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CHAPITRE 1 – LE DÉVELOPPEMENT PROFESSIONNEL DES ENSEIGNANTS . 23

3. D EUX MODÈLES DU DÉVELOPPEMENT PROFESSIONNEL EN COMMUNAUTÉ

3.2. Discussion des deux modèles

Bien qu’élaborés indépendamment l’un de l’autre et se fondant sur des références théoriques différentes (la théorie de l’Activité et les théories socioculturelles pour Engeström et l’approche réflexive pour Huberman), ces deux modèles semblent relativement complémentaires. Le premier porte une réflexion approfondie sur le contexte socio-historique d’une communauté d’enseignants, le second se focalise davantage sur les apports cognitifs potentiels des contributions extérieures à la communauté et au processus formalisé d’apprentissage en groupe.

Pour aller plus loin, nous voudrions approfondir notre réflexion en examinant comment ces modèles pourraient servir à trouver des pistes pour répondre à notre problématique. Nous procédons pour ce faire en résumant les apports d’autres chercheurs autour de deux thématiques : les conditions du développement professionnel et le lien entre pratique d’enseignement et développement professionnel. Cet approfondissement nous permettra ensuite de proposer un modèle global du développement professionnel des enseignants.

1. Conditions du développement professionnel

Bien que les modèles d’Engeström et Huberman aident à comprendre le développement professionnel des enseignants en mettant en évidence les processus d’interactions personnelles entre enseignants au sein d’un groupe, ils restent cependant relativement muets quant aux conditions à mettre en œuvre pour que ces processus s’enclenchent et se poursuivent. Engeström et Huberman donnent bien sûr des exemples de groupes d’enseignants en décrivant les conditions de travail de ces groupes et en proposant quelques facteurs de succès mais ces conditions n’apparaissent pas en tant que telles dans les modèles proposés. Cette lacune rend difficile l’opérationnalisation des modèles. Par exemple, dans le modèle d’Huberman, à quoi peut-on reconnaître dans une conversation entre enseignants des échanges, des apports conceptuels ou des observations ? Ou par rapport au modèle d’Engeström, comment observer la division de la tâche ou l’origine des règles informelles de fonctionnement au sein d’un groupe ?

Dans un registre un peu différent, B. Charlier (1998) avait mis en évidence une série de conditions de changement de pratique des enseignants comme facteur de développement professionnel lors d’une formation continue. Dans son modèle (B. Charlier, 1998, p. 114), elle met en évidence des conditions (ou variables) :

• individuelles, concernant les caractéristiques d’un enseignant en dehors de la situation de formation (histoire de vie, étape de carrière) ;

• situationnelles (ou contextuelles), liées à la situation de formation en elle-même ou à des situations de travail ;

• et relationnelles, construites dans l’interaction de l’enseignant avec le contexte d’apprentissage, c’est-à-dire ses conceptions de son propre

apprentissage, sa vision de soi, ses représentations quant à l’efficacité de la formation.

figure 4Modèle des conditions dans lesquelles un enseignant intègre son idée du changement de pratique dans la conception de son apprentissage (B. Charlier, 1998, p. 114)

Ces trois types de variables sont mis en relation pour constituer à un moment donné, pour un enseignant donné, une configuration de variables qui fera que cet enseignant changera sa pratique. Nous nous rapprochons ici de la question de l’opérationnalisation du concept de « changement » ou de

« renouvellement » de pratique évoqué par Day dans sa définition du développement professionnel (voir page 25). Si comme nous l’avons évoqué en introduction de ce chapitre, nous considérons qu’une communauté virtuelle peut correspondre à une situation de formation, ce type de modélisation est intéressant à adapter à notre propos pour représenter les conditions dans lesquelles un enseignant se développera professionnellement en participant à une telle communauté.

2. Liens avec les pratiques d’enseignement

Dans le modèle d’Huberman, le processus cyclique de développement professionnel est bien décrit mais il n’y a pas de façon de représenter le lien entre le développement professionnel des enseignants et son objectif à savoir le développement de la pratique de classe. La façon dont l’action et la réflexion sur le travail en classe alimentent le développement professionnel n’est pas non plus représentée. C’est le contraire dans le modèle d’Engeström : l’objectif de l’activité humaine est repris en tant que tel mais il n’y a pas de représentation du processus par lequel le sujet aboutira à un résultat.

