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A. L’ Anschluss vu par les historiens

CHAPITRE I : Approche théorique des écritures de soi

III. 1. A. L’ Anschluss vu par les historiens

L’auteur ne développe pas les causes de l’Anschluss. Nous y lisons la preuve d’une

certaine humilité de la part de Rezzori. N’étant arrivé à Vienne qu’à la fin de l’année 1937, il n’a pas eu directement connaissance de tous les éléments qui y contribuèrent. Sans doute a-t-il par conséquent estimé illégitime et présomptueux d’adopter la ligne que suivent la plupart des spécialistes pour aborder cet événement. Au lieu d’en proposer une analyse scientifique en s’appuyant, comme ces derniers, sur l’examen de tous les faits déterminants

antérieurs à l’Anschluss et des documents émis par les autorités allemandes attestant de sa

préparation, Rezzori privilégie sa propre expérience.

De fait, il se concentre sur le récit de l’arrivée triomphante de Hitler à Vienne à laquelle il assista au milieu d’une foule en liesse. Il le construit à partir du souvenir des émotions particulièrement intenses qu’il avait lui-même ressenties. C’est pourquoi sa représentation

de l’Anschluss s’avère dominée par la description de la masse agglutinée sur la Place des

Héros. Mais l’auteur y intègre aussi les répercussions de l’événement qu’il constata, jusqu’à son départ pour Berlin quelques mois plus tard, à la fois dans sa vie personnelle et à Vienne.

Il nous semble néanmoins nécessaire de dégager les motifs de cet événement à l’aide des principales études historiques qui lui ont été consacrées. Le contexte dans lequel s’inscrit notre réflexion sera ainsi moins abstrait, ce qui nous aidera à évaluer la pertinence et l’originalité du témoignage de Rezzori.

C’est le 12 mars 1938 que fut scellée l’annexion de l’Autriche à l’Allemagne nazie. Certes, des événements récents, comme par exemple la décision du chancelier Schuschnigg d’annuler le référendum sur l’autonomie du pays prévu le 13 mars et son refus d’opposer une résistance militaire à l’armée allemande, avaient eu un impact décisif. Il ressort

toutefois des études historiques que l’Anschluss résulte du long et inexorable processus

d’affaiblissement tant politique qu’économique et idéologique que subit l’Autriche à partir de 1918.

Pour en expliquer les principaux mécanismes, nous nous attacherons à distinguer plusieurs niveaux : celui de l’Autriche, celui de l’Allemagne, celui des rapports entre l’Autriche et l’Allemagne et enfin celui des autres États européens.

III. 1. A. 1. Les causes de l’Anschluss au niveau de l’Autriche

Nous commencerons par prendre en compte l’évolution de la situation intérieure et

extérieure de l’Autriche, afin de dégager les causes de l’Anschluss au niveau autrichien. En

effet, elle reflète les difficultés que le pays rencontra à affirmer sa souveraineté au lendemain de la Première Guerre mondiale et qui conduisirent à sa soumission à Hitler vingt ans plus tard.

III. 1. A. 1. a. Un nouveau départ problématique : les interrogations et les défis de l’Autriche en 1918

L’année 1918 entraîna une césure majeure. Fort de ses 700 000 km² et de ses 52 millions d’habitants (dont 12 millions de germanophones et 10 millions de Magyars), l’empire

austro-hongrois353 régi par le compromis qu’avaient signé l’empire autrichien et le

royaume de Hongrie en 1867, au lendemain de la défaite de l’Autriche contre la Prusse à Sadowa, s’effondra. L’Autriche se retrouva confrontée à un double défi. D’une part, il lui fallait régler la délicate question nationale. Elle devait se demander si elle était en mesure de s’affirmer en tant « [qu’] État indépendant, conscient de sa personnalité propre,

c’est-à-dire [d’être] un État autrichien354 » et d’insuffler une conscience nationale au peuple

autrichien.

L’Autriche était rongée par des doutes après la perte de ses anciennes possessions à l’est et dans le sud-est de l’Europe, car elle se sentait privée d’une partie de sa substance :

Contrairement au Reich allemand, l’Autriche de 1918 avait perdu son identité. Pas même le nom ‘Autriche’ ne constituait une évidence pour le nouvel État. L’Autriche était « ce qui reste » (Clémenceau) – pour ainsi dire, un reliquat355.

