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La trêve conclue entre Edouard III et le roi de France en 1347 devait prendre fi n le 24 juin 1355. Face à cette échéance, Edouard III avait proposé dans un premier temps à Philippe VI, puis

ensuite à Jean II1, une éventuelle possibilité de règlement du confl it. L’objectif d’Edouard était

d’obtenir la souveraineté totale sur ses terres du « continent ». Nous avons vu précédemment que la nature même de la domination des rois d’Angleterre, sur leurs possessions françaises, est la pierre d’achoppement du confl it. Lors du traité de 1259, l’abandon de cette souveraineté a généré tous les confl its, entre les deux pays, de l’accrochage bénin à l’affrontement véritable, et ce de la moitié du XIIIe siècle au XIVe siècle. En effet, cette souveraineté partielle a été à l‘origine d’une inextricable superposition des responsabilités et d’un enchevêtrement des liens féodaux. Jean II se montre tout d’abord conciliant et prêt au dialogue. Un projet de traité de paix est même rédigé en 1354. On voit, dans la relation qu’en fait Robert de Avesbury, que les deux sujets du confl it à savoir la souveraineté totale sur les terres d’Aquitaine et l’absence de

nécessité d’hommage, sont au centre des négociations2. A la suite de ces tractations, la trêve

est prolongée d’un an. Jean II et Edouard III envoient donc des ambassadeurs auprès du pape Innocent VI dans le but de fi naliser leurs discussions. Mais, les envoyés de Jean II refusent fi nalement les termes de l’accord. Face au refus de Jean II de ratifi er l’accord négocié à Calais, le roi Edouard rappelle ses émissaires en Avignon, Guillaume, évêque de Norwich, et Michael,

évêque de Londres3. Il renvoie aussi les représentants du Pape, l’évêque de Carpentras et

l’abbé de Cluny, en arguant du fait que le roi de France a toujours profi té des trêves pour perpétuer des abus contre ses sujets. Dans le même temps, il commence les préparatifs de

campagne4. Deux mois après la rupture des négociations de paix, une série d’hostilités menées

1 On voit ici que l’argument dynastique n’en est pas un. Même si Edouard dans sa titulature, utilise souvent le titre de « roi de France », ses « revendications dynastiques » tardives ne sont qu’un leurre, destiné à effrayer encore plus un adversaire déjà mis à mal. Néanmoins, le point de vue dâté de et partisan de Lingard est intéressant : Edouard III y apparaît comme un homme soucieux de ses droits et de celui de ses peuples, de bonne foi et prêt au dialogue : « Edouard était revenu de ses rêves d’ambition. Convaincu par l’expérience que la couronne de France était hors de sa portée, il offrit de renoncer à ses prétentions en échange de la souveraineté des provinces qu’il tenait comme vassal de son propre chef et du chef de sa femme. Philippe rejeta la proposition avec mépris. Jean son fi ls et successeur, se montra disposé à l’accepter ; peut-être n’était-ce qu’une feinte. »

J. Lingard (traduction de Léon de Wailly) Histoire de l’Angleterre, tome 2, Paris, 1864, p. 198.

2 T. Rymer, op. cit. , t. III, p. I, p. 283/ “Anno gratiae millesimo CCCIIICLIIIIic post Pascha, inter magnates regnorum Angliae et Franciae habito pacis tractatu propter Caleys, concordatum fuit inter partes in certam pacis formam, quae fuit, ut dicebatur, quod rex Anglorum habuisset integrum ducatum Aquitanniae sibi et heredibus suis, imperpetuum libere et quiete, sine homagio euiquam regi Franciae faciendo, [. . . ]. Et eodem tempore inter dicta regna captae sunt treugae usque festum sancti Johannis baptistae, [. . . ]. »Robertus de Avesbury, op. cit, p. 421. Le Baker de Swinbroke offre un point de vue quasi identique, op. cit. , p. 224.

3 « Anno praedicto, circiter festum Nativitatis Domini, Avinoniae, coram papa per nobiles dominos, dominum Henricum ducem Lancastriae et Johannem comitem Arundelliae, necnon Willemum episcopum Norwycensem, et Michaelem tunc Londoniensem episcopum, praesentibus tunc ibidem nuciis per Regeme Franciae Johannem ad hoc missis, dicta pacis forma recitata, nuncii praedicti Francigeni ipsam pacis formam negarunt omnino, dicentes sic non fuisse condictum, nec se velle hujusmodi paci quomodolibet consentire. Tunc, dicto episcopo Norwycensi ibidem morte praevento, ceteri nuncii Anglici, infecto negocio, in Angliam sunt reversi. » Robert de Avesbury, op. cit. , p. 421.

4 […]Les prélâts et les barons d’Angleterre envoyèrent à la cour d’Innocent VI leurs procureurs avec les pleins pouvoirs ; mais ceux de France déclarèrent qu’ils ne souffriraient jamais que leur roi cédât une souveraineté qui était le plus beau fl euron de la couronne de France. Edouard se plaignit de la mauvaise foi de son adversaire : l’indignation le poussa de nouveau aux armes […] », John Lingard (traduction de Léon de Wailly), Histoire de

en Languedoc par le comte Jean d’Armagnac, lieutenant du roi de France dans cette région

depuis 13525, renforce l’hostilité d’Edouard III6.

Face à ces multiples attaques, qui sont autant de provocations et de tentatives de déstabilisation,

les seigneurs gascons font appel à leur roi7, et envoient une délégation à Londres, sous la

direction du Captal de Buch8 :

« Et à ce temps vint de Gascoigne Le Captal, n’est pas mençoigne, Qui moult estoit vaillant et preus, Moult hardis et moult corageus Et moult amez de toute gent. »

Une intervention est programmée. Les objectifs de cette chevauchée sont doubles : détourner

une partie des forces de Jean II pendant l’attaque de la Normandie9 menée par Edouard III,

ainsi que répondre à l’appel des seigneurs gascons.

