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Les conditions de recevabilité des moyens d’inconstitutionnalité devant le Conseil constitutionnel

Section II : La divergence dans le déclenchement des moyens d’inconstitutionnalité au sein du procès pénal

B) Les conditions de recevabilité des moyens d’inconstitutionnalité devant le Conseil constitutionnel

133. L’objectivisme de l’exercice du contrôle de constitutionnalité des lois a

posteriori par le Conseil constitutionnel. C’est après « un long parcours du

combattant » que la contestation constitutionnelle arrive, enfin, jusqu’au prétoire du Conseil constitutionnel. Le grief d’inconstitutionnalité pourra être accueilli, le cas échéant, à la condition de remplir certaines conditions de fond spécifiques à l’exercice du contrôle de constitutionnalité des lois a posteriori par le Conseil constitutionnel. L’étude de ces dernières conditions témoigne de l’objectivisme de la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil constitutionnel (1) engendrant, de surcroît, un affaiblissement de la protection des droits et libertés fondamentaux des justiciables (2). En effet, en termes d’efficacité, l’objectivisme de la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil constitutionnel semble difficilement se concilier avec une protection pleine et entière des droits et libertés des justiciables pénaux. Il convient dès lors de déterminer quel(s) juge(s) judiciaire(s) serait (aient) compétent(s) pour contrôler la constitutionnalité des lois pénales a posteriori au plus près des situations subjectives, à l’image d’un juge canadien.

1) L’exercice objectif du contrôle de constitutionnalité des lois pénales a posteriori par le Conseil constitutionnel

134. L’absence de contrôle du « préjudiciel » par le Conseil constitutionnel. Si la

délimitation de la notion de « préjudiciel » témoigne de l’aspect abstrait du contrôle

a posteriori en France, l’absence de contrôle du caractère véritablement « préjudiciel

» de la question par les juges de la Rue Montpensier renforce cette impression. En effet, outre l’assouplissement de la première exigence de fond de la question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel se refuse, par un considérant de principe connu, à contrôler les appréciations des juges a quo sur le caractère préjudiciel de la question. Le Conseil constitutionnel a eu l’occasion d’affirmer ce refus dès la première question prioritaire de constitutionnalité en ces

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termes : «Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, de remettre en cause la décision par laquelle le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation a jugé […] qu’une disposition était ou non applicable au litige ou à la procédure ou constituait le fondement des poursuites »597.

Si les raisons d’un tel refus tiennent en majeure partie à l’office du juge constitutionnel, cette orientation témoigne de la préservation par le législateur organique de 2009, de l’aspect abstrait du contrôle a posteriori. Néanmoins, le Conseil constitutionnel s’autorise quelques digressions lorsqu’il apparaît que l’étendue de la contestation constitutionnelle a une portée excessive. En effet, lorsqu’une disposition législative est contestée dans son intégralité alors qu’un seul de ces alinéas justifie le grief, les Sages circonscrivent leur décision au regard de cette unique norme. L’hypothèse s’est notamment présentée au sein de la décision du 17 décembre 2010 relative au contentieux de la détention provisoire réservé à la chambre de l’instruction. En effet, l’article 207 du code de procédure pénale réserve exclusivement ledit contentieux à la chambre de l’instruction. La Cour de cassation, préjugeant de l’inconstitutionnalité de cet article, a déféré l’intégralité de la disposition litigieuse au Conseil constitutionnel. Ce dernier a limité sa décision à l’alinéa premier de cet article étant donné que le pouvoir dévolu à la chambre de l’instruction en matière de détention provisoire trouve son fondement uniquement au sein de cet alinéa et non pas dans les trois suivants. Ce pouvoir de circonscrire le champ de la saisine aux seules dispositions mises en cause par la question prioritaire de constitutionnalité témoigne de la prudence du Conseil constitutionnel compte tenu de l’effet erga omnes qui s’attache à ses décisions. Le Conseil constitutionnel a tenu le même raisonnement dans la question prioritaire de constitutionnalité relative à la communication du réquisitoire définitif aux parties598 de l’article 175

du code de procédure pénale. Cette question portait sur le règlement de l’information préparatoire. Mais, le requérant contestait précisément le fait que les réquisitions du

597 Cons. const., 28 mai 2010, n° 2010-1 QPC, Consorts L. [Cristallisation des pensions], consid. 6, JORF 29 mai 2010, p. 9728, texte n°67, Rec., p. 91.

