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II Le traité de Brétigny et son application.

A - Les clauses territoriales et leur formulation.

Le 8 mai 1360, après des mois d’atermoiement, le Traité de paix est signé à Brétigny, entre le roi de France et le roi d’Angleterre. Les clauses territoriales sont extrêmement dures. Le roi de France cède le Poitou, la Saintonge, l’Angoumois, le Limousin, le Quercy, le Rouergue, Tarbes et le Comté de Bigorre, le comté de Ponthieu, le comté de Guines et la ville de Calais en toute souveraineté à Edouard III, à condition qu’il renonce à la couronne de France. Les terres sont tout d’abord énumérées et nommées. Le terme « Pays de l’Ouest » est bel et bien l’appellation la mieux adaptée puisque quatre « païs » sont nommés dans le traité : « Saintonge, Poitou, Limousin, Angolemois », ainsi que le montre cet extrait : « 1 - La citée, le chastel et la comté de Poictiers, et toute la terre et le pais de Poitou, esamble le fi ez de Thouart et la terre de Belleville ; La citée et le chastel de Xainctes et toute la terre et le pais de Xainctonge, par deçà et par delà la Charente, […] La citée et le chastel d’Angolesme et la conté, la terre et le pais d’Angolemois […] » Toutes les sénéchaussées et le « païs » sont mentionnés : Poitiers, Saintes, Limoges et Angoulesme29. Les terres de Belleville et de Thouars sont mentionnées individuellement car il s’agit de suppléments rajoutés aux ensembles territoriaux déjà constitués des sénéchaussées. Les îles apparaissent ensuite, dans le paragraphe 6 : les îles d’Yeu, de Ré, d’Oléron, et d’Aix30. Les conditions de transfert des terres portent aussi la trace d’une pression permanente des Anglais sur le territoire. On a vu souvent que ces derniers, sans avoir offi ciellement l’autorité sur un territoire, s’emparaient de terres, sans tenir aucun compte de la nécessité d’une offi cialisation ou non de leur possession. Présents dans une région, ils s’y conduisent en maîtres. Face à cette réalité, il faut donc traiter des aliénations illégales, qui font donc l’objet d’un paragraphe complet du traité. Nous avons ainsi pu constater que la politique de dons et de contredons est un moyen effi cace utilisé par les deux rois. Ils s’assurent ponctuellement des soutiens, stabilisent des hommes à leur service, dans une région…On peut néanmoins s’interroger sur la valeur de ces dons, et sur leur pérennité, dans un moment plus que critique, entre conquête et reconquête. Il faut donc modérer la portée des dons et des contredons et revoir cette politique à l’aune de ce qui est notamment précisé dans le traité31 : « 11 – et ce les dictes alienacions ont esté faites aus Rois de France, qui ont esté pour le temps, sanz aucun moien, et le Roy de Franceles tiegne à présent en sa main, il les lessera au Roy d’Angleterre entirement ; excepté que, se les Roys de France les ont euz par eschange à autres terres ; le roy d’Angleterre delivrera au Roy de France ce que on en a eu par eschange, ou il lui laissera les choses ainsi aliénées. […] ». La question de la fi délité des peuples envers leur souverain est aussi posée. Le « sens de la patrie » ou le « sentiment national » est totalement absent. Au contraire, il est réaffi rmé que personne ne doit être inquiété pour des faits passés : « 24 - Item est accordé que nul homme, ne pais, qui ait esté en l’obéissance d’une partie, et vendra par cest accort à l’obeissance de l’aultre partie ne soit empeschié pour chose faite ou temps passé […]tous deux ensamble feront leur pouvoir de recouvrer les chasteaux, villes et forteresses dessus dictes, et que toute obeissance et accomplissement soit fait es traictiés dessus diz […]»

29 E. Cosneau, op. cit. , p. 40.

30 « 6 - Item est accordé que le roi d’Angleterre et ses hoirs auront et tendront toutes les isles adjacentes aus terres, pais et lieux avant nommez, ensamble avecque toutes les autres isles, les quelx le dit Roy d’Angleterre tient à présent. » E. Cosneau, op. cit. , p. 43.

Le transfert est total et « nul homme ne doit être empeschié pour chose faite au temps passé »32. Le traité est donc assez explicite sur ce point ; toute brimade pour des faits s’étant déroulés dans le passé ou toute condamnation est à éviter à tout prix : ceci explique les politiques d’apaisement d’abord du roi d’Angleterre et ensuite de Jean de Berry même, pour éviter des représailles. Le succès du transfert de souveraineté est à ce prix. Le poids des soldats anglais sur le pays est suffi samment lourd pour vouloir éviter de diviser une population déjà durement éprouvée. Dans le même état d’esprit, toutes les libertés sont confi rmées par le nouveau pouvoir. On peut voir ici l’expression d’une tradition féodale. Le roi d’Angleterre est censé agir comme tout nouveau souverain entrant en fonction : il doit confi rmer toutes les institutions urbaines ou ecclésiastiques dans leurs différents droits et prérogatives33 : « 21 - Item, que toutes les terres, pais, villes, chasteaux et autres lieux bailliez aus diz Rois seront en teles libertez et franchises comme elles sont à present, et seront ce fermez par les diz seigneurs Rois, ou par les successeurs, ou par chacun d’eulx, toutes les foiz qu’il en seront sur ce deuement requis, se contraires m’estoient à ce présent accord […] ». Pourtant, cette obligation ne fait l’objet d’aucune obligation offi cielle dans le traité et est laissée à l’appréciation du roi, et à la demande éventuelle de ses sujets. Le roi d’Angleterre, ne laisse pas à ses sujets la possibilité de venir à lui, mais lors des différents moments de prise de possession, il confi rme dans leurs droits et libertés toutes les villes et les établissements religieux.

