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L’application asymétrique du droit constitutionnel répressif dans les domaines extra-pénaux Les garanties spécifiques énoncées par la Charte canadienne et par

Chapitre II : La protection des droits des justiciables pénaux à l’épreuve de la détermination de la norme de référence du contrôle de constitutionnalité a

B. Le champ d’application des normes constitutionnelles par rapport aux sanctions pénales

87. L’application asymétrique du droit constitutionnel répressif dans les domaines extra-pénaux Les garanties spécifiques énoncées par la Charte canadienne et par

la Constitution française peuvent donc déborder du droit pénal stricto sensu pour envahir les domaines extra-pénaux, notamment les domaines commercial, électoral, fiscal, militaire, de la consommation, etc. Nous l’avons vu, les juges canadiens ont conclu dans l’affaire Généreux417 que les garanties de l’article 11 de la Charte sont

applicables aux procédures de la cour martiale générale, même si l’affaire n’est pas de nature publique. La vision étroite de la notion de peine développée dans l’affaire

Wigglesworth a été élargie quelque peu dans l’affaire Généreux ou la Cour a qualifié

de peine l’imposition d’un emprisonnement dans le contexte d’une contravention à la discipline militaire. Il n’en demeure pas moins qu’au Canada, la notion de conséquence pénale est étroite, ce qui restreint la portée des garanties constitutionnelles. En France, au contraire, diverses questions prioritaires de constitutionnalité confirment l’extension du champ d’application des garanties constitutionnelles en matière répressive dans le cadre du contrôle de constitutionnalité a posteriori. En atteste par exemple la position du Conseil constitutionnel concernant le régime applicable aux amendes civiles, ainsi l'amende civile prévue par l'article L.442-6, III du code de commerce. Le Conseil constitutionnel a rappelé à plusieurs reprises, le caractère sanctionnateur de l’amende civile, justifiant son insertion dans la catégorie des « sanctions ayant le caractère d’une punition »418. Plus précisément, le Conseil constitutionnel a déclaré

conforme au principe de la légalité des délits et des peines le 2° du §I de l’article L.442-6 du code de commerce en ce qu’il sanctionne d’une amende civile certaines pratiques commerciales abusives, notamment la soumission d’un partenaire commercial à des obligations créant un « déséquilibre significatif » dans les droits et obligations des parties. En d’autres termes, la notion de « déséquilibre significatif » conditionne la possibilité de condamnation à une amende civile prévue à l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce. Le droit constitutionnel répressif envahit ainsi le champ du droit civil lato sensu. Sur ce point, il est intéressant de comparer la

417 R. c. Généreux, [1992] 1 RCS 259.

418 Cons. const., 13 janv. 2011, n° 2010-85 QPC, Établissements Darty et Fils [Déséquilibre significatif dans les relations commerciales], JORF 14 janv. 2011, p. 813.

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solution française avec l’arrêt Guidon419 rendu par la Cour suprême du Canada. En

effet, cette décision témoigne de l’interprétation restrictive de la notion de « peine » par les magistrats canadiens dans la mesure où une amende administrative d’un demi-million de dollars n’a pas été considérée comme « punitive » par les juges. En France, le contentieux relatif aux peines automatiques illustre lui aussi l’extension du champ d’application du droit constitutionnel répressif. Par exemple, le Conseil constitutionnel été amené à se prononcer sur la conformité de l’article L.7 du code électoral420 pour aussitôt le déclarer non conforme au principe de l’individualisation

des peines consacré à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. C’est qu’en effet, l’article 7 impose une automaticité de l’application de plein droit de la radiation des listes électorales en cas de condamnation pour diverses infractions. Dans la même lignée, le Haut Conseil a jugé contraire au principe de l’individualisation des peines, le quatrième alinéa de l’article 1741 du code général des impôts en ce que l’article impose au juge de prononcer une peine de publication et d’affichage du jugement de la condamnation pour des faits de fraude fiscale au Journal officiel421. Si les articles L.7 du code électoral et l’article 1741 du code

419 Guindon c. Canada [2015] 3 RCS 3, 2015 CSC.

420 Cons. const., 11 juin 2010, n° 2010-6/7 QPC, M. Stéphane A. et autres. [Article L. 7 du code électoral], JORF 12 juin 2010, p. 10849, texte n° 70, Rec., p. 111 ; v. not. Cons. const. 27 janv. 2012, n° 2011-211 QPC, M. Éric M. [Discipline des notaires], JORF 28 janv. 2012, p. 1674, texte n° 79, Rec., p. 87 ; B. DE LAMY, « Mesures ayant le caractère d'une punition, mesure préventive et... peine perdue », RSC, avril-juin 2013, n° 2, pp. 433-436 ; C.

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421 Cons. const. 10 déc. 2010, n° 2010-72/75/82 QPC, M. Alain D. et autres [Publication et affichage du jugement de condamnation], JORF 11 déc. 2010, p. 21710, texte n° 81, Rec., p. 382 ; B. DELAMY, « Actualité de la constitutionnalisation des peines : maintien d'un clair obscur », RSC, janvier / mars 2012, n° 1, pp. 230-232 ;B.

