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IV.4.1) Apport de la N400 à l’étude du langage dans la schizophrénie

Comme nous l’avons vu plus précédemment, la N400 est une composante qui reflète le traitement sémantique au niveau neuronal en temps réel. Alors que tous les mots significatifs, sensés, induisent une N400, l’amplitude de ce potentiel est beaucoup plus importante lorsque le mot est incongru dans un contexte donné. C’est pourquoi on suppose qu’elle reflète les processus intervenant dans l’intégration contextuelle, constituant la clé d’une intégration correcte. Or, différentes équipes de chercheurs ont constaté une anomalie de

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la N400 chez les sujets schizophrènes comparativement à des sujets sains, ce qui pourrait indiquer le mécanisme sous-jacent du déficit de traitement sémantique chez les patients.

IV.4.1.1) L’hypothèse de l’hyper-activation sémantique des patients schizophrènes :

L’hypothèse traditionnelle d’une hyper-activation des associations sémantiques en mémoire chez les patients schizophrènes a tenté d’expliquer les troubles du langage et les troubles du cours de la pensée de ces patients. Il a été proposé un pattern plus diffus d’activation concernant l’amorçage sémantique chez ces patients. Ceci a pu être mis en évidence par les études comportementales utilisant des tâches de décision lexicale avec amorçage sémantique indirect. Dans une telle tâche un mot amorce est associé à un mot cible par l’intermédiaire d’autres mots associés à l’amorce et à la cible mais qui eux ne sont pas présentés au sujet (cité dans Kumar et Debruille, 2004).

Exemple : - mot amorce : lion - mot cible : rayures - mot associé : tigre.

Dans ces conditions, le sujet n’est pas conscient des relations sémantiques entre l’amorce et la cible, et les schizophrènes avec des troubles du cours de la pensée présenteraient de meilleures performances définies par un effet d’amorçage plus important et induisant un temps de réaction plus court par rapport aux sujets sains, ce qui pourrait expliquer les associations dites « bizarres » dans le langage de ces patients (Spitzer, Braun, Maier, Hermle, et Maher, 1993).

IV.4.1.2) Les anomalies de la N400 chez les patients schizophrènes versus sujets sains :

Il semble qu’il y ait également des différences significatives concernant les caractéristiques de la N400 entre les patients schizophrènes et les sujets sains.

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Etudes princeps :

Dans une étude préliminaire d’Adams et collaborateurs en 1989, les investigateurs étudient la N400 chez des schizophrènes présentant des troubles formels de la pensée, utilisant une tâche phrastique d’amorçage sémantique, où le dernier mot de la phrase est congru ou incongru par rapport au contexte de la phrase. Dans cette étude préliminaire, la N400 est significativement plus faible, donc moins négative, pour les mots incongrus dans le contexte de la phrase chez les patients par rapport aux sujets sains (cité dans Adams, Faux, Nestor, Shenton, Marcy, Smith, et McCarley, 1993).

L’étude d’Adams et collaborateurs en 1993, retrouve des résultats semblables mettant en évidence que les schizophrènes avec des troubles du cours de la pensée présenteraient des anomalies sur la N400 plus importantes que les patients ne présentant pas de tels troubles. (Andrews, Shelley, Ward, Fox, Catts, et McConaghy, 1993).

N400 versus effet N400 :

D’autres études ont montré une diminution de l’effet N400 (correspondant à la différence de N400 entre situation congrue et incongrue), et également d’autres anomalies sur la N400, tel une augmentation de la latence et un pic d’amplitude retardé chez les schizophrènes par rapport aux sujets sains (Kumar et Debruille, 2004). La diminution de l’amplitude de la N400 met en évidence des anomalies dans le traitement du langage, alors que le retard de latence de la N400 serait plutôt en rapport avec un traitement de l’information plus lent chez les patients par rapport aux sujets sains (Nestor, Kimble, O’Donnell, Smith, Niznikiewicz, Shenton, et McCarley, 1997).

Le problème concernant l’effet N400, est le masquage des amplitudes « vraies » de la N400 dans les différentes situations. En effet, une diminution de l’effet N400 chez les patients peut être le résultat d’une diminution de la N400 en conditions sémantiques incongrues, ou d’une augmentation de l’amplitude de la N400 en conditions sémantiques congrues, ou encore les deux en même temps.

Ainsi dans une tâche de décision lexicale, Koyama et collaborateurs (1991) ont montré qu’en condition sémantique incongrue ou pour les cibles non-mots, les patients ne présentaient pas de différence d’amplitude de N400 par rapport aux témoins, indiquant que le

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« générateur neuronal » de la N400 était intact chez les patients. Néanmoins, l’effet N400 était tout de même réduit chez les patients, indiquant une augmentation de la N400 pour les cibles sémantiquement congrues ( cité dans Kumar et Debruille, 2004).