598 Cons. const., 9 sept. 2011, n° 2011-160 QPC, [Communication du réquisitoire définitif aux parties], JORF, 10 sept. 2011, p. 15273, texte n° 61, Rec., p. 438 ; A. MARON, S. HAAS, « Où l'on voit la chambre criminelle réécrire une décision du Conseil constitutionnel qui avait lui-même réécrit la loi », Dr. pén., sept. 2013, n° 9, pp. 53-55 ; A-S. CHAVENT-LECLÈRE « La notification des réquisitions doit désormais être faite aux parties et non plus à leurs avocats », Procédures, janv. 2012, n° 1, p. 24 ; B. DE LAMY, « Les fonctions du principe d'égalité : lutte contre les discriminations et amélioration de la qualité de la législation pénale », RSC, janv. / mars 2012, n° 1, pp. 233-237 ; J-B. PERRIER, « Communication du réquisitoire définitif aux (avocats des) parties », AJPénal, janv. 2012, n° 1, pp. 46-47.

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procureur de la République ne sont adressées qu’aux avocats des parties. Le Conseil constitutionnel a, dès lors, limité le champ de sa saisine à la seconde phrase du deuxième alinéa du texte où le vice constitutionnel résidait. Ici, le contrôle de constitutionnalité a posteriori effectué par le Haut Conseil revêt un caractère concret dans la mesure où ce dernier applique la norme litigieuse non pas dans l’abstrait, mais dans le contexte spécifique de l’affaire. En somme, ce n’est qu’exceptionnellement que le Conseil constitutionnel s’autorise à contrôler les appréciations du juge a quo sur le caractère préjudiciel de la question.

Sur ce point, la comparaison avec le droit canadien rencontre rapidement ses limites étant donné notre choix de circonscrire l’étude comparative au regard de l’exception d’inconstitutionnalité. En effet, le mécanisme d’exception d’inconstitutionnalité permettant à tout juge, saisi de la question de constitutionnalité, de la trancher directement, le contrôle du caractère « préjudiciel » ne se pose pas. Au surplus, le souci des juges canadiens de préserver l’aspect concret du contrôle a posteriori, et ceci dès le stade de la recevabilité de l’exception d’inconstitutionnalité doit être rappelé. Une fois cette première condition de recevabilité relative à la question prioritaire de constitutionnalité évincée du champ d’application du contrôle a

posteriori par le Conseil constitutionnel, ce dernier se prête à un contrôle restrictif

relativement à la deuxième condition de renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité.

135. «La disposition doit n’avoir pas été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances ». Selon l’article

23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958599, afin d’être renvoyée ou transmise, la

disposition litigieuse ne « doit pas avoir été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, « sauf changement de circonstances ». Il convient de définir les « changements de circonstances » qui autoriseraient le Conseil constitutionnel à examiner de nouveau la constitutionnalité d’une disposition pénale.

599 Art. 23-2, ord. n° 58-1067, 7 nov. 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, JORF 9 nov. 1958, p. 10129.

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136. La définition de la notion de « changement de circonstances de fait ou de droit ». Concernant la réserve du « changement de circonstances », le Conseil

constitutionnel a précisé qu’elle visait les changements de portée générale, c’est-à- dire les changements dans les normes constitutionnelles ou changement dans les circonstances, de droit ou de fait, qui affectent la portée de la disposition législative critiquée600. Les circonstances examinées peuvent être de nature juridique ou

factuelle601. Le changement de circonstances de fait doit être interprété d’une

manière particulière. En effet, il est incorrect d’appréhender les circonstances de fait comme « renvoyant aux circonstances individuelles et propres de l’instance »602. Le

changement des circonstances de fait résulte davantage d’une évolution du contexte sociétal, c’est-à-dire, économique, social, ou politique, qui affecte la disposition législative litigieuse. En guise d’exemple, peut être constitutif d’un changement de circonstances de fait, l’accroissement des recours à la garde à vue attesté par des données statistiques603. Quant au changement de circonstances de droit, celui-ci peut

provenir d’une évolution de la norme constitutionnelle applicable604, d’un

« changement législatif »605, ou bien, d’une évolution jurisprudentielle survenue, par

exemple, suite à une décision européenne condamnant la France606. Cette dernière

hypothèse peut être illustrée par l’arrêt du 20 août 2014607 de la chambre criminelle

de la Cour de cassation. Dans cette affaire, cette dernière renvoie la question prioritaire de constitutionnalité « Mouvement Raelien international » portant sur l’article 5, alinéa 2 et 3, de la loi du 1er juillet 1901 en considérant que l’intervention

d’une décision de la Cour européenne des droits de l’homme en 2009 condamnant la France pour violation du droit à un procès équitable en raison de ces dispositions, constitue un changement de circonstances de droit justifiant de surmonter le brevet

600Cons. const., n° 2009-595 DC, 3 décembre 2009, Loi organique relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution, JORF 11 déc. 2009, p. 21381, texte n° 2, Rec., p. 206., comm., CCCC, n° 28.

