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Section I. La protection des droits des justiciables pénaux à l’épreuve des fondements de la norme « objet » du contrôle de constitutionnalité a posterior

B) L’adhésion à un type de recours en inconstitutionnalité

34. De l’exclusion à la justification de certains recours en inconstitutionnalité en France et au Canada. Outre-Atlantique, plusieurs recours en inconstitutionnalité

existent. Toutefois, il convient d’en écarter certains du champ d’étude dans la mesure où ils demeurent trop éloignés de la question prioritaire de constitutionnalité (1). En définitive, le caractère incident justifie la comparaison entre la question prioritaire de constitutionnalité et l’exception d’inconstitutionnalité canadienne (2). Cependant, force est de constater que le caractère multiforme du contentieux constitutionnel canadien autorise l’invocation de plusieurs moyens d’inconstitutionnalité au sein même de l’exception d’inconstitutionnalité canadienne.

165 H. KELSEN, « La garantie juridictionnelle de la Constitution (La justice constitutionnelle) », RDP, 1928, p. 246.

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1) La justification de l’exclusion de certains recours en inconstitutionnalité au Canada au regard de la question prioritaire de constitutionnalité

35. La différence procédurale entre l’exception d’inconstitutionnalité et la question de constitutionnalité. Le contrôle de constitutionnalité des lois a posteriori en

France et au Canada s’effectue par l’intermédiaire de deux types de recours en inconstitutionnalité spécifiques. Au Canada, le moyen d’inconstitutionnalité peut être assimilé à un mécanisme « d’exception d’inconstitutionnalité »166 en ce que tout

juge dans le cadre du procès pénal peut trancher la contestation constitutionnelle. En revanche, le mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité se rapproche davantage du mécanisme de la « question préjudicielle »167 puisque le juge pénal

saisi du moyen d’inconstitutionnalité est obligé de transmettre la question de constitutionnalité au juge constitutionnel dès lors que les conditions sont remplies. Il ne peut pas lui-même trancher. Il peut et doit appliquer les décisions et interprétations du Conseil constitutionnel, mais n’a aucun pouvoir de décision en matière constitutionnelle. Cette divergence renvoie à la distinction qui existe, en droit procédural, entre la « technique de la question » et la « technique de l’exception »168. La première technique à laquelle peut être rattachée la question prioritaire de constitutionnalité correspond à l’hypothèse où la contestation constitutionnelle ne peut pas être résolue par le juge qui en est saisi et se trouve contraint de renvoyer la question constitutionnelle au juge compétent, en l’occurrence le Conseil constitutionnel. Dans cette hypothèse, le juge de l’action

166 G. BEAUDOIN, La Constitution du Canada. Institutions. Partage des pouvoirs. Droits et libertés, op. cit., p. 167 et s. ; T.-S. RENOUX, La question prioritaire de constitutionnalité. Principes généraux, pratique et droit du

contentieux, (sous la dir. X. MAGNON), 2e éd., 2013, LexisNexis, pp. 10-11.

167 X. PHILIPPE, « Brèves réflexions sur la question prioritaire de constitutionnalité dans une perspective comparatiste – Le juge a quo : Juge du filtre ou « Juge constitutionnel négatif » ? », in La question prioritaire de

constitutionnalité. Approche de droit comparé., op. cit., p. 106 ; P. BON, « Les conditions de recevabilité de la question préjudicielle de constitutionnalité en droit comparé » in La question prioritaire de constitutionnalité.

Approche de droit comparé, op. cit., p. 33 et s. ; B. DE LAMY, « Proposition de réforme : vers une question préjudicielle d'inconstitutionnalité ? », RSC, 2008, p. 130 ; D. ROUSSEAU, La question préjudicielle de constitutionnalité : un big bang juridictionnel, RDP, 2009, p. 631 ; X. MAGNON, La question prioritaire de constitutionnalité est-elle une « question préjudicielle »?, AJDA, 2015, p. 254 ; E. LAFERRIERE, Traité de la

juridiction administrative et des recours contentieux, t. 1, 2e éd., Berger-Levraut et Cie, 1896, p. 492 et s. ; G. CASU, Le renvoi préalable. Essai sur l’unification préjudicielle de l’interprétation, thèse, Lyon III, 2013, dactyl., 527 p. ; S. FATAL, Recherche sur la catégorie juridique des questions préjudicielles, thèse, Montpellier, 2014, dactyl., 494 p.