Des études avec tâches d’amorçage phrastique ont montré une N400 de plus grande amplitude chez les patients en condition congrues et incongrues (Nestor, Kimble, O’Donnell, Smith, Niznikiewicz, Shenton, et McCarley, 1997).

Figure 1 : N400 dans une tâche d’amorçage phrastique chez des patients schizophrènes Figure 1 :

Exemple de tracé ERP au niveau de l’électrode Pz en réponse au mot final des phrases, dans une tâche d’amorçage phrastique, le tracé des patients schizophrènes est représenté en pointillés, celui des témoins en continu. Dans ce cas la N400 est plus ample, donc plus négative, en situation sémantique congrue (en haut) et incongrue (en bas) au contexte de la phrase pour les patients schizophrènes, comme dans l’étude de Nestor et collaborateurs (1997).

Tiré de Kumar et Debruille (2003)

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Bien que les patients ne semblent pas lésés en situations sémantiques incongrues, l’augmentation de la négativité de la N400 en situation de terminaison sémantique congrue pourrait suggérer que le traitement du langage chez les patients est moins contraint par le contexte sémantique que chez les participants sains. Ils pourraient avoir plus de difficultés à utiliser ce contexte afin de faire des suppositions sur ces terminaisons possibles.

Hypothèses explicatives des différences de N400 chez des schizophrènes :

Une des hypothèses qui découle de ces résultats, serait que le maintien du contexte sémantique en mémoire de travail nécessiterait des processus attentionnels opérants. Ceci pourrait être à l’origine des difficultés d’intégration contextuelle chez les patients schizophrènes.

Ainsi, Andrew et collaborateurs ont testé cette hypothèse à partir d’une tâche de lecture passive, où les sujets ne devaient pas donner de réponse comportementale. Les phrases pouvaient se terminer par un mot congruent au reste de la phrase, un mot incongru, ou un mot incongru mais qui entretenait un lien avec un mot congruent au contexte de la phrase.

Exemple :

- Mot congru : « La pizza était trop chaude pour la manger. » - Mot incongru : « La pizza était trop chaude pour la lire. »

-Mot incongru en lien sémantique avec le mot congru : « La pizza était trop chaude pour la boire. »

Dans leur étude l’amplitude de la N400 était globalement similaire pour les patients schizophrènes par rapport aux témoins dans les trois conditions (malgré que des différences aient été retrouvées lors de l’analyse du groupe de patients désorganisés), résultat qui n’avait jamais été retrouvé dans les études précédentes où les réponses étaient demandées aux participants. Ceci suggère d’après les auteurs que les anomalies retrouvées chez les patients pourraient être en lien avec des processus attentionnels défaillants impliqués dans le traitement sémantique (Andrews, Shelley, Ward, Fox, Catts, et McConaghy, 1993).

D’autres études ne retrouvent pas les mêmes résultats malgré un design semblable. Salisbury et collaborateurs (2000) réalisent une tâche de lecture passive de phrase, avec des homographes ou des mots ayant une signification unique. Les homographes sont des mots

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ambigus, ayant plusieurs sens dominants ou non dominants, impliquant qu’il faille utiliser le contexte de la phrase pour les comprendre. Dans leur tâche, les schizophrènes ont montré une N400 de plus grande amplitude dans toutes les conditions, suggérant des difficultés plus globales des processus de traitement sémantiques chez les patients (Salisbury, O’Donnell, McCarley, Nestor, et Shenton, 2000). Ces résultats ont été retrouvés par la même équipe dans une autre version active de la tâche où les participants devaient juger du sens des phrases (Salisbury, Shenton, Nestor, et McCarley, 2002).

Bien que la N400 ne soit pas une onde qui reflète des processus automatiques de traitement du langage survenant de manière plus précoce, les anomalies retrouvées sur l’amplitude de la N400 chez les patients schizophrènes peuvent être en lien avec « l’hyper- priming » chez les patients, c’est-à-dire cette hyper-activation automatique au sein du réseau sémantique chez les patients. Cet « hyper-priming » pourrait induire des difficultés d’intégration de connaissances sémantiques plus largement activées chez les patients par rapport aux sujets sains, et en conséquence être reflété par une N400 plus négative chez les patients.

D’autres travaux concernent les processus d’inhibition, où l’on suppose que la N400 serait le reflet des processus d’inhibition des informations jugées inutiles. Ainsi, chez les patients schizophrènes ayant des troubles formels de la pensée, une augmentation de l’amplitude de la N400, pourrait être le reflet de mécanismes d’inhibition plus importants nécessaires dans ces conditions (Kumar et Debruille, 2004).

N400 et intensité de la symptomatologie clinique des schizophrènes :

D’un point de vue clinique, différentes études ont mis en évidence que des anomalies de l’effet N400 chez les patients schizophrènes étaient corrélées à différentes variables cliniques. Cet effet ne représenterait donc pas un marqueur cognitif stable dans la schizophrénie.

