• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 1 – LE DÉVELOPPEMENT PROFESSIONNEL DES ENSEIGNANTS . 23

5. D ISCUSSION ET DÉBAT AU SERVICE DU DÉVELOPPEMENT PROFESSIONNEL DES ENSEIGNANTS

conditions du développement, mais aussi en fonction des résultats de notre propre étude. Nous y reviendrons dans nos conclusions.

5.DISCUSSION ET DÉBAT AU SERVICE DU DÉVELOPPEMENT PROFESSIONNEL DES ENSEIGNANTS

Ainsi brossé, le tableau général du développement professionnel des enseignants nous donne plusieurs pistes à investiguer pour répondre à notre problématique. La figure 6 de la page 39 suggère que la controverse, le débat et la confrontation constituent des processus importants dans le développement professionnel des enseignants. Ceci est corroboré par de nombreuses recherches récentes (Butler et al., 2004; Dooner, Mandzuk, & Clifton, 2008; Glazer &

Hannafin, 2006; Grossman et al., 2001; Hou, Sung, & Chang, 2009; Hull &

Saxon, 2009; Najafi & Clarke, 2008; Ng & Tan, 2009; Orland‐Barak, 2006; Pareja Roblin & Margalef, 2012; Park et al., 2007; Prestridge, 2010; Vescio, Ross, &

Adams, 2008).

De façon générale, la revue de littérature de Vescio et al. (2008) permet de faire un lien entre la participation des enseignants à une communauté ou un groupe collaboratif, le développement de leurs pratiques d’enseignement et l’apprentissage de leurs élèves. Dans les études recensées par ces chercheuses, des enseignants étaient amenés à travailler sur des projets pédagogiques ensemble ou en collaboration avec des chercheurs ou des experts externes.

L’impact de la collaboration entre enseignants a porté sur le développement de leurs pratiques de classe (meilleure perception et compréhension de leurs pratiques), sur la culture d’établissement (engagement dans le dialogue et la collaboration, réflexion collective sur l’apprentissage des élèves, volonté collecive de développer leurs pratiques de classe, etc.) et sur l’apprentissage des élèves.

Cependant, si Vescio et al. (2008) soulignent que ces résultats sont encourageants, elles admettent aussi que le nombre d’études sur le sujet est assez faible et ne permet pas encore de dégager de tendances nettes de l’impact des communautés d’enseignants sur l’apprentissage de l’enseignement ou les performances des élèves. Elles en appellent à un développement de la recherche dans ce domaine. D’une part, elles proposent de développer des études

longitudinales et comparatives pour établir des liens entre la participation des enseignants à des projets collaboratifs et leur propre développement professionnel. D’autre part, elles suggèrent de conduire des études de cas pour comprendre la nature du changement de pratique d’enseignement et l’apprentissage des élèves suite à la collaboration entre enseignants.

Dans l’étude de Butler et al. (2004), les chercheuses ont accompagné des enseignants volontaires pendant deux années dans le but de mettre en œuvre avec ceux-ci des pratiques pédagogiques centrées sur le développement de stratégies d’apprentissage auto-régulé (self-regulated learning) avec leurs élèves.

Il s’agissait donc pour les enseignants participants de développer ensemble des stratégies d’enseignement qui amèneraient leurs élèves à réfléchir davantage à leurs propres stratégies d’apprentissage et à les développer. Une des principales conclusions de leur recherche est que les enseignants participants ont pu développer de nouvelles stratégies d’enseignement grâce entre autres à leur participation active dans des discussions. Au sein de celles-ci, le fait de devoir argumenter leur point de vue a été perçu par les enseignants comme une façon efficace de décentrer et élargir leurs représentations de leurs pratiques et de construire du sens autour de leurs pratiques pédagogiques quotidiennes.

