• Aucun résultat trouvé

La force policière, entre la violence et le ridicule

Le tableau qui suit regroupe quelques unes des nombreuses références faites à la force policière dans les romans de Collen. Nous avons identifié cinq romans sur les six qui parlent de façon explicite de la force policière et de comment elle déploie une force de répression violente. Nous tenterons dans un premier temps d’identifier le « type » de violence déployé à travers quelques exemples précis et succincts.

Romans Citation/exemple Type de violence

Boy « One policeman pushes me so hard I almost fall aver on the pathway between the two halves of the police station flower garden » (B 109).

« When we get to the Banbu police station, the policeman in the back with us shoos us out af the jeep. Like we are vermin. With disgust » (B 108).

-Violence physique

82

Getting Rid of It « Two big plainclothes men, the ones that always do this, just drove up in a jeep, pushed the Boy Who Won’t Speak aside roughly so that he fell off the crate, swore at Jumila […] » (GR 173).

« Police officers take off caps and epaulets, stuff them in the neatest dustbin […] » (MMN 170).

« Peace on earth […] No police jeeps. No police men. No police station […] » (MMN 173).

Nous pouvons constater que c’est la violence physique qui prime dans l’exercice de la répression conduite par la force policière. Il s’agit de marquer la supériorité des forces déployées par l’État et, de ce fait, conserver la supériorité sur les classes inférieures. La violence physique évoquée par Collen est exclusivement dirigée à l’encontre des plus démunis mais aussi des plus faibles. Pour rehausser l’impact de ces images fortes, Collen les dirige sur des enfants, à l’instar de Krish dans Boy ou encore l’enfant devenu muet de Getting Rid of It. Dans les deux cas, les enfants tombent: Krish tombe dans le jardin fleuri du poste de police de « Banbu » alors que « The Boy Who Won’t Speak » tombe dans un tas de marchandises. Les plus petits croulent littéralement sous les coups de la police et il en va de même pour les femmes: Jumila est insultée dans Getting Rid of It (« swore at Jumila »), dans Mutiny, Juna sent déjà sa vie menacée par cette arme que la police s’apprête à diriger vers elle. Le rabaissement de la classe ouvrière est symbolisé par la chute, par la menace pour bien souligner la volonté de l’Appareil d’État d’écraser la classe des plus faibles, la faire chuter, peser sur elle de tout son poids. La violence physique est d’autant plus choquante qu’elle est bien visuelle et de plus, elle semble chercher à tendre vers ce principe de légitimation évoqué par Françoise Héritier. En effet, pour légitimer la violence, il faut enlever à l’autre son

83

humanité, partiellement ou totalement. La police chez Collen traite le petit peuple en

« vermine »: « Like we are vermin » (B 109), « Verminn, sa bann ti marsan la’ » (GR 173).

L’exercice de la violence serait donc non seulement affiché mais également justifié du fait que les victimes ne soient pas tout à fait des êtres humains.

Cette exhibition de la violence physique s’accompagne de ridicule. Pour réagir à la violence, Collen auréole la force policière et sa répression ostentatoire de ridicule que Sophie Duval et Marc Martinez définissent en ces termes: « le sentiment de honte que fait naître le ridicule peut seul réformer le public et lui apprendre, par le spectacle grotesque qui lui est offert, à éviter de sombrer dans les mêmes travers que ceux des personnages représentés »166. Le ridicule de la police est affiché en réaction à la violence déployée. Ainsi, Krish constate:

« They wouldn’t want to wet their boots, I can see » (B 99). Mais le plus surprenant c’est tout le côté absurde des arrestations évoquées par les romans. La police arrête sans trop savoir pourquoi, comme s’il s’agissait d’un exercice banal, voire même d’un jeu: « A run-of-the-mill arrest. No supplementary questions asked. No time wasted » (B 99), « Oh, it’s just an allegation » (M 142). Juna est arrêtée pour allégation: « juste une allégation » semble vouloir dire le policier, rien de très grave pour lui mais qui aura pour conséquence l’emprisonnement de la narratrice de Mutiny. L’absurde atteint son paroxysme avec cette pensée qui traverse l’esprit de Juna: elle serait victime d’une plaisanterie filmée, un gag: « It flashes through my mind that this is Candid Camera…you’re on » (M 144). Un subit fantasme semble animer le policier dans Boy: si ces prisonniers étaient aux « USA » ils porteraient des chaînes aux chevilles. Cette phrase est énoncée sur le ton de la menace mais prête simultanément à sourire puisqu’il s’agit d’un fantasme de pouvoir complètement hors contexte et qui vient ridiculiser son émetteur. Le ridicule des policiers, l’absurdité de leurs propos vient de la part de l’auteur, en réaction à la violence exercée sur le peuple. Il s’agit, en effet pour le ridicule d’opérer une fonction cathartique afin de libérer la colère contenue découlant de tant d’injustices.

Néanmoins, force est de constater que, précisément parce qu’elle est absurde, cette violence policière est d’autant plus dangereuse: elle ne repose sur aucune logique, elle ne connaît aucune limite et n’a besoin d’aucune justification. Implicitement, Collen souligne ainsi l’absurdité de l’Appareil Étatique maintenu par les Appareils de répression, envers et contre toute logique.

166 Sophie Duval, Marc Martinez, La Satire, Paris: Armand Colin, 2000, p. 48.

84

Si la violence policière est sanctionnée de ridicule par l’auteur (soulignons que le ridicule est aussi une manifestation de la violence car il se fait « l’écho des craintes »167 du pouvoir en place), le peuple sanctionne à son tour la violence de la police par la révolte. Les exemples les plus parlants viennent du roman Mutiny où les prisonnières ruminent leur révolution contre cette police qui les entoure et les humilie au quotidien: « We hate these women that guard us and guard the gates and guard the whole edifice » (M 3). La répétition du mot « guard » souligne bien la fonction de garant de l’ordre que remplit l’Appareil répressif policier. En tout état de cause, il a pour résultat de susciter l’envie de vengeance et de révolution. Nous retrouvons là la théorie fanonienne ayant trait à la haine de l’ancien colonisé pour l’ancien colonisateur représenté par l’État bourgeois. La révolte est le cri légitime découlant de l’oppression et cette atmosphère de conflit latent a pour résultat d’oppresser les forces au pouvoir. Ainsi, tout comme la police réprime, elle est à son tour brimée par le peuple, brimée par la peur: « They are trapped in here now, imprisoned » (M 318), « They huddle. Like the wasps. Their time is up » (M 318). Dans The Malaria Man and her Neighbours, il s’agit pour la police de se fondre dans la foule qui gronde, de se faire discrète afin de ne pas subir les foudres de la révolte.

Notre constat est donc que les Appareils Répressifs, fonctionnant à la violence obtiennent du peuple une réplique tout aussi violente de sorte que l’Appareil d’État, et spécifiquement l’Appareil d’État décolonisé qui repose sur une haine historique latente, semble pris dans un chassé-croisé de répression et de violence déployées de part et d’autre.