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n’est donc pas le juge de l’exception. En revanche, lorsque la technique de l’exception est mise en œuvre afin de résoudre la contestation constitutionnelle, le juge de l’action devient juge de l’exception dans la mesure où celui-ci détient les compétences pour résoudre la contestation constitutionnelle sans qu’il soit nécessaire de renvoyer ladite contestation à un autre juge. Cette hypothèse est donc celle qui se présente au Canada et qui retiendra notre attention. En sus, outre- Atlantique, le contentieux constitutionnel est multiforme.

36. La présentation des différents recours en inconstitutionnalité au Canada. Au

Canada, la mise en cause de la constitutionnalité d’une loi pénale peut s’effectuer à travers trois principaux moyens169 d’inconstitutionnalité. Il s’agit de l’action

déclaratoire en inconstitutionnalité, la demande d’opinion consultative et l’exception d’inconstitutionnalité telle que nous l’avons définie précédemment. Seule l’exception d’inconstitutionnalité nourrira l’étude comparative. En effet, tant l’étude de l’action déclaratoire en inconstitutionnalité que celle de la demande d’opinion consultative sont trop éloignées de l’analyse de la question prioritaire de constitutionnalité française. L’action déclaratoire en inconstitutionnalité est ouverte à tout citoyen qui souhaite contester directement (et non seulement en défense) l’inconstitutionnalité d’une loi. Le locus standis pour l’action déclaratoire en inconstitutionnalité a été établi dans l’affaire Borowski170. En l’espèce, le juge

Martland, au nom de la majorité de la Cour suprême, a ainsi précisé « (…) il suffit qu’une personne démontre qu’elle est directement touchée et qu’elle a, à titre de citoyen, un intérêt véritable quant à la validité de la loi, et qu’il n’y a pas d’autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la Cour ». Cependant, la Cour suprême du Canada, fidèle à ses méthodes concrètes d’examen de la constitutionnalité des lois, refusera de se prononcer sur des questions hypothétiques ou théoriques. Par conséquent, l’action déclaratoire en inconstitutionnalité ne sera accueillie par les juges suprêmes qu’à la condition qu’une assise factuelle ait été mobilisée par le demandeur. En effet, la préoccupation de la Cour suprême du Canada à l’endroit des considérations factuelles demeure constante et cela même

169 G. BEAUDOIN, La Constitution du Canada. Institutions. Partage des pouvoirs. Droits et libertés, op. cit., p. 167 et s.

170 Ministre de la Justice c. Borowski, [1981], 2 RCS 575, p. 598 ; case comm., T. CAMPBELL, « Borowski v.

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lorsqu’il s’agit d’un contrôle qui se veut exceptionnellement plus abstrait. En France, aucun moyen semblable n’a été prévu par le Constituant. C’est la raison pour laquelle il convient d’évincer de l’étude comparative ce moyen en inconstitutionnalité. Le deuxième recours en inconstitutionnalité correspond au renvoi ou à la demande d’opinion consultative. Lorsqu’ils le juge à-propos, un gouvernement provincial ou le gouvernement fédéral peut adresser une demande d’avis respectivement à la Cour d’appel de la province ou à la Cour suprême du Canada sur une question constitutionnelle171

. Dans ce dernier cas, la Loi sur la Cour

suprême du Canada prévoit, notamment en son article 55, que le gouverneur fédéral

en conseil peut soumettre à la Cour suprême une question importante de droit ou de fait qui intéresse la Constitution, pour audition et examen. L’avantage de cette procédure de l’avis consultatif réside principalement dans le fait qu’elle permet aux gouvernements, tant provinciaux que fédéral, de connaître rapidement la constitutionnalité d’une loi ou d’un projet de loi. Cette procédure qui demeure trop éloignée de la question prioritaire de constitutionnalité et qui s’apparente dans une certaine mesure au contrôle a priori, sera volontairement exclue de l’étude comparative. En définitive, il s’agira de mener l’étude comparative uniquement au regard de l’exception d’inconstitutionnalité.

