 2007). La métaphore (du grec « meta » qui signifie changement et « phore », l’action de porter, de se mouvoir), se définit selon Aristote par « le transport à une chose d’un nom qui en désigne un autre, transport du genre à l’espèce, ou de l’espèce au genre, ou de l’espèce à l’espèce ou d’après le rapport d’analogie ». En d’autres termes, une métaphore désigne l’emploi d’un mot pour en exprimer un autre par substitution analogique, sans qu’il n’y ait d’élément introduisant formellement une comparaison (exemple : on dira d’une personne qu’elle est un « ours » pour signifier son impolitesse).
Selon Kleiber (1999), il y aurait une « déviance » de l’usage ordinaire des termes et de leurs combinaisons dans la métaphore. Ainsi, plusieurs travaux ont montré que l’accès au sens métaphorique se faisait dans un second temps, après une première étape de rejet du sens littéral. Cependant, cette conception a été remise en question par d’autres théories stipulant qu’il n’existerait pas d’identification spécifique de la métaphore ni d’étape interprétative particulière mobilisée pour la compréhension, mais que les éléments métaphoriques augmenteraient la difficulté du traitement cognitif. Par la suite, cette conception a été mise en évidence par des méthodes d’imagerie cérébrales sensibles aux décours temporels des opérations mentales, les potentiels évoqués cognitifs. Les métaphores font parties du langage quotidien et s’intègrent dans un contexte linguistique complexe dont la portée communicative doit être prise en compte (Coutté, Legall et Iakimova, 2012).
Ainsi selon Sperber et Wilson, la compréhension des métaphores implique la capacité à traiter de manière inférentielle le contexte, et de percevoir l’intentionnalité communicative du locuteur (Sperber et Wilson, 2002). Ces processus seraient particulièrement sollicités dans le cas de la compréhension des métaphores nouvelles, le sens de ces métaphores pouvant rester invisible si l’intentionnalité communicative du locuteur n’est pas perçue.
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Tous les domaines de la psychiatrie se sont intéressés à la compréhension de la métaphore dans la schizophrénie : de la psychanalyse, avec Jacques Lacan (1901-1981) qui s’est penché sur le rôle structurant du langage dans la psychose, et a postulé que la psychose serait marquée par l’absence de processus de métaphorisation, à la neuropsychologie qui s’intéresse aux troubles de la compréhension du langage figuré dans la schizophrénie ainsi que les processus neurocognitifs sous-tendant ces troubles (Ribolsi, Feyaerts, et Vanheule, 2015).
C’est Eugène Bleuler, un psychiatre suisse, qui est à l’origine du terme « schizophrénie » en 1908. Ce terme constitue en lui-même une métaphore dont la signification littérale est « esprit scindé ». A partir de cette métaphore, Eugène Bleuler met en évidence un aspect important de la symptomatologie schizophrénique : la désorganisation de la pensée chez ces patients (Bleuler, 1911). La recherche clinique s’est toujours intéressée à ces formes du langage figuré comme les métaphores, susceptibles d’illustrer un « paradoxe » révélateur des troubles de la communication des patients schizophrènes. En effet, « l’abstractionnisme systématique » reflété par la surabondance d’expressions figurées dans le discours des schizophrènes contraste avec les troubles de l’interprétation des expressions figurées (Iakimova, Passerieux, et Hardy-Baylé, 2006).
Sur le plan clinique, les troubles formels de la pensée chez les patients schizophrènes constituent toujours un élément central du diagnostic. Dans le DSM5 (American Psychiatric Association, 2013), le diagnostic de schizophrénie ne peut être posé sans la présence d’au moins un des symptômes suivant sur deux minimum, pendant une partie significative du temps, sur une période d’au moins un mois, à savoir : idées délirantes, hallucinations ou discours désorganisé. Les autres symptômes à prendre en compte sont le comportement désorganisé ou catatonique et les symptômes négatifs. Ainsi, la présence d’un comportement désorganisé et de symptômes négatifs, ne suffisent plus à faire le diagnostic de schizophrénie comme cela était mentionné dans le DSMIV-TR. Ceci peut s’inscrire dans l’approche dimensionnelle du DSM5 et permet notamment de différencier une authentique schizophrénie d’un trouble schizotypique. Il n’existe plus à proprement parlé de sous-type de schizophrénie selon cette classification, mais un codage de la sévérité, où les troubles cognitifs ont leur place (American Psychiatric Association, 2013) (voir Annexe 1 et 2).