353 La Leithanie servait de frontière entre les possessions autrichiennes et les possessions hongroises. Les premières correspondaient à la Cisleithanie et comportaient, outre l’Autriche, la Bucovine, la Galicie, la Bohême, la Moravie, la Slovénie, la Dalmatie et le Trentin. Les secondes formaient la Transleithanie qui englobait, outre la Hongrie, la Slovaquie, la Transylvanie, le Banat, la Croatie, la Slavonie, la Bosnie-Herzégovine (annexée en 1908).

354 KREISSLER, Félix, De la révolution à l‟annexion. L‟Autriche de 1918 à 1938. Paris, PUF, Presses de l’Université de Rouen, 1971, p. 12.

355 KLEMPERER, Klemens von, Bemerkungen zur Frage „Anschluss“ Ŕ „Annexion“ Ŕ Identitätsbewusstsein in der neueren Geschichte Österreichs, in STOURZH, Gerald, ZAAR, Brigitta (Hg.), Österreich, Deutschland und die Mächte. Internationale und österreichische Aspekte des Anschlusses vom März 1938. Wien, Österreichische Akademie der Wissenschaften, 1990, p. 45-53, ici p. 46: Anders als

D’autre part, elle était appelée à déterminer la nature du nouvel État autrichien par le biais d’une Assemblée nationale provisoire.

Bien qu’il ait prôné les principes de plurinationalité et de pluriculturalité, le pouvoir habsbourgeois n’avait maintenu qu’une unité de façade jusqu’en 1916. À partir de cette date, les tendances nationalistes partisanes d’une dispersion s’accrurent, notamment parmi les Tchèques, les Slovaques et les Polonais. Le 16 octobre 1918, l’empereur Charles promulgua alors un « Manifeste aux peuples de la monarchie austro-hongroise ». Il prévoyait la transformation de l’Autriche-Hongrie en un État fédéral au sein duquel chaque nationalité disposerait de son propre territoire ainsi que la création de Conseils nationaux. Certains territoires profitèrent de cette évolution pour se détacher de l’Autriche germanophone et pour accéder à leur indépendance. Ce fut le cas de la Tchécoslovaquie, de la Galicie qui rejoignit la Pologne, de la Hongrie et de la Serbie qui créa la Yougoslavie avec le soutien des Slaves du sud.

Le débat sur le futur régime de la nouvelle Autriche divisait les partis politiques. La plupart des orateurs membres de l’Assemblée provisoire défendaient le principe du maintien de la monarchie constitutionnelle et celui d’une fédération des États nationaux que la tendance générale à l’émancipation des territoires non-germanophones contredisait pourtant. À l’inverse, les sociaux-démocrates plaidaient en faveur d’une République démocratique

tandis que le parti national allemand (Deutschnationale Partei) militait pour l’annexion de

l’Autriche à l’Allemagne. L’idée de la souveraineté autrichienne apparaissait utopique. De

fait, seuls deux partis, les légitimistes356 et les communistes357, qui ne jouèrent qu’un rôle

mineur entre 1918 et 1938, revendiquaient l’autonomie de l’Autriche en vertu de ses racines et de son développement culturel.

Deux décisions fixèrent le sort de l’Autriche.

Après que l’empereur eut renoncé à la gestion des affaires publiques (et non pas formellement au trône) le 11 novembre 1918, l’Assemblée provisoire se réunit le 12 novembre 1918 pour voter une loi sur la forme de l’État. Elle proclama la création de la Première République autrichienne. L’article 2 précisait qu’elle faisait partie de la

République allemande, impliquant la question de l’Anschluss. La Constitution adoptée le

das Deutsche Reich hatte Österreich 1918 seine Identität verloren. Nicht einmal der Name ‚Österreich„ war mehr eine Selbstverständlichkeit für den neuen Staat. Österreich war ce qui reste (Clémenceau) Ŕ ein Restbestand sozusagen.

356 On peut citer Ernst Karl Winter, maire-adjoint de Vienne de 1934 à 1936.

357 On songe au jeune théoricien Alfred Klahr. Il défendait le principe de l’autonomie de l’Autriche en rappelant notamment qu’elle n’avait jamais fait partie de la nation allemande depuis 1866-70.

1er octobre 1920 servit de socle à un État fédéral qui était régi par deux Chambres (le Conseil national élu au suffrage universel et direct et le Conseil fédéral) et dont le Président était élu par l’Assemblée fédérale et n’exerçait qu’une fonction représentative. Quant au Traité de St-Germain que le chancelier autrichien Karl Renner signa le 10 septembre 1919, il stipulait, par l’article 88, l’interdiction de l’annexion de l’Autriche à l’Allemagne. Il affaiblit également l’économie du pays, car il établit le montant des réparations dont l’Autriche devait s’acquitter, décréta la réquisition de ses réserves d’or et réévalua à la hausse ses dettes d’avant-guerre. De plus, il statua sur le sort des territoires non strictement germanophones. Les territoires situés à l’ouest de la Hongrie échouèrent à l’Autriche, de même que la Carinthie après un référendum. Alors que la mobilisation en

faveur de l‟Anschluss avait diminué, elle redoubla après la signature du Traité de paix qui

eut pour conséquence d’insuffler à la population autrichienne le sentiment d’avoir été lésée dans sa souveraineté.

