• Aucun résultat trouvé

capitaliste et patriarcal: toile de fond des romans

Le malheur (l’aliénation) n’est pas venu de ce processus naturel ou conscient, mais de l’élément illusoire qui s’y est superposé124.

For class struggle is not an individual struggle, but an organized mass struggle for the conquest and revolutionary transformation of State power and social relations125 (Althusser 86)

Thus the definition of the State as a class State, existing in the repressive State apparatus, casts a brillant light on all the facts observable in the various orders of repression whatever their domains […]126 (Althusser 13)

« Oppression et « oppression sociale » sont donc synonymes ou plutôt oppression sociale » est un pléonasme:

la notion d’une cause politique c'est-à-dire socialiste fait partie intégrante du concept d’oppression »127.

Nous avons choisi de placer cette citation extraite de l’ouvrage de Henry Lefebvre, Le Marxisme, en tête de l’introduction à cette première partie de notre réflexion sur le politique chez Collen afin d’accorder toute l’emphase due à l’objet phare qui orientera notre réflexion:

l’aliénation. C’est bien un « malheur » que dénonce Collen dans sa littérature ou plutôt un ensemble de malheurs découlant de la division du travail. En effet, c’est lorsque apparaissent, à un moment du développement de la société, d’autres fonctions que celles visant à répondre aux « nécessités concrètes » que survient la division des classes. Pour le marxisme comme pour Lindsey Collen, l’État est une « erreur » à dépasser, à dénoncer et, au préalable à exposer sous le jour de ses travers. Elle rejoint ainsi Louis Althusser pour qui l’État « est une

« machine » de répression, qui permet aux classes dominantes […] d’assurer leur domination sur la classe ouvrière pour la soumettre au procès d’extorsion de la plus-value (c’est-à-dire à l’exploitation capitaliste)128.

124 Henry Lefebvre, Le Marxisme, Paris: P.U.F, 1948, p. 94.

125 Louis Althusser, « Idéologie et appareils idéologiques d’État», La Pensée, n° 151, juin, 1970, p. 86.

126 Althusser, « Idéologie et appareils idéologiques d’État»,op.cit., p. 13.

127 Christine Deplhy, « L’Ennemi principal », in L’ennemi principal, Economie politique du patriarcat, Tome I, Paris: Syllepse, 2009.

128Althusser, « Idéologie et appareils idéologiques d’État», op.cit.,p. 9.

60

Il est essentiel, dans un premier temps, de comprendre que pour Collen, l’État est une création capitaliste, c'est-à-dire qu’au-delà d’aliéner l’homme comme elle le démontrera avec plusieurs exemples dans ses romans, l’État est aussi une dialectique, une contradiction capitaliste. Ce que dénonce Collen c’est l’État capitaliste tel que le définit le marxisme.

Dans ses romans, Collen fait souvent allusion à l’accumulation de biens, à la société de consommation et à une course au pouvoir qui semble animer les représentants de la classe bourgeoise qu’elle inclut dans ses romans. Néanmoins, si le capitalisme implique la compétition, il s’agit d’une compétition contrainte, affranchie de toute liberté et devenue un réflexe d’accaparement dépourvu de sens réel: « En d’autres termes, la libre initiative du capitaliste n’est que l’aspect subjectif, superficiel et apparent d’un processus plus large, objectif, et contradictoire »129. Ce qui transparaît dans l’État capitaliste, c’est l’absence de liberté et c’est bien cette thématique (l’absence de liberté) que Collen reprendra sous diverses appellations dans ses romans. Le capitalisme est un cycle infernal, un piège, « le cycle infernal de la course au profit »130 tout en étant un paradoxe. En effet, la dialectique du capitalisme peut ainsi être résumée: le producteur est pris dans un rapport d’échange et donc dans un rapport avec l’autre tout en étant complètement coupé d’autrui. Seule la valeur marchande compte, nous sommes dans l’illusion de la production et non plus dans la production au sens humain et concret en correspondance à des besoins immédiats. Enfin, le capitalisme se caractérise par le « fétichisme et l’aliénation de l’homme »131 avec la cristallisation du travail, des échanges, des produits en argent qui se veut ainsi être la plus haute manifestation de l’illusion.

Cet État capitaliste Rancière l’appellera « ordre policier », c'est-à-dire un « système d’évidences sensibles qui donne à voir en même temps l’existence d’un commun et les découpages qui y définissent les places et les parts respectives »132. L’ordre policier c’est cet État organisé, divisé en classes avec des fonctions définies pour chacun, bref, il s’agit de la hiérarchisation attribuable à l’État en tant qu’organisation capitaliste. L’idéologie participera de l’autoconservation nécessaire à l’État capitaliste en s’adaptant aux besoins et aux attentes matérielles des sujets tout en apportant une orientation subjective à ces attentes, orientation

129 Althusser, op.cit., p. 80.

130 Althusser, op.cit., p. 81.

131 Althusser, op.cit., p. 87.

132 Jacques Rancière, Le Partage du sensible esthétique et politique, Paris: La fabrique éditions, 2000, p. 12.

61

visant à servir les objectifs de l’État capitaliste. Raymond Williams décrit l’idéologie à la fois comme une force d’autoconservation et d’adaptation, assurant ainsi sa perduration:

Every ideology […]once it has arisen, develops in connection with the given concept-material, and develops this material further ; otherwise it would cease to be ideology, that is, occupation with thoughts as with independent entities, developing independently and subject only to their own laws 133.

