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L’Antiquité chrétienne au concile de Trente

Dans le document Mélanges Michel Péronnet. Tome I (Page 92-106)

Alain TALLON

(Université de Paris IV)

Il peut paraître peu sérieux de commencer un article en affirmant que son sujet est totalement anachronique : le terme même d’Antiquité

chré-tienne n’existe pas au XVIe siècle, et en tout cas n’est jamais utilisé au

concile de Trente. On parle des traditions antiques, des Pères antiques, mais l’Antiquité chrétienne au singulier n’apparaît pas. Bien sûr, ce que nous appelons l’Antiquité chrétienne est omniprésent dans les débats tri-dentins, mais les Pères conciliaires n’avaient certainement pas la même idée que nous de ces premiers temps du christianisme, et sans doute pas non plus exactement la même que celle qu’auront, une ou deux générations plus tard, ceux qui auront lu les Centuriateurs ou Baronius.

La première précaution méthodologique à prendre est donc de mieux définir ce qu’est l’Antiquité chrétienne pour un évêque ou un théologien

tridentin et dans quelle mesure en parler a un sens au XVIe siècle. Cette

démarche permet d’éviter toute analyse simplement théologique du concile de Trente, et de poser des jalons pour une histoire plus proprement cultu-relle de cet événement capital pour le catholicisme moderne. Je ne disséque-rai donc pas les délibérations et les décrets du concile, cherchant à prouver que telle affirmation sur la justification vient directement de Tertullien ou d’Augustin, que le débat sur les images reprend des polémiques vieilles d’un millénaire, etc. Toutes ces études ont déjà été faites par plus

compé-tent que moi1. Mon but sera plus modeste : qu’est ce qu’un théologien

1. L’approche bibliographique thématique la plus complète sur le concile se trouve dans Gervais Dumeige S. J. (éd.), Histoire des conciles œcuméniques, t. X, Latran V et Trente,

du XVIe siècle voit, comprend, utilise dans les origines du christianisme ? Quels sont ses présupposés implicites et explicites ? Quels sont les moyens culturels à sa disposition et quels sont ceux qu’il préfère utiliser ?

Ce type de démarche amène évidemment à élargir le débat à la question de l’humanisme à Trente, et plus encore, à pénétrer au cœur du paradoxe

catholique du XVIe siècle : prouver que l’Église a le droit de développer

la Révélation, tout en montrant que ce développement ne trahit en rien les origines. Pour ces fixistes, voire ces réactionnaires que sont les

chré-tiens du XVIe siècle, cela n’a rien d’évident et revient à dire : nous avons

le droit d’ajouter telles ou telles précisions, mais en fait nous n’avons rien ajouté. L’horreur de la nouveauté est commune aux frères ennemis des Réformes religieuses. Pour prendre un exemple parmi tant d’autres, l’évêque de Nîmes, Bernard Del Bene, se prononce dans le débat sur les mariages clandestins d’août 1563 contre toute innovation : « Les

nou-veautés sont en effet toujours dangereuses et suspectes1. » Mais le même

Bernard Del Bene, un an auparavant, affirmait dans le débat sur la com-munion sous les deux espèces que l’Église pouvait « changer le rite de ce sacrement » par le droit qu’elle a de développer « ce qui ne se trouve pas dans l’Évangile2».

La polémique protestante s’engouffre dans cette brèche intellectuelle, et les plus avertis des théologiens catholiques sont mal à l’aise devant les accu-sations des dissidents. Comment justifier une évolution historique dans une pensée qui se refuse à intégrer l’histoire comme élément théologique, la fameuse « histoire du salut » chère à Vatican II ? Le Père Duval, un des meilleurs spécialistes des débats tridentins, soulignait cette difficulté dans son recueil d’articles sur les sacrements au concile de Trente : « Les gens

du XVIe siècle ne sont que médiocrement équipés pour y faire face [au

problème de tradition sacramentaire soulevé par Luther] » alors que peu lisent les textes anciens avec un souci de leur contexte. Il existe quelques exceptions, dont celle particulièrement importante concernant le cardinal Marcello Cervini, bibliothécaire de la Bibliothèque vaticane et légat lors de la première période tridentine, qui a une conception de la tradition comme développement. Mais cette intuition reste chez lui encore confuse et

sur-t. XI, Trente, Paris, Éd. de l’Orante, 1975-1981. Pour une présentation synthétique des problématiques les plus récentes sur l’événement conciliaire, je me permets de renvoyer à Alain Tallon,Le concile de Trente, Paris, Éd. du Cerf, 2000, 135 p.