Dans les premiers mois de 1355, de nombreux préparatifs de guerre sont mis en place par les deux camps :

« Anno 1355, regni Edwardi 29, ipso rege versus Franciam circa Sandwicum, et principe Walliae versus Aquitaniam apud Suttonam in Devonia ventum prosperum expectantibus per amplius quam quadraginta dies, [. . . ], coronatus Francorum habuit suos exercitus divisos

super portus Normanniae [. . . ]» 10

Le comte d’Armagnac menace clairement les partisans du roi d’Angleterre. Le prince Noir est designé par Edouard III pour mener l’intervention anglaise. Il semblerait que ce choix ait été fait à la suite de la demande formulée par le Captal de Buch. De plus, Edouard III ne pouvant

envoyer un autre de ses fi ls, il choisit le Prince Noir11 :

« Un jour il dist au roy, son piere, Et à la roïgne, sa miere :

« Sire, fait-il, pur Dieu mercy Vous savez bien qu’il est ensy Luy noble chivaler vaillant

l’Angleterre, tome 2, Paris, 1864, p. 198. Le point de vue d’Edouard retranscrit par Lingard est bien évidemment partisan. Edouard III semble facilement oublier le poids que ses troupes font peser sur les régions françaises de l’Ouest depuis 1346, et encore après l’établissement des trêves. Voir chapitre Mercenaires.

5 Dom Vaissette, Histoire du Languedoc, t. IX, p. 640.

6 Selon l’énumération de Moisan, le comte d’Armagnac multiplie les actions et les provocations : commençant son action en novembre 1352, par le siège de Saint-Antonin-Noble-Val, il sillonne l’Agenais, le Rouergue, le Quercy : Clairac, Fenayrols, Monsempron-Libos, Beauville, Bonneville, Montfort, Frespech, sont repris aux Anglais entre 1352 et 1354. J. Moisant, Le Prince Noir en Aquitaine, 1894, réed. , Monein, PyréMonde/ PrinciNegue, 2003, p. 34, notes 4 à 11.

7 T. Rymer, op. cit. , t. III, p. I, p. 276.

8 Héraut Chandos, op. cit. , vers 524 à 527, p. 34.

9 Chronique Normande du XIVe siècle, p. 109-110. / « Au mois d’octobre suivant, le roi d’Angleterre vint débarquer à Calais, qui lui appartenoit alors, et s’avança sur les terres de France jusquà Hédin ; et le roi marcha de ce côté-là à la tête d’une armée : mais à son approche, l’Anglois reprit la route de Calais, où il rembarqua D. -F. Secousse, Mémoires pour servir à lHistoire de Charles II, roi de Navarre et comte d’Evreux, surnommé le Mauvais, Paris, 1748, t. 1, p. 62.

10 T. Rymer , op. cit. , t III, pars I, p. 276/ Le Baker de Swinbroke, op. cit. , p. 222. 11 12 Héraut Chandos, op. cit. , vers 531 à 544, p. 35.

Qu’ils ont graunt payne pur la guerre Et pur le votre honour conquere ; Et si n’ount point de chieftayne De votre sang, c’est de certaine. Et pur ce, si bon le trovez

En votre conseill que faissiez Envoier là un de vos fi ltz, Ils en seroient plus hardys. »

Ce dernier serait accompagné des Comtes de Warwick, de Suffolk, de Salisbury, d’Oxford, des lords John de Lisle et Reginald Cobham, de sir James Audley et de sir John Chandos. Ces

capitaines recrutent leurs retenues à partir du 27 avril 135512. La force globale anglaise n’excède

pas 2600 hommes, car l’objectif était de constituer un noyau fort de troupes à compléter avec

des Gascons13, dont on attendait beaucoup, étant donné que c’était à leur demande que le

Prince Noir intervenait. Après le recrutement, l’envoi des bateaux bayonnais stationnés dans les ports anglais de Portsmouth et Southampton connait un retard dû à de mauvaises conditions

de navigation. Le 9 septembre 1355, ils atteignent fi nalement Bordeaux14 : l’escadre est

conséquente, ainsi que le montre Herbert Hewitt, à travers l’étude des registres du Prince Noir. Ce dernier embarque sur le Christofre, dont le maître et l’équipage reçoivent une dotation particulière. La trêve, déjà si mal respectée, prend alors véritablement fi n.

12 Héraut Chandos, op. cit. , p. 35

13 Rymer, op. cit. , t. III, p. I, p. 302, 307, 309, 310, 323 , 325, 298, 299.

14 John Clerk, maître de la dite nef, reçoit 10 livres en supplément pour avoir transporté le Prince. “ List C : between March and May 1355, the following masters were authorized to impress men to sail their ships and the copies of their commissions are enrolled in the French Rolls. In the fi rst sip in this list, the prince himself sailed. Master : John Clerk, Ship : the Christofre, Mariners : 100. ”. H. J. Hewitt, The Black Prince’s expedition, Manchester, Manchester University Press, 1958, réed. Barnsley, Pen and sword books, 2004, p. 40-42. / Prestation de serment d’Edouard, fi ls d’Edouard III, comme lieutenant du roi en Guyenne, texte n° XLVI, dans H. -A. Barckhausen, Archives Municipales de Bordeaux, t. V, livre des Coutumes, Bordeaux, G. Gounouilhou, 1890, p. 439