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CHAPITRE 1 – LE DÉVELOPPEMENT PROFESSIONNEL DES ENSEIGNANTS . 23

6. A PPROCHES ET RECHERCHES COMPLÉMENTAIRES DU DÉVELOPPEMENT PROFESSIONNEL DES

6.2. L’apprentissage informel des enseignants

L’apprentissage informel, de façon générale, est souvent défini comme une forme d’apprentissage qui se produit en dehors de cadres formels comme une formation initiale ou continue et en dehors d’une intention explicite d’apprendre (Eraut, 2004). De nombreux synonymes apparaissent dans la littérature sur le sujet comme « apprentissage tacite » (Gourlay, 2006; Nonaka et al., 2000),

« apprentissage implicite » (Brown, Collins, & Duguid, 1989; Eraut, 2004) ou

« apprentissage sur le lieu de travail » (workplace learning) (Meirink, Meijer, Verloop, & Bergen, 2009). Certains auteurs, comme Legendre (1993, p. 449), considèrent comme synonymes les expressions « apprentissage (ou éducation) informel » et « apprentissage (ou éducation) non-formel » et les définissent par

« toute activité éducative structurée et organisée dans un cadre non scolaire ».

Ces expressions sont à opposer à « apprentissage formel » qui désigne « toute activité éducative se déroulant dans un cadre scolaire » (Legendre, 1993, p. 448).

Cependant, dans d’autres contextes, notamment celui de la formation des adultes, les auteurs marquent une différence entre apprentissage non-formel et apprentissage informel (UIL, 2010, p. 27). « L’apprentissage non formel n’est pas dispensé par un établissement d’enseignement ou de formation et n’est pas généralement validé par un titre. Il est cependant structuré (en termes d’objectifs, de temps ou de ressources). L’apprentissage non formel est intentionnel de la part de l’apprenant. » (UIL, 2010, p. 27). « L’apprentissage informel découle des activités de la vie quotidienne liées au travail, à la famille ou aux loisirs. Il n’est pas structuré (en termes d’objectifs, de temps ou de ressources) et n’est généralement pas validé par un titre. L’apprentissage informel peut avoir un caractère intentionnel, mais dans la plupart des cas il est non intentionnel (ou « fortuit »/aléatoire). » (UIL, 2010, p. 27). Pour notre part, nous nous rallions à ces dernières définitions car il nous semble important d’y introduire la notion d’intentionnalité de l’apprentissage, ce que les définitions de Legendre ne font pas. Cependant, comme nous allons le voir plus loin, Eraut

(2004, p. 250) introduit une classification plus précise encore pour mieux définir l’apprentissage informel, classification à laquelle nous nous rallions également.

Toutes ces expressions, utilisées dans différents contextes de formation et de recherche, renvoient donc à l’idée centrale que certains apprentissages, dans la vie courante, se produisent de façon impromptue, intentionnelle, non-structurée et opportuniste (Eraut, 2004). Dans un contexte professionnel, Eraut (2004) propose une typologie de l’apprentissage en trois « niveaux » d’intention d’apprendre. L’apprentissage informel se situerait, selon lui, du côté le plus

« implicite » du continuum. Il distingue l’apprentissage implicite, de l’apprentissage réactif et de l’apprentissage délibéré. L’apprentissage implicite se produit de façon fortuite, sans lien clair avec l’expérience préalable, et ses produits ne sont en général pas exprimés. L’apprentissage réactif répond davantage à une intention de l’apprenant mais il se produit dans l’action, à un moment où il n’est pas facilement possible d’y réfléchir et de faire des liens avec l’expérience préalable ou l’action future. L’apprentissage délibéré correspond quant à lui à la forme d’apprentissage la plus formelle quand il y a un objectif d’apprentissage clairement défini et des activités planifiées en vue du développement d’actions professionnelles futures. Cette distinction faite, il n’est cependant pas nécessairement pertinent, comme le fait remarquer McNally (2006), d’opposer strictement ces trois types d’apprentissage. Ils peuvent en effet apparaître dans un même contexte, formel ou informel, et contribuer ensemble à l’apprentissage et au développement professionnel, par exemple d’un enseignant.

En d’autres mots, leur articulation, dans un contexte donné et pour un enseignant donné, peut contribuer à donner du sens à l’expérience d’enseignement de celui-ci et à développer cette expérience tout au long de sa carrière.

