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Les écritures de soi dans l'oeuvre de Gregor von Rezzori

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Academic year: 2021

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Submitted on 21 Jun 2016

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Marie Lehmann

To cite this version:

Marie Lehmann. Les écritures de soi dans l’oeuvre de Gregor von Rezzori. Littératures. Université de la Sorbonne nouvelle - Paris III, 2011. Français. �NNT : 2011PA030168�. �tel-01334870�

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Université Paris III – Sorbonne Nouvelle

ED 514 Études Anglophones, Germanophones et Européennes UFR d’Allemand

Thèse pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ DE PARIS III

en Études germaniques

présentée et soutenue publiquement par

Marie LEHMANN

le 05 décembre 2011

LES ÉCRITURES DE SOI

DANS L’ŒUVRE DE GREGOR VON REZZORI

Sous la direction de

M. le Professeur Jacques LAJARRIGE

Jury :

M. le Professeur Andrei CORBEA-HOISIE (Université de Jassy)

Mme le Professeur Dorothea MERCHIERS (Université Montpellier III) M. le Professeur Jürgen RITTE (Université Paris III – Sorbonne Nouvelle) M. le Professeur Bertrand WESTPHAL (Université de Limoges)

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Résumé

Témoin des principaux événements géopolitiques de la première moitié du XXème siècle (l’effondrement de l’empire habsbourgeois, la Seconde Guerre mondiale, l’Anschluss et le procès de Nuremberg), Rezzori examine les contours de son identité dans le cadre des écritures de soi. Son but est d’interroger les conditions nécessaires à l’affirmation d’une voix individuelle alors que la réalité est entraînée dans un inexorable processus de dislocation et d’hétérogénéisation et qu’elle confronte le sujet à l’épreuve du décentrement et de la déterritorialisation. Loin de céder au pessimisme, Rezzori assume ses fêlures grâce à l’écriture autobiographique dont il remet en cause les modalités. Pour qu’elle intègre la part de négativité inhérente à son moi, l’auteur la fonde sur une stratégie mémorielle singulière : celle de l’Epochenverschleppung. Cette dernière le place dans une position anachronique, sans le couper du présent parce qu’elle l’oblige à sonder de manière critique les pertes endurées à la lumière du présent. Écrire ses déchirures dans un espace autobiographique renouvelé permet à Rezzori de laisser des traces et de résister ainsi au pouvoir d’effacement de l’Histoire.

Mots clés

Rezzori, écritures de soi, identité, histoire, décentrement, Epochenverschleppung, résistance.

Abstract

Having witnessed the major geopolitical events of the first half of the 20th century (the fall of the Habsburg Empire, the Second World War, the Anschluss and the Nuremberg Trials), Rezzori explores the outlines of his own identity through his autobiographical writing. He aims to investigate the conditions that are necessary for asserting an individual voice in a reality characterised by a process of dislocation and disintegration, in which the subject is faced with its own decentralisation and deterritorialisation. Far from wallowing in pessimism, Rezzori confronts the crevices of his self in his autobiographical writing, while at the same time questioning the methods of such writing. In order to embrace the element of negativity that his self comprises, the author bases his autobiographical writing, in both its hypothetical and referential forms, on a unique memorial strategy: that of Epochenverschleppung. This places Rezzori in an anachronistic position without cutting him off from the present as it challenges him to examine past losses critically in the light of the present. By exploring the fissures in his identity in a renewed autobiographical space, Rezzori leaves his own imprint and thereby counteracts the obliterating power of History.

Keywords

Rezzori, writing of the self, identity, history, disorientation, Epochenverschleppung, resistance.

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À François

Remerciements

Je tiens à exprimer mes remerciements et ma reconnaissance à mon directeur de thèse, M. Jacques Lajarrige qui m’a fait découvrir l’œuvre de Gregor von Rezzori. Par ses conseils, ses réflexions et ses encouragements, il m’a permis d’entreprendre et de construire mon analyse.

Je suis redevable { M. Andrea Landolfi de m’avoir transmis des extraits du journal de guerre de Rezzori et { M. Tilman Spengler de m’avoir livré quelques souvenirs de l’amitié qui le liait { l’auteur.

Tant { l’Institut d’Allemand d’Asnières de l’Université de Paris III qu’au sein de la Section française du Département d’Études germaniques de l’Université de Sarrebruck j’ai bénéficié de conditions propices { la réalisation de mes travaux de recherche et rencontré des collègues engagés.

J’ai eu la chance de croiser sur ma route des passeurs de savoir enthousiastes et généreux à qui je souhaite adresser une pensée particulière. Un grand merci à Mme Maria Koger, pour sa bienveillance et son humour, à M. Laurent Cassagnau, pour son exigence et à M. Gerald Stieg, pour sa gentillesse et sa curiosité. Tous ont illuminé ma voie.

Il me reste à dire ma profonde reconnaissance à mes proches, parents et amis, qui m’ont suivie et aidée tout au long de mon voyage rezzorien.

Merci, de tout cœur, { mes parents, pour leur soutien, leur écoute et leur confiance qui m’ont été précieux.

Merci à Érica, pour ses pensées et sa gentillesse et à Marcel, pour sa bonne humeur et son optimisme. Merci aussi à Christian, à Odile, à Hedwige et à Raymond.

Un grand merci { Oshrat, pour l’amitié qu’elle m’offre en partage et pour sa présence, indéfectible, en pensées et en paroles. Nos échanges ont été pour moi une source d’inspiration et de paix.

Merci à Beate, à Melanie, à Carmen et à Jacques, pour leur soutien chaleureux.

Merci enfin à Karl, à Yara et à Solal qui ont étoilé mon chemin.

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LISTE DES ABRÉVIATIONS utilisées pour les œuvres de

Gregor von Rezzori

En français : NA : Neiges d‟antan RàT : Retour à Tchernopol MV : Murmures d‟un vieillard SmT : Sur mes traces

A : La mort de mon frère Abel MA : Mémoires d‟un antisémite

En allemand :

BS : Blumen im Schnee

HnT : Heimkehr nach Tschernopol GG : Greisengemurmel

MaS : Mir auf der Spur

A : Der Tod meines Bruders Abel

DA : Denkwürdigkeiten eines Antisemiten

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TABLE DES MATIÈRES

Résumé………... 3

Remerciements………...5

Liste des abréviations………...7

TABLE DES MATIÈRES………..9

INTRODUCTION……….17

CHAPITRE I : Approche théorique des écritures de soi………...34

I. 1. Les outils fournis par les études consacrées aux écritures de soi………...35

I. 1. A. Comment définir l’écriture référentielle de soi ?...35

I. 1. A. 1. Définition(s) de l’autobiographie……….35

I. 1. A. 2. L’approche herméneutique de l’autobiographie………..38

- définition de l’approche herméneutique………....38

- les principes de l’approche herméneutique………....38

- les limites de l’approche herméneutique………....42

I. 1. A. 3. L’approche déconstructiviste de l’autobiographie : la question de la pertinence de l’autobiographie………..45

I. 1. A. 4. La recherche d’une position médiane……….47

I. 1. B. Comment aborder les écritures de soi non référentielles ? ………51

I. 1. B. 1. Définition de l’autofiction………...51

I. 1. B. 2. Les stratégies de l’autofiction et de l’hétéronymie……….54

I. 2. Les impulsions fournies par la géocritique………..56

I. 2. A. Les prémisses théoriques de la géocritique………...57

I. 2. A. 1. L’évolution des notions spatio-temporelles………...57

- le temps………..57

- l’espace………..59

I. 2. A. 2. La transgressivité………...62

- définition………...62

- les modalités de la transgressivité……….63

I. 2. A. 3. L’entre-deux………...65

I. 2. B. Les outils utilisés par la géocritique………66

- la multifocalisation………....66

- la stratigraphie………...67

- l’intertextualité………..68

I. 3. Plan du travail………68

I. 3. A. Arguments en faveur d’un plan thématique………68

I. 3. B. Plan général……….70

(11)