III. 1. A. 1. b. L’idée de l’Anschluss en 1918

Aussi l’article 88 du Traité de St-Germain n’éradiqua-t-il pas l’idée de l’Anschluss, qui,

comme le souligne P. Schneeberger358, n’est pas brusquement apparue en 1918, mais

remonte à la fin du XIXème siècle359. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le

projet de l’Anschluss connut au contraire un regain d’intérêt pour plusieurs raisons.

Cette orientation s’explique en premier lieu par un facteur économique. Dépossédée des anciens territoires de la monarchie habsbourgeoise, la nouvelle Autriche fut coupée des régions qui fournissaient son industrie en matières premières et où elle écoulait ses productions avant la guerre. Comme la capacité du pays à s’accommoder de la nouvelle situation fut rapidement mise en doute, se posa la question de sa viabilité économique, et ce d’autant plus qu’il avait été contraint de payer d’importantes réparations. Dans ce

contexte, l‟Anschluss était présenté comme une solution compensatoire dans la mesure où

l’Autriche pourrait bénéficier des avantages qu’impliquerait une collaboration étroite avec

358 SCHNEEBERGER, Paul, Der schwierige Umgang mit dem Anschluss. Die Rezeption in Geschichtsdarstellungen 1946-1995. Innsbruck, Studien Verlag, 2000.

359 Georg von Schönerer et ses partisans réunis dans le parti national allemand nourrissaient déjà l’espoir de l’annexion de tous les territoires à majorité germanophone de l’empire austro-hongrois à l’Allemagne. Ils firent barrage à un apaisement dans la question des nationalités en obstruant régulièrement la vie parlementaire et en critiquant les mesures même timides prises en faveur des groupes ethno-linguistiques non germanophones. Ils revendiquaient davantage de privilèges en faveur des germanophones. En outre, Schönerer fut le premier homme politique autrichien qui prôna un antisémitisme racial. Notons que les partisans les plus extrémistes de Schönerer rejoignirent tôt les rangs du NSDAP.

WHITESIDE, Andrew G., Socialism of fools: Georg Ritter von Schönerer and Austrian Pan-Germanism.

l’Allemagne et assurer ainsi sa survie économique alors qu’il l’amènerait à renoncer à sa souveraineté :

Ce manque de foi dans une vie indépendante de l’Autriche servirait, par la suite, de tremplin à la montée du fascisme et du nazisme360.

Par ailleurs, certains dirigeants politiques plébiscitaient l’annexion de l’Autriche à l’Allemagne.

C’est le cas d’Otto Bauer. Le leader du parti social-démocrate se posa en ardent défenseur

de l’Anschluss parce qu’il doutait de la pérennité de son pays et de sa capacité à affirmer sa

souveraineté. Selon lui, l’Autriche n’était viable qu’au sein d’un État fédéral. Ce dernier émanerait soit de la cohabitation des peuples autrichiens de l’ancien empire austro-hongrois, soit de l’annexion de l’Autriche à l’Allemagne. O. Bauer estimait que le peuple autrichien privilégiait la première possibilité. Mais il doutait que les peuples non germanophones consentent à une union avec une Autriche allemande. Comme une soumission par la force était incompatible avec le principe de souveraineté nationale cher à la social-démocratie, O. Bauer déclara l’option d’un État fédéral danubien obsolète devant la recrudescence des mouvements irrédentistes. Aussi plaida-t-il ouvertement en faveur de l’Anschluss dès octobre 1918.

Il occupait alors une position marginale au sein de son parti dont la direction jugea un tel projet prématuré. Elle préféra attendre de voir comment les choses allaient évoluer avant de prendre clairement position dans le débat.