Selon Hoekstra et al. (2009), un des intérêts de la notion d’apprentissage informel des enseignants réside dans le fait qu’elle interroge quelque peu les théories classiques de l’apprentissage. Dans la plupart de ces théories, issues des courants cognitivistes et constructivistes, l’apprentissage est considéré comme une activité intentionnelle orientée vers un but. Dans la typologie d’Eraut (2004), cette théorie correspond à l’apprentissage délibéré, c’est-à-dire un apprentissage consciemment orienté vers un but précis. Or, dans l’apprentissage informel, l’activité d’apprentissage est plutôt guidée par des émotions ou des besoins immédiats qui ne sont pas exprimés de façon précise (Eraut, 2004; Hoekstra et al., 2009). Ainsi, de nombreuses recherches dans le domaine de l’apprentissage de l’enseignement ont mis en évidence depuis une quarantaine d’années que les enseignants développent en grande partie leurs pratiques en classe de façon informelle, en les adaptant « sur le vif » pour répondre à des situations particulières rencontrées avec leurs élèves (B. Charlier, 1998; Day, 1999). Plus spécifiquement, la grande majorité des recherches qui portent sur l’apprentissage informel des enseignants se déroulent dans le contexte d’écoles primaires et secondaires où des équipes pédagogiques développent des projets d’école ou participent à des recherches collaboratives.

Par exemple, McNally (2006) a cherché à comprendre comment les jeunes enseignants apprennent à s’impliquer dans leur milieu professionnel et à interagir avec leurs collègues. Il a suivi 28 jeunes enseignants de primaire durant

leurs trois premiers mois d’enseignement en les interviewant toutes les deux semaines à propos de leur nouvelle expérience professionnelle. Au tout début, les enseignants se sentent très nerveux et émotionnellement très impliqués, notamment pour organiser leur classe, préparer leurs leçons, initier la relation avec leurs élèves, etc. Parallèlement à ces émotions exprimées, les enseignants construisent aussi de nouvelles relations avec leurs collègues et apprennent informellement plusieurs éléments importants de leur métier comme une certaine assurance vis-à-vis des élèves, des stratégies pour s’adapter à toutes sortes de situations en classe (difficultés d’apprentissage, discipline, etc.), des connaissances pédagogiques correspondant aux standards attendus ou plus généralement à se construire une identité professionnelle. C’est ce qu’avait aussi observé Biémar (2008) dans une étude semblable. Une des conclusions de McNally (2006, p. 82) est que les conversations informelles avec les collègues constituent un vecteur essentiel de l’apprentissage et de la construction identitaire des jeunes enseignants :

The research data for beginning teachers supports this position : the relational nature of their development is not only a means or context for learning but is an integral part of what it means to become, and probably to continue to be, a teacher.

Il ajoute plus loin (McNally, 2006, p. 86) :

What does resonate with the data […] : the range of opportunities for learning that arise in everyday settings ; the importance of relationships, people’s experiences and feelings ; and the centrality of conversation.

D’autres recherches ont mis en évidence l’importance de la discussion au sein des équipes d’enseignants non seulement pour que ceux-ci développent leurs connaissances disciplinaires ou leurs pratiques en classe, mais aussi pour créer un groupe au sein duquel il est possible de débattre, de mener des projets et de trouver du soutien. Par exemple, Melville et Wallace (2007) ont travaillé avec un groupe d’enseignants d’un même département d’une école secondaire australienne pour mettre en place une nouvelle séquence de leçons en science.

Les discussions qui ont été organisées avec ces enseignants ont pu les aider à intégrer les nouveaux cours dans leur pratique en les amenant à s’engager dans un projet commun, à remettre en question dans un cadre familier leurs pratiques habituelles et à s’encourager les uns les autres pour changer.

Dans une autre étude, Glazier (2009) a participé pendant un an aux discussions régulières d’enseignants d’anglais langue maternelle dans une école secondaire américaine. En analysant les conversations des enseignants, elle a remarqué à quel point il était important pour eux de partager leurs pratiques et d’exprimer leurs opinions. Ceci contribuait à les mettre en position de se confronter à d’autres points de vue pour parfois mettre en doute leurs propres visions des choses et les faire évoluer.