CHAPITRE II : La complexité du monde de l’enfance : entre enracinement et dés-

ancrage………72

II. 1. Le poids de l’héritage familial dans la construction d’un lien avec Czernowitz….p. II. 1. A. Les origines de Rezzori………..73

II. 1. B. Czernowitz dans le prisme des parents de Rezzori………...75

II. 1. B. 1. Czernowitz : un ailleurs………..75

II. 1. B. 2. Czernowitz : une colonie………...76

II. 2. Les modalités du rapprochement de Rezzori avec Czernowitz…...……….90

II. 2. A. Un regard critique sur la perspective autrichienne……….90

II. 2. B. L’immersion au cœur de la Bucovine……….92

II. 2. B. 1. Un nouveau rapport de force entre le monde occidental et le monde oriental...92

II. 2. B. 2. La découverte et la revalorisation de l’altérité de la Bucovine………..93

II. 2. B. 2. a. Un guide indomptable et énigmatique………94

II. 2. B. 2. b. Un guide a-historique capable de braver les forces mortifères…...………...95

II. 2. B. 2. c. Une pluralité enrichissante………..96

- la langue, reflet et véhicule de la pluriculturalité de la Bucovine………..96

- tolérance et accueil de l’Autre………...98

II. 2. C. Un ailleurs devenu un espace identitaire : Kassandra, mère-Bucovine………….99

II. 2. C. 1. Un lien fusionnel………99

II. 2. C. 2. La revendication d’une filiation………...…101

II. 2. C. 3. Un attachement sincère et durable à la Bucovine………....106

II. 3. Aspects et conséquences de l’éclatement du monde de l’enfance, jouet de l’Histoire………110

II. 3. A. La liminalité intrinsèque des territoires de l’Est………..110

II. 3. B. Czernowitz, un espace entraîné dans le tourbillon de l’Histoire à partir de 1914………112

II. 3. B. 1. Un destin mouvementé : la multiplication des césures historiques………..…112

II. 3. B. 2. Le dérèglement du temps……….113

II. 3. B. 2. a. Le souvenir obsédant de la Première Guerre mondiale………114

II. 3. B. 2. b. Le morcellement du temps………..………114

II. 3. B. 3. Une atmosphère chaotique………...115

II. 3. B. 3. a. Précarité et insécurité………115

II. 3. B. 3. b. Fatalisme et résignation………...….116

II. 3. B. 4. La stratification de l’espace………..118

II. 3. C. L’espace d’une troublante expérience d’aliénation et d’étrangeté…………...…119

II. 3. C. 1. Un espace sinistre………...119

II. 3. C. 2. Un espace déchiré : la roumanisation de la Bucovine et la marginalisation des minorités nationales………....121

II. 3. C. 3. L’expérience d’une étrangeté grandissante : la déchéance et l’exil intérieur de la famille Rezzori………...…141

II. 3. C. 4. Le refoulement de la nouvelle réalité de Czernowitz………..151

II. 3. C. 4. a. Un simulacre de normalité………...152

II. 3. C. 4. b. Un entre-deux aveuglant………...153

(12)

II. 4. Conclusion : un espace entropique………155

CHAPITRE III : Le délitement du monde sous l’effet des forces destructrices à l’œuvre dans l’Histoire……….159

III. 1. L’Anschluss………159

III. 1. A. L’Anschluss vu par les historiens………..160

III. 1. A. 1. Les causes de l’Anschluss au niveau de l’Autriche………...161

III. 1. A. 1. a. Un nouveau départ problématique : les interrogations et les défis de l’Autriche en 1918……….161

III. 1. A. 1. b. L’idée de l’Anschluss en 1918………...163

III. 1. A. 1. c. L’influence croissante de l’idéologie pangermaniste et la progression du national-socialisme en Autriche dans l’entre-deux-guerres………...…166

III. 1. A. 1. d. L’évolution de la situation politique : vers un régime autoritaire…...…...169

III. 1. A. 1. e. Une économie fragilisée………...172

III. 1. A. 2. Les causes de l’Anschluss au niveau bilatéral (Autriche-Allemagne)……....173

III. 1. A. 3. Les intérêts allemands liés à l’Anschluss………...….175

III. 1. A. 4. La position des États européens, de l’URSS et des EU et ses répercussions.177 III. 1. B. L’Anschluss vu par Rezzori………...….179

III. 1. B. 1. L’anticipation de l’Anschluss………..179

III. 1. B. 1. a. Vienne décembre 1937 – mars 1938 : une ville en pleine métamorphose..179

III. 1. B. 1. b. Un détachement ambigu……….186

- le masque de l’identité austro-hongroise……….186

- la désinvolture équivoque d’un jeune dandy………...188

- l’argument problématique d’une profonde méconnaissance de la situation politique….189 III. 1. B. 2. Le 12 mars 1938 : un traumatisme personnel………...…..199

III. 1. B. 2. a. La confusion des sentiments………...200

III. 1. B. 2. b. L’expérience d’une dépossession : la perte du passé……….201

III. 1. B. 2. c. Un état de flottement dans une réalité dématérialisée et abstraite………..205

III. 1. B. 3. Une interprétation générale de l’Anschluss : le dérèglement du réel………..207

III. 1. B. 3. a. Masse et puissance………..207

III. 1. B. 3. a. 1. À l’aube de l’Anschluss : un vent d’espoir venu de Berlin………208

III. 1. B. 3. a. 2. La célébration de l’Anschluss………...212

- une extraordinaire intensité dramatique : la mise en scène de l’événement………212

- la naissance d’une masse : le spectacle apocalyptique d’une dépersonnalisation……...214

III. 1. B. 3. a. 3. Dégrisement et victimisation : le regard critique de Rezzori……...228

III. 1. B. 3. b. La tragédie juive………...235

III. 1. B. 3. b. 1. Un violent processus de marginalisation………….………...235

III. 1. B. 3. b. 2. L’attitude contradictoire de Rezzori face à un tel drame………..240

III. 2. La Seconde Guerre mondiale : une autre épreuve déstabilisante………...242

III. 2. A. Un regard lucide sur les événements de 1938 à 1945……….242

III. 2. A. 1. Une analyse acerbe du pouvoir destructeur de la guerre………243

III. 2. A. 1. a. Un hors-temps paralysant………...243

III. 2. A. 1. b. Le règne du chaos et de la violence………244

III. 2. A. 1. c. Menaces sur l’avenir………...246

(13)

III. 2. A. 2. Une vision désespérée de l’humanité………..247

III. 2. A. 2. a. Confusion des sentiments………...247

III. 2. A. 2. b. Aveuglement………...248

III. 2. A. 2. c. Soumission et régression morale………..249

III. 2. A. 2. d. Le pessimisme d’un témoin sans illusions………...250

III. 2. A. 3. La conscience de devoir dire non à la guerre………...252

III. 2. B. De singulières stratégies de défense et de résistance entre 1939 et 1945…255 III. 2. B. 1. Un détachement suspect jusqu’en septembre 1939………..255

III. 2. B. 1. a. Le choix de dédramatiser la situation allemande………..255

III. 2. B. 1. b. La fuite hors d’Allemagne………257

III. 2. B. 2. Le désengagement de Rezzori pendant la Seconde Guerre mondiale…..258

III. 2. B. 2. a. Le refus de tout enrôlement militaire………....259

III. 2. B. 2. b. Le cynisme comme arme d’une rébellion solitaire………260

III. 2. B. 2. c. Le masque d’une existence frivole et désinvolte et ses limites……...261

III. 2. C. Le long et douloureux processus de confrontation avec le passé : entre contradictions et autocritique………266

III. 2. C. 1. Les prémices : une démarche explicative a priori ambigüe…………...266

III. 2. C. 1. a. Le désir de porter un regard intransigeant sur des débuts littéraires effectués dans un contexte trouble………266