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général des impôts n’ont pas, de prime abord, vocation à instituer une sanction ayant le caractère de punition, le Conseil constitutionnel considère que ces dispositions ont le caractère d’une sanction punitive et examine leur conformité à l’aune du principe d’individualisation des peines422. On peut donc conclure que le Conseil

constitutionnel a étendu son contrôle, sous l’égide de l’article 8 aux sanctions administratives423, disciplinaires424, ou bien encore fiscales425. Autrement dit,

l’application extensive des principes répressifs de droit constitutionnel déborde le droit pénal classique pour envahir d’autres contentieux. En somme, l’étude comparée du principe de la légalité criminelle, témoigne de la préoccupation asymétrique des juges constitutionnels, en France et au Canada, de conférer le plus largement possible aux justiciables pénaux les garanties constitutionnelles contre une justice arbitraire.

422 Cons. const., 11 juin 2010, n° 2010-6/7 QPC, consid. 5, JORF 12 juin 2010, p. 10849, texte n° 70.

423 Cons. const., 13 janv. 2012, n° 2011-210 QPC, M. Ahmed S. [Révocation des fonctions de maire], JORF 14 janv. 2012, p. 753, texte n° 95, Rec., p.78 ; P. BLACHÈR, « Collectivités territoriales [Chronique QPC (janvier- avril 2012)] », LPA, 1 oct. 2012, n° 196, pp. 17-18 ; O. LE BOT, « Constitutionnalité du pouvoir étatique de suspension et de révocation des maires [Jurisprudence du Conseil constitutionnel] », RFDC, juill. 2012, n° 91, pp. 576-579 ; A. ROBLOT-TROIZIER, « Quand la jurisprudence constante du Conseil d'État pallie l'inconstitutionnalité d'une loi », RFDA, mai-juin 2012, n° 3, pp. 528-531 ; M. VERPEAUX, « La constitutionnalité ambiguë de la révocation des maires et des adjoints », AJDA, 19 mars 2012, n° 10/2012, pp. 546-551 ; Cons. const., 20 juill. 2012, n° 2012-266, M. Georges R. [Décision de retrait de l'indemnité due en cas de décision administrative d'abattage d'un cheptel], JORF 21 juill. 2012, p. 12001, texte n° 79, Rec., p. 390 ; F. ROUSSEAU, « La perte d'un droit à indemnisation, une possible sanction répressive », D., 22 nov. 2012, n° 40, pp. 2684-2687 ; H. PAULIAT, « Les animaux seront-ils sauvés par le Conseil constitutionnel ? Quelques réflexions à propos de questions prioritaires de constitutionnalité récentes..., », Revue semestrielle de droit animalier, oct. 2012, n° 1/2012, pp. 89- 95.

424 V. not., Cons. const., 27 janv. 2012, n° 2011-211 QPC, M. Éric M. [Discipline des notaires], JORF 28 janv. 2012, p. 1674, texte n° 79, Rec., p. 87 ; Cons. const., 17 janv. 2013, n° 2012-289 QPC, M. Laurent D. [Discipline des médecins], JORF 18 janv. 2013, p. 1294, texte n° 89, Rec., p. 106 ; J.-B. PERRIER, « Le rappel d'exigences traditionnelles concernant le cumul de poursuites en matière de discipline des médecins », RFDC, juill. 2013, n° 95, pp. 715-716 ; J.-B. PERRIER, « Discipline des médecins : cumul des poursuites n'est pas cumul des sanctions, Revue française de droit constitutionnel », avril 2013, n° 94, pp. 470-471.

425 V. not., Cons. const., 17 mars 2011, n° 2011-103 QPC, [Majoration fiscale de 40 % pour mauvaise foi], JORF 18 mars 2011, p. 4934, texte n° 93, Rec., p. 142 ; Cons. const., n° 2011-104 QPC, Époux B. [Majoration fiscale de 80 % pour activité occulte] JORF 18 mars 2011, p. 4935, texte n° 94, Rec., p. 145 ; Cons. const., 17 mars 2011, n° 2011-105/106 QPC, M. César S. et autre [Majoration fiscale de 40 % après mise en demeure], JORF 18 mars 2011, p. 4935, texte n° 95, Rec., p. 148 ; Cons. const., 10 fév. 2012, n° 2011-220 QPC, [Majoration fiscale de 40 % pour non-déclaration de comptes bancaires à l'étranger ou de sommes transférées vers ou depuis l'étranger],

JORF, 11 fév. 2012, p. 2441, texte n° 72, Rec., p. 115 ; Cons. const., 4 mai 2012, n° 2012-239, Mme Ileana A.

[Transmission des amendes, majorations et intérêts dus par un contribuable défunt ou une société dissoute], JORF 5 mai 2012, p. 8014, texte n° 149, Rec., p. 230.

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§2) Les droits fondamentaux du justiciable pénal en droit pénal de forme 88. Les principes directeurs applicables à la procédure pénale. L’objectif premier

de la procédure pénale, demeure la recherche de la manifestation de la vérité. Toutefois, cette quête de la vérité judiciaire doit se concilier avec les droits et libertés fondamentaux des citoyens. Certains principes fondamentaux pour y parvenir sont constitutionnellement reconnus. Parmi ces principes directeurs, les uns ont trait à la phase pré-sententielle du procès pénal (A), et d’autres, à la phase sententielle du procès pénal (B). Si l’entrée en vigueur de la question prioritaire de constitutionnalité a permis, de manière générale, un renouvellement de ces garanties constitutionnelles dans un sens favorable à une meilleure protection des droits fondamentaux des justiciables pénaux, la logique semble, dans une certaine mesure, inversée au Canada. En effet, la Charte canadienne a, dans certains cas, entraîné l’effritement de certaines protections de common law au profit de plus d’efficacité répressive.

A) Les droits fondamentaux des justiciables durant la phase pré-sententielle

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