601 Au Canada, on retrouve ces mêmes notions, v. : Carter c. Canada (Procureur général), [2015] 1 RCS 331. 602 M. GUILLAUME, « QPC : textes applicables et premières décisions », NCCC, 2010, n° 29, p. 38.

603 Cons. const, 30 juill. 2010, n° 2010-14/22 QPC. 604 C. LAGRAVE, op. cit., 2013, p. 256.

605 S. SLAMA, « Une décision de la Cour EDH condamnant la France constitue un changement de circonstances de droit permettant de surmonter un brevet de constitutionnalité. Droit à un recours affectif et liberté d’association (Art. 16 DDHC) », RUDH, 2014, p. 4.

606 Ibidem.

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de constitutionnalité accordé à la loi sur la liberté d’association par le Conseil constitutionnel en 1971. La question prioritaire de constitutionnalité portant sur ces dispositions, et plus exactement sur l’interprétation constante de celles-ci par la Cour de cassation depuis 1999, est donc transmise au regard de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen en ce qu’elles privent du droit d’ester en justice toute association ayant son siège social à l’étranger sans principal établissement en France. Par ailleurs, le changement de circonstances de droit peut être constaté lors d’un changement législatif, c’est-à-dire une modification assez substantielle de la loi qui avait fait l’objet du précédent contrôle et qui justifie un réexamen. L’hypothèse s’est notamment présentée tant concernant l’assistance d’un avocat lors de la garde à vue608 qu’au sein de la décision susvisée du 24 juin 2016609

relative au cumul de l'application des majorations d'impôt prévues par l'article 1729 et des sanctions pénales établies par l'article 1741 du même code. Cet article institue une sanction administrative fiscale en cas de manquement à l’obligation déclarative des contribuables. Dans sa rédaction en vigueur avant le 1er janvier 2006, résultant de l’ordonnance du 25 décembre 2004, le premier alinéa de l’article 1729 prévoyait une majoration de « 40 % si la mauvaise foi de l’intéressé est établie ». Dans les motifs et le dispositif de sa décision du 17 mars 2011610, le Conseil constitutionnel

avait déclaré conformes ces mots à la Constitution. A compter du 1er janvier 2006, avec l’ordonnance du 7 décembre 2005, les mots « de 40 % si la mauvaise foi de l’intéressé est établie » ont été remplacés par les mots « 40 % en cas de manquement délibéré ». Assimilant la nouvelle évolution légale à un changement de circonstances de droit, le Conseil constitutionnel s’est prononcé à nouveau sur la contestation constitutionnelle.

L’article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisé, pouvait laisser penser que le Conseil constitutionnel se prête à un contrôle concret de constitutionnalité a

posteriori. En effet, afin de déterminer un changement de circonstances de fait ou

de droit, il semblerait que le Conseil constitutionnel soit amené nécessairement à prendre en compte certaines considérations contextuelles. Lors de l’examen d’un

608 Cons. const., 30 juill. 2010, n° 2010-14/22 QPC ; Const. const., 6 mai 2011, n° 2011-125 QPC, M. Abderrahmane L. [Défèrement devant le procureur de la République], JORF 7 mai 2011, p. 7850, texte n° 76,

Rec., p. 218.

609 Cons. const., 24 juin 2016, n° 2016-545 QPC, consid. 6.

610 Cons. const. 17 mars 2011, n° 2010-103 QPC, [Majoration fiscale de 40 % pour mauvaise foi], JORF, 18 mars 2011, p. 4934, texte n° 93, Rec., p. 142.

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changement de circonstances, les juridictions relevant de la Cour de cassation, cette dernière et le Conseil constitutionnel semblent disposer « d’un pouvoir considérable, puisqu’il leur est demandé d’apprécier l’adéquation d’une loi à son époque et de la juger contraire à la Constitution si elle ne trouve plus de justification dans les données de fait qui l’avaient initialement fondée »611. Cette perméabilité du contrôle

de constitutionnalité a posteriori à certains faits sous-tendue par l’examen des changements de circonstances commanderait un contrôle concret effectué par les Sages.

