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i. La femme, une représentation psychique effrayante

Dans le document Le politique dans les romans de Lindsey Collen (Page 103-106)

L’oppression de la femme dans la société ferait écho à la nécessité d’oppresser la femme et ce qu’elle représente psychiquement pour l’homme. Nous entendons en effet démontrer qu’il y a incompatibilité entre toute structure (entendons par structure la société, la civilisation, l’État) qui relève d’une organisation et la « femme » en tant que représentation psychique. Nous verrons comment la femme est un danger pour l’expression et la conservation de la société capitaliste qui se situe du côté de la Loi du Père.

Nous proposons de commencer cette réflexion avec le complexe d’Œdipe, non qu’il s’agisse du point focal de notre réflexion mais parce qu’il amorce l’entrée en scène de principes et d’entités qui nous permettront de cibler le rôle de la mère, de cette première femme, dans le développement du sujet et donc dans le développement de la société. Le Complexe d’Œdipe, pour Freud et Lacan relève de la renonciation douloureuse du sujet à un désir primordial qui lui est interdit et dont il doit se détacher pour se définir en tant qu’individu. Ce désir primordial, c’est la mère, c'est-à-dire, selon la psychanalyse freudienne et lacanienne, le premier être qui introduit le sujet à la réalité vivante: « le premier rapport de

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la réalité se dessine entre la mère et l’enfant, c’est là que l’enfant éprouve les premières réalités de son contact avec le milieu vivant »179. Néanmoins, ce désir premier pour la mère qui est le « premier vœu »180 du sujet est stérile puisque sanctionné par la civilisation: pour être, le sujet ne peut désirer la mère et s’inscrire dans une logique incestueuse. Cet interdit sera donc symbolisé par la figure du père dont la fonction symbolique est de scinder le sujet de la mère afin de l’introduire à la civilisation en tant que sujet identifié. Comme le souligne Lacan:

C’est donc sur le plan de la privation de la mère qu’à un moment donné de l’évolution de l’Œdipe la question se pose pour le sujet enfantin d’accepter, d’enregistrer, de symboliser lui-même, de rendre signifiante, cette privation dont la mère s’avère être l’objet181.

Il lui faudra faire le deuil de ce premier vouloir et mourir à ce désir que représentait la mère.

Nous reviendrons ultérieurement à ce premier deuil mortifère du vouloir qui fait que la figure de la femme primordiale, la mère, soit pour Freud rattachée à la Mort, Médée, « femme face au tyran, un contre-pouvoir inquiétant et démesuré, et, d’autre part comme une mère funeste, une tueuse d’enfants ouvrant aux pratiques les plus sinistres et les plus durement condamnables »182. Pour l’instant récapitulons le schéma triangulaire de l’Œdipe: le sujet a pour désir primordial la mère. Elle lui sera interdite et cet interdit sera symboliquement rattaché au père ou à ce qu’il représente, à savoir le phallus: « c’est-à-dire de quelque chose qui n’a d’existence que pour autant que vous le faites surgir à l’existence en tant que symbole »183. Nous nous permettons ici d’insister sur la nature « symbolique » du phallus et donc purement initié par le psychisme du sujet. Parce qu’il ne peut « avoir » la mère, le sujet se tourne vers le père, vers cet interdit qu’il représente et qui s’avère, en définitive, être à la fois douloureux et nécessaire. Douloureux parce qu’il s’agit d’un renoncement au désir premier et nécessaire parce que ce renoncement est ce qui introduit le sujet à la civilisation et lui donne une identité en tant que membre défini de cette civilisation.

Toute cette lutte semble inscrite dans l’inconscient de tout sujet existant et se réitère comme une nécessité. La question que nous posons donc est: pourquoi ce besoin d’interdit, de renoncement ? La réponse est celle-ci: pour la civilisation.

179 Jacques Lacan, Le séminaire Livre V, les formations de l’inconscient, Paris: Seuil, 1998. p. 180.

180 Paul-Laurent Assoun, Freud et la femme, Paris: Petite bibliothèque Payot, 2003, p. 121.

181 Lacan, op.cit., p. 185.

182 Pierre Brunel, Dictionnaire des mythes féminins, Paris: Editions du Rocher, 2002, p. 1720.

183 Brunel, op.cit., p. 184-185.

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La civilisation, c'est-à-dire la société humaine repose sur la renonciation au désir. Il faut, en effet, savoir refouler pour exister à la civilisation: « La civilisation vient ainsi à bout de la dangereuse agressivité humaine en affaiblissant l’individu, en le désarmant grâce à une instance intérieure à lui, comme le conquérant pourrait exercer un contrôle sur une ville occupée »184.

La prochaine question que nous nous poserons donc c’est de savoir pourquoi il est si important pour l’homme de renoncer au désir et donc de se raccrocher à une figure d’autorité.

