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Section I. La protection des droits des justiciables pénaux à l’épreuve des fondements de la norme « objet » du contrôle de constitutionnalité a posterior

A) L’adhésion à un type de contrôle de constitutionnalité a posterior

30. La pluralité et l’exclusivité de compétence(s) des juges constitutionnels en matière de contrôle de constitutionnalité a posteriori au Canada et en France.

Les divergences entre les systèmes de justice constitutionnelle canadien et français s’accusent, à plus forte raison, au regard du type de contrôle de constitutionnalité a

posteriori auquel adhèrent, de part et d’autre de l’Atlantique, les juges

constitutionnels. Plus exactement, si une multitude de juges canadiens sont compétents pour contrôler la constitutionnalité des lois a posteriori (1), seul le Conseil constitutionnel détient l’exclusivité afin de vérifier la constitutionnalité des dispositions au regard du bloc de constitutionnalité (2).

1) La compétence dispersée des juges canadiens en matière de contrôle de constitutionnalité a posteriori

31. La contestation constitutionnelle : les juges canadiens compétents. Par

l’expression contrôle diffus de constitutionnalité des lois pénales a posteriori, il faut entendre que de multiples juges sont compétents pour trancher la question de constitutionnalité. L’exercice du contrôle de constitutionnalité des lois pénales a

posteriori n’est cependant pas conféré à « tout » juge. À cet égard, la Cour suprême

du Canada, dans l’arrêt Seaboyer153, a décidé à l’unanimité qu’un juge de paix

chargé d’une enquête préliminaire ne peut déclarer inconstitutionnelle une disposition portant sur la preuve, en l’espèce les articles 276 et 277 du Code criminel qui limitent l’admissibilité d’une preuve du comportement sexuel du plaignant d’un crime sexuel. La juge McLachlin, au nom d’une Cour unanime, justifie cette

153 R. c. Seaboyer, [1991], 2 RCS 577 ; comm. A.-M. BOISVERT, « R.c. Seaboyer : au-delà du droit de la preuve», 1992, 37 RD McGill, 1110-1134 ; v. comm. F. HOULE, « L'innocence à tout prix! L'affaire Seaboyer à la Cour suprême du Canada. », (1992) 5 Rev. Femmes & D. 179-201.

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exclusion de compétence d’abord, au regard des tâches spécifiques dévolues au juge de paix. Se bornant principalement à déterminer la suffisance d’une preuve pour justifier un renvoi à un procès sur « les règles de preuve existante »154, la vérification

de la constitutionnalité des lois pénales, à ce stade de la procédure, ne se justifie pas. Au surplus, si le juge de paix peut rendre des décisions en matière de preuve, celles- ci ne produisent aucun effet sur l’issue du procès pénal ni même sur la déclaration de culpabilité ou d’innocence de l’accusé. Par conséquent, à ce stade de la procédure, la résolution de la contestation constitutionnelle ne produirait aucune incidence sur la protection des droits de l’accusé. Ensuite, c’est au regard des principes directeurs du procès pénal que la Cour suprême du Canada estime préférable de laisser le soin au juge du procès de statuer sur les contestations constitutionnelles fondées sur la

Charte. En effet, dans la mesure où les décisions rendues par le juge de paix peuvent

faire l’objet d’un « appel interlocutoire »155, le déroulement du procès pénal s’en

trouverait retardé et la célérité de la procédure compromise.

Hormis ces quelques exceptions, les juges canadiens pratiquent un contrôle diffus de constitutionnalité des lois pénales. Cette spécificité de la justice constitutionnelle canadienne s’explique dans une large partie par la structure fédérale du pays.

32. Le lien entre la structure fédérale du Canada et le contrôle diffus de constitutionnalité. Plus qu’un choix délibéré du Constituant canadien, le contrôle

diffus de constitutionnalité des lois pénales a posteriori s’impose naturellement au Canada compte tenu de l’organisation de la structure étatique du pays. En effet, le système judiciaire actuel puise ses origines dans la tradition britannique156 et, plus

précisément, dans la supériorité du droit britannique impérial sur les droits des colonies canadiennes qui prévalait d’antan157. Suite à la défaite du Canada face à

l’Angleterre lors de la Guerre de Sept Ans, le Canada d’alors, ou Nouvelle-France, vécut sous le régime britannique et ce, jusqu’en 1982. Sous ce régime britannique qui s’étale de 1760 à 1931, le Canada était donc sous la tutelle de la Couronne

154 R. c. Seaboyer, [1991], 2 RCS 577. 155 R. c. Seaboyer, [1991], 2 RCS 577.

156 F. HENAULT, P. TAILLON, « Des faits décisifs ! Le caractère concret du contrôle de constitutionnalité au Québec et au Canada », Pluralisme des garanties et des juges et droits fondamentaux. Les droits culturels, op. cit., p. 26 et s.

157 Statut de Westminster de 1931, 22 George V, R.-U., c. 4, art. 2, 4 et 7 ; Loi sur la validité des lois coloniales, 28-29 Vict., c. 63 (R.- U.), dans Statutes at Larges, vol. XXVII (1866), pp. 72-73.