Engagée dans le même type d’étude, Orland-Barak (2006) note aussi que les dialogues « divergents » entre enseignants permettent le développement de raisonnements collectifs, l’élaboration d’arguments de plus en plus poussés et l’établissement de liens entre des concepts, des idées ou des pratiques qui n’étaient pas liés au départ de la discussion. Orland-Barak ajoute que ces dialogues peuvent permettre l’apparition de « discours internes de persuasion » où les participants reconnaissent individuellement la justesse d’autres arguments que les leurs et vont progressivement changer leur façon de considérer les pratiques qui ont été discutées. En d’autres mots, l’apprentissage d’un enseignant ne se produit pas nécessairement au moment où a lieu la discussion, mais aussi (parfois longtemps) après lors de ce que nous pourrions appeler une sorte de « debriefing interne » où l’enseignant réfléchit seul à ce qui a été discuté et fait des liens avec sa propre pratique pour la faire évoluer. Park et al. (2007) ont pour leur part montré que ce type de discussions pouvait aider des enseignants à s’approprier des pratiques pédagogiques standardisées en vue d’une certification, notamment par la mise en perspective de leurs pratiques individuelles. Ces auteurs notent cependant que la composition du groupe d’enseignants a de l’importance pour que des discussions et des controverses puissent naître : les enseignants, dans leur étude, appréciaient pouvoir discuter entre eux plutôt qu’avec des experts. Ceci fait penser à certaines conditions liées à l’apparition et à la résolution de conflits sociocognitifs, notamment le degré d’asymétrie entre les intervenants dans la relation sociale. Nous y reviendrons plus loin.

La revue de littérature réalisée par Ng et Tan (2009) argumente également en faveur des discussions critiques au sein des communautés d’enseignants pour développer des apprentissages de haut niveau. Les auteurs mettent ainsi en évidence qu’au sein de groupes d’enseignants qui discutent de leurs pratiques, deux fonctions de la discussion peuvent apparaître. D’une part, la discussion aide à donner du sens (sensemaking) aux pratiques et à les mettre en perspective par

rapport à des théories et à des techniques d’enseignement. Cependant, cette fonction de la discussion ne s’avère pas toujours suffisante pour que les enseignants changent ou fassent évoluer concrètement leurs pratiques en classe.

Les auteurs argumentent donc d’autre part en faveur de l’apprentissage réflexif et critique (critical reflective learning) qui permet d’aller au-delà de la mise en pratique de techniques d’enseignement en questionnant les représentations des enseignants, l’efficacité de leurs pratiques par rapport à l’apprentissage de leurs élèves, l’organisation des écoles pour développer des pratiques d’enseignement efficaces et le rôle des enseignants par rapport à l’organisation de leur école.

Cette seconde fonction de la discussion entre enseignants aurait davantage d’impact sur les changements de pratique en classe en permettant aux enseignants de développer des réponses plus adaptées à des situations pédagogiques nouvelles et imprévisibles.

De son côté, Prestridge (2010) a analysé les discussions à distance (sur un forum) de plusieurs enseignants participant à un programme de développement professionnel sur le thème de l’usage des technologies pour l’enseignement et l’apprentissage. Elle cherchait ainsi à comprendre en quoi des discussions en ligne pouvaient avoir un éventuel impact sur les représentations et les pratiques des enseignants concernant l’usage des technologies en classe. Ses observations ont relevé d’une part que des discussions critiques et des controverses pouvaient très bien avoir lieu en ligne et d’autre part que ces discussions constituaient un vecteur important pour que des enseignants réfléchissent à leurs représentations et les fassent évoluer. Cependant, d’autres études portant sur l’analyse de conversations virtuelles entre enseignants tendent à montrer que ceci n’est pas toujours le cas : les discussions ne constituent pas toujours de véritables controverses (Najafi & Clarke, 2008; Selwyn, 2000) et les compétences de collaboration et de discussion dans un débat ne sont pas toujours maîtrisées par les enseignants (Park et al., 2007). Ceci peut être le cas notamment quand les enseignants participants ne maîtrisent pas ou ne sont pas conscients de certaines compétences sociales propres à la communication à distance (explicitation écrite de ses arguments, utilisation de formules de politesse, etc.) ou qu’ils se sentent incompétents par rapport à certains sujets de discussion. Par ailleurs, plusieurs recherches ont mis en évidence la réticence que certains enseignants affichent face à la discussion avec leurs pairs et à la possible remise en question de leurs conceptions et pratiques personnelles (Dooner et al., 2008; Pareja Roblin &

Margalef, 2012). Dans ces études, les chercheurs ont mis en évidence plusieurs étapes dans la collaboration entre enseignants. Dans une première étape, les enseignants en communauté se rendent compte que discuter de ses pratiques avec des pairs implique nécessairement de se confronter avec les opinions et conceptions des autres. Cette confrontation peut même interférer rapidement avec l’envie de collaborer ensemble (Pareja Roblin & Margalef, 2012) ou rendre certains enseignants « dévastés », « attaqués personnellement » ou « furieux » à propos des discussions de groupe (Dooner et al., 2008, p. 565). L’enjeu d’une communauté d’enseignants est alors, dans une seconde étape, de surmonter ces réticences en rendant les dilemmes explicites tout en permettant à chaque membre du groupe d’évoluer à son propre rythme. Pour y arriver, Dooner et al.