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II) Les liens entre la compréhension du langage figuré, la théorie de
l’esprit et le traitement des émotions chez les patients schizophrènes
par l’approche cognitive
II.1) L’approche cognitive dans la psychopathologie schizophrénique
II.1.1) L’approche cognitive
Les sciences cognitives ont pour objet la description et la compréhension des facultés de l’esprit humain : langage, pensée, raisonnement, perception, contrôle de la motricité (Andler et Collaborateurs, 2004). Elles constituent un domaine vaste, hétérogène et pluridisciplinaire, source d’importantes contributions à la psychologie et à la neuropsychologie contemporaines. Elles se définissent comme des sciences de l’esprit. La psychologie et la neuropsychologie cognitives permettent la modélisation de fonctions élémentaires (ex. perception, attention) ou plus complexes (ex. langage, mémoire), et les modèles du fonctionnement de ces fonctions sont soumis à une validation expérimentale (Georgieff, 1995). La neuropsychologie « traditionnelle » se voulait « localisationniste » par l’étude des troubles cognitifs à l’aide de batteries de tests neuropsychologiques chez les patients cérébraux-lésés. Par exemple, le Wiscontin Card Sorting Test (WCST) (Grant et Berg, 1948), est utilisé pour sa valeur de localisation dans les structures corticales préfrontales, il ne permet cependant pas l’étude des processus cognitifs qui sous-tendent ce résultat. La neuropsychologie cognitive intègre l’aspect fonctionnel en étudiant les opérations cognitives mises en jeu entre la localisation cérébrale et le comportement du sujet.
L’exploration cognitive n’aurait pas pour objet les seuls effets de la pathologie sur le fonctionnement intellectuel, mais le processus psychopathologique lui-même, les états mentaux et donc les mécanismes cognitifs sous-jacents à la clinique schizophrénique. Les anomalies repérées par l’exploration cognitive sont dans ce cadre considérées comme des indices des processus pathologiques. Le terme « cognitif » en psychiatrie peut prendre des définitions très variables comme l’analyse cognitive de la clinique, des relations entre faits
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cliniques, cognitifs et neurobiologiques, voir même des enjeux thérapeutiques qui peuvent indirectement en découler (Georgieff, 1995).
La neuropsychologie cognitive introduit une étape intermédiaire entre le comportement et le cerveau : les opérations cognitives. Des tâches cognitives, expérimentales, sont ainsi proposées au sujet afin d’explorer « la microstructure » cognitive qui échappe à l’observation directe. Cette méthode est volontairement réductrice et n’implique que certains processus cognitifs variables selon la tâche choisie. Les performances sont analysées de façon quantitative, par le temps de réaction, et, qualitative par la nature de la réponse donnée. De plus, les différentes techniques d’imagerie cérébrales permettent la représentation de l’articulation entre les données cognitives et cérébrales (Iakimova, 2003).
II.1.2) L’approche cognitive de la schizophrénie
La schizophrénie est à l’heure actuelle considérée comme une véritable « pathologie de la cognition », les troubles cognitifs étant situés au cœur même de cette pathologie (Danion, Agniel, et Van der Linden, 2000).
De nombreuses fonctions cognitives présentent un déficit dans la schizophrénie : la mémoire verbale et non verbale, l’attention, les fonctions exécutives, la vitesse de traitement de l’information... Des données récentes, issues des études rétrospectives ont montré que les troubles cognitifs étaient présents dès l’âge de 3 ans, de manière pré-morbide. Le suivi de l’évolution des patients au cours de leur trajectoire développementale indique que la dégradation cognitive se poursuivrait jusqu’au premier épisode psychotique puis suivrait la courbe du vieillissement normal pour la plupart des patients schizophrènes (Lecardeur et Benbrika, 2016). Cela montre que les troubles cognitifs font partie du processus morbide et ne constituent pas l’unique conséquence des symptômes de la schizophrénie. Ainsi, nous pouvons supposer, que l’approche cognitive permettrait de saisir la dynamique cognitive que sous-tend le processus schizophrénique.
Cependant, la constatation d’une anomalie de traitement de l’information dans une tâche expérimentale donnée chez un patient schizophrène ne suffit pas pour la compréhension de leur trouble, il semble essentiel d’inscrire cette anomalie dans la dynamique globale de résolution de la tâche (Hardy-Baylé, 2002).
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Selon Hardy-Baylé (2002) « Les patients schizophrènes nous apprennent que leur manière de traiter l’information se distingue de celle d’un sujet normal placé dans une même situation. Il ne suffit pas de montrer que le schizophrène ne met pas en place, dans une tâche donnée, un fonctionnement cognitif comparable au sujet normal, il importe de savoir ce qu’il utilise comme stratégie de réponse ».
Ainsi, appliquées à la psychiatrie, les sciences cognitives permettent d’étudier les activités mentales complexes guidant le fonctionnement de la pensée du patient schizophrène et permettent d’étudier d’un point de vue cognitif, le fonctionnement de la pensée désorganisée et son expression dans les troubles de la communication et des interactions sociales dans la schizophrénie.
