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Guillaume de Honstein à Strasbourg

Dans le document Mélanges Michel Péronnet. Tome I (Page 74-92)

Francis RAPP

(Université de Strasbourg II, Académie des inscriptions et belles-lettres)

Jamais l’Église latine n’avait considéré que ses institutions étaient par-faites et qu’il ne fallait ni les compléter, ni en améliorer le fonctionnement. Elle a souvent, avec une énergie farouche à certaines époques, ouvert des chantiers importants et nombreux en vue de perfectionner ses structures et d’accroître la valeur des hommes qui en assuraient la marche. Mais ce souci, que l’interminable crise du Grand schisme avait attisé, nourrit à la fin du Moyen Âge une idée-force qui, pendant plus d’un siècle, ins-pira la passion de la réforme à d’innombrables clercs de tout rang et de toute robe. Les conciles de Constance et de Bâle s’étaient évertués à réfor-mer la tête de l’organisme ecclésial. La restauration du pouvoir pontifical prouva qu’ils avaient vu trop grand. Ce qu’ils avaient cru pouvoir bâtir s’écroula. Restaient à réformer les membres puisque la réforme du chef avait échoué. Les abus, en effet, pullulaient sur tout le corps de l’Église, à la base comme au sommet. Les religieux conscients de leur responsabilité reconnurent sans doute les premiers que leur conduite n’était vraiment pas exemplaire et que leur interprétation des conseils évangéliques était trop souvent d’une souplesse excessive. Dans tous les ordres, des mouvements de retour à la rigueur des origines se développèrent et des congrégations de stricte observance réussirent à ramener de gros contingents de moines, de

moniales, de frères et de sœurs au respect de leur règle et de leurs consti-tutions, à la lettre et sans en affaiblir l’esprit. Certes de tels succès étaient considérables mais ils n’étaient obtenus que dans une fraction limitée du clergé, celle qui devait représenter une élite et dont la vocation propre était de s’approcher le plus possible de la perfection. Le gros de la troupe cléricale, les séculiers, constituaient une masse énorme dont les effectifs tendaient à s’accroître. Les diocèses qui comprenaient plusieurs milliers de prêtres séculiers n’étaient pas rares et certains évêques conféraient plus de cent ordinations sacerdotales chaque année. Changer la conduite de tout ce monde n’était pas une tâche simple. Il revenait à l’évêque de l’accomplir dans la portion de chrétienté dont la direction lui avait été confiée. S’il n’avait été que le pasteur de son troupeau, il lui eût été déjà très difficile d’accomplir sa mission, mais généralement il avait d’autres préoccupations et d’autres fonctions. Le siècle absorbait une partie de son attention même lorsqu’il n’était pas mondain. En France et en Angleterre, bon nombre d’évêques étaient des serviteurs du prince ; ceux du Saint-Empire étaient pour la plupart princes eux-mêmes. Les terres et les sujets dont ils étaient les seigneurs leur imposaient au moins autant de travail et de tracas qu’ils n’en tiraient de gloire et des revenus. Ils étaient forcément engagés dans le jeu de la politique. Leur autorité se heurtait aux ambitions des corporations et des communautés, en particulier dans les villes. Les États ecclésiastiques comme les autres se dotaient d’institutions complexes et recouraient pour les faire marcher aux services d’un personnel compétent, mais coûteux. Des problèmes financiers risquaient d’entraîner vers la banqueroute les principautés et les évêchés n’échappaient pas à ce péril. Aussi les prélats étaient-ils tentés de n’abandonner que des miettes de temps à leur charge pastorale.