(2008, p. 572) suggèrent que dans les formations d’enseignants soit intégré un apprentissage graduel de la participation à des débats pédagogiques en mettant

l’accent sur l’argumentation et la préparation à entendre des opinions divergentes.

Dans la plupart de ces recherches, le contexte est une formation continue d’enseignants (professional development programme) ou un projet de collaboration écoles-universités et les chercheurs s’intéressent en général aux conditions sociales et matérielles dans lesquelles les enseignants sont plongés pour renouveler et réfléchir à leurs pratiques pédagogiques. En d’autres mots, leur problématique est d’évaluer l’effet du dispositif qu’ils mettent en place pour l’apprentissage des enseignants. Bien que ces recherches s’intéressent à l’effet de la controverse ou du débat sur le groupe d’enseignants et sur leurs apprentissages, les discussions sont considérées comme des boîtes noires. Les chercheurs s’intéressent aux conditions pour que des controverses ou des débats apparaissent et se résolvent mais analysent peu le processus d’apprentissage que les enseignants vivent. Par exemple, plusieurs des recherches citées ci-dessus (Ng

& Tan, 2009; Park et al., 2007; Prestridge, 2010) relèvent les conditions dans lesquelles une communauté d’apprentissage naît et se développe mais laissent en suspens la question du processus d’apprentissage et de ses conditions pour les enseignants pris individuellement. À propos de ce type de recherches (en particulier les projets de recherche collaborative entre enseignants et chercheurs), Orland-Barak et Tillema (2006) posent plusieurs questions :

• L’apprentissage des enseignants se déroule-t-il grâce à l’interaction ? Y a-t-il d’autres facteurs qui peuvent entrer en jeu ? Les chercheurs constatent souvent que des apprentissages se réalisent grâce à l’interaction mais dans quelle mesure ne faut-il pas aussi d’abord apprendre à interagir dans un groupe collaboratif pour vraiment en retirer des éléments de réflexion pour sa pratique ?

• Quelle est la solidité ou la persistance dans le temps des apprentissages réalisés par les enseignants dans un tel contexte collaboratif ? Changent-ils leurs représentations et leurs pratiques de manière durable ? Pour Orland-Barak et Tillema (2006), trois conditions importantes sont à remplir pour qu’un processus d’apprentissage collaboratif soit productif en terme de connaissances construites chez les participants : le travail devrait s’effectuer à propos d’une problématique commune et dégager des compréhensions communes ; les participants devraient avoir la volonté de faire évoluer leurs conceptions ; ils devraient aussi s’impliquer dans la dynamique du groupe.

• En quoi le fait de participer à une communauté d’apprentissage ou de pratique permet-il de contribuer à la construction de connaissances chez les enseignants ? La participation en elle-même peut poser problème. La mutualisation et la grande réciprocité des interactions peuvent être ressenties par les enseignants participants autant comme une menace qui peut brider la participation que comme une invitation à discuter et à développer ses arguments.

Ces questions constituent une des raisons pour lesquelles nous nous sommes intéressé plus particulièrement à la théorie du conflit sociocognitif pour comprendre en profondeur le processus d’apprentissage vécu par les enseignants participant à une communauté virtuelle. À travers elles, on voit le besoin d’appréhender la problématique du développement professionnel des enseignants

dans un groupe au travers d’approches relevant à la fois de la psychologie cognitive et de la psychologie sociale.

Par ailleurs, dans les recherches citées ici, les conditions d’apparition et de développement d’une communauté d’enseignants qui sont identifiées ne sont pas toujours liées au fait que les discussions, dans une communauté virtuelle, se déroulent à distance. Bien que l’on retrouve une réflexion sur le sens de la communauté chez Selwyn (2000) par exemple, il n’y a pas d’investigation systématique des composantes de l’espace social qui se crée à distance. Nous verrons plus loin dans l’analyse de la littérature à propos de la notion d’espace social comment toutes ces composantes interragissent pour constituer une configuration de variables influençant le développement d’une communauté virtuelle et l’apprentissage individuel de ses membres.

6.APPROCHES ET RECHERCHES COMPLÉMENTAIRES DU