Zhang et collaborateurs ont montré que dans une étude préliminaire comprenant uniquement un groupe de patients schizophrènes et pas de groupe témoin, l’amélioration clinique des patients était corrélée à l’amélioration des performances attentionnelles et mnésiques après 16 semaines de traitement par un antipsychotique de seconde génération, la Quétiapine. Cette amélioration était corrélée à des modifications de la P300 chez 50% des sujets et de la N400 chez 40% des sujets, suggérant des fluctuations de cette composante

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durant l’évolution de leur trouble (Zhang, Lehmann, Shobeiry, Höfer, Johannes, Emrich, et Dietrich, 2009).

Dans une étude longitudinale récente publiée en 2014, Besche-Richard et collaborateurs réalisent une tâche d’amorçage sémantique afin de mettre en évidence en quoi dans une telle tâche la N400 constitue un marqueur cognitif stable dans la schizophrénie ou si elle est influencée par la symptomatologie des patients. Pour cela, les auteurs réalisent cette tâche d’amorçage sémantique à un an d’intervalle auprès de 15 patients versus 10 sujets sains. La PANSS était utilisée afin de répertorier les scores de symptomatologie chez ces patients, positive, négative et de désorganisation, ainsi que la TLC pour les troubles formels de la pensée, et ceci lors des deux sessions à un an d’intervalle. Les participants devaient juger du sens du mot cible, les mots amorces et cibles étant présentés visuellement sur un écran. Les patients présentaient une diminution des scores des symptomatologies positives, négatives et de désorganisation entre les deux tests. Les patients présentaient des troubles de l’amorçage sémantique mis en évidence par les mesures comportementales et électrophysiologiques lors du premier test, avec des effets N400 présents chez les témoins, pas chez les schizophrènes. A un an, il y avait une persistance des difficultés d’amorçage sémantique mis en évidence au niveau comportemental, mais un effet N400 était présent chez les patients.

Les auteurs concluent que les difficultés d’amorçage sémantique chez les patients schizophrènes, reflétés par la N400, ne doivent pas être considérées comme des marqueurs cognitifs stables de la maladie, mais sont susceptibles de changer en fonction de l’évolution clinique et donc symptomatique des patients (Besche-Richard, Iakimova, Hardy-Baylé, et Passerieux, 2014).

Ainsi la N400 est une composante particulièrement intéressante lors de l’étude du langage dans la schizophrénie, elle semble liée à la clinique de la désorganisation chez ces patients. La désorganisation serait l’aspect clinique le plus impliqué dans les altérations schizophréniques de la composante N400 (Cermolacce, Micoulaud-Franchi, Faugere, Naudin, Besson, et Vion-Dury, 2013). Elle peut être complétée par l’étude d’une autre variable, plus tardive, la LPC.

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IV.4.2) Apport de la LPC à l’étude du langage dans la schizophrénie

Dans une revue de la littérature, Kumar et Debruille mettent en évidence l’importance de l’étude des ondes de chevauchement de la N400 dans l’interprétation de cette composante. En effet, dans l’étude d’Andrews et collaborateurs cité par Kumar et Debruille, la latence du pic d’amplitude de la N400 était retardée par rapport aux témoins, et l’apparition de la N400 se faisait au même moment dans les deux populations. De plus, l’effet N400 durait plus longtemps chez les patients par rapport aux sujets sains.

D’après les auteurs, il était possible que ces différences soient en réalité le reflet d’anomalies concernant la P600. La P600 ou LPC apparait après la N400, mais le début de cette composante se superpose à la N400. Etant donné que c’est une onde positive, elle diminue l’amplitude apparente de la N400. En outre, plus cette P600 est petite, moins elle a d’impact sur l’amplitude apparente de la N400. Ceci constituerait un élément important car dans la schizophrénie différentes équipes ont trouvé une P600 plus petite dans cette pathologie par rapport aux témoins sains. C’est pourquoi, dans les situations de congruité sémantique, la persistance de la N400 chez les patients schizophrènes pourrait découler d’une P600 de plus faible amplitude par rapport aux sujets sains. Il n’est donc pas impossible que la N400 pourrait être en réalité plus faible chez les patients en situation de congruence sémantique par rapport aux témoins, mais masquée par la P600. Cette diminution de la N400 en situation sémantique congrue pourrait signifier que les patients feraient moins d’efforts d’intégration que les sujets sains (Kumar et Debruille, 2004).

Les potentiels évoqués constituent un outil précieux pour l’étude du langage de sa forme la plus simple, aux situations langagières plus complexes dont font parties les métaphores. Voyons comment l’électrophysiologie permet l’étude de la compréhension d’une forme de langage figuré : la métaphore.

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