III. 2. C. 1. b. Limites de la stratégie d’auto-défense………...269

III. 2. C. 2. Un retournement décisif : le passage de l’autodéfense à l’autocritique pour assumer enfin le passé………272

III. 2. C. 2. a. Les indices d’une stagnation dérangeante ?...272

III. 2. C. 2. b. La délicate question de la culpabilité………...275

III. 2. C. 2. c. Un regard apaisé sur le passé au terme d’une autocritique………...279

III. 2. C. 2. d. Conclusion : un désengagement conséquent et finalement assumé...279

III. 3. Ultime étape du processus de dérèglement du réel : le procès de Nuremberg ou l’échec d’une confrontation lucide avec le passé………285

III. 3. A. Buts et moyens du procès de Nuremberg………285

III. 3. A. 1. Les espoirs suscités par le procès de Nuremberg……….286

III. 3. A. 1. a. Un enjeu collectif : la visée didactique et humaniste du procès………..286

III. 3. A. 1. b. Un enjeu personnel : affronter la vérité historique et envisager de manière critique sa propre errance……….288

III. 3. A. 2. Un optimisme entretenu par l’organisation du procès………..290

III. 3. A. 2. a. La volonté de réunir des conditions garantissant le caractère novateur et la transparence d’un procès exceptionnel……….290

- la définition de l’objet du procès de Nuremberg………291

- le mode de désignation des accusés………292

- l’alliance des vainqueurs……….293

- le mode de fonctionnement du tribunal militaire international………294

III. 3. A. 2. b. La revendication d’une mission historique……….295

III. 3. B. Entre rêve et réalité : un dialogue de sourds……….…296

III. 3. B. 1. Des limites de fait……….…296

(14)

III. 3. B. 1. a. La composition du jury………...297

III. 3. B. 1. b. L’application du droit anglo-saxon……….298

III. 3. B. 1. c. Le déroulement des audiences……….301

III. 3. B. 2. L’attitude des accusateurs………...302

III. 3. B. 2. a. La mise à l’écart préjudiciable de la population allemande………....302

III. 3. B. 2. b. Le refoulement inconséquent de la réalité allemande d’après-guerre…....304

III. 3. B. 2. c. Impartialité ou intransigeance……….305

III. 3. B. 2. d. La répétition d’un schéma dominants-dominés……….306

III. 3. B. 2. e. Les limites du raisonnement de Rezzori………307

III. 3. B. 3. L’attitude des accusés………308

III. 3. B. 3. a. Une mise en scène provocante………308

III. 3. B. 3. b. Le déni de toute responsabilité………...309

III. 3. B. 3. c. La stratégie d’une victimisation………..310

III. 3. B. 3. d. Le malaise suscité par la ligne de défense des accusés………..311

III. 3. B. 3. e. Une relecture critique de l’attitude des accusés………..313

- le déni comme signe d’une servilité primaire………..313

- le refus de la haine………...314

III. 3. C. Un triste bilan……….316

III. 3. C. 1. Le mea culpa de Rezzori…………...316

III. 3. C. 2. Une vision sombre de l’humanité : les dangers de la médiocrité…………...318

III. 3. C. 3. La déréalisation du monde : un processus sans fin ?...320

III. 3. C. 4. Le cas de l’accusé R. Hess : l’illustration de la menace de la folie et du non- sens……….323

CHAPITRE IV : Le décentrement du sujet, conséquence du délitement du monde………..…..327

IV. 1. Décentrement et déterritorialisation………....327

IV. 1. A. La crise des coordonnants du réel………..328

IV. 1. A. 1. L’éclatement du temps………328

IV. 1. A. 1. a. Une nouvelle approche du temps après 1945………..328

IV. 1. A. 1. b. La vision du temps de Rezzori………329

- une ligne de vie diffuse : les tempuscules de Rezzori………..329

- des césures indépassables confirmées par le caractère cyclique de l’Histoire………….330

IV. 1. A. 1. c. Les conséquences d’une vision archipélagique du temps………...…331

- le choix de la spontanéité et de nouvelles ruptures……….331

- une identité discontinue et morcelée sans principe régulateur………332

IV. 1. A. 2. L’éclatement de l’espace………334

IV. 1. A. 2. a. L’approche géocritique et géophilosophique de l’espace………...…334

IV. 1. A. 2. b. Formes et conséquences du décentrement géographique………...335

- une identité hétérogène………336

- l’épreuve la déterritorialisation………337

- un destin nomade : entre nostalgie et acceptation………...343

IV. 1. B. Le retour tardif à Czernowitz : un tournant dans l’épreuve de la déterritorialisation………..…344

IV. 1. B. 1. Un voyage-retour parsemé d’obstacles………...…345

(15)

IV. 1. B. 1. a. Le temps écoulé………346

- les années de séparation………346

- la mémoire………..346

IV. 1. B. 1. b. Les changements géopolitiques……….348

IV. 1. B. 1. c. L’adoption d’une nouvelle perspective : le détachement du spectateur Rezzori………..350

IV. 1. B. 1. d. La distance introduite par l’écriture………..352

IV. 1. B. 2. Les métamorphoses de Czernowitz………354

IV. 1. B. 2. a. Un centre déchu……….354

IV. 1. B. 2. b. La fictionnalisation de Czernowitz………356

- une ville-musée………356

- un espace désubstantialisé………356

IV. 1. B. 3. Redéfinition du lien de Rezzori avec sa Heimat……….359

IV. 1. B. 3. a. Le refus du passéisme synonyme d’anachronisme aveuglant……….359

IV. 1. B. 3. b. Un ultime décentrement à l’intérieur de l’ancienne Heimat…………..…360

- l’expérience d’un devenir étranger………..361

- une identité menacée d’effacement……….362

IV. 1. B. 3. c. La transformation de la Heimat en seuil : une déterritorialisation enfin libératrice………...366

IV. 1. C. La retraite de Rezzori en Toscane : le choix revendiqué d’un espace périphérique………...368

IV. 1. C. 1. Les motifs de la rupture de Rezzori avec l’Allemagne………..369

IV. 1. C. 2. Un état de transgressivité positive……….373

IV. 1. C. 2. a. Un espace-seuil………..374

- un nouveau foyer hors du temps et du monde………374

- Une existence mi-sédentaire, mi-nomade………375

IV. 1. C. 2. b. Le dépassement de limites personnelles……….377

- L’apprentissage de la confiance en autrui : une victoire sur la solitude………..377

- Le dépassement de la haine : une prise de recul salutaire………379

IV. 1. C. 3. L’espoir d’un nouvel ancrage ?...380

IV. 1. C. 3. a. L’italien : une langue médiatrice………....380

IV. 1. C. 3. b. Une quête d’authenticité et de sincérité……….382

IV. 1. C. 3. c. L’attente sereine de la mort……….384

IV. 1. C. 4. Une déterritorialisation créatrice……….384

IV. 1. C. 4. a. La confirmation d’une vocation : une identité d’écrivain………..385

- la percée de Rezzori en Italie………...385

- un succès international……….386

IV. 1. C. 4. b. La réorientation de l’écriture………...387

IV. 1. C. 4. c. La nécessité de l’écriture autobiographique en terre périphérique……...388

IV. 2. Décentrement intérieur : la précarité des modèles identitaires……….390

IV. 2. A. La stratégie d’auto-marginalisation : le rejet de l’Autre, symbole d’un monde hostile………...390

IV. 2. A. 1. Un isolement géographique : le retranchement dans la sphère privée………390

IV. 2. A. 2. Le culte de l’Ouest………..393

IV. 2. A. 3. La défense de l’allemand : le refuge offert par la langue………398

IV. 2. B. Le vide de la sphère privée………..403

(16)