La schizophrénie est aujourd’hui appréhendée comme une pathologie neuro-développementale et est définie par un pattern symptomatique regroupant les troubles de la cognition et des émotions (Kalkstein, Hurford, et Gur, 2010). Elle est en conséquence considérée comme une pathologie de la cognition sociale (Brüne et Juckel, 2010).
II.1.3) Modèles cognitifs de la schizophrénie II.1.3.1) Le modèle de Frith (1992) :
Dans « Neuropsychologie de la schizophrénie » publié en 1992 en anglais, Frith propose un modèle rapportant les symptômes de la schizophrénie à un fonctionnement cérébral anormal par la médiation d’un processus cognitif unique : la métareprésentation. Selon lui, les manifestations de la schizophrénie résulteraient d’anomalies spécifiques de la métareprésentation (Frith, 1996).
Dans ce modèle, Frith propose 3 anomalies principales de la métareprésentation permettant de rendre compte des principaux signes et symptômes de la schizophrénie : - les troubles de l’action volontaire,
- les troubles du self-monitoring,
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Cette conception de la métareprésention selon Frith rend compte des difficultés d’accès à la nature symbolique et polysémique du langage, dans la mesure où la fonction métaphorique impliquerait l’accès à la représentation ou à la croyance d’autrui, et dépendrait au niveau cognitif de l’accès à cette métareprésentation définie par Frith, perturbé dans la schizophrénie.
II.1.3.2) Le modèle de Hardy-Baylé (1994) :
C’est le modèle dit de « la cascade pathogénique ». S’inscrivant en tant que descendant de la tradition Bleulérienne, ce modèle interroge le concept clinique de « désorganisation », plaçant les troubles du langage et de la communication au cœur même de la symptomatologie schizophrénique.
Ce modèle met en évidence que l’anomalie cognitive commune à tous les patients schizophrènes désorganisés peut se décrire comme une anomalie de la prise en compte des éléments contextuels et de leur ajustement à la situation dans laquelle se déroule l’action. Contrairement au modèle de Frith, ce modèle stipule que la prise de conscience est postérieure à l’action, et se construit de manière progressive permettant un enrichissement et un réajustement du contexte.
Chez les patients schizophrènes désorganisés, il existerait un défaut d’intégration des données contextuelles sémantiques et un défaut de prise en compte des données contextuelles intentionnelles.
Ainsi, les troubles de la communication des patients schizophrènes désorganisés résulteraient de difficultés à retenir l’hypothèse la plus plausible du fait de leur incapacité à traiter les informations contextuelles qui le permettent (cité dans Iakimova, 2003).
Selon ce modèle cognitif de la schizophrénie, les troubles de la communication chez les patients résulteraient de difficultés à intégrer les informations langagières à leur contexte (limité aux aspects lexico sémantiques) et à attribuer une intention à autrui (Hardy-Baylé, Sarfati, et Passerieux, 2003). Les processus d’intégration contextuelle et ceux d’attribution intentionnelle sont généralement étudiés séparément dans la schizophrénie et indépendamment des aspects émotionnels. Or, lors de la communication quotidienne, les informations non verbales, notamment la prosodie émotionnelle, sont aussi des sources
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importantes d’informations permettant de décoder le sens du message, particulièrement dans des situations de langage figuré tel que l’ironie. Le rôle des aspects émotionnels dans le traitement du langage peut ainsi être étudié d’un point de vue « sémantique » par la valence émotionnelle des mots et des expressions d’une part, et d’un point de vue « pragmatique » à travers la prosodie émotionnelle d’autre part. Ils peuvent ainsi être intégrés à l’étude de la compréhension du langage chez les patients et les sujets sains afin de former un tout cohérent.
Dans le chapitre suivant, nous étudierons les troubles de la cognition sociale dans la schizophrénie en traitant successivement les domaines de la théorie de l’esprit et le traitement des émotions afin de les intégrer à la compréhension des troubles de la communication et de l’accès au sens figuré chez les patients schizophrènes.
II.2) Les troubles de la cognition sociale dans la schizophrénie
La cognition sociale est initialement définie en 1954 par Bruner et Tagiuri, dans le livre Handbook of social psychology, comme l’étude de la perception, du jugement, de la reconnaissance et du raisonnement sur les objets sociaux, prioritairement les individus et le soi, mais également sur des évènements sociaux.
La définition de la cognition sociale par la NIMH (Institut en Santé mentale des Etats-Unis) comprend quatre domaines principaux (Green, Penn, Bentall, Carpenter, Gaebel, Gur, Kring, Park, Silverstein, et Heinssen, 2008) : la théorie de l’esprit, le traitement émotionnel, la perception et les connaissances sociales, et le style d’attribution.
