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L’Administration anglaise dans les Pays de l’Ouest

La gestion des Pays de l’Ouest comprend deux moments distincts : de 1360 à 1362 et de 1362 à 1372. La première période est une période qui nous apparaît comme une période de transition à posteriori. Pendant ces deux années, la région est dirigée par Jean Chandos, nommé lieutenant du roi d’Angleterre en Poitou. Cette gestion est spécifi que, marquée par la personnalité pragmatique et ferme de Jean Chandos. Elle prend fi n en 1362, lorsqu’Edouard III décide d’adjoindre les Pays de l’Ouest récemment conquis au nouvel ensemble politique qu’il est en train de constituer : la principauté d’Aquitaine. Les Pays de l’Ouest, Poitou, Limousin, Angoumois, Saintonge, sont alors réunis et fondus dans cette nouvelle entité. Cet ensemble territorial est politiquement assez novateur. Un homme le gouverne seul : le Prince Noir. Ayant délaissé ses terres anglaises d’origine, ainsi que ses possessions, il s’installe en Aquitaine, et gère la principauté, comme s’il s’agissait d’un royaume à part entière. Il entretient une cour, prend des décisions unilatérales, et donne une orientation personnelle à sa politique sans en référer à son père. La principauté, en elle-même, constitue un retour institutionnel à une réalité passée. C’est une entité territoriale proche des premiers duchés, à cette différence et cette spécifi cité près : le principal feudataire n’est autre que le propre fi ls du roi, ce qui implique des rapports nouveaux.

Les Pays de l’Ouest voient leur statut évoluer au cours de la domination anglaise. Dans un premier temps, lors de l’annexion des territoires dès 1360, on confi e à Jean Chandos ainsi qu’à d’autres membres de l’entourage du Prince Noir deux missions : réorganiser l’administration et maintenir la paix.

L’administration locale est donc conservée en l’état, dans un premier temps, tant au niveau de ses structures qu’au niveau du personnel employé. Les Anglais réutilisent, à leur profi t, une organisation préexistante qui a fait ses preuves. Ils reconduisent dans leurs charges des hommes de confi ance du roi de France, qui passent naturellement d’un souverain à l’autre. Guy de Céris est à ce titre un exemple marquant. En poste à la Rochelle, en tant que sénéchal, en 1360 lorsque les Anglais prennent possession de la ville, il est reconduit dans ses fonctions par Chandos. En effet, il paraît important de maintenir des hommes qui ont une vraie connaissance du terrain et des spécifi cités locales afi n d’assoir l’autorité du nouveau souverain. Certes, quelques membres de l’administration sont remplacés, mais on peut néanmoins constater un maintien quasi-général des hommes en place.

Les Anglais conservent également les structures administratives et les entités territoriales telles qu’elles existaient au niveau local. Les Pays de l’Ouest qui constituent le centre de notre étude sont rassemblés en quatre sénéchaussées : Poitou, Saintonge, Angoumois, Limousin. Cet état de fait dure jusqu’en 1362, moment où la gestion de Jean Chandos prend fi n. Dès lors les territoires de l’Ouest sont intégrés à la nouvelle entité territoriale et administrative créée à l’initiative d’Edouard III et placée sous l’autorité de son fi ls aîné, le Prince Noir : la Principauté d’Aquitaine. Cette principauté, constituée dans un souci de meilleure administration le 19 juillet 1362, couvre alors un tiers de la superfi cie totale de la France. Elle comprend vingt-

quatre évêchés, deux archevêchés et treize sénéchaussées. Elle est centralisée, et même si la structure administrative française est conservée, les hommes, eux, changent. Cette création permet au roi d’Angleterre de mieux gérer son domaine étendu. Il peut aussi utiliser les compétences de son fi ls, homme mûr et d’expérience, qui avait déjà montré ses qualités lors de la Bataille de Poitiers en 1356.

Cette passation de pouvoir et les changements qui en découlent sont souvent invoqués quand il s’agit d’expliquer la perte de l’Aquitaine par les Anglais. Il est ainsi communément admis que si Chandos avait pu continuer à diriger cette entité en lieu et place du Prince Noir, la

Principauté serait restée anglaise1.

La principauté, pour reprendre le mot de David Green est une construction totalement « artifi cielle », contrairement au duché d’Aquitaine :

« The traditionnal « English » duchy of Gascony had formed a linguistic and ethnic unit while

the principality was a wholly artifi cial political construction. »2

La principauté d’Aquitaine rassemblant tous les pays de l’Ouest conquis à la suite de la Bataille de Poitiers en 1356 et accordés par le Traité de Brétigny en 1360, aurait donc constitué un ensemble, certes artifi ciel, mais fonctionnant autour d’une identité « anglo-gasconne ». Cette conception même peut être remise en question car peut-on véritablement affi rmer l’existence d’une mentalité « anglo-gasconne », alors que les territoires de la Principauté rassemblent des identités régionales très différentes ? En effet, la principauté comprend d’une part le Duché d’Aquitaine et d’autre part les territoires conquis lors du Traité de Brétigny. Il y a donc deux entités distinctes : les Pays de l’Ouest et le Duché d’Aquitaine. Les pays de l’Ouest sont gérés depuis 1259, soit par le roi de France soit par certains de ses fi ls et le Duché d’Aquitaine, qui n’a pas quitté le giron « angevin » depuis le mariage d’Aliénor d’Aquitaine et d’Henri II Plantagenêt en 1153. Ce sont donc deux territoires qui ont eu une évolution politique et économique différentes. Même si certaines solidarités se recréent dans les Pays de l’Ouest entre le roi d’Angleterre et ses sujets, peut-on parler de « mentalité anglo-gasconne » ?

Cette mentalité existait pour le Duché3, mais plus difficilement pour la Principauté.

Ce qui est par contre évident, c’est le souhait de constituer un territoire unifi é et centralisé autour de la métropole que constitue Bordeaux, à partir de 1362.

Dans ce but, les Anglais réorganisent complètement l’administration des territoires.

Notre objectif est donc d’étudier les Pays de l’Ouest pendant ces deux moments différents de gestion, tant sous la domination de Chandos, que dans le nouvel ensemble territorial constitué par Edouard III en 1362.

1 Le traditionnel duché anglais de Gascogne formait une unité linguistique et ethnique alors que le principauté était une construction politique artifi cielle. D. Green, Edward The Black Prince : Power in medieval Europe, Londres, Longmann, 2007, p. 84.

2 Ibidem, p. 85.

3 On peut également remettre cette “mentalité anglo-gasconne » en cause, car les Gascons n’hésitent pas à porter leurs appels au Parlement de Paris en 1368, au mépris d’une quelconque solidarité envers leur souverain, dès lors que leur intérêt fi nancier est en jeu.