Persuadé que la révolution nationale entraînerait fatalement l’effondrement de l’Autriche, O. Bauer avança dans une série d’articles plusieurs motifs pour démontrer la nécessité de

l’annexion de l’Autriche à l’Allemagne. Certes, il déclarait lui aussi que l’Anschluss

revigorerait l’économie exsangue du pays. Cependant, son argument décisif n’était pas d’ordre économique, mais idéologique et politique, comme s’attache à le préciser E. Panzenböck dans l’étude qu’il a consacrée à O. Bauer et à K. Renner. En effet, la future Allemagne incarnait aux yeux du dirigeant social-démocrate une République démocratique idéale dans laquelle le socialisme l’emporterait. En s’unissant à l’Allemagne, les Autrichiens parviendraient en conséquence à faire triompher à leur tour le socialisme dans leur pays :

Bauer était parti du principe selon lequel un ordre socialiste n’aurait jamais la moindre chance d’aboutir dans une Autriche indépendante ou fédérale. C’est pourquoi il aspirait à

l’annexion [de son pays] à la République allemande dont il pensait qu’elle pouvait ou devait en tout cas devenir communiste361.

De plus, il y voyait la possibilité de participer à l’émergence d’une nation allemande

unie362. K. Renner finit par dépasser le scepticisme que lui avait initialement inspiré le

projet. Le 12 novembre 1918, il décrivit devant l’Assemblée provisoire qui l’aurait ovationné la relation de l’Autriche avec l’Allemagne en ces termes : « Nous sommes une

lignée et une communauté de destin363. » C’est précisément l’idée très ancrée d’une

communauté de destin des deux États qui explique le succès que connut le projet de l’Anschluss du côté autrichien dans l’entre-deux-guerres.

Alors que le problème de la question nationale générait une grande confusion, les partisans

de l’Anschluss ne manquèrent pas d’exacerber le romantisme pangermaniste auquel étaient

sensibles nombre d’Autrichiens. Les cadres politiques autrichiens « prisonniers de leur éducation et de leurs préjugés pangermaniques qui les empêchaient de reconnaître la réalité

autrichienne364 », n’échappèrent pas à cet aveuglement national.

Subjugué par l’idée d’une proximité intrinsèque des deux pays, le dirigeant chrétien-social I. Seipel, qui fut plusieurs fois chancelier, en vint ainsi à formuler la théorie d’un « deuxième État allemand » que reprirent ses successeurs. I. Seipel affirmait ainsi clairement que rien ne distinguait l’Autriche de l’Allemagne. Quant à Dollfuss et à Schuschnigg, leur positionnement par rapport au voisin allemand était biaisé par leur tendance à confondre une pensée autrichienne et une idéologie nationale, c’est-à-dire national-allemande menant au national-socialisme. Ils échouèrent par là même à guider leurs compatriotes dans leur difficile quête d’une identité nationale après l’effondrement de l’empire austro-hongrois. Schuschnigg renonça du reste à opposer une résistance armée aux Allemands au printemps 1938, afin, disait-il, de ne pas faire couler du sang allemand et d’éviter une guerre fratricide.

361 PANZENBÖCK, Ernst, Ein deutscher Traum. Die Anschlussidee und Anschlusspolitik bei Karl Renner und Otto Bauer. Wien, Europaverlag, 1985, p. 105: Bauer sei von der Auffassung ausgegangen, dass in einem selbstständigen oder föderierten Österreich eine sozialistische Ordnung nie Chancen habe. Deshalb habe er den Anschluss an die deutsche Republik angestrebt, von der er annimmt, dass sie auf jeden Fall kommunistisch werden könne oder müsse.

N. Schausberger aboutit à la même conclusion : « Dans le cas spécifique de l’Autriche, une Grande Allemagne issue d’un tel processus entraînerait la percée définitive du mouvement socialiste. »

SCHAUSBERGER, Norbert, Der Griff nach Österreich. Der Anschluss. Wien, Jugend und Volk Verlagsgesellschaft, 1978, p. 36: Für Österreich speziell müsste ein so entstandenes Großdeutschland den endgültigen Durchbruch der sozialistischen Bewegung mit sich bringen.

362 O. Bauer démissionna du poste de ministre des Affaires étrangères après la signature du Traité de St-Germain qui interdisait l’annexion de l’Autriche à l’Allemagne.

363 RENNER, Karl. Cité par Ernst Panzenböck, in Ein deutscher Traum, op. cit., p. 118: Wir sind ein Stamm und eine Schicksalsgemeinschaft.

F. Kreissler en conclut que cet aveuglement idéologique facilita la tâche de Hitler, qui, au nom de la théorie d’un « deuxième État allemand », exigea de l’Autriche qu’elle serve les intérêts de l’Allemagne, sa mère-patrie, et qu’elle renonce à conduire une politique étrangère autonome.