II.2.1) La théorie de l’esprit
La théorie de l’esprit est la capacité à former une représentation des états mentaux (intention, désirs, croyances, connaissance), des autres et à utiliser cette représentation pour comprendre, prédire, et juger leurs comportements et leurs énoncés. Deux niveaux de théorie de l’esprit sont explorés expérimentalement : la théorie de l’esprit de premier ordre et la théorie de l’esprit de second ordre.
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La théorie de l’esprit de premier ordre concerne les représentations d’une personne sur le monde, exemple : « Anne pense que la bille est dans le panier ». La théorie de l’esprit de second ordre se rapporte aux représentations d’une personne sur les états mentaux d’une autre personne, exemple : « Sally sait qu’Anne pense que la bille est dans le panier » (voir Annexes 3).
Les conséquences d’un déficit en théorie de l’esprit dans la schizophrénie entraînent des troubles de la communication dans la vie quotidienne, un isolement social, un handicap social.
La théorie de l’esprit de premier ordre est acquise chez l’enfant vers l’âge de 3-4 ans, alors que la théorie de l’esprit de second ordre n’est acquise que vers l’âge de 6-7 ans (Baron-cohen, 1997), et dépendrait de l’environnement social des individus (Carpendale et Lewis, 2004) . Elle continuerait à se développer jusqu’à l’adolescence.
Une méta-analyse récente a confirmé l’altération significative en théorie de l’esprit dans la schizophrénie (Sprong, Schothorst, Vos, Hox, et van Engeland, 2007) . Les auteurs ont réalisé une analyse de 29 études menées entre 1993 et 2006 concernant d’éventuels déficits en théorie de l’esprit dans la schizophrénie. Ils en ont conclu à une altération en théorie de l’esprit dans cette pathologie, quelle que soit la symptomatologie prédominante. Cependant, le sous-groupe de patients désorganisés présentait un déficit significativement plus important par rapport à ceux qui ne présentaient pas de tels symptômes.
II.2.2) Le traitement des émotions
Les patients schizophrènes présentent des troubles émotionnels à type d’émoussement affectif, anhédonie, ambivalence émotionnelle. Ces troubles, liés aux difficultés de traitement des émotions, sont en rapport avec les troubles de la communication des patients schizophrènes.
La capacité à identifier un état émotionnel chez soi et autrui est un des déterminants d’une interaction sociale opérante. Le traitement des émotions concerne à la fois la perception des émotions et l’expression émotionnelle.
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L’investigation de la compréhension des émotions a principalement été réalisée jusqu’à ce jour par la reconnaissance des émotions faciales. En effet, les émotions faciales sont considérées comme un vecteur important d’informations lors de situations interpersonnelles. De façon récurrente, les études chez les patients schizophrènes ont montré des difficultés à reconnaitre correctement les émotions faciales et à les discriminer. Une revue de la littérature, a montré que la reconnaissance de l’ensemble des émotions faciales était altérée dans la schizophrénie, avec néanmoins des variabilités d’une émotion à une autre. On retrouve notamment une perception diminuée des expressions émotionnelles négatives et une hyperréactivité émotionnelle en conditions de laboratoire contrastant avec l’émoussement affectif visible cliniquement chez ces patients (Chambon et Baudouin, 2009 ; Fakra, Dubois, Adida, Corréard, Kaladjian, Mazzola, Belzeaux, Cermolacce, et Azorin, 2012) . Ce déficit pourrait constituer un facteur « trait » de la maladie, c’est-à-dire présent dès la première décompensation mais également à tous les stades de la maladie (Wölwer, Streit, Polzer, et Gaebel, 1996). Il serait présent à une fréquence et une intensité moindre chez les sujets apparentés sains (Kee, Horan, Mintz, et Green, 2004). Ce déficit ne serait que faiblement sensible aux antipsychotiques de première et de deuxième génération, bien que l’intensité de ce trouble soit corrélé aux symptômes positifs et négatifs et à la durée de la maladie (Kohler, Walker, Martin, Healey, et Moberg, 2010). Ces troubles peuvent ainsi considérés comme un endophénotype de la schizophrénie (Fakra, Dubois, Adida, Corréard, Kaladjian, Mazzola, Belzeaux, Cermolacce, et Azorin, 2012).
Pour avoir une vision plus globale de la compréhension des émotions, l’investigation ne peut se limiter à la reconnaissance ou discrimination des émotions faciales, les émotions faciales ne constituant pas la seule voie pour communiquer son état émotionnel. D’autres moyens existent à travers le langage notamment. Il s’agit, entre autre, de la valence émotionnelle des mots et de la prosodie émotionnelle. La prosodie, ou mélodie qui accompagne le discours, peut permettre d’inférer l’état émotionnel du locuteur. La valence émotionnelle d’un mot fait partie du bagage sémantique de ce mot (la signification) qui peut être positive ou négative (ANR ELISE, 2011). Les études restent peu nombreuses dans ce domaine.