IV. 2. B. 1. Incompréhension et divisions : l’échec d’un couple……….403

IV. 2. B. 2. La désagrégation de la structure familiale : le problème des relations parents / enfants………...408

IV. 2. C. Un délitement multiforme………..419

IV. 2. C. 1. Le refoulement pathologique du réel………..419

- la mère et la sœur : gardiennes du passé ?...420

- le père : la tentative d’un hors-temps………...………426

IV. 2. C. 2. Des êtres tourmentés………...…429

- la mère : un être névrosé………...…...430

- le père : un être désenchanté et instable………..435

- la sœur : un destin tragique………..439

IV. 2. D. La présence de remparts………..441

IV. 2. D. 1. La réunion des contraires : Kassandra et Strausserl………441

IV. 2. D. 2. L’initiation d’un processus d’émancipation : une désagrégation nécessaire………443

CHAPITRE V : L’écriture de soi comme stratégie de résistance………...448

V. 1. La revendication d’une temporalité singulière : quand l’autobiographe se fait Epochenverschlepper :.……….449

V. 1. A. Définition de l’Epochenverschleppung………....449

V. 1. B. Conséquences de l’Epochenverschleppung………..450

V. 1. C. Le défi de l’Epochenverschlepper en autobiographe………...452

V. 2. La mort de mon frère Abel : le pari raté de l’autobiographie hypothétique..…453

V. 2. A. Un projet audacieux……….455

V. 2. B. La souffrance du sujet : l’inexistence dans le réel………458

V. 2. B. 1. Une étrangeté de soi à soi……….458

V. 2. B. 1. a. Un moi pluriel et fragmenté………..458

V. 2. B. 1. b. Un moi fictif………...…..461

V. 2. B. 2. Une étrangeté aux autres………..463

V. 2. C. La définition de l’autobiographie hypothétique………..465

V. 2. C. 1. Un pacte contradictoire………465

V. 2. C. 2. Le désir de croire dans une fiction plus vraie que le réel……….469

V. 2. D. L’écriture comme vengeance………471

V. 2. D. 1. La haine comme moteur de l’écriture………...…471

V. 2. D. 2. Le statut paradoxal de créateur-destructeur……….472

V. 2. E. L’œuvre impossible………..475

V. 2. E. 1. Les limites de l’autobiographie hypothétique………..475

V. 2. E. 1. a. Les doutes de l’hétéronyme……….475

(17)

V. 2. E. 1. b. L’absence de forme………477

V. 2. E. 2. Le vertige identitaire………..479

V. 3. Le triptyque autobiographique : le choix ultime de l’autobiographie référentielle en guise de résistance……….482

V. 3. A. Les enjeux récurrents des écrits autobiographiques………..…482

V. 3. B. La mise en perspective d’un « je » pluriel comme condition d’un dialogue de soi à soi……….485

V. 3. B. 1. Neiges d‟antan : l’accueil de l’altérité………485

V. 3. B. 1. a. Une structure singulière………..485

V. 3. B. 1. b. La diffraction du « je » dans les autres………...486

V. 3. B. 2. Murmures d‟un vieillard : l’Epochenverschleppung comme condition d’un regard intransigeant sur le monde et sur soi………..487

V. 3. B. 2. a. Le décalage assumé de l’Epochenverschlepper………487

V. 3. B. 2. b. L’affirmation d’une conscience historique critique comme gage de résistance………...489

V. 3. B. 2. c. Une autocritique libératrice : l’autobiographie, tribunal de la conscience………..492

V. 3. C. Sur mes traces : l’espace autobiographique comme point d’ancrage…………..495

V. 3. C. 1. Les conditions d’écriture : la mort pour horizon……….495

V. 3. C. 2. La légitimité de la forme………..497

V. 3. C. 3. Un lieu de mémoire : des traces indélébiles………...499

CONCLUSION……….501

BIBLIOGRAPHIE………...………504

(18)

LES ÉCRITURES DE SOI DANS L’ŒUVRE DE GREGOR VON REZZORI

INTRODUCTION

1. Les œuvres

Dans Neiges d‟antan1 [Blumen im Schnee2], son premier texte à caractère ouvertement autobiographique, paru tardivement, en 1989, Gregor von Rezzori livre une réflexion sur ses origines. Il se souvient de sa ville natale, Czernowitz, où il vit le jour au printemps 1914, et de la terre de son enfance, la Bucovine.

Les portraits qu’il ébauche de ses proches, tous disparus au moment de se pencher sur ce passé reculé, structurent le récit en cinq chapitres. On y découvre tout d’abord Kassandra.

Forte de sa vitalité, de son bon sens, de son humour et de ses talents de conteuse, la nourrice ruthène, que d’aucuns comparaient à une bête sauvage en raison de sa laideur effrayante et qui s’exprimait dans un langage hétéroclite, constitué des différentes langues parlées dans cette contrée plurinationale, se pose en véritable mère nourricière. Elle est celle qui insuffla à Rezzori un élan vital et qui lui permit de tisser un lien intrinsèque avec la Bucovine que son père, originaire de l’Europe de l’Ouest, refusait de considérer comme son pays.

Officier autrichien de la monarchie austro-hongroise, ce dernier entendait apporter la lumière de la civilisation à un territoire qu’il disait peuplé de barbares et continuait de considérer avec mépris après 1918, alors que l’ancienne élite germanophone subissait la tutelle des nouveaux maîtres : les Roumains. Tandis que Kassandra entretenait une relation fusionnelle avec cette terre, le père de Rezzori refusa de participer à la définition d’un nouvel ordre après son déclassement social, préférant vivre à l’écart, dans l’intimité du cercle familial où il s’enferma dans l’illusion de n’avoir rien perdu de sa gloire ni de sa supériorité.

Il entraîna dans cette dangereuse spirale anachronique son épouse et sa fille. Pour réprimer la nouvelle réalité politique de l’entre-deux-guerres, toutes deux se réfugièrent dans leurs souvenirs d’un passé, mythifié, dont elles se voulaient les gardiennes.

1 REZZORI, Gregor von, Neiges d‟antan [1989]. Traduit de l’allemand par Jean-François Boutout. Paris, Éditions de l’Olivier, 2004 pour l’édition française. Nous utiliserons l’abréviation NA.

2 REZZORI, Gregor von, Blumen im Schnee. Portraitstudien zu einer Autobiographie, die ich nie schreiben werde; oder auch: Versuch der Erzählweise eines gleicherweise nie geschriebenen Bildungsromans [1989].

Aachen, Rimbaud Verlagsgesellschaft, 2004. Nous utiliserons l’abréviation BS.

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Dernier personnage de la constellation rezzorienne : Strausserl. Gouvernante importée de Vienne pour enseigner les bonnes manières et les codes en vigueur à l’Ouest aux deux enfants, elle faisait preuve, à l’instar de Kassandra, de bon sens et d’ironie. Elle rendit ainsi le décalage de ses parents suspect au jeune Gregor, qui, à son contact, s’exerça à poser un regard critique sur le monde et à mesurer la précarité de la réalité.

Dans Neiges d’antan, Rezzori met en lumière le trait d’union entre ces individus qui ont forgé son rapport complexe à son espace originel : tous ont été les victimes de l’Histoire qui les a frappés, comme nous le verrons, avec violence, les arrachant à Czernowitz et aux confins de l’Europe que l’auteur quitta lui-même définitivement en 1936. Par conséquent, le choix d’interroger son héritage bucovinien de manière détournée, en narrant les déchirures des personnes qui étaient censées lui donner des repères identitaires, mais que l’Histoire a effacées, révèle les difficultés qu’il rencontre à se définir par rapport à un espace-temps constitutif de son identité, mais réduit à la réalité immatérielle des souvenirs.