Toutefois, il n’en est rien. Le Haut Conseil effectue un contrôle restrictif de cette deuxième condition de filtrage française, et témoigne d’une certaine objectivisation de la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité. En effet, il a rendu à plusieurs reprises des décisions de non-lieu à statuer sur les questions prioritaires de constitutionnalité qui lui étaient renvoyées par la chambre criminelle sur le fondement d’un changement de circonstances612. Il a ainsi contredit la chambre

criminelle en considérant qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur la constitutionnalité de l’article 706-88 du code de procédure pénale relatif aux gardes à vues dérogatoires dès lors qu’il avait déjà été déclaré conforme à la Constitution et qu’aucun changement de circonstances n’était intervenu613 alors qu’il en a retenu

l’existence dans le cadre des gardes à vues de droit commun614 et qu’un nouveau

principe constitutionnel relatif à l’assistance effective de l’avocat y a été découvert. Or, le changement de circonstances de droit intervenu dans le cadre de la garde à vue de droit commun aurait pu permettre le réexamen de la constitutionnalité du régime dérogatoire de garde à vue du fait de l’évolution des normes constitutionnelles de référence depuis la déclaration conformité de ce régime le 2 mars 2004615. Cette décision prouve que les modifications de la norme

constitutionnelle, ultérieure à la déclaration de conformité, ne constituent pas nécessairement un changement de circonstances pour le Conseil constitutionnel.

611 D. ROUSSEAU, G. VEDEL, Droit du contentieux constitutionnel, Montchrestien, coll. Domat droit public, Paris, 9 éd., 2010, p. 248.

612 Cons. const., 2 juill. 2010, n° 2010-9 QPC ; Cons. const., 22 sept. 2010, n° 2010-31 QPC ; Cons. const., 29 sept., 2010, n° 2010-44 QPC.

613 Cons. const., 22 sept. 2010, n° 2010-31 QPC.

614 Cons. const., 30 juill. 2010, n° 14/22 QPC, consid. 13 ; N. CATELAN, « La constitutionnalité à géométrie variable des régimes de garde à vue », RFDC, n° 85, 2011, pp. 99-110 ; P. PUIG, « QPC : le changement de circonstances source d'inconstitutionnalité », RTD Civ, 2010, p. 513.

615 Cons. const, 2 mars 2044, n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, Rec. p. 66.

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Plus récemment, la décision du 24 janvier 2017616 relative aux contrôles d’identité

sur réquisitions prouve que le Conseil constitutionnel, à la différence de la chambre criminelle, s’autolimite en matière de prise en compte des faits qui entourent la disposition législative critiquée. Statuant sur deux questions prioritaires de constitutionnalité transmises par la chambre criminelle de la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel a validé, à nouveau, le principe des contrôles d’identité sur réquisition du procureur de la République, en émettant toutefois trois réserves d’interprétation617. Si la chambre criminelle et le Conseil constitutionnel se

rejoignent dans la mesure où ils reconnaissent l’existence d’un changement de circonstances, le raisonnement qui sous-tend cette conclusion s’avère différent. La Cour de cassation avait accepté de reconnaître le caractère sérieux des deux questions et de les transmettre au Conseil constitutionnel618, estimant notamment

que le fait que le Conseil ait déjà examiné les dispositions en cause n’était pas un obstacle à leur recevabilité, le contexte ayant changé depuis la loi du 31 décembre 2012 mettant fin au délit pour séjour irrégulier. Sur ce point, le Conseil opte pour une argumentation différente, jugeant à la fois qu’il n’avait pas déclaré le sixième alinéa de l’article 78-2 du code de procédure pénale conforme à la constitution lors de l’examen de la loi du 10 août 1993619 et que la modification de l’article 78-2-2

par l’article 17 de la loi du 14 mars 2011620 avait entraîné un changement de

circonstances suffisant pour réexaminer la constitutionnalité du dispositif. Le raisonnement adopté par le Conseil constitutionnel prouve la réticence toujours palpable de ce dernier à prendre en considération les faits législatifs qui renvoie au contexte factuel entourant l’élaboration de la loi. En revanche, la chambre criminelle adopte une vision plus pragmatique des legislative facts. Cette orientation du Conseil constitutionnel peut être regrettable, tant la notion de changement de circonstances de fait ou de droit peut ouvrir des perspectives intéressantes, surtout en matière pénale où le Conseil constitutionnel est souvent saisi de nouvelles lois.