Freud avance que la raison poussant l’homme à renoncer à ses pulsions c’est la peur: la peur de perdre l’amour de ses semblables et donc, de se retrouver exclu du groupe social: « Si l’homme perd l’amour de l’autre dont il dépend, il est aussi privé d’une protection contre toutes sortes de dangers, notamment celui que cette instance dominante lui montre sa supériorité sous forme de châtiment »185. L’homme est donc amené à poser les catégories du« bien » et du « mal », ce qui est mal étant ce qui écarte l’homme de ses semblables et qui relève de cette peur « sociale » évoquée plus haut. Avec l’apparition du bien et du mal surgit ce que Freud appelle la « mauvaise conscience »186, c'est-à-dire le sentiment de culpabilité qui découle du conflit entre ce qui est bien et ce qui est mal: faire « mal » engendre un sentiment de culpabilité. La culpabilité naît donc de la crainte de mal faire et d’être sanctionné par les autorités. Force est de constater que Freud attribue la culpabilité, d’une part à la crainte de la sanction des « autorités » et d’autre part à la sanction du « Surmoi »187. S’affranchir de la culpabilité en respectant les paramètres du bien et du mal tels que les définissent les autorités sociales est, pour Freud, relativement simple: «on renonce à des satisfactions pour ne pas perdre son amour. Une fois ce renoncement accompli, on est pour ainsi dire quitte avec elle, il

184 Sigmund Freud, Malaise dans la Civilisation, Paris: Petite Bibliothèque Payot, 1929, p. 136-137.

185 Freud, Malaise dans la Civilisation, op.cit., p. 138.

186 Ibid.

187 Nous proposons un bref rappel des notions de Ça, de Moi et de Surmoi selon la psychanalyse freudienne. Le Ça « recouvre les besoins primitifs et instinctifs de la nature de l’homme, que n’affectent pas des considérations morales ou sociales » (Osborn 14). Il obéit au principe de plaisir. Le Moi cherche à concilier le Ça avec la réalité et de le faire cadrer avec les paramètres de la réalité extérieure. Le Surmoi est à la fois le censeur du Ça, s’opposant à tout excès et détermine aussi le rapport à la réalité du Moi.

Reuben Osborn reprend dans son ouvrage Marxisme et psychanalyse, la théorie freudienne de l’activité psychique présentée comme les trois étages d’un immeuble. À l’étage supérieur vivent les membres de la famille consciente. Il s’agit là des représentants du Surmoi, austères et rigoureux. Au milieu vit la famille préconsciente.

Elle représente le Moi. Les membres de la famille préconsciente peuvent de temps à autre rendre visite à l’étage supérieur et le passage entre les deux niveaux est accepté par l’agent de police chargé de réguler les allées et venues entre ces deux étages. Le rez-de-chaussée est occupé par la famille inconsciente qui représente le Ça:

débridée, violente, bruyante, elle est empêché d’accès à l’étage du milieu par un agent. Néanmoins, celui-ci, parfois dépassé, laisse filtrer des membres de la famille inconsciente qui vont ainsi perturber la famille pré-consciente.

Ces éléments sont repris de l’ouvrage: Reuben Osborn, Marxisme et Psychanalyse, Paris: Petite bibliothèque Payot, trad. Annette Stronck, 1965, p. 12-13.

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ne devrait pas rester de sentiment de culpabilité »188. En d’autres termes, en respectant l’autorité incarnée par l’État, le sujet reste dans le cadre de la civilisation et de l’amour d’autrui. Tout cela se complique avec le Surmoi car, la culpabilité héritée du Surmoi ne peut être effacée ou rachetée: « le renoncement pulsionnel n’a plus d’effet pleinement libérateur […] on a échangé un malheur extérieur menaçant […] contre un malheur intérieur permanent […] »189. En renonçant à ses pulsions, l’homme se condamne à un sentiment de culpabilité persistant parce qu’il a trahi ses désirs en échange de l’acceptation de la civilisation.

La mère, cette première femme qui incarne aussi le premier désir du sujet est donc son premier contact avec le « danger coupable ». C’est la première pulsion dont doit se défaire le sujet afin d’accéder à la réalité d’un Moi. Inductrice de culpabilité, la première femme est présentée par la psychanalyse comme un danger qu’il faut donc réprimer pour exister, pour

«être » en tant que sujet. Pour Freud, la femme, sous les traits de la mère est aussi dangereuse que la mort. Par ailleurs, c’est par la répression du désir pour la mère que commence la culpabilité et avec elle, une torture psychique destructrice qui revêt différents visages, dont l’anorexie. Enfin, le danger de la femme c’est le gouffre, ce manque inexplicable qui happe le sujet et le propulse hors du connu, ouvrant ainsi la voie à l’angoisse.

a) Getting Rid of It et Mutiny: le visage mortifère de la

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