C’est dans Retour à Czernowitz3 [Heimkehr nach Tschernopol4], un texte de circonstances composé dans sa maison située en Toscane, en 1989, après la rédaction de Neiges d‟antan, au retour d’un voyage entrepris dans sa ville natale sur les traces de son enfance, que Rezzori poursuit sa réflexion sur ses origines, pour achever, à l’automne de sa vie, de saisir le sens et le fondement de son destin de déraciné.

Autre ouvrage autobiographique, autre ton et autre forme : Murmures d‟un vieillard5 [Greisengemurmel6] paru en 1994. Malade, Rezzori forme le projet de ce livre lors d’un séjour à l’hôpital. Écrit dans l’urgence, il l’envisage comme l’occasion d’un interrogatoire. Lucide et intransigeant, il poursuit deux objectifs. D’une part, il entend se pencher sur sa carrière d’écrivain, commentant les textes qu’il juge les plus importants de son œuvre et n’ayant de cesse de convoquer d’illustres auteurs, qu’il présente tous comme ses collègues, dans l’espoir de s’inscrire dans une tradition. D’autre part, il dénonce avec détachement les travers du pouvoir (politique et religieux) qui exerce une menace sur l’individu au vingtième siècle : celui de le priver de tout moyen d’expression et d’esprit

3 REZZORI, Gregor von, Retour à Tchernopol [1989]. Cet essai que Rezzori a rédigé après avoir achevé la rédaction de son premier volet autobiographique a été rajouté dans l’édition française de Neiges d‟antan.

L’éditeur a choisi de le faire précéder de la mention épilogue. Nous utiliserons l’abréviation RàT.

4 REZZORI, Gregor von, Heimkehr nach Tschernopol [1989], in die horen. Zeitschrift für Literatur, Kunst und Kritik. Herausgegeben von Kurt Morawietz. Hannover, 35. Jahrgang, 3. Quartal 1990, Ausgabe 159, p.

9-18. Nous utiliserons l’abréviation HnT.

Notons que cet essai ne figure pas dans l’édition allemande du premier texte autobiographique de Rezzori.

5 REZZORI, Gregor von, Murmures d‟un vieillard [1994]. Traduit de l’allemand par J. Lajarrige. Monaco, Éditions du Rocher, 2008 pour l’édition française. Nous utiliserons l’abréviation MV.

6 REZZORI, Gregor von, Greisengemurmel. Ein Rechenschaftsbericht [1994]. München, Btb, Bertelsmann Verlag, 1996. 2. Auflage. Nous utiliserons l’abréviation GG.

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critique, de le rendre anonyme et de le contraindre à obéir aveuglément, en favorisant notamment des phénomènes de masse. Ce sont les expériences qu’il a faites dans les différents pays où il vécut après son départ de Bucovine (l’Autriche, l’Allemagne et l’Italie), des voyages (notamment en Roumanie après la chute de Ceausescu et à Pondichéry, dans l’ashram fondé par Sri Aurobindo) et des phénomènes déroutants (comme le carnaval de Cologne) qui nourrissent sa réflexion.

Ce deuxième volet autobiographique repose sur le même mécanisme que le premier.

Rezzori s’y confronte à une source d’altérité (ici, à d’autres pays et cultures, dans Neiges d‟antan, à ses proches), afin de se positionner en tant qu’écrivain, individu et observateur du monde et de ses contemporains par rapport à une réalité qu’il envisage sous plusieurs angles et qui le renvoie à un événement qu’il réprimait encore dans le récit de son enfance : le 12 mars 1938, le jour de l’annexion de l’Autriche à l’Allemagne hitlérienne.

Rezzori franchit un cap décisif en reconnaissant sans concession ses propres manquements et son inertie politique d’alors. L’Anschluss, dont l’ombre est omniprésente dans Murmures d‟un vieillard, ne signifie pas uniquement la perte de son propre passé. Il correspond avant tout à la victoire de l’arbitraire et de la folie qui déresponsabilise les individus. Objet et moteur de l’écriture, la réflexion critique qu’il mène sur l’Anschluss permet à l’auteur d’assumer son décrochage dans le présent. Ce dernier est étroitement lié à l’Histoire et caractérise, selon lui, la condition de tous ses contemporains.

Sur mes traces7 [Mir auf der Spur8], paru en 1997, scelle le triptyque autobiographique inavoué de Rezzori et confirme sa stratégie. Conscient d’y saisir sa dernière chance de se dire tel qu’en lui-même, il déroule, dans un texte répondant davantage aux codes de l’autobiographie traditionnelle, le fil de son existence du 12 mars 1938 (en filigrane dans Neiges d‟antan) au présent de l’écriture. Il y procède à un examen plus approfondi des conséquences du dérèglement engendré par l’Anschluss et par la Seconde Guerre mondiale et y met en exergue le vide d'une réalité devenue abstraite et impersonnelle. C’est parce qu’il se confronte de manière plus intransigeante à son propre passé (qu’il éludait encore en partie dans Murmures d‟un vieillard), à la lumière des bouleversements géopolitiques qu’il a subis, que Rezzori parvient à répondre de tout son parcours d’homme et d’écrivain.

7 REZZORI, Gregor von, Sur mes traces. Mémoires [1997]. Traduit de l’allemand par Pierre Deshusses Monaco, Éditions du Rocher, 2004 pour l’édition française. Nous utiliserons l’abréviation SmT.

8 REZZORI, Gregor von, Mir auf der Spur [1997]. München, Bertelsmann Verlag, 1997. Nous utiliserons l’abréviation MaS.

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En bouclant la boucle entamée dans Neiges d‟antan, il soulève néanmoins une question : quelle part de mise en scène recèle la souveraineté d’un auteur qui semble réussir, au terme d’une quête identitaire sinueuse, à parfaitement maîtriser le geste de l’écriture dans un texte autobiographique plus conventionnel ?

La dimension référentielle de Neiges d‟antan, de Murmures d‟un vieillard et de Sur mes traces pourrait constituer un argument en faveur d’une limitation de notre corpus au triptyque autobiographique de Rezzori.

Il nous semble cependant nécessaire de prendre également en compte le roman La mort de mon frère Abel9 [Der Tod meines Bruders Abel10] paru en 1976, afin de dégager les raisons, le sens, les moyens et les résultats de son projet autobiographique que nous plaçons au cœur de notre réflexion.

Rezzori n’y respecte pas le pacte autobiographique que P. Lejeune11 définit comme l’identité auteur-narrateur-personnage. Mais la proximité de l’auteur et du narrateur est grande. Tous deux sont originaires des confins de l’Europe. Tous deux portent un regard critique sur l’Allemagne de l’après-guerre. Tous deux ont erré dans les métropoles européennes où ils ont ressenti le même sentiment de vide. Tous deux se sont émus du désarroi de certains de leurs proches incapables de résister à cette réalité désubstantialisée.

Tous deux sont obsédés par le souvenir et les conséquences de l’Anschluss et de la Seconde Guerre mondiale. Tous deux enfin avouent les doutes et le découragement qui les accablent au moment d’écrire. La trame de La mort de mon frère Abel repose sur le récit que fait le narrateur-personnage de ses déboires alors qu’il se lance dans l’écriture d’un roman qui aurait dû être celui de toute une génération, mais qui finalement reste lettre morte.

Il nous faudra analyser la signification et la portée de l’échec de « l’autobiographie hypothétique12 » que Rezzori expérimenta, par le biais d’un héros hétéronymique, en 1976.