Cette situation faisait l’objet de critiques sévères dans les milieux sen-sibles à l’urgence de la réforme. Or, dans la vallée supérieure du Rhin,

entre Bâle et Mayence, pendant la deuxième moitié duXVesiècle, s’étaient

constitués des foyers d’un humanisme qui plaçait la vie religieuse au centre de ses préoccupations ; les défauts d’un clergé, dont la formation laissait à désirer et dont le zèle manquait d’ardeur, les scandalisaient profondé-ment. La présence d’un grand nombre d’imprimeries actives avait incité des savants passionnés de pédagogie plus encore que de réflexions philo-sophiques ou philologiques à se fixer dans les villes de l’Oberrhein. Trois personnalités de ce courant de pensée jouirent d’une réputation dépassant largement la haute vallée rhénane, le prédicateur de Strasbourg, Geiler de Kaysersberg et ses deux amis, Sébastien Brant, l’auteur du best seller de

l’époque, La Nef des fous, et Jacques Wimpheling qui devait être qualifié de « précepteur de la Germanie » avant que ce titre ne fût décerné à Mélanchton. La passion commune de ces trois hommes était la réforme de l’Église et, plus que celle des religieux, que les mouvements de stricte observance s’efforçaient de relever, celle des séculiers leur tenait à cœur. Ils attendaient avec impatience qu’un évêque de forte trempe et de sainte vie consacrât le plus clair de ses énergies à ce travail de Romain. Or, à Strasbourg, à l’évêque scandaleux qui avait ruiné son diocèse, Guillaume de Diest (14?-14?) avaient succédé deux membres de la maison de Bavière, Robert (?-1478) et Albert (1478-1506), qui, sans être vraiment rangés, ne défrayaient pas la chronique, mais qui n’avaient fait qu’effleurer la charge au lieu de l’empoigner ; ils ne croyaient pas qu’il fût possible de changer (vraiment) les choses et la politique les intéressait plus que la religion. À Bâle, la situation était moins préoccupante. Sur les six prélats qui avaient occupé le siège épiscopal entre 1418 et 1502, deux au moins avaient pris la peine d’édicter des statuts synodaux ; il n’y en avait pas eu dont la conduite

eut été franchement désordonnée. Cela suffisait pour maintenir le statu quo,

mais ne créait pas les conditions d’un redressement salvateur. De plus, les relations de l’évêque et des autorités de la ville ne cessaient de se dégrader et il fallait tout à la fois de l’adresse et de l’autorité pour enrayer cette détérioration. Enfin, la situation financière de l’évêché de Bâle était à la fin

duXVesiècle pire que celle de l’évêché de Strasbourg, qu’Albert de Bavière

avait assainie. Caspar zu Rhein avait été si mauvais gestionnaire qu’en 1499 son chapitre l’avait contraint à remettre l’administration du diocèse au chanoine-custode. Les affaires temporelles, on le voit, ne pouvaient pas être laissées de côté.

À l’aube du XVIe siècle, le découragement commençait à corroder les

convictions de quelques-uns. Geiler, par exemple, envisageait de se retirer avec deux ou trois de ses meilleurs amis dans un ermitage en Forêt-Noire. L’action lui semblait complètement inefficace et quiconque se risquait à l’entreprendre, au lieu de nettoyer les écuries d’Augias, s’y salissait les mains. Avant que le pessimisme s’installât tout de bon, à quatre ans de distance en 1502 et 1506, le siège de Bâle et celui de Strasbourg furent occupés par des hommes qui répondaient à l’attente de ceux qui depuis des décennies proclamaient l’urgence de la réforme. Christophe d’Utenheim, à qui l’administration du diocèse de Bâle avait été remise en 1499, fut d’abord nommé coadjuteur de Caspar zu Rhein, le 24 septembre 1502,

puis, après la démission de ce dernier, lui succéda, le 1er décembre de la

d’un côté, de l’autre au patriciat de Strasbourg. Elle avait les moyens d’assurer à Christophe un bel avenir dans les ordres. En 1452, âgé de six ou sept ans à peine, il était « domiciliaire » au chapitre de Bâle ; il en devint chanoine titulaire en 1475, puis custode en 1486 ; entre-temps, à Strasbourg, il avait obtenu la prévôté du chapitre de Saint-Thomas, le collège le plus prestigieux de la ville. Il fit des études solides que couronna le doctorat en décret (1475). Au savoir, le savoir-faire s’ajouta progressivement au fil des années. Christophe passait pour un administrateur éprouvé puisque le chapitre de Bâle le désigna pour gérer les affaires du diocèse à la place de Caspar zu Rhein. Sa réputation de sérieux était si bien établie qu’à plusieurs reprises il avait pris part aux travaux de diverses commissions chargées de réformer des monastères de bénédictins et de chanoinesses et qu’en 1495 l’abbé de Cluny lui confia la réforme du couvent de Saint-Alban à Bâle et fit de lui son vicaire général au spirituel comme au temporel pour

