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L’appareil d’État: une structure hiérarchique et

répressive

L’État qui sert d’arrière-plan aux romans de Collen donne lieu aux « illusions idéologiques »138, nécessaires à la perduration du système capitaliste. L’État reposerait sur une construction imaginaire que Louis Althusser appellera idéologie: « L’idéologie est un bricolage imaginaire, un pur rêve, vide et vain… » 139. L’idéologie organise la cité, la fait

« marcher » et permet le lien nécessaire à l’existence de l’État capitaliste. L’idéologie constitue ce lien entre la pluralité à la base de la définition de la politique. Par ailleurs, l’idéologie est ce qui, pour Althusser, fait des individus des « sujets » et donc des acteurs de l’État: « Nous suggérons alors que l’idéologie « agit » ou « fonctionne » de telle sorte qu’elle

« recrute » des sujets parmi les individus […] ou transforme « les individus en sujets […] par cette opération très précise que nous appelons l’interpellation , qu’on peut se représenter sur le type même de la plus banale interpellation policière […] »140. L’interpellation est intrinsèquement rattachée à l’identité d’un sujet car, « faire l’objet d’une adresse, ce n’est pas seulement être reconnu pour ce que l’on est déjà, c’est aussi se voir conférer le terme même par lequel la reconnaissance de l’existence devient possible. On ne commence à « exister » qu’en vertu de cette dépendance fondamentale à l’égard de l’adresse de l’Autre. On « existe » non seulement parce que l’on est reconnu, mais, plus fondamentalement, parce que l’on est

« reconnaissable »141. L’idéologie assigne les rôles, c’est cette abstraction sur laquelle repose la constitution, l’ordre, la hiérarchie de la cité et bien qu’elle ne soit qu’une abstraction, c’est elle qui détermine la stratification des classes sociales.

L’idéologie est pure illusion, pur rêve, c'est-à-dire néant. Toute sa réalité est hors d’elle-même.

L’idéologie est donc conçue comme une construction imaginaire dont le statut est exactement semblable au statut théorique du rêve […]142.

138 Althusser, op.cit., p. 72.

139 Louis Althusser, Sur la reproduction, Paris: P.U.F, 1995, p. 209.

140 Jacques Rancière, La Mésentente, politique et philosophie, Paris: Galilée, 1995, p.

141 Judith Butler, Le pouvoir des mots, discours de haine et politique du performatif, Paris: Editions Amsterdam, 2004, p.

142 Althusser, Sur la Reproduction, op.cit., p. 209.

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Pour perdurer, un système doit produire et ensuite reproduire « 1) Les forces productives 2) Les rapports de production existants »143. En d’autres termes, l’État doit assurer la perduration de son système productif et une des premières conditions pour cela est l’établissement d’un système idéologique solide. C’est donc cette force latente qu’est l’idéologie qui assure la survie de l’État. Marx conçoit la structure sociale comme composée des niveaux suivants: « l’Infrastructure ou base économique […] et la Superstructure, qui comporte elle-même deux « niveaux » ou « instances »: le juridico-politique […] et l’idéologie […] »144. Nous proposerons le schéma suivant en guise de synthèse:

Figure 1: L'État.

L’Infrastructure étant l’économie, le système économique de l’État, la Superstructure représente les forces qui mettent en place le système économique, les forces qui le forgent.

La Superstructure est constituée de l’État lui-même, sous la forme d’appareils répressifs et d’appareils idéologiques d’État, les AIE. Les appareils idéologiques d’État, comme nous le verrons, sont ceux qui, plus insidieux, se chargent d’entretenir et d’alimenter l’aspect idéologique social. L’idéologie étant une construction abstraite repose sur ces institutions vectrices d’idées instaurées par l’État. L’appareil répressif d’État est constitué du juridique, de l’armée, du gouvernement et de l’administration. L’État est « conçu explicitement […] comme appareil répressif. L’État est une « machine » de répression qui