On s’intéressera donc à sa tentative de se dire et de se saisir en train de décrire le monde, ses transformations et ses incohérences, pour se le réapproprier et faire en sorte que

9 REZZORI, Gregor von, La mort de mon frère Abel [1976]. Traduit de l’allemand par Christian Richard.

Paris, Éditions Salvy, 1996 pour l’édition française. Nous utiliserons l’abréviation A.

10 REZZORI, Gregor von, Der Tod meines Bruders Abel [1976]. Pössneck, Impressione Taschenbücher. La date de parution de cette édition n’est pas mentionnée. Première édition en allemand : C. Bertelsmann Verlag, München, 1976. Nous utiliserons l’abréviation A.

11 LEJEUNE, Philippe, Le Pacte autobiographique [1975]. Paris, Éditions du Seuil, nouvelle édition augmentée, 1996.

12 Dans La mort de mon frère Abel, Rezzori met en scène un narrateur-personnage qui essaie d’écrire l’histoire de sa vie en recourant aux mécanismes de la fiction, afin d’expliquer les zones d’ombre de son moi.

Ce dernier qualifie son projet d’« autobiographie hypothétique » pour souligner la fictionnalisation de sa vie.

A, p. 433. A, p. 363: hypothetische Autobiographie.

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l’écriture devienne un espace où le « je » puisse reconstruire un lien avec le présent devenu chaotique. En effet, l’absence du texte espéré reflète d’une part les interrogations profondes de l’auteur sur la fragilité des individus dans un monde en proie à la force de destruction qu’exerce l’Histoire, d’autre part sa conscience de la nécessité de renouveler les modalités de l’écriture de soi et de repenser son but.

La mort de mon frère Abel nous permettra en conséquence de juger de la cohérence de l’œuvre de Rezzori qui réalisa son entreprise autobiographique vingt ans plus tard, en nous demandant s’il convient de l’envisager comme le résultat d’une réflexion identitaire ou plutôt comme le moyen de poursuivre et d’approfondir l’approche d’un « je », pluriel et déchiré, dont l’identité résiderait alors dans une dynamique infinie, grâce à l’écriture elle- même appelée à continuer d’évoluer.

II. Justification du corpus

Le choix de ces œuvres à caractère autobiographique (référentiel et hypothétique13) s’explique par leur cohérence thématique. Rezzori utilise l’odyssée qu’il mène vers lui- même, vers ce qui fonde l’originalité de son être, afin non seulement de révéler les zones d’ombre de son propre « je », mais aussi de se mettre au service de ses contemporains, qui, ballotés comme lui au gré des événements, sont confrontés aux mêmes doutes identitaires.

Ces textes traduisent la conviction de l’auteur que l’Histoire trace le cours du destin des individus réduits au rang de spectateurs et montrent les obstacles à l’affirmation d’une voix singulière.

13 Nous convoquerons par ailleurs une autre œuvre fictive dont le narrateur présente une ressemblance frappante avec Rezzori. Elle se distingue de l’autobiographie hypothétique La mort de mon frère Abel où Rezzori met avant tout l’accent sur le geste de l’écriture, plus précisément sur la tentative d’un « je » de se dire en train d’écrire un monde qui lui échappe et de voir l’écriture lui échapper également.

Étant donné que le triptyque autobiographique nous semble être le moteur de sa quête identitaire et scripturaire que nous entreprenons d’éclairer et qui sera, par conséquent, la pièce maîtresse de notre réflexion, nous ne chercherons pas à livrer une interprétation détaillée de ce texte non référentiel.

La mise en regard ponctuelle de certains passages significatifs avec les œuvres autobiographiques tardives nous permettra simplement d’approfondir certains aspects particuliers de la pensée de l’auteur dont les choix de reprendre certains motifs d’un texte à l’autre sont des étapes et des preuves de sa maturation.

Le traitement de thèmes essentiels qui expliquent le dérèglement du monde dans différents registres d’écriture indique la volonté de Rezzori d’en saisir précisément les causes et les conséquences en exploitant les diverses possibilités qu’offrent l’écriture référentielle et l’écriture non référentielle.

Nous lirons Une hermine à Tchernopol [Ein Hermelin in Tschernopol], roman dédié à Czernowitz, en parallèle avec Neiges d‟antan pour éclairer la nature du lien de Rezzori avec la Bucovine et l’image complexe qu’il décline du monde de l’enfance. Nous privilégierons notamment les passages consacrés à la description de la progression des nationalismes dans la région pendant l’entre-deux-guerres.

REZZORI, Gregor von, Une hermine à Tchernopol. Un roman du pays du soleil couchant [1958]. Traduit de l’allemand par Catherine Mazellier-Lajarrige et Jacques Lajarrige, 2011 pour l’édition française. Paris, Éditions de l’Olivier, 2011.

REZZORI, Gregor von, Ein Hermelin in Tschernopol. Ein maghrebinischer Roman [1958]. Berlin, BvT Berliner Taschenbuch Verlag, 2004.

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La mise en abyme du geste scripturaire, qui a également guidé le choix de ces œuvres, redouble le poids de cette problématique. En effet, la réflexion identitaire est sous-tendue par une réflexion sur l’écriture intime elle-même, sur ses orientations et ses contradictions.

Autrement dit, la tentative de rendre des comptes et de se dire coïncide avec l’examen critique de la manière de mettre en forme son histoire personnelle. Le fait de poser la question de la pertinence de l’écriture de soi confirme la détermination de l’auteur à assumer avec une extrême lucidité les limites du sujet, dont même la capacité à les reconnaître et à en prendre pleinement la mesure semble ainsi remise en cause.

Conséquence directe de cette attitude critique et dernier élément fondant l’unité de notre corpus : Rezzori s’efforce de renouveler concrètement dans les textes que nous avons retenus les modalités de l’écriture de soi. Il en varie à loisir le ton (tendre et nostalgique dans Neiges d‟antan, acerbe et ironique dans Murmures d‟un vieillard, drôle et souverain dans Sur mes traces) et la forme (récit d’enfance dans Neiges d‟antan, mélange de confidences intimes, d’essais et de carnets de voyage dans Murmures d‟un vieillard, forme plus conventionnelle reposant sur une structure chronologique dans Sur mes traces). Le dénominateur commun de ces œuvres réside paradoxalement dans leur diversité, car de telles variations, qui résultent en partie de l’écart temporel entre les différents ouvrages, nourrissent la même interrogation : indiquent-elles une progression, dans le sens d’une maturation, de l’écriture rezzorienne ou sont-elles, à l’inverse, le signe de limites indépassables auxquelles viendrait se heurter l’écriture de soi ?

III. Bilan de la recherche

Écrivain négligé par la critique germanophone14 et quasiment absent des dictionnaires de littérature, Rezzori n’a fait l’objet que d’un nombre restreint d’études

14 En Allemagne, on associe le nom de l’auteur aux Histoires du pays du soleil couchant [Maghrebinische Geschichten]. Il s’agit d’un recueil d’anecdotes que Rezzori avait lues à la radio dans les années 1950. Il remporta un franc succès grâce à leur ton ironique qui contrastait avec l’atmosphère lourde de l’après-guerre.

L’auteur a déploré à plusieurs reprises que ses autres textes soient restés dans l’ombre de ce recueil qu’il ne cessa toutefois pas d’enrichir au fil des années.

REZZORI, Gregor von, Histoires du pays du soleil couchant [1953]. Traduit de l’allemand par Christian Richard. Paris, Salvy, 1994 pour l’édition française. Maghrebinische Geschichten [1953]. 41. Auflage.

Reinbeck bei Hamburg, Rowohlt, 2001.