1. Concilium Tridentinum. Diariorum, actorum, epistolarum, tractatuum nova collectio, Friburgi Bri-goviæ, 1901 (=CT), t. IX, p. 726.

tout il ne parvient à la transmettre qu’à une poignée de collaborateurs. Pour l’immense majorité des Pères, « les traditions apostoliques sont comme des choses qui se sont transmises de main en main depuis les apôtres

jusqu’à nous1». L’Antiquité chrétienne comme chose, objet, certainement

pas comme histoire. Ce qui ne l’empêche pas d’être toujours étonnamment vivante. Certains Pères n’hésitent pas à réclamer une nouvelle condamna-tion des hérétiques anciens, dont les hérétiques modernes ne sont que la réincarnation. Ainsi Antoine Filhol, archevêque d’Aix, demande-t-il, lors du débat sur la justification de l’automne 1546, une mention explicite de Mani, « homme non moins impie que ridicule », qui veut que l’homme ait deux natures, bonne et mauvaise, qui font naturellement le bien et le mal. On ne peut donc rien imputer à la volonté de l’homme. « En ceci

Luther n’est pas très éloigné de Mani2». Peu importe que le manichéisme

ne soit plus une menace pour l’Église depuis longtemps : au-delà de la polémique, les Pères ont le sentiment d’une permanence du contenu des hérésies, pendant normal de la permanence du dogme orthodoxe. Objet proche et vivant, l’Antiquité chrétienne échappe au temps par sa plénitude : tout y a été dit, les dogmes les plus excellents comme les hérésies les plus noires. La première et peut-être seule tâche des Pères conciliaires est de la répéter.

Si l’on pouvait demander à un Père tridentin ce qu’est pour lui l’Antiquité chrétienne, une fois passée la surprise devant un tel terme, il répondrait certainement qu’il s’agit de la meilleure période de l’Église, celle des martyrs, des grands docteurs, des ascètes et des saints. Le terme antique a déjà par soi cette connotation positive. S’il existe un accord entre catholiques et protestants sur quelque chose, c’est bien sur l’idée que la vraie Église est celle des premiers siècles. Exemple parmi d’autres, les instructions d’avril 1562 données à l’ambassadeur français à la troisième période du concile, Louis de Saint-Gelais, seigneur de Lansac, insistent sur la nécessité d’une vraie réforme des mœurs ecclésiastiques. Elles ajoutent : « Or pour parvenir à ladite réformation, sembleroit nécessaire en premier lieu, de reprendre les commencemens de l’Église, afin de ramener l’Estat Ecclésiastique le

plus près que l’on pourra de la pureté de son commencement3. » Toute

la polémique religieuse duXVIesiècle peut être ramenée à ce but : prouver

que sa propre Église est restée pure et sans changement par rapport à celle

1. André Duval O. P.,Des sacrements au concile de Trente, Paris, Éd. du Cerf, 1985, p. 253. 2. CT, V, p. 442.

3. Pierre Dupuy (éd.),Instructions et lettres des rois tres chrestiens et de leurs ambassadeurs et autres actes concernant le concile de Trente, 4eéd., Paris, Sébastien Cramoisy, 1654, p. 173.

de l’Antiquité chrétienne, et que ce sont au contraire les adversaires qui se sont éloignés de cette pureté originelle. Même Luther, qui avait voulu placer le débat sur le seul terrain des Écritures, s’approprie les Pères de l’Église. Par leur formation humaniste, Mélanchthon ou Calvin utilisent volontiers la patristique dans leurs écrits1.