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II.2.2.1) Le traitement de la prosodie dans la schizophrénie :
De la même manière que dans le cas de la reconnaissance des émotions faciales, il a été mis en évidence que le déficit concernant le traitement de la prosodie émotionnelle était présent dès les premiers stades de la maladie et à moindre mesure chez les apparentés sains (Kucharska-Pietura, David, Masiak, et Phillips, 2005). Ces résultats corroborent les travaux d’Edwards (Edwards, Jackson, et Pattison, 2002). Ce déficit serait plus marqué dans le cas de la prosodie négative (Huang, Chan, Lu, Ma, Li, et Gong, 2009). Les études de neuro-imagerie ont montré que les régions impliquées dans le rôle de la reconnaissance des émotions faciales et de la prosodie émotionnelle étaient en partie communes (Haxby, Hoffman, et Gobbini, 2000 ; Schirmer et Kotz, 2006), impliquant le cortex temporal supérieur droit, le cortex limbique avec l’amygdale, en interaction avec le cortex préfrontal. Une étude récente en IRM fonctionnelle et en électrophysiologie (ERP), a mis en évidence ce déficit de reconnaissance des émotions auditives c’est-à-dire de la prosodie chez des patients schizophrènes (ou présentant un trouble schizo-affectif) en montrant une diminution de la composante électrophysiologique pré-attentive précoce nommée MMN pour « mismatch negativity » (ou négativité de discordance), associée à des troubles de la connectivité entre le cortex auditif et le cortex temporal médial (insula antérieur) lors d’une tâche des reconnaissance de la prosodie. Cette étude apporte des arguments supplémentaires en ce qui concerne le déficit de traitement de la prosodie chez les schizophrènes (Kantrowitz, Hoptman, Leitman, Moreno-Ortega, Lehrfeld, Dias, Sehatpour, Laukka, Silipo, et Javitt, 2015). Des troubles de la reconnaissance de la prosodie négative ont aussi été récemment étudiés chez les individus ayant présenté un premier épisode psychotique et les apparentés sains (Allott, Rice, Bartholomeusz, Klier, Schlögelhofer, Schäfer, et Amminger, 2015). Concernant la compréhension du langage figuré, la participation de la prosodie dans la compréhension de l’ironie a été établie, mais pas pour la compréhension de la métaphore (Wang, Lee, Sigman, et Dapretto, 2006).
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II.2.2.2) Le traitement de la valence émotionnelle dans la schizophrénie :
Dans une étude réalisée Jalenques et collaborateurs auprès de 20 patients schizophrènes, les auteurs concluent à une perception de la valence émotionnelle des mots préservée chez les patients par rapport à la valeur normative de Bonin (Bonin, Méot, Aubert, Malardier, Niedenthal, et Capelle-Toczek, 2003). Ils montrent une perception de la valence émotionnelle négative des mots dont la connotation est la plus négative perçue comme moins négative, et une perception de la valence émotionnelle positive des mots dont la valence est la plus positive perçue comme moins positive par les patients schizophrènes dans le cadre de la valeur normative (Jalenques, Enjolras, et Izaute, 2013). Ainsi, les patients schizophrènes n’auraient pas de difficulté à juger de la valence positive, négative ou neutre des mots, mais ils semblent sous-évaluer la valence émotionnelle, avec un affaiblissement des cotations à forte intensité émotionnelle, qu’elle soit positive ou négative. Ce traitement de la valence émotionnelle a un impact sur le traitement lexical des mots, et donc sur le traitement du langage (Niedenthal et Setterlund, 1997). Une étude réalisée auprès d’individus sains a mis en évidence que dans les tâches de décision lexicale, les mots à valence positive étaient traités plus rapidement que les mots neutres, les mots à valence négative étaient traités plus lentement que les mots neutres (Niedenthal et Setterlund, 1994). Concernant les tâches de mémoires, les performances mnésiques sont significativement plus élevées pour les mots à valence positive ou négative plutôt que neutre (MacKay, Shafto, Taylor, Marian, Abrams, et Dyer, 2004), alors que pour les patients schizophrènes, ces données étaient inconstantes d’après les résultats de sept différentes études à ce sujet (Herbener, 2008).
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Résumé chapitre II :
De nombreuses fonctions cognitives sont impactées dans la schizophrénie, avant même le premier épisode psychotique. L’étude de la compréhension du langage dans la schizophrénie en neuroscience cognitive permet d’appréhender les processus sémantico-émotionnels impliqués, ainsi que les processus d’intégrations sous-jacents et tente de les mettre en lien avec les troubles de la communication et de l’adaptation sociale de ces patients. La schizophrénie est aujourd’hui appréhendée comme une pathologie neuro-développementale et définie par un pattern symptomatique regroupant les troubles de la cognition et des émotions. Elle est en conséquence considérée comme une pathologie de la cognition sociale. Les patients schizophrènes présenteraient des troubles de la théorie de l’esprit qui seraient plus marqués en cas de symptômes de désorganisation.