L’objectif des groupes d’enseignants, qu’ils soient virtuels ou non, ce pour quoi ils sont constitués, ce vers quoi ils tendent, peut être de différentes natures :

Variables individuelles

Variables relationnelles

Variables situationnelles

Conception du changement de pratique

Représentation de l’efficacité de

la formation Représentation du but poursuivi en formation

Conception de l’apprentissage Vision de soi

Etape de carrière

Conditions de pratique

Conditions de formation

la nécessité d’intégrer une innovation dans une école, le besoin de développer de nouvelles pratiques didactiques dans une matière précise, l’envie de créer des outils didactiques pour une matière particulière, l’obligation d’adopter une réforme, la participation à une recherche universitaire, l’intégration de jeunes enseignants, etc. La réalisation de ces objectifs contribuerait à ce que l’enseignant adapte, fasse évoluer, change sa pratique en classe. Aux yeux des enseignants, il semble que ce sont surtout ces objectifs qui sont importants et peut-être moins la façon de les atteindre, en l’occurrence la participation à une formation ou à un groupe virtuel qui ne représentent que des opportunités de développement parmi d’autres. Ces objectifs, les enseignants les vivent et les construisent au quotidien dans leur classe et pour les rencontrer, ils saisissent les opportunités qui s’offrent à eux et qu’ils se représentent comme efficaces au regard de l’objectif visé (Hargreaves & Fullan, 1992). Ces opportunités peuvent être une réflexion personnelle, une discussion avec un collègue, la participation à un séminaire, à une recherche-action, à une communauté virtuelle, etc. Comme le soulignent Donnay et E. Charlier (2006), le développement professionnel n’est d’ailleurs que partiellement planifiable.

Afin d’illustrer ceci, les travaux de Keiny (1996) proposent une piste intéressante. Ayant analysé le fonctionnement d’un groupe d’enseignants

« apprenant en communauté », elle propose de représenter les changements conceptuels qu’elle a observés chez les enseignants participants de la façon suivante :

figure 5 – Un modèle pour représenter le changement conceptuel d’enseignants (Keiny, 1996, p. 250)

L’enseignant ‘E’ (au centre) se trouve entre deux lieux, deux contextes interdépendants : l’un social (le groupe réflexif auquel d’autres enseignants participent – E1, E2, E3) et l’autre, pratique et individuel (l’activité en classe, la praxis). Un double lien existe entre la pratique de classe de l’enseignant et le groupe réflexif : la pratique suscite la réflexion qui est relayée au sein du groupe par l’enseignant et le groupe construit et suggère des actions qui sont

expérimentées et mises en œuvre en classe. Le changement conceptuel des enseignants s’opèrerait donc de façon dialectique en alternant d’une part l’action et la réflexion sur l’action et d’autre part la discussion en groupe (Keiny, 2007).

On retrouve le même type de processus dans le modèle de Wenger (Wenger, 1998) à propos des communautés de pratique : la pratique professionnelle quotidienne se développe au jour le jour notamment par la réflexion sur l’action et la négociation du sens des actions entre collègues. Pour Keiny, le modèle illustre un double lieu, un double lien mais aussi une double forme de construction de connaissances :

Les pratiques personnelles de chaque enseignant se construisent et se reconstruisent au travers de l’expérience d’enseignement en classe, et les savoirs professionnels de plus haut niveau au travers d’un processus dialectique de réflexion et d’élaboration au sein d’un groupe (Keiny, 1996, p. 251).

Le modèle de Keiny apporte donc un élément important par rapport aux modèles d’Engeström et de Huberman en ceci qu’un lien explicite est fait entre le développement professionnel des enseignants en groupe et leur pratique de classe. On retrouve ici une dimension du développement professionnel des enseignants décrite par Donnay et E. Charlier (2006).

4.VERS UN MODÈLE DU DÉVELOPPEMENT PROFESSIONNEL DES