L’étude de Meirink et al. (2009) va dans le même sens que les précédentes citées. Cette équipe a cherché à savoir auprès d’un groupe d’enseignants comment ceux-ci développaient leurs connaissances et leurs pratiques de classe au sein de leur école. La discussion avec des collègues pour trouver des

alternatives à leurs pratiques habituelles arrivait parmi les situations d’apprentissage les plus souvent citées par les enseignants. Un certain nombre d’entre eux disaient expérimenter en classe des méthodes d’enseignement testées par des collègues dont ceux-ci leur avaient parlé ou qu’ils avaient observé lors de formations continues. Meirink et al. (2009) mettent ainsi à nouveau en évidence la fonction de la confrontation des points de vue au sein de discussions entre enseignants pour que ceux-ci développent leurs pratiques professionnelles.

La recherche de Park et al. (2007) aboutit aux mêmes constats mais identifie plusieurs conditions pour que les enseignants tirent le meilleur profit de leurs discussions avec des collègues :

• Les enseignants apprennent davantage les uns des autres plutôt qu’en rencontrant un expert du contenu à enseigner ou un spécialiste de telle ou telle méthode d’enseignement.

• Les enseignants qui sont préparés au préalable à collaborer avec des collègues tirent un meilleur parti que les autres des discussions ou des projets collaboratifs dans lesquels ils sont impliqués.

• L’organisation de l’école pour que la collaboration et la discussion soient encouragées joue aussi un rôle important, par exemple en aménageant les horaires, en créant des opportunités de rencontres, en développant et en valorisant une ambiance de travail collaborative, etc.

Par ailleurs, de leur vaste revue de la littérature, Glazer et Hannafin (2006) retiennent l’importance de la collaboration entre enseignants pour développer leur professionnalité au sein de leur école. Ils identifient pour cela plusieurs conditions qu’ils répartissent en six grandes catégories. Ces conditions interagissent dans la pratique pour constituer un cadre de travail enrichissant pour les enseignants :

1. Affects : ceci touche aux attitudes et aux émotions telles que la curiosité, la gestion de son anxiété, le sentiment de connexion personnelle avec le groupe, la patience, etc. Tous ces affects influenceront la qualité de la discussion et de la collaboration entre collègues et l’engagement individuel dans celles-ci.

2. Représentations : les représentations personnelles de l’enseignement et de l’apprentissage, la vision de soi et de sa propre efficacité, le sentiment de pouvoir contribuer au groupe de façon intéressante, etc. ont un impact sur la volonté des enseignants d’interagir et de partager avec le groupe.

3. Contexte : les opportunités de rencontres formelles ou informelles au sein de l’école, les ressources humaines et matérielles, l’accessibilité à ces ressources, etc. vont influencer le cadre général de la collaboration entre enseignants et leur engagement individuel.

4. Culture : certains éléments d’une « micro-culture » comme une responsabilité partagée devant les tâches à accomplir, la mise en place de feedback systématique entre pairs, le partage des tâches, etc. contribuent à l’établissement d’une ambiance collaborative positive.

5. Aspects cognitifs : les connaissances individuelles des enseignants, leurs compétences réflexives, leurs capacités à trouver des solutions originales à des problèmes pédagogiques, etc. peuvent motiver l’ensemble du groupe et créer une émulation entre les enseignants pour partager leurs compétences.

6. Personnalité : des caractéristiques individuelles comme l’assertivité, la motivation, l’ouverture d’esprit, l’autonomie, etc. constituent des compétences individuelles utiles au groupe pour se développer et interagir.

Enfin, une dernière caractéristique à souligner d’un « groupe d’enseignants qui apprend » est certainement la place qu’occupe la controverse dans ce type de groupe. Pour Grossman et al. (2001) ainsi que pour Achinstein (2002), la controverse (ou le conflit) constitue dans ce contexte un élément essentiel.

Lorsque les enseignants participant ont appris à accepter qu’il y ait des conflits entre eux – que ces conflits se déroulent sur le plan intellectuel ou sur le plan relationnel – ils peuvent se rendre compte que les perspectives différentes enrichissent les discussions. Selon ces chercheurs, cette acception du conflit, pour qu’elle se produise, doit s’accompagner entre autres d’une reconnaissance des compétences de chaque membre du groupe, d’une acception de règles de vie internes au groupe et de la formation d’une identité spécifique au groupe.

Nous verrons dans le chapitre 2 que la plupart des recherches que nous venons d’exposer trouvent un écho frappant avec la théorie du conflit sociocognitif où, plus généralement, on admet que le conflit intellectuel et relationnel constitue un processus central dans l’apprentissage humain.