143 Althusser, La Pensée, op.cit., p.4.

144 Althusser, La Pensée, op.cit., p. 7-8.

Etat

INFRASTRUCTURE (BASE

ÉCONOMIQUE) SUPERSTRUCTURE

1) APPAREILS REPRESSIFS D'ETAT 2) APPAREILS IDEOLOGIQUES D'ETAT

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permet aux classes dominantes [...] d’assurer leur domination sur la classe ouvrière […] »145. Quant aux appareils idéologiques d’État, ils ne sont pas à confondre avec la répression de l’État. Il s’agit de forces latentes, invisibles et néanmoins coercitives. Althusser dira ceci: « ce qui distingue les AIE de l’appareil (répressif) d’État, c’est la distinction suivante: l’appareil répressif d’État « fonctionne à la violence » alors que les Appareils idéologiques d’État fonctionnent à l’idéologie »146. L’idéologie est ce qui constitue la base même de la société car elle définit l’individu en lui assignant un rôle social, une identité bien distincte en l’interpellant en tant que sujet en lui signifiant de façon claire ou implicite que telle ou telle réaction est attendue de lui. Ainsi, l’idéologie interpelle les individus pour en faire des sujets, c'est-à-dire des actants définis dans et par la société: « […] all idéology hails or interpellates concrete individuals as concrete subjects, by the functioning of the category of the subject »147. Althusser dressera la liste de ces institutions qu’il perçoit comme faisant partie des appareils idéologiques d’État. Il dira:

With all the reservations implied by this requirement, we can for the moment regard the following institutions as Ideological State Apparatuses […]

-The religious ISA (the system of the different churches)

-The educational ISA (the system of the different public and private ‘Schools’) -the family ISA

The legal ISA

-the political ISA (the political system, including the different Parties) -the trade-union ISA

-The communications ISA (press, radios and television etc.) -The cultural ISA (Literature, the Arts, sports, etc)148.

Bien qu’il distingue les appareils répressifs et les appareils idéologiques comme faisant usage d’un degré de violence dissemblable, Althusser dira que dans les deux types d’appareils, une forme de violence reste latente: « I shall say rather that every State Apparatus, whether Repressive or Ideological, ‘functions’ both by violence and by ideology […] »149. Cette violence peut à la fois être physique et toucher plus insidieusement à l’identité de l’être en agissant en tant qu’axe définitoire des identités à inclure dans le modèle social ou à exclure:

145 Althusser, La Pensée, op.cit., p. 9.

146 Ibid., p. 14.

147 Louis Althusser, On Ideology, London and New York: Verso, 2008, p. 47

148 Althusser, On Ideology, op.cit., p. 17.

149Althusser, On Ideology, op.cit., p. 19.

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The social identity of communities is constituted, both positively (by inclusion) and negatively (through exclusion or demonisation, for example.) Such narrative exclusion can occur either by means of a representation of an alien, somehow dangerous or suspicious ‘other’, or simply through an absence of representation that occludes the other altogether150.

i. L’Infrastructure

Appliquée aux romans, l’Infrastructure sera comprise comme le « résultat » économique découlant de la division des classes, c’est-à-dire comme le tableau visible d’une hiérarchisation par la richesse qui découpe la société mauricienne. Collen oppose d’une part, le prolétariat, rigoureusement rattaché à des conditions de vie précaires et la bourgeoisie parfois caricaturalement entourée de pompeuses démonstrations de richesse. Paradoxalement, la même pauvreté qui pèse sur la classe ouvrière sert de tremplin à leur épanouissement et à leur évolution positive au fil des romans alors que la bourgeoisie, malgré des conditions de vie faciles est, simultanément rattachée à une sorte d’imparable tragédie qui la ronge jusqu’à la mener à son déclin. Nous proposons de voir sous quel jour l’auteur présente le succès économique et les retombées qu’il implique, c’est-à-dire, somme toute, le prix à payer pour le résultat d’une société sous le joug d’une Infrastructure étatique.

a) Le succès matériel en échange de la liberté: le psychiatre