Mais quelle est-elle, cette Église idéale (on n’ose dire mythique) ? Le com-mencement ne pose pas grand problème : dès que s’arrêtent les livres cano-niques du Nouveau Testament, tout le monde est d’accord pour admettre qu’on entre dans une période historique, c’est-à-dire que les écrits de cette période ne peuvent plus être considérés comme un fragment brut et intou-chable de la Révélation. La fin de cette période pose plus de problème : d’Érasme à Bèze, de Carranza à Baronius, elle varie considérablement. Quand on lit les interventions des Pères et des théologiens tridentins, on se rend compte que la même citation d’un concile wisigothique ou de Bède le Vénérable n’a pas le même statut : ici, elle fait l’objet d’une véritable exégèse, là elle est mise en vrac avec d’innombrables autres auctoritates, qui pour la plupart sont assez récentes. En travaillant sur les Français à Trente,

j’avais pu me rendre compte que pour un gallican moyen duXVIesiècle, la

grande rupture dans l’histoire de l’Église se situe aux Xe-XIe siècles, avec la réforme grégorienne et le schisme orthodoxe. De là datent, comme le pense par exemple Arnaud du Ferrier, autre ambassadeur à la troisième période du concile, la dégénérescence de l’Église, les empiétements du pou-voir pontifical, la corruption et l’abêtissement des clercs. Mais un évêque espagnol pensera plutôt à la catastrophe de 711, tandis qu’un théologien humaniste italien ira au plus tard jusqu’à Cassiodore, dernier représentant d’une latinité civilisée dans un monde barbare.

L’autre réponse que l’on pourrait donner serait : l’Antiquité chrétienne, c’est la Tradition. Mais là encore, les Pères tridentins utilisent peu ce mot, et préfèrent parler des traditions au pluriel. Le décret sur le canon des Écritures, voté lors de la quatrième session le 8 avril 1546, parle de ces traditions, enseignées par oral par le Christ ou acceptées par les apôtres

sous l’inspiration de l’Esprit saint, qui ont été transmises quasi per manus

jusqu’à notre époque. C’est donc l’Antiquité chrétienne qui la première

1. Voir par exemple Luchesius Smits O.F.M. cap.,Saint Augustin dans l’œuvre de Jean Calvin, Assen, Van Gorcum et Cie, 1957-1958, 2 vol., 337 et 295 p. ou l’intervention de Mario Turchetti, « Jean Daillé et sonTraicté de l’employ des saincts Pères(1632). Aperçu sur les chan-gements des critères d’appréciations des Pères de l’Église entre leXVIeet le XVIIe siècle », au colloque surLes Pères de l’Église auXVIIesiècle, Emmanuel Bury et Bernard Meunier (éd.), Paris, Éd. du Cerf, 1993, p. 69-87.

a reçu et transmis ces traditions au statut ambigu, mais qui s’approche de celui de la Révélation. Cependant, le débat qui a précédé le décret est révélateur de la conception floue que les Pères peuvent avoir de ces traditions. La plupart suivent le cardinal de Jaén, Pedro Pacheco, quand il désapprouve le 26 février 1546 l’idée de faire une liste de ces traditions1. Faire une liste, c’est clore et donc refuser à l’Église le droit d’ajouter ou de développer. Faire une liste, c’est risquer aussi d’oublier des traditions, lancer un débat dangereux sur la différence entres les traditions et les coutumes. Le flou historique et théologique convient mieux et permet d’éviter des polémiques inutiles.

Dans ma tentative de définir, au moins chronologiquement, ce que pou-vait être l’Antiquité chrétienne pour les Pères tridentins, malgré tout ce flou, je plaiderai pour la « longue antiquité chrétienne » gallicane, car mal-gré toutes les différences, on voit bien que la décision d’un concile méro-vingien a plus de poids dans la discussion théologique qu’une décrétale

d’Innocent III ou un canon d’un concile du XIIIe siècle. Les votes des

Pères et des théologiens cherchent toujours la référence la plus ancienne, non sans parfois la tordre dans un sens précis ou la citer complètement de travers. Dans ce culte de l’ancien, le haut Moyen Âge a un statut

parti-culier, pas toujours aussi prestigieux que le IVesiècle, mais plus important

que les recueils canoniques ou les traités scolastiques des XIIe-XIIIe siècles. On le voit par exemple dans le débat sur les images : Nicée II ou les livres carolins, édités en 1549 par le gallican Jean Du Tillet2, sont les références permanentes, avec la même autorité que saint Augustin.