La dernière condition « sine qua non » est la livraison de la rançon ainsi que la livraison de la ville de La Rochelle. Cette dernière, plus que Poitiers, représente un avantage certain pour le nouveau souverain. C’est le port principal de la côte ouest, parce qu’il pratique à la fois le commerce du sel et du vin, ce qui en fait une place incontournable34 : « 14 – Item est accordé que par paiant les diz siz cens mille escuz à Calais, et par baillant les hostages ci dessouz nommez et delivrant au Roi d’Angleterre, dedans les quatre moys, à compter depuis que le Roy de France sera venuz à Calais, comme dit est, la ville, le chastel et les forteresses de La Rochelle, et les chasteaux, forteresces et villes de la conté de Guines, avec toutes les appartenances et appendances, la personne du dit Roi sera délivrée de prison ; et pourra partir franchement de Calais et venir en son povoir, sanz aucun empeschement […] ».

Le fait que La Rochelle fasse l’objet d’un article à part entière du traité, démontre son importance fondamentale dans la négociation. En effet, sans reddition de la ville, le roi de France ne peut être délivré35.

32 E. Cosneau, op. cit. , p. 56. 33 E. Cosneau, op. cit. , p. 55. 34 E. Cosneau, op. cit. p. 47-48.

35 « Jehan par la Grace de Dieu roy de France. A tous ceulx qui ces presentes verront salut. Savoir faisons que comme dasn la fourme de la paix nouvellement faite et reformée entre nous et nostre tres chier frer le roy d’Angleterre, nous lui ayons octroyé octoyé, accordé, et promis à lui baillier, delivrer, et delaissier la ville e tles forteresses de la Rochelle avec les appartenances entres les autres choses et pour seurté de ce faire lui ayons donné nos lesttres en certaine fourme et aucuns hostages ; nous pour plus grant seurté lui avons promis et promettons loyaument en bonne foy, sans fraude et sans mal engin que dedans un mois prouchain ensuiant après nostre partement de Calais et nous baillerons, delivrerons, et delaisserons, ou ferons baillier et delivrer a nostredit frere d’Angleterre lesdites villes, forteresses et appartenances paisiblement ou ç son mandement ; ou que dedans un autre mois prouchain après enfuiant nous lui rendrons en hostage Philippe nostre tres chier fi ls en la ville de Calais pour y demourer en hostage jusques à tant que nous ayons baillié et délivré à nostre dit frer ou son mandement lesdites villes, forteresses et appartenances […] » Thesaurus Novus Anecdotorum, op. cit. col. 1449-1462.

B - Les modalités d’application.

La souveraineté transférée est totale. Il s’agit de mettre fi n aux confl its générés par cette situation d’imbrication féodale inextricable, ayant en partie causé la guerre. Suivant les termes du traité, les lieux « gagnés » par le roi d’Angleterre le sont donc en pleine souveraineté. Les délais de transmission sont très limités pour un territoire aussi vaste. Le fait que le roi doive en personne prendre possession de ces territoires ne simplifi e pas la démarche et ne rend pas les délais de transmission réalistes36 : « 26 – Item est accordé que le Roi de France delivrera au Roi d’Angleterre, au plutost qu’il pourra bonnement et doura, et au plus tard dedans un an prouchain après son departir de Calais, toutes les citeez, villes, pais et autres lieux dessus nommez, qui par ce present traictié doivent estre bailleez au Roi d’Angleterre […] » . Les hommages doivent être reçus dans toutes les circonscriptions administratives par le roi d’Angleterre ou ses représentants, ce qui complique le processus. La formulation du traité ne laisse aucune zone d’ombre quant au transfert total des compétences et des territoires. La prise de possession du roi d’Angleterre met tous ces territoires sous son autorité, sans aucune restriction, et constitue une perte territoriale sans précédent, ainsi qu’une perte de souveraineté inégalée pour le roi de France. Tous « les honneurs, les obediences, les hommages, les ligeances », …sont accordées aux Anglais37. Le roi de France n’existe plus dans ces territoires. On comprend mieux la facilité de certains de passer d’un roi à l’autre ; ils agissent avec un certain opportunisme, teinté de réalisme. N’étant plus sous l’autorité du roi de France, quel choix reste-t-il sinon celui de se soumettre au nouveau souverain ?

36 E. Cosneau, op. cit, 57.

37 Cet article est présent deux fois dans le traité, au pargraphe 7 et 11 « 7 – Item, est accordé que le Roy de France et son ainsnez fi lz, le régent, […] au plustost que se pourra faire, sanz mal engin et, au plus tart, dedanz la Sainct Michiel prochain venant , en un an, rendront et bailleront au dit Roi d’Angleterre et à tous se hoirs et successeurs et transporteront en eulx tous les honneurs, obediences, hommages, ligeances, vassaulx, fi ez, services, recognoissances, seremens, droitures, mere et mixte imper et toutes manieres de jurisdictions hautes et basses […] » Cosneau, op. cit. , p. 42 et 44.