Lindsey Collen ne dénonce pas seulement l’État capitaliste et son organisation conduisant à l’aliénation de la classe ouvrière, mais elle dénonce également le patriarcat. Pour Collen, comme elle le démontrera dans ses romans, l’oppression politique exercée par les différents appareils d’État équivaut à l’oppression patriarcale. En d’autres termes, l’État comme le patriarcat aliène les plus faibles. Dans le cas de l’État il s’agit de la classe ouvrière et dans le cas du patriarcat, il s’agit essentiellement des femmes. Ceci étant, l’État peut contenir le patriarcat et opprimer à la fois les femmes et les plus faibles dans leur ensemble.

C’est pourquoi nous parlerons d’État patriarcal pour désigner l’espace socio-politique que dénonce Collen dans ses romans.

Dans son entrevue avec Triplopia, Collen définit le patriarcat comme une force insidieuse, perfide, une idéologie travaillant en silence et pourtant omnipotente. Elle dira:

« Because every day women are already meted out a million insidious, invisible reminders of patriarchy. And the rapist is only acting on this »134. Le patriarcat est une pression exercée à l’encontre des femmes et de la plupart des hommes car, tout comme l’État, le patriarcat est une structure hiérarchique, organisée autour de lois et dont l’apogée se manifeste, toujours selon Collen, avec la prison: « So the patriarcal structure is there. A prison. The hierarchy of the whole thing »135. L’inégalité entre les classes est en correspondance avec l’inégalité entre hommes et femmes, ce déséquilibre des forces qu’évoque Collen et qui fait que la femme ait à subir la plus haute manifestation de violence de la part d’un homme, le viol: « where men and women are equal, as they were in the paternalistic esclavagist society of the Chagos, men do not consider raping women, and women have no fear of rape »136.

Le patriarcat obéit à une structure hiérarchique et repose sur l’inégalité tout comme l’État capitaliste repose sur une hiérarchie découlant de l’inégalité des classes. Collen

133 Raymond Williams, Marxism and Literature, Great Britain: Oxford University Press, 1977, p. 45.

134Annexe 8, « Triplopia », p. 404.

135 Ibid.

136 Ibid.

62

attribuera d’ailleurs une valeur métaphorique plus large au viol de Sita dans son roman The Rape of Sita. Le viol devient symbolique de l’agression à l’encontre de toute une nation:

There are at least two levels upon which the concept of rape expresses itself in this novel: in a literal sense, the problem of rape, with all the questions of how power, in its most abusive form, expresses itself through this act, and a second, more metaphorical sense137.

Pour synthétiser, l’État capitaliste est en écho, à la fois avec la police de Rancière et avec le patriarcat en tant que force idéologique insidieuse . Nous avons organisé cette partie sur l’exposition de l’État comme arrière-plan des romans de Collen, autour de deux axes.

La première étape concerne la manifestation de l’État en tant que structure comprenant une base économique, des appareils répressifs et des appareils idéologiques d’État. C’est le jeu de ces différentes structures, leur impact sur la classe ouvrière et ce qu’elles produisent de répréhensible dans la société qu’expose Collen, qui sera l’objet de notre questionnement ici.

Dans un deuxième temps, nous nous pencherons sur le patriarcat comme manifestation métaphorique de l’État. Nous verrons en quoi le patriarcat occupe les mêmes fonctions oppressives que l’État. Cette fois, ce seront les femmes qui seront les victimes désignées.

Collen expose les origines du patriarcat comme reposant sur la crainte que provoque la femme dans l’inconscient. Il en résultera qu’elle sera brimée pour être « contenue », elle et le danger qu’elle représente. Cette partie vise à dresser le tableau d’une société qui fait de la violence et de la répression son socle de construction. Frappé de négatif et de souffrances, c’est un enchaînement d’éléments liés à l’oppression et à l’absence de liberté que nous entendons ici mettre en avant.

Ces deux parties étant en écho tendront à un même objectif ultime: contester l’État, le patriarcat, l’État patriarcal, notions qui se retrouvent en écho, pour épouser le dépassement préconisé par le marxisme vers un État affranchi des classes, vers un État communiste, utopique que nous appellerons le politique.

137 Ibid.

63

Chapitre I. L’appareil d’État: une