Une longue Antiquité chrétienne donc, mais qui n’existe pas en dehors des écrits des Pères ou des canons des conciles. L’histoire proprement dite de l’Église de ces temps là n’est que très rarement évoquée, et toujours dans ses épisodes les plus banals. Par exemple, l’évêque de Nevers Jacques Spifame, dans un vote sur les abus de sacrements en général le 21 octobre 1547 à Bologne, insiste pour que la condamnation de toute exigence de cadeau lors de l’administration d’un sacrement ne paraisse pas condamner

la donation de Constantin, conséquence de la réception d’un sacrement3.

Des hommes capables de citer, parfois de mémoire, des passages très peu connus d’Augustin ou de Jérôme, s’emmêlent dans la chronologie, et ne

trouvent commeexempla que la donation de Constantin ou le conflit entre

1. CT, V, p. 18.

2. Jean Du Tillet (éd.),Opus inlustrissimi Caroli Magni Regis Francorum, contra synodum quæ, in partibus Græciæ, pro adorandis imaginibus stolide sive arroganter gesta est..., [Parisiis], [s. n.], 1549.

Ambroise et Théodose. L’évêque de Viviers Jacques-Marie Sala, cherchant en 1562 à quel moment et pourquoi l’Église a cessé de pratiquer la com-munion sous les deux espèces, nous dit que ce fut pour deux raisons : la lutte contre l’hérésie nestorienne et la conversion de l’Allemagne et de la

Pologne, régions où le vin manque1. Que ces deux événements se soient

produits à plusieurs siècles de distance ne semble pas le gêner outre mesure. Ce fait n’est pas si étonnant : nous avons affaire à des théologiens ou des juristes de formation, qui s’ils connaissent Eusèbe de Césarée ou Zonaras, ne les considèrent pas comme de vraies autorités théologiques. Tout au plus peuvent-ils orner d’exemples moraux un discours théologique qui se piquerait d’éloquence, ou un sermon. La vraie Antiquité se trouve dans les Pères et les conciles. On cherche plus des autorités que des preuves dans le débat théologique. Quelques rares exceptions, comme Cervini, annoncent Baronius avec leur souci de démontrer plus scientifiquement l’existence de telle ou telle croyance dès les origines du christianisme. Ils ne sont guère suivis : si le mot « Antiquité chrétienne » a un sens pour les Pères tridentins, ce sens est théologique et canonique ; il n’est certainement pas historique.

Les Pères, les conciles : mais quelle est la connaissance exacte que peuvent avoir les évêques tridentins de la patristique et des conciles anciens ? La plupart, à l’exception des évêques d’origine mendiante, ont une formation de juristes et non de théologiens. Ils citent plus volontiers les canons des conciles, qu’ils connaissent par des compilations médiévales ou par l’édition de Cologne de 1536, reprise de celle de Paris de 1524, que les traités des Pères. Ce fait permet aux polémistes protestants de les accu-ser d’ignorance. Mal armés pour défendre des positions originales quand le débat se fait plus exclusivement théologique, les pères se font préparer des listes d’autorités par les théologiens qui les accompagnent. Alphonse Dupront remarquait déjà qu’à Trente « les docteurs sont les tuteurs des

Pères2». Ces docteurs, souvent mendiants, ont reçu une formation

uni-versitaire, que beaucoup ont complétée par des études humanistes. Leur connaissance des Pères de l’Église obéit à toutes les exigences nouvelles, sans pour autant faire d’eux des philologues. La méthode critique

huma-niste reste toujours subordonnée à sa fin théologique3.

1. CT, VIII, p. 837.

2. Alphonse Dupront, « Le concile de Trente », dansLe concile et les conciles. Contribution à l’histoire de la vie conciliaire de l’Église, Paris, Éd. du Cerf, 1960, p. 222.

3. Sur cet « humanisme scolastique » à Trente, je me permets de renvoyer à l’exemple français développé dans Alain Tallon,La France et le concile de Trente, 1518-1563, Rome, École française de Rome-Paris, De Boccard, 1997, p. 743 et suiv. (« Biblioth. des Écoles françaises d’Athènes et de Rome », CCXCV).

