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L’angoisse existentielle et l’estime de so

L’existence ne peut simplement pas reposer sur la reconnaissance ; il n’y a pas de « je suis reconnu, donc je suis ». La reconnaissance est plutôt une composante morale de la vie en société – suite à Kant. Or, en société, la première chose à connaître est sa propre humanité, sa propre existence. Certes : personne ne peut vivre seul, déconnecté de ses semblables et d’un certain univers de références. C’est là une évidence qui a trait aux conditions de l’existence commune en société. Toutefois, cela ne peut pas signifier – et ne doit pas signifier – qu’un individu ne peut qu’exister par la reconnaissance de ses semblables, au risque de devenir méprisé et invisible existentiellement, ou qu’une nation doit s’appuyer sur une reconnaissance pour exister – peu importe d’où vient la reconnaissance politique. La nation est simplement un substantif à l’intérieur du langage qui se réalise à l’intérieur de discours ; le jugement sur la nation passera par le jugement des propositions s’y rattachant et non par une belle déclaration sur la « reconnaissance de l’existence nationale ».

Il y a dans cette angoisse existentielle propre aux théories de la reconnaissance une position psychologique qui – ironiquement, car c’est la base de la théorie de Honneth – fait penser à une position d’enfantillage. La théorie psychologique de la reconnaissance en arrive à ressembler à l’enfant qui n’existe que par les yeux de ses parents. Encore une fois : cela peut être le cas pour l’enfant, mais pas pour une théorie du social. La connaissance du phénomène – pensée, imaginée ou discutée – fait de la recherche de la reconnaissance une simple quête de confort psychologique. Cette reconnaissance n’équivaudra jamais à un certificat de naissance, comme preuve d’existence pour un phénomène social quelconque. Il faut plutôt envisager les phénomènes – dont la nation – objectivement pour ce qu’ils sont.

Chapitre 5. Le nationalisme comme identité. Le problème de la

logique

Eric Hobsbawm écrivait que « définir une nation par la conscience qu’ont ses membres d’y appartenir est tautologique et ne fournit qu’un guide a posteriori à qui cherche ce qu’est une nation.74 » Les discours contemporains sur la nation insistent en effet souvent non pas tant sur la notion de conscience – qui est davantage issue d’une tradition marxiste –, mais plutôt sur la notion d’identité. L’identité répondrait à l’existence, suivant une conception davantage subjectiviste – selon un raisonnement disant que l’existence nationale repose sur une conscience ou une identité nationale. Plusieurs auteurs ont de ce fait situé le nationalisme par rapport aux notions d’identité et de conscience, s’opposant aux définitions davantage objectives situant la nation dans une énumération de critères. Si nous avons rejeté préalablement l’avenue d’un objectivisme naïf, il ne nous faut pas laisser persister une confusion sur l’aspect subjectif, qui n’est pas selon nous une meilleure option. L’identité comme la reconnaissance se situent tous deux, à l’intérieur d’une pensée sur le nationalisme, dans un a priori de l’existence et, pour reprendre les termes de Hume, ces conceptions « imaginent qu’à tout instant nous sommes intimement conscients de ce que nous appelons notre moi, que nous sentons son existence et sa continuité dans l’existence, et que nous sommes certains, par une évidence plus claire que celle de la démonstration, de sa parfaite identité et de sa parfaite simplicité.75 » Un tel apriorisme de la nation est un non- sens. Nous tenterons ici de critiquer une telle pensée identitaire en nous situant préalablement autour de certains problèmes logiques.

L’identité est sans contredit l’un des thèmes ayant le vent dans les voiles ; les études identitaires s’étendent de l’anthropologie, de la psychologie, de la sociologie à la science politique où la notion se fond dans les plus récentes études sur le multiculturalisme. Au contraire, de cet engouement pour la notion d’identité, il nous semble que penser l’existence du nationalisme à partir de l’identité n’est qu’une impasse intellectuelle ; il est

74 Eric Hobsbawm, Nations et nationalisme depuis 1780. Programme, mythe, réalité, Paris, Gallimard, Folio

histoire, 1992, page 23.

beaucoup trop facile d’attribuer aux identités toutes sortes d’intentions et d’entrer dans des généralisations excessives sur la psychologie des peuples ou des nations. Rudolf Rocker écrivait bien que « Depuis que Hegel, et d’autres penseurs, nous ont fourni des concepts généraux abstraits, cette façon de penser est devenue une mode ; nous nous sommes habitués à spéculer avec des entités psychologiques tandis que la majorité d’entre nous ne soupçonne même pas qu’ils sont devenus les victimes d’hypothèses arbitraires qui ne peuvent mener qu’aux conclusions les plus fausses.76 » La pensée identitaire mène effectivement à des conclusions qui ne correspondent pas à la réalité de par des généralisations excessives.

Nous allons, dans ce chapitre, commencer par explorer certains problèmes reliés à la notion d’identité, en lien entre autres avec la critique qu’en fait Michael Ignatieff77. Ce dernier, comme nous le verrons dans un premier temps, situe l’identité selon deux problèmes de logique, soit : le paralogisme naturaliste et la tautologie. Il nous semble que ces problèmes de logique soulèvent à tout le moins d’intéressantes questions pour le nationalisme. Cela nous permettra, dans un deuxième temps, de brièvement critiquer la généralisation du concept d’identité faite par Ignatieff – ce dernier commettant l’erreur logique d’une induction fallacieuse. Dans un troisième temps, nous lierons la discussion sur l’identité à la question de l’existence nationale, en tentant de limiter l’importance de la notion d’identité pour le nationalisme, en nous appuyant sur les travaux de Paul Ricœur et de Claude Lévi-Strauss. Nous prônerons plutôt, comme nous l’avons fait jusqu’ici, pour une compréhension discursive du phénomène. L’identité nationaliste sera ainsi située successivement selon trois erreurs logiques : le paralogisme naturaliste, la généralisation excessive d’une induction fallacieuse et la tautologie d’une existence différentielle.

76 Rudolf Rocker, Nationalisme et culture, Paris, Éditions libertaires, 2008, p. 484.

77 Certains des propos suivants furent publiés dans : Åsbjørn Melkevik, « Le nationalisme comme l’Eros et le

Thanatos des fédérations. Réflexion critique entre Sigmund Freud et Michael Ignatieff », Federalism-E, Collège militaire royale du Canada en collaboration avec Queen’s University, vol 12, 2011, pp. 6-15.