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britannique158. Dans cette optique, et selon la Loi de 1865 sur la validité des lois des

colonies, toutes les lois des colonies du Canada devaient respecter la loi de l’Empire britannique à savoir la Loi constitutionnelle de 1867 sur le Canada. Par conséquent, toute loi d’une colonie qui était contraire aux dispositions de la loi de l’Empire britannique était nulle et inopérante159. S’ensuit alors une première forme de

contrôle diffus de constitutionnalité des lois devant assurer la conformité des lois rédigées par les parlementaires canadiens aux normes supérieures issues du droit britannique. Ce contrôle diffus de constitutionnalité des lois se maintint malgré l’indépendance politique acquise par le Canada en 1931 par le Statut de Westminster. Les tribunaux canadiens continuèrent d’exiger du législateur canadien qu’il respecte les règles posées par le législateur impérial britannique pour l’organisation du Canada entre 1867 et 1930. Sous ce régime britannique, un certain fédéralisme de fait prit progressivement naissance, confèrant alors les caractéristiques actuelles du système judiciaire canadien. Si une première forme de fédéralisme survînt avec la

Proclamation royale du 7 octobre 1763 à travers laquelle le Canada acquit

progressivement une autonomie interne, ce n’est qu’en 1791, que la forme fédérative de l’ancienne colonie britannique s’affirma et que le Haut-Canada et le Bas-Canada (Ontario et Québec) furent départagés par l’Acte constitutionnel160. La création

d’une union fédérale par la Loi constitutionnelle de 1867 l’intensifia. En effet, la Constitution de 1867 consacre pour la première fois le caractère véritablement fédéraliste du Canada. Le Canada, État fédéral, se définit désormais comme un « État où le pouvoir central et les pouvoirs régionaux sont souverains, chacun dans sa sphère respective, et où l’action de ces pouvoirs est coordonnée », selon la définition donnée par le constitutionnaliste britannique K.C Wheare161. Cette répartition des

pouvoirs législatifs par la Constitution a naturellement renforcé le contrôle diffus de constitutionnalité a posteriori. Reste qu’à cette date, le Canada demeure toujours sous la tutelle de la Couronne britannique. En effet, le Canada ne deviendra maître de sa Constitution qu’en 1982, lorsque le Parlement de Westminster aura abdiqué tout pouvoir sur le Canada. Il convient enfin de souligner que l’avènement de la

Charte canadienne des droits et libertés en 1982, a pu représenter un « fait

158 G. BEAUDOIN, La Constitution du Canada. Institutions ; Partage des pouvoirs ; Droits et libertés ; éd. Wilson & LaFleur, 1990, p. 6 et s.

159 Ibidem. p. 162 et s. 160 Ibidem. p. 5 et s.

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accélérateur » du pouvoir d’intervention judiciaire et par voie de conséquence du contrôle a posteriori compte tenu surtout de l’ajout de la Charte canadienne des

droits et libertés dans la Constitution. Dès lors, comme le fait remarquer le juge

Lamer dans le Renvoi sur la Motor Vehicle Act de la C.-B162 : « Les éléments

vraiment nouveaux de la Loi constitutionnelle de 1982 tiennent à ce qu'elle a sanctionné le processus de décision constitutionnelle et en a étendu la portée de manière à englober un plus grand nombre de valeurs. Le contenu de la loi a toujours été examiné dans les décisions constitutionnelles. On doit maintenant prêter la même attention au contenu en ce qui concerne les nouvelles questions constitutionnelles. En réalité, les valeurs sur lesquelles peuvent porter les décisions constitutionnelles ont trait maintenant aux droits des particuliers tout autant qu'au partage des pouvoirs entre gouvernements. En bref, c'est la portée des décisions constitutionnelles qui a été modifiée plutôt que leur nature, du moins pour ce qui est du droit d'examiner le contenu de la loi. ». En définitive, si le contrôle concret et diffus de constitutionnalité

a posteriori au Canada représente un legs issu de la tradition anglaise, la conception

« abstraite » du contrôle a posteriori résulte davantage d’un choix délibéré du Constituant français.

2) La compétence exclusive du Conseil constitutionnel en matière de contrôle de constitutionnalité a posteriori

33. La contestation constitutionnelle : la compétence exclusive du Conseil constitutionnel en France. Le modèle canadien de justice constitutionnelle

implique que l’ensemble des juridictions sont habilitées à exercer le contrôle de constitutionnalité des lois : il s’agit d’un contrôle diffus163. À l’inverse, dans le

modèle européen, la mission de garantir le respect par les lois de la Constitution se trouve exclusivement entre les mains des cours constitutionnelles : c’est un contrôle concentré164. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir proposé d’ouvrir la saisine aux

162 Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.-B.), [1985] 2 RCS 486, §. 13.

163 P. TAILLON, F. HENAULT, « Des faits décisifs ! Le caractère concret du contrôle de constitutionnalité au Québec et au Canada », Pluralisme des garanties et des juges et droits fondamentaux. Les droits culturels, op.cit., p. 25.

164 H. KELSEN, « La garantie juridictionnelle de la Constitution (La justice constitutionnelle) », RDP, 1928, pp. 197-257.

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cours suprêmes de l’ordre judiciaire et administratif, voire à tous les tribunaux165. En définitive, le Constituant français a entendu adhérer à un type concentré de contrôle de constitutionnalité des lois. Il s’ensuit qu’il revient exclusivement au Conseil constitutionnel d’assurer la sanction des méconnaissances de la Constitution par les organes de l’État, au premier rang desquels figure le législateur. Par conséquent, du fait du type concentré du contrôle a posteriori, lorsqu’un problème relatif à la constitutionnalité d’une loi se pose devant le juge ordinaire, ou bien devant la Cour de cassation, ces derniers ne peuvent le résoudre eux-mêmes par le biais d’une exception d’inconstitutionnalité. Il s’agit-là d’une spécificité procédurale qui accuse une nouvelle fois la différence des systèmes de contrôle a posteriori entre la France et le Canada. L’étude comparative révèle, en outre, l’existence de deux types de recours en inconstitutionnalité propres à chaque pays.

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