Les contributions qu’il fit dans le Kurier de Vienne ainsi que dans les revues Playboy et Elle et qu’il reconnaît lui-même avoir abordées comme de simples activités de gagne-pain lui valurent l’étiquette peu flatteuse de dilettante. Elle sonne comme un jugement à l’emporte-pièce. Mais l’auteur la cultiva lui-même, non sans autodérision ni désinvolture, par son goût de la provocation et par son existence de dandy.

En revanche, Rezzori obtint un accueil plus positif aux États-Unis, en Angleterre, en France et en Italie où l’on a traduit son triptyque autobiographique ainsi que ses principales œuvres de fiction.

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littéraires15. Leurs auteurs ont dégagé des pistes de recherche intéressantes que nous entendons intégrer et développer dans notre réflexion. Menées dans le cadre de manifestations scientifiques spécifiques, ces contributions se limitent à chaque fois à un texte précis et se partagent en deux grands ensembles. D’un côté, celles qui s’intéressent à la manière dont Rezzori envisage l’écriture de l’Histoire au vingtième siècle, afin de mesurer la valeur du témoignage que l’auteur apporte sur le passé. De l’autre côté, celles qui se concentrent sur la quête identitaire qu’il entreprend dans et grâce à l’écriture de l’intime.

15 On dispose actuellement de cinq publications dédiées à Rezzori.

G. Köpf fut le premier à rassembler des contributions sur l’œuvre de l’écrivain autrichien. À deux exceptions près, ces dernières se réduisent à de simples introductions aux textes choisis. On y trouve également une bibliographie qui recense les articles de presse qui accompagnèrent, dans l’espace germanophone, la parution des différentes productions de l’auteur.

KÖPF, Gerhard (Hg.), Gregor von Rezzori. Essays, Anmerkungen und Erinnerungen. Oberhausen, Verlag Karl Maria Laufen, 1999.

Il en va de même dans l’édition de la revue littéraire die horen dédiée à Rezzori.

MORAWIETZ, Kurt (Hg.), die horen. Zeitschrift für Literatur, Kunst und Kritik. Hannover, 35. Jahrgang, 3. Quartal 1990, Ausgabe 159.

Les Actes du premier colloque consacré à Rezzori en 2001, en France, ont été réunis par J. Lajarrige. Ils ont apporté une impulsion dans le travail de mise en lumière d’un auteur délaissé jusqu’alors par la critique. En effet, ils ont démontré la diversité et la complexité de l’œuvre de Rezzori qui fut à la fois romancier, autobiographe, feuilletoniste, journaliste et homme de cinéma.

Gregor von Rezzori. Austriaca n°54. Études réunies par Jacques Lajarrige. Rouen, Presses de l’Université de Rouen. Cahiers Universitaires d’Information sur l’Autriche, 2002.

C’est ce même éclectisme que l’on souligna lors du second colloque international destiné à promouvoir l’œuvre de Rezzori. Il s’est déroulé en Italie en 2004. Les Actes ont été publiés, en italien, par A. Landolfi.

Memoria e disincato. Attraverso la vita e l‟opera di Gregor von Rezzori. A cura di Andrea Landolfi.

Macerata, Quodlibet, 2006.

L’ouvrage le plus récent correspond à la traduction en allemand de la thèse de doctorat intitulée Despre centralitatea perifericului: pe urmele lui Gregor von Rezzori que Cristina Spinei a soutenue en 2010, sous la direction d’A. Corbea-Hoisie à l’Université Alexandru Ioan Cuza de Iassy.

Cette étude constitue un tournant dans la recherche rezzorienne. Première thèse consacrée à Rezzori, elle s’appuie, contrairement aux contributions ponctuelles dont nous disposons, sur plusieurs ouvrages clés de l’écrivain. C. Spinei entend démontrer la richesse de l’œuvre de l’auteur dont elle prend la défense contre ses détracteurs désireux de le présenter comme un dilettante. Son but est d’analyser le développement de l’identité centre-européeenne de Rezzori qu’elle aborde sous trois aspects interdépendants à ses yeux : les stratégies de mise en scène du « je » de l’auteur, l’image de la Heimat-Bucovine et l’inscription de Rezzori dans l’espace centre-européen.

C. Spinei considère que l’identité centre-européenne de l’écrivain ne repose sur aucun fondement stable ni absolu qui aurait pu constituer un centre. Son identité procède, au contraire, d’une dynamique qui anime l’auteur et le met sans cesse au défi de s’ouvrir à l’Autre pour se construire et se rencontrer lui-même.

C’est la conclusion qu’elle tire de l’examen des différentes stratégies scripturaires de l’auteur. En effet, ce dernier oscille entre révélation et invention de soi en explorant les registres référentiels et non référentiels et en livrant des œuvres que C. Spinei choisit de lire comme autant d’autofictions, soit biographiques, soit fantastiques.

Le lien de Rezzori avec sa terre natale et plus généralement l’espace centre-européen marqué par une dichotomie centre / périphérie confirme, pour l’auteur de cette étude, qu’il n’a eu de cesse de sonder et de remettre en question les frontières de son « je » dont la réalité procède, selon elle, essentiellement du mélange entre son héritage autrichien et de ses rencontres avec l’Autre dans un espace pluriculturel hétérogène et soumis à de vives tensions qu’elle précise dans une perspective historique.

SPINEI, Cristina, Über die Zentralität des Peripheren. Auf den Spuren von Gregor von Rezzori. Berlin, Frank&Timme, 2011.

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Axées majoritairement sur Neiges d‟antan dédié au monde de l’enfance et sur des autofictions dont le décor est également planté en Europe orientale, la plupart des contributions sur l’écriture rezzorienne de l’Histoire se focalisent sur l’héritage mitteleuropéen de l’auteur. Elles choisissent une approche interculturelle, afin de voir comment cet écrivain déraciné se positionne par rapport à l’ensemble géographique, historique et culturel complexe que constitue la Bucovine.

Dans l’étude qu’elle consacre aux traces de la présence allemande et autrichienne en Europe de l’Est, V. Glajar16 intègre les textes autobiographiques de quatre auteurs originaires des confins qui ont tous écrit en allemand : Rezzori, spectateur à Czernowitz de la fin de l’empire habsbourgeois et de la roumanisation de la Bucovine, Hilsenrath, témoin de l’anéantissement de la minorité juive durant l’holocauste en Transnistrie, Pedretti, qui décrit l’expulsion des Allemands hors de la Tchécoslovaquie à cause de leur collaboration avec le régime nazi et H. Müller, qui relate la dictature de Ceausescu.

V. Glajar affirme que les textes autobiographiques de ces écrivains montrent d’une part la diversité des images dont on dispose sur cette région, d’autre part qu’ils illustrent les tensions ethniques entre germanophones et autochtones qui ont jalonné le vingtième siècle et dont les conséquences furent souvent tragiques. De plus, ils éclairent l’impact des événements politiques sur l’appartenance nationale et l’identité des auteurs qui ont assisté au déclin de l’ancienne élite germanophone réduite à une position subordonnée.

V. Glajar entend ainsi souligner la dimension historique de Neiges d‟antan. Il est selon elle bien plus qu’un recueil de souvenirs d’enfance empreint de nostalgie, car l’auteur y soulève plusieurs questions sur la loi autrichienne et sur le statut de la Bucovine au sein de l’empire austro-hongrois. Nous rejoignons V. Glajar qui pose que Rezzori aspire à dénoncer le caractère mythique, au sens de mensonger, du programme habsbourgeois. Pour lui, la présence autrichienne en Bucovine équivalait à une forme de colonialisme.

Nous nous proposons de voir comment la déconstruction du mythe habsbourgeois à travers celle du mythe de la « civilisation de Czernowitz », qu’outre V. Glajar, J. Le Rider17 et P.

S. Scheichl18 considèrent aussi comme une constante dans l’écriture rezzorienne de la Heimat, s’inscrit dans la stratégie globale de l’écriture de l’Histoire choisie par l’écrivain.