Si les théologiens et les Pères tridentins s’adonnent volontiers à l’étude des auteurs de l’Antiquité chrétienne pendant leur séjour à Trente, c’est aussi pour une raison très simple : on meurt d’ennui à Trente, et il faut bien s’occuper. Je ne rappellerai que pour mémoire la durée des périodes du concile : plus d’un an à Trente, un an et demi à Bologne, un an puis deux ans à Trente. Il faut ajouter à cela les périodes interminables d’attente pour les prélats obéissants, qui sont à Trente depuis plusieurs mois quand les sessions commencent enfin. Pendant ces sessions, les pauses imposées par le pape, les princes, ou simplement l’inertie de l’assemblée laissent tout le temps aux prélats de se cultiver et d’approfondir leur science théolo-gique et canonique. Trente ou Bologne deviennent donc des foyers érudits, où Italiens, Espagnols, Français, Portugais et Allemands échangent leurs connaissances et leurs manuscrits. Lors de la première période tridentine, l’ambassadeur de Charles Quint, Don Diego Hurtado de Mendoza, réunit autour de lui les Pères et les théologiens avides de profiter des richesses de sa très belle bibliothèque, constituée en partie de manuscrits grecs très rares « empruntés » à la Biblioteca Marciana de Venise, son précédent poste. Don Diego n’hésite pas à faire profiter le concile de toutes ses acquisitions. Le secrétaire du concile, Angelo Massarelli, note ainsi dans son journal que l’ambassadeur l’a invité à déjeuner le 31 mai 1545, en compagnie du théo-logien français Gentian Hervet, pour leur montrer les éditions de Pères

grecs qu’il vient de faire venir de Venise1. Cette bibliothèque, une des

plus riches de son temps, permet aux participants au concile de se livrer à de nombreux travaux érudits. Bartolomé Carranza rédige ainsi à Trente saSumma conciliorum, avec l’aide d’autres théologiens qui traduisent en latin les manuscrits grecs des conciles anciens. Gentian Hervet traduit en latin un dialogue de Zacharie le Scholastique sur la non-éternité du monde,

dont il dédiera l’édition à Mendoza2. Une petite académie de patristique,

principalement grecque, se constitue ainsi autour de l’Espagnol.

Mais il n’est pas toujours évident de trouver un ambassadeur aussi cultivé, et prêt à emporter sa bibliothèque au concile et à la mettre à la disposition des théologiens. Certains prélats arrivent parfois avec leurs livres et leurs manuscrits, mais ils sont peu nombreux et ont plus souvent l’ambition de terminer un traité théologique que de généreusement prê-ter leurs richesses aux Pères et théologiens moins bien pourvus. L’une des grandes difficultés que rencontra le concile dans ses travaux, rarement souli-gnée, fut bien la faiblesse de la documentation disponible sur place. Certes,

1. CT, I, p. 197.

2. Zachariæ Scholastici Dialogus Ammonius, quod mundus non sit coæternus, a Gentiano Herveto Aurelio latine versus, Venetiis, Apud N. de Bascarinis, 1546, 32 fol.

nous sommes dans le cadre d’une civilisation de la mémoire. Beaucoup

connaissent par cœur les auctoritates nécessaires. Mais la mémoire trouve

quand même ses limites : on en a pour preuve le nombre extrêmement important de citations fausses dans les votes théologiques, patiemment repérées par les savants éditeurs deConcilium Tridentinum : mauvais chapitre, mauvais livre, mauvais auteur, y compris pour les citations les plus connues,

du genre «Felix culpa». Le concile doit impérativement trouver des sources

d’informations fiables, sinon il risque de prêter le flanc à tous les sar-casmes de ses adversaires. La connaissance exacte des Pères de l’Église n’est pas simplement une exigence d’érudit, elle est une nécessité pour la controverse.

Marcello Cervini, bien conscient de cette nécessité, fait venir de toute l’Europe livres et manuscrits, s’appuyant sur le réseau des nonces, mais constituant aussi une véritable équipe de théologiens-copistes qui sillonnent l’Italie, voire l’Europe. Pour approvisionner le concile, on copie des

manus-crits de Pères grecs à Corfou1, on achète des livres à Paris2, etc. La

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