2) La justification de la comparaison de la question prioritaire de constitutionnalité au regard de l’exception d’inconstitutionnalité

37. Le choix de la comparaison de la QPC au regard de l’exception d’inconstitutionnalité Si la question prioritaire de constitutionnalité se rapproche

davantage de la technique de la question comme on a pu le souligner précédemment, l’exception d’inconstitutionnalité canadienne et la question prioritaire de constitutionnalité se rejoignent dans la mesure où la mise en cause de la loi s’effectue communément à l'occasion d'un procès. En effet, l’exception d’inconstitutionnalité canadienne permet à tout accusé, partie à un procès pénal, de soulever en défense l’inconstitutionnalité d’une disposition susceptible de lui être appliquée. Tout accusé peut donc contester une accusation pénale en faisant valoir que la loi en vertu de

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laquelle celle-ci est portée est inconstitutionnelle car incompatible avec la Charte

canadienne des droits et libertés. C’est notamment dans l’affaire Big M Drug Mart Ltd172 que le juge en chef Dickson, au nom de la majorité, est venu consacrer le

principe selon lequel « (…) tout accusé, que ce soit une personne morale ou une personne physique, peut contester une accusation criminelle en faisant valoir que la loi en vertu de laquelle l'accusation est portée est inconstitutionnelle ». Nul justiciable ne peut donc être déclaré coupable d’une infraction à une loi inconstitutionnelle. Cette règle qui découle indubitablement du principe fondamental du droit constitutionnel canadien énoncé à l’article 52 de la Constitution de 1982, à savoir la suprématie de la Constitution, a été clairement réaffirmée dans l’affaire Wholesale Travel Group Inc173. D’emblée, il convient de

préciser que cette règle ne s’applique pas uniquement aux cas où l’accusé invoque l’invalidité du texte d’incrimination. En ce sens, pour sa défense, tout accusé peut contester la constitutionnalité du texte créateur de l’infraction mais aussi tout texte législatif qui prévoient des règles de procédure inconstitutionnelles174

ou, à l’issue

des procédures, le texte qui prévoit l’imposition d’une peine inconstitutionnelle175.

De même, comme précédemment mentionné, tout accusé peut contester la constitutionnalité de l’action d’un agent de l’État176.

38. Le recours canadien en inconstitutionnalité contre le texte d’incrimination.

Dans la première hypothèse, c’est la constitutionnalité de la loi pénale « stricto

sensu » qui est attaquée. En ce sens, lorsque la violation des droits d’un accusé

résulte du fait du législateur lui-même, l’accusé peut présenter une requête pour contester l’accusation au motif que le texte reprochant l’incrimination est inopérant en vertu de l’article 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982177. L’État, dans son

action législative, est donc lié par le principe de la suprématie de la Charte

172 R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 RCS 295 , comm., J. CAMERON, « Enforcing the Charter [Canadian

Charter of Rights and Freedoms]: four remedial vignettes », 1988, 1988), Advocates'Q, vol. 9, n° 3, pp. 257-276.

173 R. c. Wholesale Travel Group Inc., [1991] 3 RCS 154 ; case comm., P. HEALY, « Criminal law - Strict and absolute liability offences - The role of negligence - Presumption of innocence and reverse onus - Charter of Rights

and Freedoms », (1990) 69 Can. Bar Rev., pp. 761-775.

174 Par exemple, une perquisition sans mandat, v. en ce sens : Regina v. Rao (1984), 12 CCC 97(3d), (C.A.Ont.) ; ou une détention pendant procès sans cause juste et suffisante, v. en ce sens : R. c. Pearson, (1990) 33 QAC 312 ou encore une règle qui priverait l’accusé de son droit à un procès devant un jury : R. c. Lee, [1989] 2 RCS 1384. 175 Par exemple, une peine cruelle ou inusitée au sens de l’article 12 de la Charte, v. en ce sens R. c. Smith, op. cit. 176 P. BELIVEAU, M. VAUCLAIR, « Traité général de preuve et de procédure pénales », op. cit., p. 37 et s. 177 F. CHEVRETTE, A. MOREL, « La protection constitutionnelle contre les abus de la police », 23 RJT, 1989, p. 452 et s.