16 GLAJAR, Valentina, The German legacy in East Center Europe as recorded in recent German-language literature. New York, Cadmen House, 2004.

17 LE RIDER, Jacques, Mémoires d’un antisémite et Neiges d’antan de Gregor von Rezzori ou la démystification du mythe habsbourgeois, in Gregor von Rezzori. Austriaca n°54, op. cit., p. 107-116.

18 SCHEICHL, Sigurd Paul, „Das Leben spielt sich in Satiren ab“. Satirisches in Gregor von Rezzoris Hermelin in Tschernopol, in Gregor von Rezzori. Austriaca n°54, op. cit., p. 73-90.

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Les recherches de C. Magris et de K. Jastal contiennent d’autres pistes intéressantes pour éclairer ce point parce qu’ils abordent tous deux la représentation du passé chez Rezzori également dans une perspective comparatiste, en l’opposant cependant à des auteurs appartenant à des époques différentes19.

Le critique italien20 classe ainsi Rezzori parmi les auteurs, qui, de K. E. Franzos à J. Roth, ont construit, selon lui, le mythe habsbourgeois. S’appuyant sur Une hermine à Tchernopol, C. Magris affirme que le regard ironique que Rezzori21 pose sur le passé, notamment à travers la description d’individus désorientés par la fin de l’ère habsbourgeoise, n’aurait pas empêché l’auteur d’idéaliser cet univers perdu.

Dans l’ouvrage qu’elle consacre au monde de l’enfance tel que l’ont figuré trois écrivains germanophones originaires des confins, K. Jastal22 aboutit à une autre conclusion.

Elle y analyse tour à tour l’autobiographie de G. v. Rezzori, celle d’E. Canetti et celle de M. Sperber, qui ont en commun de s’être penchés sur leur enfance à l’automne de leur vie et de situer leur vocation, voire leur mission d’écrivain dans leur expérience du déracinement et de la dissolution de leur espace-temps identitaire originel. Elle opte aussi pour une perspective comparatiste dans un article23 où elle étudie les fondements de la pensée bucovinienne de Rezzori.

Il émane de ces travaux qu’à la vision idéalisée que P. Celan, R. Ausländer, E. Hilsenrath ou encore A. Gong transmettent de Czernowitz24 s’opposent la lecture critique que Rezzori fait de la prétendue pluriculturalité de sa ville natale et son témoignage sur l’antisémitisme latent dans cette région. Selon K. Jastal, l’intérêt de Neiges d‟antan résiderait en outre dans

19 C’est aussi, dans une moindre mesure, l’orientation que F. Rinner a choisie. Pour conforter sa thèse d’une écriture régionaliste mitteleuropéenne, elle rappelle que bien qu’ils ne se connaissent pas et qu’ils soient originaires de pays différents, plusieurs auteurs de la région (par exemple M. Kundera) ont revendiqué leur identité mitteleuropéenne parce qu’ils sont conscients d’appartenir à une même tradition et à un même espace spirituel. Concernant Rezzori, elle considère son goût de l’absurde, son jeu avec la langue et sa tendance à l’autocritique comme des caractéristiques typiquement mitteleuropéennes de l’écrivain bucovinien.

RINNER, Fridrun, Ein Mitteleuropäer auf Wanderschaft: Gregor von Rezzoris Autobiographie Mir auf der Spur im mitteleuropäischen Kontext, in Gregor von Rezzori. Austriaca n°54, op. cit., p. 201-212.

20 MAGRIS, Claudio, Le mythe et l‟empire dans la littérature autrichienne moderne [1963]. Paris, L’Arpenteur, 1991.

21 L’ironie de Rezzori s’oppose à la nostalgie de Roth au moment de décrire le déclin de l’empire austro- hongrois.

22 JASTAL, Katarzyna, Erzählte Zeiträume; Kindheitserinnerungen aus den Randgebieten der Habsburgermonarchie von Manès Sperber, Elias Canetti und Gregor von Rezzori. Kraków, Aureus-Verlag, 1998.

23 JASTAL, Katarzyna, Bukowiner nationale Spielarten und Gregor von Rezzori, in Gregor von Rezzori.

Austriaca n°54, op. cit., p. 91-106.

24 À l’inverse de ces auteurs qui ont été arrachés à la Bucovine, à cause de la politique antisémite qui fut appliquée dans la région des années 1920 jusqu’en 1945, Rezzori n’a pas vécu son exil (voulu) comme un traumatisme. Selon K. Jastal, cela expliquerait le regard lucide qu’il porte sur le passé alors que les autres écrivains qu’elle cite auraient cédé au geste d’une mythification du passé.

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la volonté de l’auteur de rendre compte du délitement que sa famille a subi à Czernowitz au lendemain de la disparition de la monarchie austro-hongroise, synonyme de la perte irréversible du fondement de son existence25. Ces arguments renforceraient donc finalement la thèse selon laquelle Rezzori aurait refusé de céder à la tentation d’idéaliser le passé que sa nostalgie des origines aurait pu lui insuffler.

Il s’agira de voir comment la situation d’entre-deux de cet auteur du jour d’après, qui, parce qu’il n’a plus connu directement le monde d’avant, en devient un chantre partagé entre ironie et émotion, mais aussi son départ consenti à l’Ouest, à l’inverse d’autres écrivains de la région, l’amènent à porter un regard intransigeant sur la Bucovine et l’obligent, c’est l’hypothèse que nous formulons, à sans cesse interroger le passé et son propre ancrage pour, sinon revendiquer, du moins définir le lien complexe qui l’unit à Czernowitz.

Les dernières contributions dont nous disposons sur ce thème analysent plus spécifiquement les ressorts que l’héritier et le passeur de ce monde disparu a imaginés pour se remémorer et mettre en forme la Bucovine, c’est-à-dire les mécanismes de son écriture mémorielle.

B. Westphal26 présente l’extrême liminalité de la Bucovine à cause de l’absence de critères géologiques, politiques, culturels et ethniques sûrs, son extrême hétérogénéité due à la multiplication des césures géopolitiques ainsi que le déracinement concret de l’auteur comme les éléments qui expliquent pourquoi Rezzori figure sa région natale comme un espace de déterritorialisation. Nous tenterons de dégager les modalités d’une telle représentation et ses conséquences au niveau de la définition et de l’écriture de son identité.

A. Corbea-Hoisie27 se concentre sur le traitement que Rezzori réserve à la Bucovine dans Histoires du pays du soleil couchant. Il affirme quant à lui que l’écrivain apporte dans ce texte un nouvel éclairage sur la théorie des lieux de mémoire formulée bien plus tard, dans les années 1990. Dans ce recueil d’anecdotes que l’on se transmettait de génération en génération dans cette région, l’auteur reconnaît sans détour, dès la dédicace qu’il fait à sa

25 J. Roth décrit aussi ce phénomène, notamment dans La Marche de Radetzky. K. Jastal et C. Magris se rejoignent sur ce point. Le critique italien lit dans la représentation de l’éclatement du sujet l’une des constantes de la littérature autrichienne.

ROTH, Joseph, Radetzkymarsch. In: Joseph Roth Werke 5. Romane und Erzählungen 1930-1936.

Herausgegeben und mit einem Nachwort von Fritz Hackert. Köln, Kiepenheuer & Witsch, 1990.

26 WESTPHAL, Bertrand, Czernowitz ou les limites de l‟autobiographie. Neiges d’antan de Gregor von Rezzori, in Gregor von Rezzori. Austriaca n°54, op. cit., p. 147-162.

27 CORBEA-HOISIE, Andrei, „Maghrebinien“ Ŕ ein Gedächtnisort ex negativo, in Gregor von Rezzori.

Austriaca n°54, op. cit., p. 11-24.

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