III. 1. A. 1. c. L’influence croissante de l’idéologie pangermaniste et la progression du national-socialisme en Autriche dans l’entre-deux-guerres

Bien que « l’histoire de ces derniers deux cents ans [soit] marquée par cette lutte entre

l’idée autrichienne de l’État et l’idée prussienne de l’État365 » et qu’elle apporte donc les

preuves d’un antagonisme profond entre l’Autriche et l’Allemagne, la conscience « nationale » des Autrichiens, dans le contexte flou de 1918, puis même après 1933, se

révéla largement « allemande366 ».

Le développement entre 1918 et 1938 du pangermanisme autrichien, qui se prononçait contre le droit de l’Autriche à l’autodétermination, contre son autonomie et contre l’idée de l’existence de la nation autrichienne, mais qui revendiquait en revanche farouchement l’Anschluss qu’il considérait comme « une union librement consentie367 », résulte de la combinaison de plusieurs facteurs.

D’une part, les pangermanistes profitèrent de la peur et des incertitudes d’une population déstabilisée par les humiliations qu’elle avait subies depuis 1914 et qui se trouvait en proie au pessimisme pour lui promettre un avenir plus clément grâce à une union de l’Autriche avec l’Allemagne.

D’autre part, ses adeptes s’appuyaient sur un maillage particulièrement dense pour propager leurs convictions. Ils bénéficiaient tout d’abord du concours du milieu enseignant. De nombreux instituteurs acquis à l’idéologie nationaliste endoctrinèrent élèves et parents. Quant aux universités où régnait un fort antisémitisme, elles jouèrent également un rôle non négligeable dans l’ancrage du discours pangermaniste. Tout comme à la fin du XIXème siècle où enseignants et étudiants avaient multiplié des actions

d’intimidation contre l’Église, les Juifs, les socio-démocrates et les Slaves, les étudiants368

membres du parti nazi n’hésitèrent pas à recourir à la force afin d’intimider les professeurs

365 KREISSLER, Félix, De la révolution à l‟annexion, op. cit., p. 24.

366 BOTZ, Gerhard, Zwischen Akzeptanz und Distanz. Die österreichische Bevölkerung und das NS-Regime nach dem Anschluss, in STOURZH, Gerald, ZAAR, Brigitta (Hg.), Österreich, Deutschland und die Mächte, op. cit., p. 429-456, ici p. 434.

367 KREISSLER, Félix, De la révolution à l‟annexion, op. cit., p. 351.

368 On peut citer l’exemple d’Ernst Kaltenbrunner, chef des SS autrichiens et responsable de la sécurité. Il fut fortement influencé par l’esprit et l’idéologie des Burschenschaften lors de ses études de droit à Graz.

et les étudiants juifs. Les universités participèrent ainsi largement à la diffusion

d’arguments pangermanistes en faveur de l’Anschluss :

Les universités restèrent aussi après la fin de la monarchie le repaire du nationalisme allemand, qui prit de plus en plus les traits du national-socialisme au début des années 1930369.

Mais l’idéologie pangermaniste fut également véhiculée par les médias qui furent l’objet d’une instrumentalisation. Sous la pression des nationalistes, ils martelaient sans cesse que la survie de l’Autriche dépendait de son annexion à l’Allemagne. Ils diabolisaient les gouvernements autrichiens qu’ils accusaient de ne pas encourager assez fermement un tel rapprochement soit disant salutaire. Le but de cette campagne était d’influencer l’opinion et de vaincre la résistance des Autrichiens :

Grâce à la répétition des mêmes arguments à laquelle se prêtèrent les médias disponibles à l’époque, la propagande de Goebbels parvint à s’immiscer dans la conscience des Autrichiens et à la manipuler en faveur de l’Allemagne370.

Les pangermanistes ajoutèrent un élément supplémentaire à leur système destiné à quadriller l’espace autrichien. De fait, ils infiltrèrent plusieurs types d’organisations (associations, police, armée, administrations, banques, entreprises…), afin de gagner de nouveaux adhérents, de prendre progressivement le contrôle de la situation et de réunir les

meilleures conditions pour la réalisation de l’Anschluss qui consacrerait leur autorité.

La dernière arme que déployèrent les pangermanistes fut l’utilisation de la violence et de la

terreur contre les opposants à l’Anschluss. Ils organisèrent des sabotages et des assassinats

dont les cibles étaient en majorité des hommes politiques. Leur but était d’intimider la population autrichienne et d’exercer une pression accrue contre les dirigeants autrichiens.

La percée du pangermanisme eut un effet concret : la progression371 du parti

national-socialiste en Autriche lors des élections de 1932. Il obtint près de 500 000 voix.