616 Cons. const., 24 janv. 2017, n° 2016-606/607 QPC, M. Ahmed M. et autre [Contrôles d’identité sur réquisitions du procureur de la République], JORF n° 0022, 26 janv. 2017, texte n° 135.

617 Cons. const., 24 janv. 2017, n° 2016-606/607 QPC, consid. 23 : « La détermination des lieux et périodes de contrôle doit être en lien avec la recherche des infractions visées par la réquisition ; le respect de la liberté d’aller et venir fait obstacle au cumul de réquisitions portant sur des lieux et périodes différents qui conduiraient à des contrôles généralisés dans le temps et l’espace ; les réquisitions ne peuvent avoir pour finalité le contrôle de la régularité du séjour des étrangers ».

618 Cass. crim., QPC, 18 oct. 2016, n° 16-90.022 ; Cass. crim., QPC, 18 oct. 2016, n° 16-90.023. 619 Cons. const., 5 août 1993, n° 93-323 DC, JORF n° 181, 7 août 1993, p. 11193.

620 L. n° 2011-266, 14 mars 2011 relative à la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs, JORF, 15 mars 2011.

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Le Conseil constitutionnel reconnaît donc rarement un changement de circonstances de fait ou de droit dans le cadre de la question prioritaire de constitutionnalité. Mises à part ces quelques décisions qui témoignent d’une potentielle évolution du contrôle

a posteriori vers une concrétisation progressive exercé par le Conseil

constitutionnel, l’interprétation restrictive des « changements de circonstances » par ce dernier ne permet pas d’assurer une protection réelle des droits et libertés que les justiciables français. Cette orientation est regrettable à plusieurs titres.

2) Les conséquences de l’exercice objectif du contrôle de constitutionnalité a

posteriori par le Conseil constitutionnel sur la protection des droits des justiciables

pénaux

137. Les apories de l’interprétation restrictive de la notion de « changement de circonstances ». L’interprétation restrictive de la deuxième condition de renvoi de

la question prioritaire de constitutionnalité conduit nécessairement à un affaiblissement de la protection des droits et libertés fondamentaux des justiciables. En effet, ces derniers doivent circonscrire précisément le champ de la saisine des dispositions litigieuses lorsqu’ils entendent les soumettre au Conseil constitutionnel, étant donné que l’effet erga omnes qui s’attache aux décisions du Conseil n’autorise pas, en principe, le réexamen de dispositions législatives dont la constitutionnalité a déjà été constatée. Il est compréhensible qu’une disposition déjà contrôlée donne lieu à un nouvel examen, uniquement dans des cas strictement entendus. Cependant, il peut paraître illusoire que le Conseil constitutionnel soit en mesure de s’assurer de manière unique et définitive que soient évitées toutes les atteintes potentielles qu’une disposition législative pourrait entraîner à l’égard des droits fondamentaux. En effet, c’est précisément lors de l’application de la loi pénale que les inconstitutionnalités se révèlent. Au surplus, cette orientation ne se concilie guère avec la logique qui sous-tend l’instauration de la question prioritaire de constitutionnalité621. La nature même d’un contrôle a posteriori justifie que soient

prises en compte les inconstitutionnalités telles qu’elles apparaissent dans la pratique étant donné que le contrôle de constitutionnalité a posteriori est envisagé

621 A. VIDAL-NAQUET, « Quelles techniques juridictionnelles pour la QPC ? », in La question prioritaire de

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comme un contrôle de l’applicabilité de la disposition législative. Partant de ce postulat, il semblerait logique que le justiciable puisse à nouveau avoir accès au prétoire des juges constitutionnels en dépit d’un premier contrôle de la part de ces derniers. En somme, si l’interprétation restrictive de cette deuxième condition de transmission peut se justifier au regard de l’autorité des décisions du Conseil constitutionnel622, force est de constater que l’étude comparée peut dans une certaine

mesure, renverser cet argument. En effet, au Canada, les arrêts de rejet revêtent également l’effet erga omnes. Cependant l’interprétation souple de la règle du précédent amène les magistrats canadiens à accueillir plus largement les contestations constitutionnelles, quand bien même ces dernières auraient été jugées sans fondement légal car conformes à la Constitution. L’absence d’examen du caractère sérieux de la question prioritaire de constitutionnalité par le Haut Conseil atteste une fois de plus, du haut degré d’abstraction de la question prioritaire de

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