toutes les maisons clunisiennes in partibus Alemanniæ. Geiler avait pour lui

plus que de l’estime, de l’amitié. Il le fit nommer, avec trois autres clercs, visiteur canonique du diocèse, en 1491 ; l’entreprise tourna court parce que l’évêque de Strasbourg l’avait approuvée du bout des lèvres et l’arrêta dès qu’elle buta sur l’opposition du chapitre cathédral. Christophe avait envisagé de se retirer avec Wimpheling et Geiler en Forêt-Noire lorsqu’il était déjà vicaire général à Bâle depuis un an ; c’est dire qu’il avait des affinités profondes avec eux. Sa piété ne faisait aucun doute ; il récitait les heures, célébrait l’office et la messe régulièrement et n’y renonça pas lorsqu’il était cassé par l’âge et qu’il fallait le soutenir quand il montait à l’autel. La lecture et la méditation des textes sacrés semblaient l’absorber complètement. Il était assez cultivé pour comprendre que la science, en s’approfondissant, loin de nuire à l’édification spirituelle que devait assurer la fréquence de l’Écriture, était faite pour la renforcer. Aussi l’humanisme tel que l’inspirait Érasme et le pratiquait l’équipe de savants réunie par le « prince des lettres » et les imprimeurs bâlois, Froben en tête, ne pouvait pas déplaire à Christophe d’Utenheim. Conrad Pellikan, un jeune cordelier, qui devait à sa remarquable connaissance de l’hébreu d’avoir été nommé en 1502, à vingt-quatre ans, lecteur au couvent de Bâle rapporte dans ses souvenirs que l’évêque s’entretenait quotidiennement avec lui. Loin de se crisper sur les legs du passé, ce juriste de formation admettait que certains de ses éléments fussent mis en question et ne considérait pas que la renaissance des lettres dût nuire forcément au renouveau de la vie religieuse. Ses mœurs ne donnaient aucune prise à la critique mais, s’il était sévère pour lui-même, il était d’un commerce agréable et savait se montrer

affable avec tout le monde. Bien qu’il fût toujours vêtu modestement, dans les réunions de prélats et de princes, il se distinguait par son allure autant que par sa stature. Est-ce à dire qu’il était, à tous égards, l’homme qu’il fallait pour réformer un diocèse ? Nous aurons l’occasion de découvrir ses faiblesses lorsque les difficultés et les drames les mettront en évidence. Au moment où le chapitre de Bâle le choisit pour succéder à Caspar zu Rhein, les qualités que chacun lui reconnaissait permettaient de fonder sur lui des grandes espérances.