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canadienne des droits et libertés tel qu’énoncé à l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982. Par conséquent, chaque tribunal pénal est autorisé à

prononcer l’annulation d’une loi qui est incompatible avec quelque disposition constitutionnelle que ce soit, même celles visant le partage des compétences178. Il

convient d’emblée de préciser que ce dernier cas de figure ne fera pas l’objet de l’étude comparative. En effet, approfondir le contrôle de constitutionnalité a

posteriori au regard des normes constitutionnelles relatives au partage de

compétences irait au-delà de la circonscription du champ de la recherche entreprise. Cette problématique n’ayant pas vocation à se poser au sein l’ordre politique français centralisé, la question sera volontairement écartée du champ d’étude.

39. Le recours canadien en inconstitutionnalité contre l’action d’un préposé de l’État. Il s’agit-là de la seconde hypothèse évoquée précédemment, un accusé peut

voir ses droits garantis par la Charte violés du fait d’une action d’un préposé de l’État. Dans ce cas-là, c’est le comportement de l’agent de l’État lui-même qui constitue une violation de la Constitution. En cette hypothèse, l’alinéa 2 de l’article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés prévoit un recours pour mettre à l’écart les éléments de preuve qui ont été obtenus en contravention de la Charte. En effet, ledit alinéa énonce que : « Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s’il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ». L’alinéa 2 de l’article 24 de la Charte, qui retrace la dimension concrète du contrôle de constitutionnalité des lois a posteriori canadien, ne trouve pas son équivalent en France. En effet, la Constitution française n’a pas conféré aux justiciables français une telle faculté qui leur permettrait de contester la constitutionnalité d’une action d’un agent de l’État. En définitive, l’article 24 (2) de la Charte crée donc un recours nouveau et distinct du recours général prévu à l’article 52(1) qui permet de faire contrôler la

178 R. c. Big M Drug Mart Ltd, [1985], 1 RCS 295, pp. 312-316., comm. J. CAMERON, « Enforcing the Charter [Canadian Charter of Rights and Freedoms]: four remedial vignettes. », (1988), Advocates'Q, vol. 9, n° 3, pp. 257-276.

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constitutionnalité des lois et d’obtenir éventuellement une déclaration judiciaire d’incompatibilité entre une règle de droit et une disposition donnée de la Charte179.

40. Le caractère incident de la question prioritaire de constitutionnalité et de l’exception d’inconstitutionnalité : un critère de convergence. Tout compte fait,

le caractère incident de l’exception d’inconstitutionnalité canadienne « à effets multiples » permet de la rapprocher de la question prioritaire de constitutionnalité180.

Le caractère incident se retrouve également dans ce dernier moyen procédural. En effet, en exigeant que la question prioritaire de constitutionnalité soit soulevée « à l’occasion d’une instance »181 et en précisant que cette question constitue un

moyen182, qui vient donc nécessairement au soutien d’une prétention, le Constituant

et le législateur organique réservent aux seules parties à une instance le droit de poser une telle question et interdisent qu’une instance ait pour seul objet de poser une question prioritaire de constitutionnalité. Cependant, si seules les parties à

l’instance peuvent soulever un tel moyen, toute partie peut le faire, dès lors que la

question prioritaire de constitutionnalité vient au soutien de ses prétentions183.

En définitive, cette convergence procédurale autorise et, par là même, justifie de mener une comparaison au regard de l’exception d’inconstitutionnalité canadienne. Pour autant, à travers certaines spécificités procédurales, la question prioritaire de constitutionnalité s’éloigne de l’exception d’inconstitutionnalité canadienne. L’étude comparative des finalités poursuivies par l’objet des contrôles de constitutionnalité a posteriori en France et au Canada témoigne dans une certaine mesure, de cette divergence.

179 A. A. MCLELLAN, B.P. ELMAN, « The enforcement of the Canadian Charter of Rights and Freedoms : An analysis of Section 24 », (1983), 21 Alta. L. Review 205, pp. 212-216 ; J.-C. LEVY, « The invocation of Remedies under the Charter of rights and freedoms : Some procedural Considerations », (1983), 13 Man. L.J, 523, pp. 524- 529.

180 Supra. n° 37.

181 Art. 61-1 Const. 4 oct. 1958, LO. n° 2009-1523,10 déc. 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution.

182 Art. 23-1, ord. n° 58-1067, 7 nov. 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel.

183 Infra n° 114 ; T.-S. RENOUX, La question prioritaire de constitutionnalité. Principes généraux, pratique et

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Section II. La protection des droits des justiciables pénaux à l’épreuve des finalités

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