Le langage, et plus particulièrement la métaphore, en tant que figure de style unique et créative, sont teintés émotionnellement. Or, l’altération de la reconnaissance des émotions faciales peut être considérée comme un marqueur « trait » dans la schizophrénie. La valence émotionnelle du discours et la prosodie émotionnelle sont d’autres vecteurs langagiers permettant d’exprimer son état émotionnel et semblent ainsi indissociables de l’étude de la compréhension des métaphores en psychopathologie. Des études antérieures ont retrouvé une altération du traitement de la prosodie émotionnelle chez les patients présente à tous les stades de la maladie et à moindre mesure chez les apparentés sains, ce déficit étant plus marqué en cas de prosodie négative. Les performances des patients schizophrènes à juger de la valence émotionnelle des mots seraient comparables aux témoins, mais il existerait une sous-estimation de la valence des mots les plus chargés émotionnellement.
Les processus d’intégrations contextuelles, d’attribution intentionnelle et les aspects émotionnels peuvent ainsi être intégrés à l’étude de la compréhension de langage en neuropsychologie cognitive afin de mieux comprendre et cibler les difficultés des patients.
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III) Apport de l’approche cognitive à la compréhension du langage
figuré dans la schizophrénie
Comme en témoigne leur importance historique et séméiologique, les troubles du langage et de la communication constituent un champ privilégié de la pathologie schizophrénique et l’intérêt porté à ce domaine par les chercheurs, psychiatres, psychologues, linguistes, a été démontré par de nombreux travaux, dans tous les domaines et dans toutes les orientations qu’elles soient psychanalytiques, phénoménologiques, cognitives.
Nous verrons successivement et brièvement les hypothèses concernant la compréhension du langage littéral dans la schizophrénie, puis nous nous intéresserons à un niveau plus complexe à la compréhension du langage figuré chez les patients, et nous tenterons de comprendre les mécanismes impliqués dans ce traitement langagier par les modèles psycholinguistiques d’accès au sens figuré chez les individus sains. Nous verrons différentes méthodes qui ont été et sont toujours utilisées dans la recherche cognitive sur la compréhension de la métaphore chez les patients schizophrènes par rapport à des sujets sains ou à d’autres populations cliniques.
III.1) La compréhension du langage littéral dans la schizophrénie à partir des
études en amorçage sémantique
Bleuler était le premier auteur à postuler que les troubles du langage et de la communication dans la schizophrénie, reflétant en partie des troubles de la mémoire sémantique, constituent un des symptômes fondamentaux de la pathologie et qu’ils seraient présents chez tous les patients et à tous moments de l’évolution de la maladie (cité dans Besche-Richard, Iakimova, Hardy-Baylé, et Passerieux, 2014).
Concernant le traitement du langage littéral chez les schizophrènes, les études se sont focalisées, durant les 30 dernières années, sur les processus d’intégration contextuelle, étudiés principalement à l’aide des paradigmes d’amorçage sémantique, tant d’un point de vue comportemental qu’électrophysiologique.
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Deux principales hypothèses ont été explorées sur la base de la mémoire sémantique à partir des études sur l’amorçage sémantique dans la schizophrénie :
-une hypothèse postulant l’existence d’une hyper-activation des associations sémantiques en mémoire chez les patients schizophrènes (Kwapil, Hegley, Chapman, et Chapman, 1990; Spitzer, Braun, Maier, Hermle, et Maher, 1993; Moritz, Mersmann, Kloss, Jacobsen, Wilke, Andresen, Naber, et Pawlik, 2001). Les auteurs suggèrent que cette hyper-activation sémantique serait liée aux troubles formels de la pensée chez les patients schizophrènes. Une étude longitudinale réalisée par Gouzoulis-Mayfrank et collaborateurs a suggéré que cette hyper-activation des associations sémantiques en mémoire était liée aux troubles formels de la pensée et à la symptomatologie positive chez les patients, et se normalisait après régression de ces symptômes (Gouzoulis-Mayfrank, Voss, Mörth, Thelen, Spitzer, et Meincke, 2003).
-une autre hypothèse qui postule l’existence de difficultés, chez les patients schizophrènes, à mettre en place des processus d’intégration contextuelle explorée à un niveau lexico-sémantique (Besche, Passerieux, Segui, Sarfati, Laurent, et Hardy-Baylé, 1997; Passerieux, Segui, Besche, Chevalier, Widlöcher, et Hardy-Baylé, 1997). Ces difficultés seraient pour les auteurs liées à l’importance de la désorganisation cognitive chez les patients schizophrènes. Les mêmes auteurs ont mis en évidence que ces difficultés étaient sensibles aux contraintes, faibles ou fortes, de ce contexte, et qu’elles pouvaient être améliorées chez les patients (Besche-Richard et Passerieux, 2003; Besche-Richard, Passerieux, et Hardy-Baylé, 2005; Ditman et Kuperberg, 2010).