Quatre ans après l’élection de Christophe d’Utenheim, un prélat qui, lui aussi, répondait aux attentes des promoteurs d’une réforme énergique, était appelé par les chanoines de Strasbourg à prendre la direction de l’évêché, le 9 octobre 1506. Le 20 août, Albert de Bavière était mort dans son château de Saverne. Le défunt avait restauré les finances et l’administration qu’il avait trouvées dans un état préoccupant, mais Geiler, qui lui reprochait de ne pas avoir été d’abord évêque, lui fit une oraison funèbre dont les silences étaient éloquents : il s’interrompit brusquement après avoir tracé le portrait du pasteur idéal et descendit de la chaire sans avoir dit un mot des mérites du disparu. Le même Geiler prononça le discours de circonstance avant le début de la procédure électorale. Il souligna la gravité de l’acte qui, disait-il, allait décider du sort de quelque cent mille âmes. Pour assurer leur salut, ce n’est pas un fin politique doublé d’un habile gestionnaire qu’il faut, mais un pontife consciencieux et de mœurs pures : « Ne lâchez pas une bête féroce sur les brebis, vos doigts dégoutteraient de leur sang ». L’issue du scrutin était incertaine. Pendant six semaines, deux candidats, le chanoine-chambrier Frédéric de Bavière et Guillaume de Honstein, le neveu de l’écolâtre, Henri de Henneberg, avaient battu le rappel de leurs amis et, à la fin de cette campagne, les deux partis se faisaient équilibre. Ce fut Honstein qui l’emporta. Son succès rendit confiance à Geiler, sur qui le choix du chapitre fit l’effet revigorant d’une sorte de « divine surprise ». Il estimait, en effet, que le nouvel élu disposait des qualités nécessaires à l’exercice d’une mission avant tout pastorale. Guillaume de Honstein appartenait à la haute aristocratie. Son père était le comte Ernest IV de Honstein en Thuringe et sa mère était la nièce de l’un des personnages les plus importants du Saint-Empire, Berthold de Henneberg, archevêque de Mayence, prince électeur et promoteur ardent de la réforme des institutions impériales. Que Guillaume fit une superbe carrière dans l’Église n’avait rien de surprenant. À sept ans, en 1482, il était déjà chanoine « domiciliaire » junior de Cologne, de Mayence et probablement de Strasbourg. À ces bénéfices qui comptaient parmi les plus convoités de l’Église germanique,

s’en ajoutèrent d’autres à Mayence, d’une part, et dans son pays natal à Nordhausen et Jechaburg, d’autre part. Comme Christophe d’Utenheim, Guillaume acquit une solide formation universitaire. Il en acquit les bases à la faculté des arts d’Erfurt, puis se rendit à Pavie pour y suivre les cours de la faculté de droit : il n’y passa qu’un an et compléta ses connaissances juridiques à Fribourg, en 1493. De ses séjours à l’alma mater, il ne rapporta pas de grades. De naissance illustre, il pensait que maîtrise et doctorat étaient des substituts de noblesse utiles aux gens de basse extraction. Ce que nous savons de son naturel consciencieux nous incline à penser que sa fréquentation des universités fut sérieuse et qu’il devint un bon juriste. À la théorie, Guillaume joignit la pratique. Il s’initia de 1496 à 1504 aux réalités du gouvernement sous la conduite de son grand oncle, Berthold de Henneberg, un mentor excellent qui chargea le jeune homme de missions diplomatiques. Peut-être fut-il également, dès cette époque, introduit dans les bureaux de l’administration ecclésiastique. En tout cas, le successeur de Henneberg à Mayence, Jacques de ? Benstein fit de Guillaume son vicaire général en 1504, fonction qu’il détenait encore lors de son élection à Stras-bourg. À la cour de Berthold de Henneberg, Guillaume fit la connaissance de nombreux artistes et littérateurs que l’électeur invitait. À l’instar de l’oncle, le neveu jouait volontiers les mécènes. Il appréciait la musique en amateur éclairé. Avait-il adopté les points de vue des humanistes ? Il ne nous en a pas laissé la preuve, mais rien ne nous incite à penser qu’il s’en méfiait. Il eut à tout le moins de la sympathie pour la forme d’humanisme qu’illustrait Wimpheling puisqu’il fit conférer le titre de provicaire général de l’archidiocèse de Mayence à Dietrich Gresemund, qui était un disciple dupræceptor Germaniæ. Un prélat savant pourvu d’un esprit distingué ne fait pas nécessairement un bon évêque. Pour remplir ce rôle, il faut qu’il ait une conduite exemplaire. Guillaume de Honstein était depuis plus d’un siècle le premier occupant du siège de Strasbourg dont la réputation était intacte à cet égard. On ne lui connaissait aucune aventure. Enfin, ce pas-teur puisait dans la prière la force d’accomplir sa mission et n’hésitait pas à montrer à ses ouailles qu’il était pieux. Quand, le jour de la Fête-Dieu, en 1508, il porta lui-même l’ostensoir à travers les rues de la capitale, les Strasbourgeois crurent rêver. Jamais, ils n’avaient vu cela. Ils furent tout aussi surpris quand ils apprirent que Guillaume ne se déchargeait pas sur un auxiliaire du soin de conférer les ordinations. En somme, l’élu répon-dait assez exactement à la définition que Geiler avait donnée du pontife dans l’allocution prononcée devant le chapitre le 9 octobre 1506.

fin du XVe siècle, n’avait-il pas été démenti par les choix opérés, à Bâle d’abord, puis à Strasbourg par les chanoines. Deux évêchés allaient être dirigés par des hommes dont la valeur morale était considérable, qui, l’un et l’autre, étaient résolus à se dépenser pour le bien de leur Église et qui, l’un et l’autre, disposaient du savoir et de l’expérience qu’exigeait leur ministère. Christophe et Guillaume se ressemblaient, mais ils n’étaient évi-demment pas identiques. Observons d’abord la différence d’âge. Lorsqu’il prit la direction de son diocèse en 1502, Christophe d’Utenheim avait plus de soixante ans. En 1506, Guillaume de Honstein en avait à peine plus de trente. Alors que le premier avait atteint le seuil de la vieillesse, le second était en pleine maturité. D’autre part, du grand seigneur qu’il était de nais-sance, Guillaume n’abandonna jamais tout à fait le genre de vie. Il dépensa beaucoup d’argent pour l’aménagement et l’embellissement de sa résidence. En dépit des recommandations que lui prodigua Geiler, il ne renonça pas entièrement à la chasse. Le prédicateur ne devait pas approuver non plus que le palais épiscopal de Saverne devînt une école de pages. Les familles de rang élevé estimaient que nulle part ailleurs leurs enfants ne feraient mieux leur apprentissage de gentilhomme et l’évêque était obligé de refu-ser des pensionnaires tant les parents étaient nombreux à vouloir les lui confier. Christophe, au contraire, passait pour pingre et refusait de porter des vêtements de soie. Son entourage pensait que c’était plus par avarice que par austérité. La simplicité de Christophe semblait excessive, pour ne pas dire déplacée. Au contraire, Guillaume, s’il ne détonnait pas dans le cercle hautement aristocratique de son chapitre cathédral, il ne mettait pas à l’aise les gens d’origine plus modeste. Mais c’étaient là des inconvénients mineurs.

Les deux évêques avaient en commun la vertu qui, dans certaines cir-constances, peut tourner en défaut grave. Ils étaient l’un et l’autre prudents. Christophe d’Utenheim réfléchissait si profondément aux conséquences de ses actes qu’il avait beaucoup de mal à prendre une décision. Les affaires finissaient par traîner en longueur et le prélat donna parfois l’impression à ses collaborateurs comme à ses administrés qu’il abandonnait les dossiers sur lesquels il avait trop longtemps hésité. Comme il n’arrivait pas à discer-ner rapidement ce qu’il convenait de faire, il n’avait pas la force d’imposer le parti qu’il entrevoyait seulement. Guillaume de Honstein était un tem-porisateur, parce qu’il n’aimait pas brusquer, ni trancher dans le vif, mais aussi parce que, tout compte fait, il lui semblait judicieux d’écarter précau-tionneusement les obstacles au lieu de les renverser d’un coup. Le propos qu’il tint un jour à ses conseillers le dépeint tout entier : « Si vous voulez

arracher la queue d’un cheval, ne la prenez pas à pleines mains ; enlevez les crins un à un ». Cette façon de procéder avait peut-être des avantages, mais elle exigeait beaucoup de temps. Ce temps que le destin accorde-rait si chichement aux deux prélats ! Guillaume, comme Christophe, avait toutes les qualités qui conviennent au bon prêtre, à l’administrateur sérieux, mais c’était à la réforme qu’ils avaient le devoir de s’attacher, la réforme d’une société nombreuse, alourdie par les habitudes de ses membres, par la masse de ses statuts juridiques, de ses traditions corporatives,

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