Ces différentes hypothèses ont en commun d’impliquer le facteur clinique « désorganisation » de la pensée et d’en proposer une explication par la perturbation des processus cognitifs. Cette lecture « cognitive » de la désorganisation se retrouve dans l’abord des troubles du traitement du langage des patients schizophrènes.
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III.2) La compréhension de la métaphore dans la psychopathologie
schizophrénique par l’approche expérimentale : études comportementales
III.
2.1) Exemples des modèles de Frith et Hardy-Baylé dans la compréhension de la métaphore chez les patients schizophrènes :Les troubles de la compréhension des métaphores selon le modèle de Frith (1992), seraient directement liées aux troubles de la métareprésentation et de cette façon aux anomalies de lecture intentionnelle de ces patients.
Contrairement à Frith, le modèle d’Hardy-Baylé postule l’intégrité de la capacité d’attribution intentionnelle des schizophrènes, et l’incapacité des schizophrènes désorganisés à se servir du contexte dans la compréhension des intentions d’autrui.
Le modèle de la « cascade pathogénique » d’Hardy-Baylé (1994) permet d’émettre l’hypothèse selon laquelle les troubles d’accès au sens figuré des schizophrènes ne reflètent pas une perte de compétence spécifique de compréhension des métaphores des patients schizophrènes, mais seraient en rapport avec les anomalies élémentaires de traitement intégratif du contexte global (Iakimova, 2003).
Différentes approches expérimentales ont tenté de clarifier la question de la compréhension de la métaphore au sein de ces modèles dans la schizophrénie.
III.2.2) Les concepts de littéralité et de concrétude dans la compréhension du langage figuré chez les patients schizophrènes à partir des tests d’interprétation de proverbes
L’emploi d’expressions au sens figuré comme les métaphores, les proverbes, les idiomes, fait partie des actes du langage : l’accès au sens littéral des mots individuels ne suffit pas pour accéder au sens du message transmis. La recherche clinique s’est toujours intéressée à ces formes du langage susceptibles d’illustrer un « paradoxe » révélateur des troubles de la communication des patients schizophrènes. En effet, « l’abstractionnisme systématique »
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identifié par Bleuler (1911) et reflété par la surabondance d’expressions figurées dans leur discours contraste avec des troubles de l’interprétation des expressions figurées (Iakimova, Passerieux, et Hardy-Baylé, 2006). Les dichotomies entre pensées littérales et figurées ou littérales et concrètes, étaient soutenues par le modèle du neurologue Goldstein (Goldstein, 1959) postulant la carence des attitudes abstraites dans la schizophrénie. Cette carence des attitudes abstraites des patients schizophrènes est quantifiée encore aujourd’hui dans la sous échelle négative, item N5 de l’échelle d’évaluation de la symptomatologie positive, négative et générale, la « PANSS » (Kay, Fiszbein, et Opler, 1987) (voir Annexe 8).
Les tests d’interprétation des proverbes traditionnellement utilisés pour l’évaluation clinique des patients schizophrènes ont montré la nature presque systématique des réponses concrètes données par les patients et ont permis de déduire le niveau de difficulté d’abstraction observé par l’analyse qualitative des interprétations données par les patients schizophrènes en termes de concrétude et de littéralité.
La concrétude correspond à la présence d’un mot ou symbole clé du proverbe réutilisé lors de son interprétation (exemple : « quand le chat n’est pas là, les souris dansent », réutilisation du mot « chat » ou « souris » ou les deux). La littéralité correspond à l’interprétation globale du proverbe de manière littérale et non abstraite (exemple : « l’herbe est toujours plus verte dans le pré voisin », deviendrait « le jardin d’à côté est mieux entretenu »).
Ces tests d’interprétation des proverbes ont conduit progressivement à rejeter l’hypothèse classique d’une perte globale des « attitudes abstraites » des patients schizophrènes comme le soutenait Goldstein au départ. Ces tests ont révélé que l’impression globale de la perte de l’abstraction résulterait d’une grande variété de troubles : de la tendance à privilégier le sens littéral ou « littéralité », de l’attachement au sens concret de l’un et/ou des deux symboles clés du proverbe ou « concrétude », et d’autres formes de troubles de la pensée. Les troubles de l’interprétation des proverbes ont également été observés dans d’autres pathologies psychiatriques (et ne sont donc pas spécifiques de la schizophrénie). La qualité des interprétations des proverbes est influencée par le niveau intellectuel (QI) des individus, par les caractéristiques cliniques des patients interrogés et dépend aussi de la qualité de l’évaluateur et des instructions données au patient (Iakimova, Passerieux, et Hardy-Baylé, 2006, a et b).
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III.2.3) L’influence des caractéristiques cliniques dans la compréhension de la métaphore dans la psychopathologie schizophrénique :
Les premières études traitant de l’influence de la psychopathologie dans la compréhension du langage figuré des schizophrènes, n’ont pas toujours utilisé des outils diagnostiques précis et adaptés afin d’atteindre leurs objectifs (Thoma et Daum, 2006).
De Bonis et collaborateurs ont réalisé une subdivision entre groupe « paranoïde » et « non paranoïde » dans leur étude. Ils ont montré que le sous-groupe de schizophrènes « non-paranoïdes » avait plus de difficulté dans la compréhension des métaphores dans un questionnaire à choix forcé, par rapport aux témoins sains, au groupe de patients dépressifs et au sous-groupe de schizophrènes « paranoïdes » (de Bonis, Epelbaum, Deffez, et Féline, 1997).
Langdon (2002) a mis en évidence que les troubles formels de la pensée de type négatif étaient associés aux troubles des fonctions exécutives et aux troubles de la compréhension de la métaphore chez les patients schizophrènes. Ceci correspondrait à des troubles de nature sémantique plutôt que pragmatique dans leur compréhension des métaphores (contrairement aux troubles de la compréhension de l’ironie caractérisés par des difficultés de théorie de l’esprit et de troubles formels de la pensée de type positif). Il a suggéré que les troubles formels de la pensée n’étaient pas unitaires dans la schizophrénie et n’avaient pas les mêmes conséquences sur la compréhension du langage figuré chez ces patients (Langdon, Coltheart, Ward, et Catts, 2002).
Sponheim, dans une tâche d’interprétation de proverbes avec réponses libres, a montré que le score d’abstractionnisme était positivement corrélé à l’intelligence globale (QI) des participants, le score de concrétude était négativement corrélé au QI (plus le QI était faible plus le score de concrétude était élevé), aux fonctions exécutives, à l’attention et à la mémoire, et le taux de réponses bizarres ou idiosyncratiques était corrélé positivement aux troubles formels de la pensée de type positif mais pas aux fonctions cognitives (Sponheim, Surerus-Johnson, Leskela, et Dieperink, 2003).
Dans l’étude de Iakimova et collaborateurs que nous avons détaillée ci-dessus, les auteurs ont testé l’hypothèse selon laquelle l’interprétation des métaphores dans la schizophrénie était liée à la sévérité de la symptomatologie et en particulier à la sévérité des
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troubles formels de la pensée. Ils ont conclu selon le modèle de Hardy Bayle (Hardy-Baylé, Sarfati, et Passerieux, 2003) que les schizophrènes qui commettaient des erreurs d’interprétation des métaphores avaient des troubles formels de la pensée significativement plus sévères que ceux qui n’avaient jamais commis d’erreur. Ce résultat confirmerait le rôle central de la désorganisation de la pensée des patients schizophrènes dans la qualité de leur traitement sémantique (Iakimova, Passerieux, et Hardy-Baylé, 2006).
Mossaheb et collaborateurs, ont montré que les difficultés de compréhension des métaphores familières et nouvelles dans différentes tâches de compréhension des métaphores étaient en rapport non seulement avec des troubles cognitifs mais aussi avec la symptomatologie négative dans les troubles du spectre schizophrénique (inclusion de patients schizophrènes et présentant un trouble schizo-affectif, selon les critères diagnostiques du DSMIV) (Mossaheb, Aschauer, Stoettner, Schmoeger, Pils, Raab, et Willinger, 2014). Ils rejoignent ainsi l’hypothèse finale de la méta-analyse de Thoma et collaborateurs (Thoma et Daum, 2006) selon laquelle les troubles de la compréhension de la métaphore seraient associés à la symptomatologie négative dans la schizophrénie.
III.3) L’approche expérimentale et cognitive dans la compréhension des
métaphores dans la psychopathologie schizophrénique
III.3.1) La compréhension de la métaphore dans la schizophrénie : mise en évidence de la littéralité chez les patients schizophrènes par une démarche expérimentale :
L’approche expérimentale et cognitive en psychopathologie a impulsé de nouvelles perspectives d’étude des troubles de l’accès au sens figuré des patients schizophrènes. L’investigation de la compréhension du langage figuré chez les schizophrènes fournit un aperçu des modalités de la pensée de ces patients (Thoma et Daum, 2006). Une revue de la littérature de 2005 a traité de l’importance des habiletés pragmatiques nécessaires à la compréhension du langage figuré, concernant la qualité des relations interpersonnelles des schizophrènes (Mitchell et Crow, 2005), ce qui reflète d’une grande importance dans le quotidien de ces patients.